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Les fiches forêts d’Adret Morvan : Fiche forêt et plantations n°1 : Une forêt, des forêts.... et des plantations.

Il est difficile de parler de la forêt sans parler des plantations et tout l’enjeu des années à venir tient à la distinction entre « forêt naturelle » et « plantations ». La forêt n’est plus immuable et intemporelle : de l’espace naturel dont on a puisé des ressources, elle devient de moins en moins insidieusement et de plus en plus massivement un outil de production de bois et d’énergie au rabais, au détriment de ses autres fonctions indispensables à notre survie (dont le stockage-recyclage du carbone et la qualité de l’eau sont à eux seuls des enjeux majeurs).

Cette orientation industrielle met gravement la forêt naturelle en péril, que ce soit du point de vue environnemental, économique ou même social - par une dépossession qui modifie la place que la forêt occupe dans notre société, ce qui engendre une modification de notre société elle même.

 La forêt naturelle

La forêt naturelle, et sans parler de forêt primaire ou de forêt sanctuaire, ne subsiste qu’à l’état de réserves très limitées sur le territoire national métropolitain.

Selon l’UICN, seul 1,3% de la forêt française métropolitaine est placée sous “valeur de conservation” [1], et selon le rapport 2014 de l’ONF, seul 1,4% des forêts domaniales sont “retirées de la production”, ce qui laisse peu de place à une naturalité qui ne soit pas impactée par les interventions humaines, et d’autant moins que ces “réserves” constituent en réalité des îlots déconnectés des autres espaces forestiers par divers aménagements forestiers (plantations, pistes et routes forestières...) et fonciers (disparition des corridors de migration que sont les haies, notamment anciennes, voies de circulation, zones urbaines...). Le morcellement de la propriété a cependant permis que certaines petites parcelles oubliées se constituent en réserves de fait, réserves aujourd’hui dans le viseur des pouvoirs publics qui souhaitent les « valoriser » et dans celui des producteurs de bois énergie qui trouvent là une ressource au rabais avant transformation en plantations mécanisables.

Sorti des réserves, le qualificatif de forêt « naturelle » n’exclut pas l’homme de l’équation : il implique uniquement que l’équilibre dynamique est maîtrisé par l’écosystème lui même, avec ses propres ressources et stratégies (résilience / adaptabilité). Une forêt peut être naturelle et orientée par l’homme. Par contre, il exclut l’industrialisation qui par définition cherche à maîtriser cet équilibre dynamique, avec pour première conséquence le déni de la capacité d’autogestion des écosystèmes, c’est à dire le déni de leur « naturalité ».

Une forêt peut être considérée comme « naturelle » lorsqu’elle forme un ensemble interactif en harmonie évolutive (équilibre dynamique) qui inclut : ses espèces vivantes (végétales, animales, fongiques, bactérienne, virales,...), son milieu non-vivant (sous sol, atmosphère), son climat... au bout du compte, c’est la notion du respect des dynamiques des écosystèmes qui est la charnière entre « forêt naturelle » et « autres boisements » [2].

L’écosystème forestier est extrêmement compliqué (diversifié), ce qui fait sa force face aux dérèglements climatiques - car chaque “maillon” est assuré par des communautés diverses, multipliant ainsi les chances d’adaptabilité, mais aussi sa faiblesse face aux interventions humaines qui tendent à simplifier (réduire) la diversité, à supprimer des maillons entiers, comme par exemple ceux liés au sous-bois arbustif, à la sénescence etc.

« Une forêt n’est pas naturelle si elle n’abrite pas tous les partenaires de la communauté forestière, dont les brouteurs et les prédateurs. La main de l’Homme [ne] fait [...] qu’effleurer le fonctionnement spontané de l’écosystème forestier. On ne saurait [...] « améliorer » la biodiversité d’une forêt par l’introduction d’essences déconnectées de l’écosystème forestier ambiant » [3] : cela n’a qu’un effet, celui de « bousculer » cette biodiversité, personne n’étant par ailleurs en mesure de prévoir si cela sera pour le mieux ou pour le pire, deux notions par ailleurs toutes relatives. De même, cette biodiversité est dégradée par des prélèvements ou des orientations sylvicoles qui homogénéisent les essences (et leur génétique), les âges, et qui hypothèquent cet indispensable maillon qu’est la sénescence (arbres âgés et bois morts sur pied ou au sol) .

Une définition simple de la forêt naturelle pourrait être : la forêt naturelle est une forêt qui n’est pas plantée. Au plus, elle est « orientée ». Cependant, une plantation réalisée dans le respect des dynamiques écosystémiques pourrait devenir une forêt naturelle un jour.

Composition de la forêt française métropolitaine (source : IGN « la forêt en chiffres et en cartes » 2014). Les forêts couvrent 30% du territoire et sont pour les trois-quart des forêts privées. Elles se composent à majorité de feuillus (67%) ou de résineux (33%), sont très peu mélangées, gérées pour leur majorité en futaie régulière (54%), pour leur très grande majorité en peuplements spécifiques (51% en mono-spécifique, 33% à deux essences, 12% à trois essences) et pour seulement 4% en peuplement diversifié (quatre essences ou plus), dernière catégorie qui inclut nécessairement les forêts naturelles anciennes pour lesquelles aucune donnée n’est disponible.

 La forêt de production, ou plantation, ou ligniculture

La forêt de production, ou plantation, ou ligniculture, est une aire forestière établie en plantant ou en semant des espèces exotiques ou natives, souvent avec une seule espèce ou peu d’espèces, un espacement régulier et des âges homogènes, et qui ne présente pas la plupart des caractéristiques principales et éléments essentiels des forêts naturelles. [4]

La plantation en lieu et place de la forêt « naturelle » répond prioritairement aux besoins de l’industrie et s’oriente de plus en plus vers des essences adaptées à la demande de court-terme du marché (résineux non indigènes à rotation courte, et bientôt, pour le bois énergie, essences à croissance très rapide, souvent exotiques, souvent invasives). Cette forme de sylviculture intensive, notamment lorsqu’elle est mise en place après une coupe à blanc de la forêt naturelle, détruit l’équilibre biologique de cette forêt et entraîne, en particulier :

 la disparition immédiate de l’habitat et des espèces inféodées, qu’un « reboisement » sans diversité, ou pire, en essences exotiques, ne sera plus à même d’accueillir,

 la disparition, par le traitement en futaies régulières, de la biodiversité des sous-bois arbustifs, de la sénescence. De plus, la sur-exploitation et la coupe rase favorisent les essences invasives.

 une forte dégradation de la qualité des sols (déséquilibre minéral, réduction conséquente de la vie organique...) nécessitant rapidement l’usage d’engrais,

 de graves atteintes à la régulation et à la qualité de l’eau,

 une plus grande fragilité face aux événements climatiques, aux essences invasives, aux insectes ravageurs, nécessitant l’usage d’herbicides et d’insecticides.

La somme de ces seuls effets suffit à annoncer la fin de l’écosystème forestier et de ses fonctions de régulation (eau, climat...). Ce choix basé sur la demande industrielle de court terme est même contre-productif en terme de bilan carbone : la plantation est loin d’être aussi efficace que la forêt [5], ce à quoi il convient d’ajouter le changement d’affectation des sols [6], soit par la coupe rase préalable de la forêt (provoquant une libération massive de CO2), soit par la conversion de prairies naturelles issues de la déprise agricole (en majorité, pâturages non labourables de petite et moyenne montagne, dont la valeur écologique - biodiversité, stock de CO2... - est comparable à celle de la forêt naturelle).

La pérennité de la forêt, d’un point de vue environnemental mais aussi économique, est conditionnée par son équilibre biologique [7], par le fonctionnement correct de son (éco-)système. La sylviculture intensive n’est pas une méthode de gestion forestière, mais une exploitation productive de court terme de type minière. Elle ne correspond pas aux critères de gestion durable tels qu’adoptés par la France ; et pourtant, l’industrialisation de la forêt est bel et bien l’orientation choisie de la gestion forestière française [8], orientation ni avouée, ni assumée, bien cachée derrière les discours et entre les lignes officielles qui mettent en avant le développement pour justifier ce choix délétère.

Pas de forêt sans sol forestier : Les recherches de l’INRA sur l’évolution des sols du Morvan suite au remplacement des forêts de feuillus par des plantations de résineux attestent du déséquilibre biologique engendré, avec une acidification accrue des sols (nitrates, aluminium, qui se retrouvent dans l’eau), acidification encore renforcée par la rotation courte. Par ailleurs, les chercheurs de l’INRA mettent également en cause les méthodes d’exploitation, en particulier le tassement des sols par les engins (irrémédiable) et la technique des andains après coupe rase (lessivage). Pérenniser cette mono-culture ne pourra se faire sans amender les sols et l’INRA fait déjà des études en ce sens. [9]
Comment scier la branche...
« La proximité croissante entre « gestionnaires », acheteurs industriels et conseillers « publics » contraint le regard en matière de sylviculture. Les taillis deviennent « non améliorables » dans les plans de gestion pour justifier leur remplacement par du douglas. La rationalité de cette gestion en monocultures régulières est surtout rationnelle au regard des coûts de mobilisation du bois et de la transformation industrielle des matériaux. Sortie de ce cadre, elle pêche par son rendement, tant sur le plan social (emploi) qu’économique (rendement matière) et environnemental (fertilité des sols, eaux, biodiversité forestière). L’aspect environnemental rejoignant rapidement celui de l’économie par l’importance de la fertilité des sols et du contrôle biologique dans la durabilité de la production de bois. » [10] Autrement dit, la seule justification de la mécanisation de la production forestière (et de sa standardisation) tient à une prétendue compétitivité qui a des airs de productivisme, au détriment de la qualité des bois et des emplois, et même de la plusvalue issue de la transformation, ainsi que de l’environnement.
La régénération artificielle, fonds de commerce des coopératives forestières.
Les coopératives, dans leur grande majorité, proposent aux propriétaires forestiers une prise en charge qui multiplie les interventions (en grande partie subventionnées) et qui leur délègue en fin de processus la vente du bois, main-mise leur permettant de satisfaire leurs contrats d’approvisionnement [11]. Sans exclure totalement la régénération dite « naturelle » mais fortement « assistée » (interventions humaines, introduction de plants), certaines coopératives, et pas des moindres, ne cachent pas leur préférence pour les coupes drastiques ou rases, qui débouchent tout « naturellement » vers des régénérations artificielles qui font l’objet d’interventions coûteuses tant financièrement qu’en terme de dégradation des sols. Leur fiches techniques détaillent les interventions mécaniques (dessouchage, andains, labour...) et chimiques, dont elles donnent des calendriers précis, y compris traitements phytosanitaires à titre préventif. Par ailleurs, elle proposent des plants « issus de la sélection et de l’amélioration génétique » qui laissent présager d’un peuplement recomposé à finalité purement économique de court-terme. Cette gestion « durable » ne respecte en rien l’équilibre biologique de la forêt, sur lequel ces coopératives seraient bien inspirées d’éviter de communiquer.

 La forêt multifonctionnelle

La forêt multifonctionnelle, présentée comme compromis entre équilibre biologique et production de bois, affichée comme l’expression aboutie de la gestion durable, est un concept qui en appelle un autre, celui de « bénéfices écosystémiques », qui engendre lui-même une financiarisation des espaces naturels par les PSE (paiements pour services écologiques).

Il n’existe de fait pas de définition de la forêt multifonctionnelle. Elle devrait résulter de la définition de la gestion durable telle qu’elle a été initiée à Rio puis à Helsinki, et reprise par l’ONU, l’EU et la France dans son code forestier : gestion et utilisation des forêts (...) d’une manière et à une intensité telles qu’elles maintiennent leur diversité biologique (…), leur capacité de régénération, leur vitalité et leur capacité à satisfaire, actuellement et pour le futur, les fonctions écologiques, économiques et sociales, pertinentes au niveau local, national, et mondial, et qu’elles ne causent pas de préjudices à d’autres écosystèmes. » [12]

En première lecture, cet engagement de gestion durable, signé par la France, définit une forêt qui, même orientée, reste « naturelle », c’est à dire acteur principal de sa propre évolution. Dans un équilibre biologique préservé, gérée avec une sylviculture qui respecte ses fonctionnements, la forêt est en capacité d’assumer l’ensemble de ses fonctions.

La notion de “multifonctionnalité” a été développée pour conceptualiser une sylviculture censée répondre à la triple fonction économique, sociale et environnementale. Or, non seulement ces fonctions sont classées par ordre de priorité, par exemple plutôt production, ou plutôt social - le côté “environnemental” étant souvent cité en dernier et pour la forme, mais en plus, la France a divisé ses espaces forestiers dont certains - la majorité - répondent à la fonction économique, d’autres à la fonction sociale, comme par exemple les forêts de loisir périurbaines, et quelques rares à la fonction environnementale, comme les réserves. Ces espaces gérés dans des finalités spécifiques et de fait souvent antinomiques, sont réputés former dans leur ensemble la forêt multifonctionnelle, la multifonctionnalité de l’ensemble étant obtenue par la coexistence de zones en réalité très peu (multi-)fonctionnelles individuellement.

Ce cloisonnement des zones et des fonctionnalités n’a aucun fondement scientifique ou social : seule la préservation des écosystèmes peut prétendre à des fondements scientifiques, sociaux et même économiques si l’on veut bien considérer la pérennité du patrimoine forestier. L’ultra-simplification d’un écosystème fractionné et zoné entraîne son dysfonctionnement, sa dépendance aux interventions humaines et une grande fragilité au regard des dérèglements climatiques.

Le parc naturel du Morvan et les plateaux du Limousin envahis par le douglas ou comment la classification en massif de production met en péril la forêt (et fragilise tout un territoire) : En premier lieu bien évidemment pour tout ce qui est transformé en plantations industrialisées, ensuite en second lieu par l’impact de ces surfaces converties, appauvries etc, sur la forêt naturelle ancienne et sur la qualité des terres d’élevage : ces méthodes de sylviculture industrielle ont un impact général, pour toute la région, sur le climat, sur la qualité des sols (déséquilibre minéral, vie organique etc), la qualité et la régulation de l’eau, la richesse de la biodiversité qui est en chute libre (perte ou dégradation des habitats, modifications des conditions de vie etc). Plus les écosystèmes sont simplifiés, uniformisés, plus les espaces sont cloisonnés (une douglassière, une route forestière etc sont de vrais barrages à la migration, donc aux échanges, donc à l’adaptabilité au changement climatique), moins ils auront de potentiel pour développer des solutions face aux dérèglements. Et on en arrivera à la solution “finale”, celle des essences de laboratoire plantées en rotation par l’Homme et qui ne feront jamais une forêt....

« La forêt multifonctionnelle peut être vue comme une forêt (dite) naturelle définie par un financier. C’est une estimation comptable de l’espace forestier, qui n’est pas conçu comme un tout cohérent en équilibre dynamique, mais comme un jeu de mécano, comme un assemblage d’éléments indépendants (production, loisirs, services écosystémiques,...) qui forment un ensemble de « ressources » répertoriées sous forme de « stocks » inertes et gérables plus ou moins indépendamment les uns des autres. Cette notion de « multifonctionnalité » a pour principal défaut de dissocier les fonctions et de leur donner une valeur, fonctions qui sont ensuite négociables à l’échelle nationale comme internationale (marché du carbone etc). La forêt multifonctionnelle aboutit au zonage du territoire et des fonctions de la forêt. » [13]

Le zonage de la forêt est la pire des conséquences de la multifonctionnalité. Ce choix que la France conduit au mépris de la gestion durable de l’espace forestier, entraîne, par la prééminence donnée à la fonction productive, une industrialisation de la quasi-totalité des forêts françaises et par voie de conséquence, la disparition de la forêt naturelle.

Ce choix productiviste risqué, que les rares zones protégées ne cautionnent pas, a un impact direct sur le carbone atmosphérique d’une part et sur la détérioration des conditions dans lesquelles le reste de la forêt et de la biosphère vont devoir réagir à cette augmentation de concentration en carbone de l’atmosphère d’autre part. C’est également se priver des autres fonctions de la forêt, dont le rôle primordial qu’elle joue sur la régulation et la filtration de l’eau qui à lui seul dépasse les enjeux de la production de bois, sans oublier son rôle dans l’économie locale et plus largement, sa fonction sociale.

Un peu de mathématiques ou l’arnaque du « carbone circulant » :
« Le fait de « remplacer » une forêt naturelle libère une grande partie du CO2 qu’elle stocke dans et sur le sol, créant ainsi une dette carbone. Re-planter des arbres ne remplacera pas ce stock, c’est mathématiquement impossible tant que la « forêt » ainsi créée restera exploitée industriellement : non seulement les « forêts » plantées, en particulier dans le cas de (quasi-)monocultures, ont un sol moins « lourd » (1) et stockant moins de carbone que les forêts naturelles spontanées (même orientées), mais aussi le stock de carbone « aérien » (au dessus du sol, dans la plante, le bois...) est réduit à zéro à chaque récolte.
Conclusion : En admettant qu’une plantation soit réputée être neutre du point de vue du carbone circulant, ce qui déjà en soi est plus que discutable, elle ne peut en aucun être comptabilisée au titre du stock de carbone sans un zeste de malhonnêteté intellectuelle » [14].
(1) moins de tissu racinaire, moins de diversité, moins d’interactions, en un mot, vie organique / bactériologique très appauvrie ou quasi-inexistante – note : c’est la vie organique / bactériologique qui décompose, recycle, remobilise les nutriments...
La biodiversité forestière en chute libre :
Selon l’UICN, 80% de la biodiversité encore existante en France se trouve dans les milieux forestiers, dont une grande partie dans les vieux bois et bois morts, qui disparaissent de nos forêts pour des raisons purement économiques : « Les deux-tiers des espèces associées aux arbres dans les forêts à dynamique naturelle ne sont présentes qu’après l’âge d’exploitabilité » [15] . Cette « soustraction » des bois âgés est un mauvais calcul s’il en est un, puisque les vieux bois et bois morts hébergent en particulier les prédateurs des parasites et les décomposeurs-recycleurs qui remobilisent les nutriments.
D’une façon plus générale, des méthodes de sylviculture toujours plus impactantes sur le milieu naturel entraînent une chute drastique de la biodiversité : « les milieux forestiers ne sont pas épargnés par le déclin des espèces. Ainsi 34 % des mammifères, 7 % des amphibiens, 9 % des reptiles et 16 % des oiseaux nicheurs forestiers sont menacés en France métropolitaine. Pour les organismes saproxyliques [16], on estime au niveau européen que 20 a 50 % de ces espèces sont menacées d’extinction. » [17]

La multifonctionnalité aboutit aussi à une valorisation financière de « services » autres que la production de bois, qui ont été chiffrés à environ 90% de la valeur économique des forêts [18] : stockage et recyclage du carbone, des polluants atmosphériques, qualité et régulation de l’eau, atténuation des effets des dérèglements climatiques, lutte contre les inondations, avalanches, coulées de boue etc. Si d’un côté cette valorisation peut justifier de ne plus prioriser la production de bois au détriment de l’équilibre biologique des forêts, elle devient perverse dans la mesure où elle crée le principe de la rémunération d’un manque à gagner référencé sur une exploitation industrialisée, sous-entendant par là et le droit de détruire et celui d’être indemnisé pour ne pas détruire.

La « fonctionnarisation » de la forêt permet aussi de mettre à un niveau comparable ses diverses fonctions. Pourtant, il n’est ni possible, ni souhaitable, ni raisonnable de considérer et d’évaluer la production de bois au même titre que celle d’oxygène ou de CO2 : il est des services qu’il ne devrait pas être nécessaire d’évaluer financièrement pour les sauvegarder, et le discours visant à « donner une valeur aux choses pour mieux les protéger » n’aboutit qu’a un marchandage indexé sur l’industrialisation des espaces naturels.

L’État français, dans sa grande incohérence, dans ses errements entre pressions industrielles, sociales et environnementales, subventionne d’un côté la sylviculture productiviste, dite « compétitive », et de l’autre commence à organiser des incitations d’ordre écologique : d’un côté, la priorité est faite à la production de bois et au développement d’une sylviculture compétitive (plantations, essences de rendement, aménagements fonciers type routes et pistes forestières pour permettre la mécanisation etc), de l’autre côté, notamment pour une meilleure “acceptabilité sociale”, on introduit des “éléments de biodiversité” dans ces espaces, qui ne servent qu’à cautionner le choix productif, comme par exemple des « îlots d’indigénat » ou des « îlots de sénescence » au milieu des plantations, ou un chêne autochtone préservé par ci par là en bordure des lignes de résineux. Ces “réserves” ne peuvent ni équilibrer biologiquement l’ensemble des surfaces, ni suffire à préserver la biodiversité car ces “îlots” sont déconnectés entre eux (pas d’échanges et de migration possibles). On peut douter de la pertinence à mettre sous cloche quelques spécimens d’espèces “remarquables”, comme on se plaît à le faire, si on les laisse subsister seules au milieu du désert... La biodiversité “remarquable” a besoin de la biodiversité “ordinaire” (dont on fait très peu de cas), et tous ont besoin d’inter-agir.

Initiée par les certifications forestières [19], cette biodiversité fragmentée [20] ne fait que zoner encore un peu plus l’espace forestier, cautionnant les autres pratiques, créant des situations de rente en particulier lorsque l’exploitation n’est pas viable économiquement (milieux humides, fortes pentes...).

Multifonctionnalité et compétitivité bien comprise, l’avis de la filière :
« La France doit revoir sa copie. Nous ne ferons pas une filière bois avec une forêt multifonctionnelle. Dans certaines forêts (forêts domaniales, forêts gérées par l’état), la multifonctionnalité a sa raison d’être. Mais ailleurs, dans les régions de plaine par exemple, il est nécessaire de renouer avec la forêt de production et continuer en résineux, sans passer systématiquement en régénération naturelle. Il faut surtout reboiser les accrus naturels, qui se régénèrent lamentablement. Ce n’est pas de la forêt. Il faut savoir ce que l’on veut faire de la forêt. Veut-on en faire une réserve, où l’on ne produit pas et accepter ainsi que la filière bois soit déficitaire ? Dans ce cas, il ne faut pas demander aux industriels d’investir dans des outils de production. C’est pure perte s’ils n’ont pas de bois et notamment une matière résineuse qui soit industrialisable au niveau de l’exploitation et de la transformation. » [21]

Adret-Morvan


[1UICN 2013 « Les écosystèmes forestiers » page

[2Marc Beuniche, ingénieur agronome (Alter-Projets).

[3Philippe Lebreton « Carbone et forêts » (janvier 2015)

[4Définition du projet de standard FSC France (2015) pour la « forêt cultivée ».

[5Voir : REFORA « Le carbone forestier en mouvements » dont il ressort que la forêt naturelle ancienne, mâture, et composée de feuillus, est la plus optimum pour stocker le carbone (dont près de la moitié dans le sol). http://refora.online.fr/parutions/Rapport_carbone_forestier.pdf

[6Le changement d’affectation des sols est la principale cause d’émission de carbone sur terre hors consommation d’énergie fossile (GIEC 2007).

[7Rapport du CESE « La valorisation de la forêt française » (oct. 2012), page 19 : « la diversité, en termes d’essences, d’âges et de génétique des arbres, doit figurer parmi les objectifs à respecter, voire à renforcer. Cet aspect, outre son impact primordial sur la richesse de la biodiversité et sur les services écosystémiques, peut s’avérer également déterminant au plan économique. » http://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Rapports/2012/2012_18_%20foret_francaise_rapport.pdf

[8Cette industrialisation est soutenue par les pouvoirs publics par des aides directes (910 millions d’euros / an) et indirectes (législatives et réglementaires favorisant le regroupement, la mécanisation et la standardisation de la production).

[9Les cahiers scientifiques de Bourgogne Nature hors série n° 9 (2011), compte-rendus des entretiens de Bibracte, intervention de monsieur Jacques Ranger, directeur de recherche, INRA Nancy, page 148.

[10Gaëtan du Bus, ingénieur forestier indépendant (fondateur du réseau des alternatives forestières).

[11Contrat d’approvisionnement : engagement portant sur la livraison régulière de bois, destiné à sécuriser la filière, mais qui a le double effet pervers d’une part d’exclure les petits acheteurs locaux, en premiers lieu les petites scieries, et d’autre part d’adapter la forêt et les choix sylvicoles à la demande de l’industrie.

[12Art. L1 du code forestier français.

[13Marc Beuniche (Alter-Projet), précité.

[14idem

[15UICN France 2015 « Bois énergie et biodiversité forestière » page 18 http://www.uicn.fr/IMG/pdf/Energies_renouvelables_Bois-m6.pdf

[16Les « décomposeurs » qui remobilisent les nutriments et sans lesquels aucune vie n’est possible...

[17UICN France 2013 « Panorama des services écologiques fournis par les milieux naturels en France – volume 2.1 Les écosystèmes forestiers » page 9 http://www.uicn.fr/IMG/pdf/UICN_-_Panorama-espace_forestier-2.pdf

[18CESE « La valorisation de la forêt française » (2012) précité page ; ONERC « L’arbre et la forêt à l’épreuve d’un climat qui change » La Documentation française (2015) page 29. http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/ONERC_Rapport_Arbre_Et_Foret_web.pdf ; UICN France 2013 « Panorama des services écologiques fournis par les milieux naturels en France – volume 2.1 Les écosystèmes forestiers » précité, page 18.

[19Purement sur le papier concernant PEFC, représentant environ 10% des surfaces gérées selon le projet actuel de standard FSC France (2015)

[20Biodiversité : Ensemble des milieux naturels et des formes de vie (plantes, animaux, êtres humains, champignons, bactéries, virus…) ainsi que toutes les relations et les interactions qui existent, d’une part, entre les organismes vivants eux-mêmes, et, d’autre part, entre ces organismes et leurs milieux de vie. » CRPF Midi-Pyrénées dans son étude sur la préservation du massif du Haut Ségala (page 94) :

http://www.crpf-midi-pyrenees.com/datas/pdf/Outil_biodiversite_forestiere_HautSegala.pdf

[21Laurent Denormandie, président de la fédération nationale du bois, communiqué FNB « De l’urgence de réinvestir la forêt » (2010) page 13 http://www.fnbois.com/sites/default/files/mediatheque/URGENCE_DE_REINVESTIR_LA_FORET.pdf

Par Adret Morvan

Le mercredi 4 novembre 2020

Mis à jour le 19 février 2023