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Circuits courts : Local et écolo ? Construire un système alimentaire territorial durable ? Entretien avec Marianne Fouchet, productrice bio

Entretien réalisé par la Rédaction de Yonne Lautre le 11 septembre 2017

Marianne Fouchet est productrice bio, membre du bureau du GABY, secrétaire de BIO Bourgogne, en charge du dossier aides bio.

Dans le paysage socio-économique actuel les circuits courts sembleraient donc une réponse partielle. Il faudrait paradoxalement maintenir des circuits longs. Pourtant la question que posent les prochains bouleversements climatiques et économiques, la capacité de nourrir une métropole ou pour le moins un bassin de population, n’incitent-ils pas à un positionnement qui revisite nos relatifs équilibres ?

Avec près de 80 % de la population en zone urbaine, la question de l’autosuffisance alimentaire ne peut plus être éludée.
Au-delà de l’engouement du moment et de mises en œuvre dont le caractère anecdotique pourrait bien obérer le sérieux du propos, la capacité d’un territoire à répondre tout au moins pour partie aux besoins alimentaires de sa population par ses propres ressources et sa propre production appelle des réponses multiples, crédibles, nuancées et complémentaires.
Un sujet qui aborde aussi bien des enjeux écologiques, des actes citoyens, que des volontés politiques.

Local et écolo ????
L’actuelle tendance « locavore » relève tout autant de la prise de conscience de certains, que d’aspirations partagées à retrouver des racines.
Pour autant, un produit local ne sera pas forcément vertueux : certes il aura un impact carbone plus faible, mais sa qualité dépendra de son mode de production (exemple de concombres ou de tomates hors-sol cultivés sous abri chauffés, à grand renfort d’engrais issus de la chimie pétrolière).
L’impact environnemental est constitué à 57 % par la méthode de production (phase amont), le transport représente 17 % des GES (Gaz à Effet de Serre) émis.
Tout ne peut être produit en proximité, toutes les régions ne sont pas dotées des mêmes capacités agricoles. Il faut privilégier des cultures adaptées aux possibilités agronomiques de chaque territoire (conditions climatiques, type de sol,…).
Aujourd’hui, des systèmes très artificialisés sont présentés comme des solutions miracles. On pensera à l’exemple de permaculture de la ferme du Bec Hellouin dont bien des aspects relatifs sont volontairement occultés. Les maraîchers apprennent très vite combien tout est question d’adaptation à l’écosystème qui les entoure.
L’agriculture urbaine prend des formes multiples qu’il faut observer avec discernement, que l’on parle de jardins partagés, de fermes citadines parfois au sein d’éco-quartiers, ou de remise en cultures d’espaces publics ou en déshérence (« dents creuses », friches industrielles…) qui, au-delà d’une production alimentaire, permettent de verdir l’espace bâti, même si elles ne peuvent échapper aux pollutions observées en ville, ou bien de projets très technologiques (cultures en containers fermés à la lumière artificielle, fermes verticales ou sur les toits, aquaponie…) à grand renfort d’intrants.
Une partie de ces initiatives porte des valeurs positives : lien social, bien-être des citadins, éducation à l’environnement… et participent ainsi de la nécessaire transition écologique. C’est le cas du mouvement des « incroyables comestibles », exemple d’innovation sociale par la recherche d’autonomie, le partage et la gratuité…
L’aspect organisationnel et collectif reste crucial. Les associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP) sont une réponse qui concilie proximité et faible nombre d’intermédiaires. Mais parfois, une distance plus courte ne signifie pas forcément une moindre émission de CO2 à la tonne par kilomètre (un petit utilitaire peu rempli et revenant à vide émet plus de CO2 par tonne par km qu’un cargo transportant de grandes quantités sur de grandes distances et de manière optimisée, créant ainsi une économie d’échelle). L’enjeu pour l’agriculture de proximité réside dans l’optimisation logistique, avec une gestion maximisée des taux de remplissage, la réduction des déchets de conditionnement (produits peu ou pas emballés), …
Une relocalisation de la production alimentaire à proximité des lieux de consommation permet de limiter l’étalement urbain et participe à la préservation des terres agricoles. En induisant une diversification de la production, la demande d’aliments locaux permet également de lutter contre l’hyperspécialisation des zones agricoles qui modifie les paysages et écosystèmes.

Construire un système alimentaire territorial durable
On ne peut imaginer que tous – citadins, « rurbains », ou ruraux - aient les conditions (disponibilités, santé, moyens…), le désir ou l’intérêt à cultiver un jardin. Sans parler de traire des animaux, de fabriquer du fromage, ou de récolter des céréales à transformer en farine, puis en pain… Au-delà d’expériences personnelles ou originales, volumes et professionnalisme restent nécessaires, avec l’impératif réaliste de raisonner à l’échelle d’un territoire de proximité plus étendu.
Le ministère de l’agriculture a initié [1] la démarche de Projet Alimentaire Territorial et pour 2017, souhaite en voir développer a minima un par département. Les PAT répondent à l’enjeu d’ancrage territorial mis en avant dans le Programme National pour l’Alimentation de 2010. A l’initiative des acteurs d’un territoire, ils doivent être élaborés de manière concertée.
Ils visent au développement de la production par la consommation de produits locaux et de qualité, dont la production bio. Au carrefour d’enjeux environnementaux, mais aussi sociaux au travers de l’éducation alimentaire, l’accessibilité sociale, la création de liens, la valorisation du patrimoine culinaire, ou économiques par le rapprochement de l’offre et de la demande, l’appui à la structuration et la consolidation des filières territorialisées, le maintien de la valeur ajoutée localement, ils font de l’alimentation un axe intégrateur de mise en cohérence des politiques publiques.
L’objectif d’autosuffisance alimentaire des villes seules ne peut être aisément atteint, il faut tenir compte du foncier disponible, de la diversité des productions nécessaires pour satisfaire notre régime alimentaire actuel (reposant grandement sur les importations). Il faudrait impulser une réorientation des terres, optimiser l’ensemble de la chaîne alimentaire, de la production à la distribution en portant une attention particulière aux outils de transformation (abattoir, laiterie, légumerie). Ces changements profonds et d’ampleur ne sont pas aisés à mettre en œuvre et nécessitent une implication très importante de tous qui n’est pas forcément acquise.
Les villes, qui cherchent plus simplement à sécuriser les approvisionnements en cas de crise alimentaire, ont tout intérêt à conserver une diversité de leurs sources d’approvisionnement alimentaire pour des raisons stratégiques (l’Ile-de-France par exemple ne peut subvenir à ses besoins seule, et la ville de Bordeaux n’a dit-on qu’un "jour de sécurité alimentaire").
Les villes qui se sont lancées le défi de l’autosuffisance alimentaire l’affirment elles-mêmes, c’est davantage une démarche de sensibilisation, de changement des mentalités et de soutien aux circuits courts qu’un objectif d’autonomie alimentaire réel qui est visé.
C’est tout un système alimentaire territorial durable qui doit être défini et inscrit dans les démarches de gouvernance (Agenda 21,…) et dans les compétences d’aménagement (SCoT, PLUi). Les projets alimentaires territoriaux cohérents devront être articulés en repensant les métropoles et les agglomérations, tout en cherchant à reconnecter les zones urbaines et les territoires ruraux proches.
L’autosuffisance alimentaire n’est pas forcément un objectif absolu, mais plutôt le moteur d’une dynamique de relocalisation intelligente, qui cherche à économiser les terres tout en optimisant la production en fonction du type de sol, du climat et en minimisant les impacts environnementaux tout au long de la chaîne d’approvisionnement.


[1prévus dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014 (Art 39)