Projet d’aménagement du Branlin : quelle crédibilité ? Quelle sincérité ?

Le but revendiqué du projet d’aménagement du Branlin : « la restauration de la continuité biologique sur ce tronçon du Branlin de façon à assurer la libre circulation des organismes aquatiques et plus particulièrement des espèces piscicoles » – relève plus de la fiction que d’une connaissance réelle de ce cours d’eau et de sa vie.

La vraie « circulation » des poissons dans le Branlin

La fiction, ici, si elle est sincère, c’est « la libre circulation des espèce piscicoles ». Mais quoi parle-t-on ? S’il s’agit de la circulation d’amont en aval, elle ne pose pas de problèmes. Les alvins venus des étangs descendent dans le Branlin par la rivière rouge, très en amont. Ensuite, les poissons sont portés en aval par les crues.

Le problème, s’il y en a un, c’est la circulation inverse, vers l’amont. Mais quels poissons cela concerne-t-il ? L’administration peut-elle nous en donner la liste ? Comme personne ne croit que des saumons remontent le Branlin, ou alors ce serait très grave, il reste très peu de candidats : en gros les truites, et des espèces devenues très rares, comme les anguilles.

Les truites saumonées sauvages sont très rares, de l’aveu même des concepteurs du projet.

Les truites de pisciculture que l’on introduit chaque année sont tout sauf des poissons sauvages, et si l’on tient qu’elles soient présentes en amont, il suffira à chaque printemps d’aller déverser quelques lessiveuses, cela coûtera moins cher que le projet d’aménagement.

Quant aux anguilles, les pêcheurs, autrefois, savaient qu’elles peuvent se glisser dans l’herbe, au bord de la rivière, quand il pleut, où à la faveur de la rosée.

Si j’ai raconté [l’histoire la rivière de mon enfance→lien interne vers « Quelques remarques sur le Branlin, son histoire et ses poissons »], sa richesse en poissons, c’était pour mettre en doute la nouvelle fiction de la « continuité écologique » et de la « libre circulation des poissons sauvages ».

Avant 1960, le poisson abondait, et pourtant le système des biefs était bien plus étanche qu’aujourd’hui, car de nos jours certaines pelles sont délabrées ou abandonnées, comme c’est le cas de celle du Moulin rouge. C’est donc que le dispositif des biefs n’avait pas tant d’incidence sur la vie des poissons ou qu’ils se débrouillaient pendant les crues pour le contourner. On doit même conclure que ce dispositif favorisait leur peuplement et leur reproduction.

La raréfaction des poissons a d’autres causes que tout le monde connaît désormais : l’agriculture industrielle, les pesticides, les engrais, les captages - et notre mode de vie.

Des prétextes écologiques absurdes

Le projet sur lequel on nous a demandé tardivement notre avis, alors qu’il était probablement déjà ficelé de A à Z, comme ce fut le cas pour la décharge de déchets toxiques qui a failli nous être imposée, est typiquement un projet technocratique. Parmi les raisons qui motivent les travaux du trou de Bonde, il y en a une, pour les auteurs du projet, qui fera éclater de rire n’importe quel pêcheur. C’est l’impact néfaste qu’aurait le déversoir actuel sur le milieu aquatique, « avec la création de plusieurs zones de remous ».

Cette simple phrase fait sérieusement douter de la compétence des auteurs du projet. Tous les pêcheurs savent que c’est précisément dans ce genre de trous à remous que se tiennent et se reproduisent les poissons. S’il y a encore des poissons dans le Branlin après la sécheresse de l’été dernier, c’estprécisément grâce aux déversoirs comme le trou de bonde, où ils ont pu trouver un refuge.

Une dernière question pour finir : si la sécheresse terrible qui a sévi l’an passé avait persisté, l’administration aurait-elle osé annoncer le commencement des travaux ?

Les travaux urgents qu’il faudrait mener

Je concède cependant aux auteurs du projet qu’il y a des travaux urgents à faire sur le Branlin. Mais ce qu’il faut faire est très différent ce qu’ils proposent. L’urgence est de réparer les pelles des biefs et de les curer, afin de reconstituer des biotopes, des réserves d’eau, elle est de préserver le poisson, dont la mortalité a été élevée pendant la sécheresse de l’été dernier. Une partie des 200 000 euros d’argent public qui seront consommés par le projet d’ aménagement suffirait sans problèmes à effectuer tous ces travaux.

Un coût vertigineux

Si le projet de permettre « la libre circulation des espèces piscicoles » est sincère, ce dont on peut douter, il n’a de sens que si on le pousse jusqu’au bout. Si le poisson doit pouvoir remonter la rivière au trou de bonde, il doit aussi pouvoir passer partout où il a un bief avec des pelles. Il faudra donc rééditer l’opération partout où il rencontrera un obstacle. Mais alors, au prix du projet mézillois (près de 200 000 euros !) il faudra plusieurs millions d’euros rien que pour fluidifier le cours du Branlin. Or un projet analogue est en gestation à Charny, dont le coût s’élèvera à 90 000 euros. À l’échelle de la France, cela devient vertigineux, de juteux contrats se trouvent donc en arrière plan.

Quelle sincérité ?

Le projet tel qu’il nous est expliqué est donc absurde, et on est amené à douter de sa sincérité. Quelque chose d’inavoué se cache-t-il pas derrière le rapport technique que l’on nous a proposé, et l’argument écologique mis en avant ne serait-il qu’un prétexte ? Mais alors quoi ? J’ai mes idées là dessus mais je ne les préciserai pas pour le moment. Je me contenterai de demander que l’on retarde la mise en œuvre des travaux pour permettre le débat public que l’enquête d’utilité publique telle qu’elle a été conduite n’a pas permise.

C’est ce que je vous demande de soutenir en signant et en faisant signer la pétition.

 Aménagement du Branlin : les commentaires révélateurs du Commissaire-enquêteur

Nous publions ci-dessous, en complément, une analyse des réponses du commissaire-enquêteurs – lequel commissaire-enquêteur renforce, de fait, les arguments des opposants au projet…

Le commissaire enquêteur a répondu aux mémoires qui ont été déposés à la mairie de Mézilles pendant l’enquête d’utilité publique. Certaines de ses réponses ont parfois le mérite de la franchise. Elles corroborent cependant et renforcent mes objections. Je les rend publiques car elles permettent de mieux comprendre ce qui se cache derrière le projet de l’Epage (établissement public d’aménagement et de gestion des eaux du bassin du Loing) et le mode de raisonnement de l’administration.

1) L’absence d’étude historique

Mes remarques concernant le système des biefs et des moulins, tel que je l’ai encore vu fonctionner dans mon enfance, et l’abondance de la vie piscicole qu’il rendait possible, n’appellent de la part du commissaire enquêteur que ce commentaire laconique : « Les affirmations de M. Méheust relatives à la population piscicole sont probablement sincères mais difficiles à vérifier. »

Des affirmations « sincères » mais « difficiles à vérifier » ! N’était-ce pas précisément la première tâche de cette étude, payée avec l’argent du contribuable, que d’enquêter sur le système des biefs et des moulins tel qu’il existait depuis des siècles, sur ses fonctions, ses mérites et ses défauts, et sur la vie piscicole qu’il permettait d’entretenir ? Une étude bien conçue n’aurait-elle pas dû commencer par une approche historique et anthropologique, et par un recueil de témoignages ? Or cette approche est totalement absente du projet qui a été proposé à la mairie de Mézilles, qui n’aborde la question des moulins que sous son aspect technique.

Or, et le récent article du Canard enchaîné (« Les moulins à eau condamnés au naufrage », Alain Guédé, 19 août 2020) le montre, les travaux de Mézilles s’inscrivent dans un projet général qui vise à détruire le legs de siècles de pratiques qui ont façonné le paysage français depuis le Moyen âge, sans véritable débat, sans explications, presque à la sauvette. La remarque du commissaire enquêteur a le mérite involontaire de souligner cette cécité historique, qui devrait suffire à décrédibiliser le projet, si notre démocratie fonctionnait correctement.

2) le coût réel du projet global

Dans mon mémoire, j’avais fait valoir que si le projet d’aménagement du Branlin était sincère, s’il s’agissait bien de permettre « la libre circulation des poissons migrateurs », il devait s’appliquer à tout le cours de la rivière, et non pas à un ouvrage d’art particulier. De ce fait, en comptant les moulins, j’avais évalué à la louche le coût du projet à « plusieurs millions d’euros. » Il se trouve que le commissaire enquêteur a confirmé l’ordre de grandeur de mon estimation. Pour le projet présenté sur Mézilles, « l’estimation de ces travaux est de 180 000 euros », et l’extrapolation pour les 17 ouvrages « conduit à un ordre de grandeur compris entre un et deux millions d’euros ». C’est-à-dire, on s’en doute, très probablement un peu plus... Pour le citoyen ordinaire le but avancé par les concepteurs du projet – permettre la migration vers l’amont de quelques espèces de poissons en voie de disparition – peine à justifier une telle dépense. Et pourtant, si l’on en croit le commissaire enquêteur, « compte tenu de l’ampleur limitée de ce dossier, il n’a pas été jugé utile d’organiser, au cours de l’enquête, une réunion ». Nous ne vivons pas visiblement dans le même monde.

Remarquons au passage que ces chiffres n’étaient pas donnés dans le projet déposé à la mairie, et qu’il m’ a fallu les soutirer au commissaire enquêteur.

Mais il faut aller plus loin. Comme le révèle le Canard enchaîné du 19 août, nous avons affaire à un projet global visant à détruire , sous le couvert des directives européennes, le système des biefs et des moulins édifié depuis des siècles dans toute la France. Et, comme en France il y a des milliers de petites rivières comparables au Branlin, ce sont des milliards qui se cachent derrière le projet.

En définitive, la « libre circulation des poissons sauvages » est aussi et peut-être même surtout un prétexte écologique destiné à justifier de juteux contrats.

3) La classification du Branlin en première catégorie

Les truites, parlons en justement, puisqu’elles servent de prétexte au GPI (Grand Projet Inutile) de l’Epage. Dans mon mémoire, j’avais soutenu que le classement du Branlin en rivière de première catégorie est une fiction administrative. Le commissaire enquêteur nous le confirme :

« La catégorie piscicole est un classement juridique des cours d’eau en fonction des groupes de poissons dominants, le classement du Branlin en première catégorie piscicole indique que le groupe dominant est constitué de salmonidés (rivières à truites) et des espèces d’accompagnement (vairons, chabots). »

Donc, un concept juridique, théoriquement appuyé sur un état des lieux. Le problème, comme je l’ai rappelé dans mon mémoire, c’est que l’état des lieux tel qu’il nous est présenté est erroné, car les salmonidés n’étaient nullement « le groupe de poissons dominants » quand, à la fin des années cinquante, on a classé le Branlin en première catégorie, sous l’influence de la mode nouvelle de la « pêche sportive ». Il y avait bien quelques truites sauvages en amont, mais les poissons qui abondaient, c’était le brochet, la perche, les carpes dans les biefs, les chevesnes, bref, des poissons de deuxième catégorie. À partir d’une erreur initiale, cela devient absurde : on force la rivière à devenir qu’elle ne peut pas être. On introduit des truites de pisciculture et, en conséquence, le brochet, poisson noble naturel de la rivière, devient un hôte indésirable à éradiquer...

De façon inattendue, le commissaire enquêteur confirme mon scepticisme :

« La population piscicole actuelle ne correspond pas à celle d’une rivière de catégorie I (...) Elle correspond actuellement à une population de cyprinidés ainsi que d’espèces exogènes ( perches soleil, brèmes) . Le ‘peuplement piscicole ciblé’ devrait à terme être constitué d’espèces à dominante salmonicole ainsi que de cyprinidés aérophiles, en progression. Mais le retour en grande quantité de salmonidés reste toutefois incertain. »

En clair : soixante ans plus tard, on n’a toujours pas réussi à faire du Branlin une véritable rivière de première catégorie, mais cela reste le « projet cible » ! On admire la persévérance de l’administration.

En fait, on ne parviendra jamais à transformer le Branlin en une rivière de première catégorie. La dégradation de la qualité de ses eaux est difficilement réversible, et surtout son débit, sous l’effet des captages et plus récemment des sécheresses successives, a diminué depuis les années cinquante. Cette situation ne peut hélas que s’aggraver.

Bref, il faut en finir avec ces coûteuses rêveries administratives et tenter de sauver les meubles, en faisant ce qui est encore possible.

4 ) Pas de crédits pour entretenir et réparer les biefs

Sur ce point, le commissaire enquêteur est encore parfaitement explicite :

« Rien n’est prévu actuellement pour l’entretien et la remise en état des équipements du bief ( investissements non éligibles aux crédits de l’Agence de l’eau . »

Bref il y a de l’argent, et même beaucoup d’argent, pour détruire les barrages et combler les biefs, mais pas un sou pour les entretenir et les réparer.

5 ) Le Canard Enchainé dévoile les arrière-plans du projet

Les travaux du Branlin doivent être replacés dans le contexte du projet global dévoilé récemment par le Canard enchaîné, projet qui vise à détruire l’ancien système des biefs et des moulins, sous le couvert des directives européennes, afin de supprimer les rétentions d’eau, car ces dernières permettent l’accumulation dans les sédiments des « résidus dangereux » de l’agriculture industrielle. Pour respecter les normes européennes, il n’y a plus pour les auteurs du projet d’autre solution que d’assurer la fluidité de tous les petits cours d’eau, en détruisant tous les barrages. Ce problème n’est pas imaginaire, mais faute de pouvoir le résoudre rapidement, car il faudrait modifier brutalement les pratiques agricoles et notre mode de vie, ce qui semble impossible, on a pris le parti, sans consulter la population, de détruire un legs séculaire. C’est un peu comme si, faute de pouvoir guérir la fièvre, on décidait de casser le thermomètre.

L’article précité du Canard enchaîné a parfaitement résumé le débat qui traverse le milieu écologique sur la question de l’eau : les écologistes sont pris entre deux courants : « les premiers font sauter leurs barrages... que les seconds utilisent pour produire une électricité durable. » La lutte contre ce projet doit s’inscrire dans le deuxième courant. La question de l’eau doit être tenue pour absolument prioritaire et nous n’avons pas à sacrifier nos rivières sur l’autel de l’agriculture productiviste.

Les puissances d’argent qui ont intérêt à détruire les moulins ont probablement profité de ce différend pour promouvoir leur grand projet, en jouant habilement sur un prétexte écologique, crédible à première vue, puisqu’il prétend préserver certaines espèce rares de poissons migrateurs, mais qui devient absurde lorsqu’on découvre qu’en le mettant systématiquement en oeuvre on risque de détruire tous les poissons des petites rivières. Il serait certes souhaitable, si l’on avait les moyens de le faire, de permettre aussi à certaines espèces rares de migrer vers l’amont. Mais c’est un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre, et ce n’est pas l’urgence : la priorité est de fournir aux espèces sédentaires qui peuplent la rivière la profondeur d’eau suffisante pour aller et venir, se cacher, se reproduire et se nourrir. Si le Branlin fut jadis une rivière très poissonneuse, c’est grâce au système des biefs et des moulins que l’on se prépare à détruire. Avec les sécheresses qui vont devenir la règle, il n’y aura plus pendant l’été, si l’on si l’on détruit les biefs, qu’un filet d’eau, et donc à terme plus de poisson du tout

6 ) Un attentat contre la biodiversité, contre le paysage, contre le bons sens

Ce projet, décidé sans qu’un débat collectif ait eu lieu, est un attentat contre la biodiversité, contre le paysage, et même contre le bon sens. C’est la mort programmée de nos petites rivières. C’est aussi un gigantesque gaspillage d’argent public. Si on détruit maintenant le legs séculaire des moulins, dans dix ans, ou dans vingt ans, quand les mauvaises pratiques agricoles auront été abandonnées, car il faudra bien qu’elles le soient, le problème de la sécheresse subsistera, et se sera aggravé, car il s’inscrit dans le contexte climatique que l’on sait ; et alors il faudra reconstituer à nouveaux frais le système des biefs et des moulins que l’on aura démantelé.

Il y a effectivement des travaux urgents à conduire sur le Branlin. Mais hélas, ce ne sont pas ceux que proposent les auteurs du projet de l’Epage. Il est absurde de dépenser des sommes considérables pour permettre la « libre circulation » de truites de pisciculture, ou d’hypothétiques anguilles, alors que l’urgence est de sauver le patrimoine des biefs que nous ont légué nos ancêtres. Pour se préparer aux sécheresses futures, qui, selon les climatologues, vont se multiplier, il faut d’urgence nettoyer et curer les biefs, réparer leurs pelles, les utiliser pour reconstituer des biotopes, des réserves d’eau, et préserver le poisson, qui risque de disparaître si la sécheresse continue.

7) Les turbines électriques : quand le bon sens rejoindra l’écologie...

J’ai gardé pour la fin une proposition que je ne discute pas, n’étant pas compétent, mais dont il me faut au moins présenter le principe, car c’est elle qui va dominer les contre propositions.

Les réserves d’eau des biefs devront, au moins pendant une partie de l’année, être utilisées pour alimenter des turbines électriques. Les gains ainsi dégagés pourront contribuer à financer l’entretien des biefs et des pelles. Le bon sens pourra ainsi rejoindre l’écologie bien comprise.

 Quelques remarques sur le Branlin, son histoire et ses poissons

Le Branlin prend sa source au sud de Saints, et passe par Saint-Sauveur, Fontaines, Mézilles, Tannerre, Villeneuve-les-Genêts, Champignelles, Malicorne, Saint-Martin-sur-Ouanne. Au prétexte de « continuité écologique des cours d’eau », un projet d’aménagement du Branlin veut en modifier le cours à hauteur de Mézilles. Ce projet vise à creuser un canal artificiel qui contournera la digue du déversoir au lieu dit le « trou de bonde », juste en dessous de l’ancien pressoir, de manière à rejoindre par la droite, en amont, le bief du Moulin rouge.

Pour saisir les impacts de ce projet sur la vie de la rivière, il importe de connaître son histoire.

Le lieu dit sur lequel est centré le projet se nomme, dans la mémoire locale, depuis plus d’un siècle, le « trou de bonde », et non, comme l’imaginent les auteurs du projet, « le déversoir du Moulin de Corneil. »

Juste au-dessus de ce déversoir, mon arrière grand-père fit construire, au milieu du XIX° siècle, son pressoir, le premier pressoir à vapeur de la région.

Né à Mézilles en 1947, j’ai accompagné ma mère au lavoir pour pêcher des vairons dès que j’ai su marcher, et mon grand père à la pêche au gros poissons dès l’âge de 7 ans. Il m’a raconté l’histoire de sa rivière. Son père avait fait de même avec lui à partir de 1907. En totalisant toutes ces informations, j’ai donc en tête deux siècles d’histoire du Branlin. Je ne suis donc pas le plus mal placé pour évaluer la solidité de l’information du projet d’aménagement du Branlin, et commenter son utilité.

Sur le Branlin, comme sur la plupart des petites rivières françaises, depuis des siècles, on a construit un moulin tous les deux ou trois mètres de dénivelé. Des pelles, à la hauteur du moulin, permettaient de retenir l’eau dans un bief. Comme on tirait régulièrement de l’eau pour faire fonctionner le moulin, l’eau était renouvelée. Les biefs étaient curés et nettoyés pour empêcher qu’ils ne s’envasent. Ils pouvaient être profonds. Le bief du glacis, juste au dessus du trou de bonde, avait (et aurait encore s’il était entretenu) entre un mètre cinquante et deux mètres de profondeur. C’est là que se tenaient les gros poissons, les carpes, les brochets. Quand j’étais enfant, les moulins ne fonctionnaient plus, mais le bief qui longe la rue des Ferriers était régulièrement curé et nettoyé par les riverains, qui utilisaient encore leurs lavoirs. J’ignore qui organisait cette corvée régulière, mais je me souviens qu’elle était menée dans la bonne humeur par les riverains. C’était aussi une fête pour les enfants.

Le Branlin était donc (et est encore) une succession de biefs et de moulins. Ainsi, pour nous en tenir à la commune de Mézilles, le bief du Moulin rouge commençait en dessous du pont de Juspy, à la hauteur du lieu dit « la culasse ». Le bief de Mézilles commençait en dessous du Moulin rouge pour retrouver la rivière en dessous de l’ancienne scierie, où se trouve désormais le restaurant Le Moulin de Corneil. Le bief du Moulin Grenon commençait en dessous de la marnière. Entre chaque bief, avant que le niveau de l’eau ne recommence à monter, on avait une succession de trous et de rapides peu profonds, de gravières, où les vairons frayaient.

Ce dispositif séculaire, le mouvement des eaux, la succession des biefs et des courants favorisaient la prolifération des poissons. De plus, le Branlin était (et est toujours) naturellement empoissonné par les étangs de Gaudry et des Barres, qui communiquent avec lui par un ruisseau appelé la rivière rouge, à cause de sa teneur en métaux ferrugineux.

Une anecdote pour illustrer la richesse en poisson de la rivière. Mon grand père m’a raconté avoir capturé en 1917, en un seul coup d’épervier (c’était la guerre...) une dizaine de kilos de chevesnes, dans un trou de la rivière, à la hauteur de l’ancien abreuvoir de la rue des Ferriers, dont la profondeur n’excédait pas un mètre cinquante. Quand on vidait le bief pour le curer et le nettoyer, tous les deux ans si mes souvenirs sont exacts, de véritables nappes de poissons de toutes tailles et de toutes espèces restaient dans les flaques d’eau, et les gamins se précipitaient avec leurs épuisettes. Dans l’abreuvoir de la rue des Ferriers, tous les ans au printemps, on trouvait, fixées sur les cailloux par leurs ventouses, des grappes de « chatouillotes », ces petites lamproies qui fournissent d’excellents vifs pour le brochet. Ce qui montre que le dispositif n’était pas étanche, et que la circulation des poissons vers l’amont était possible.

La diversité des poissons du Branlin était très grande : il y avait des bancs de vairons et de goujons, des gardons rotengles, des bandes de chevesnes dont les plus gros pouvaient peser quatre livres, des vandoises, des anguilles, des tanches, des loches, des épinoches , des carpes, introduites par la société de pêche, qui ne se reproduisaient pas ou peu dans la rivière, mais qui y devenaient très grosses ; des truites saumonées, en petit nombre mais sauvages, et qui se reproduisaient dans la rivière, que l’on pêchait en général en amont, au dessus du pont de Juspy ; des perches, des brochets, et beaucoup d’écrevisses, indice d’un degré biotique élevé. On trouvait dans le bief les mêmes espèces de poissons que dans la rivière, j’insiste sur ce point, mais les grosses carpes préféraient évidemment les zones calmes des biefs, et les truites les trous en amont.

À la fin des années 50, la mentalité a changé, la mode de la pêche à la truite s’est installée. L’administration a transformé le Branlin en rivière de première catégorie, et on y a introduit des truites de pisciculture. Mais à cette époque le bon sens prévalait encore. La rivière a donc été découpée en deux tronçons. La première catégorie concernait la section de la rivière située en amont du pont de Juspy, c’est- à- dire avant les biefs. Et la deuxième partie de la rivière, restée en deuxième catégorie, allait du pont de Juspy jusqu’au trou de bonde du Moulin Grenon, et la pêche y ouvrait au mois de juin.

La classification du Branlin en rivière de première catégorie, décidée par l’administration, a marqué le début de sa dégradation. Les truites arc-en-ciel que l’on a commencé à introduire à cette époque, et que, je crois, on introduit toujours, ont contribué à décimer les bans de vairons. Elles ne se reproduisent pas dans la rivière, et la plupart sont prises au bout de quinze jours, comme tous les pêcheurs le savent. Et comme l’administration finit toujours par croire en ses fictions, on a vu le début des décisions absurdes. Des employés de l’administration des rivières seraient venus pratiquer la pêche électrique pour éradiquer les brochets, au prétexte qu’ils n’avaient plus leur place dans une rivière de première catégorie. Je n’ai pas été témoin de cette séance d’éradication administrative, mais je n’ai pas de raisons de mettre en doute la parole de la personne qui me l’a racontée. Cette histoire, vraie ou fausse, est en tout cas révélatrice : on aurait entrepris de détruire le poisson sauvage pour lui substituer un poisson de pisciculture.

 Moulins, seuils et continuité écologique des cours d’eau : ressources

Analyse critique de la politique de « continuité écologique » :

https://continuite-ecologique.fr/

2016

Rapport du CGEDD(Conseil général de l’environnement et du développement durable) : « Concilier la continuité écologique des cours d’eau avec la préservation des moulins patrimoniaux, la très petite hydroélectricité et les autres usages - Pour un développement durable et partagé », 2016, 296 p.

On le télécharge à partir de cette page : https://cgedd.documentation.developpement-durable.gouv.fr/notice?id=Affaires-0009331&reqId=4583f928-4916-4a26-a721-39700ee07283&pos=12

2017

Moulins de France, association de propriétaires de moulins : https://www.moulinsdefrance.org/

Leur livre blanc d’août 2017, « Le livre Blanc de la continuité écologique : Août 2017 – Les moulins et tous les seuils au service de la nature et des hommes », page de présentation :

https://www.moulinsdefrance.org/publications/le-livre-blanc-de-la-continuite-ecologique-2/

et pour télécharger, l’adresse du pdf :

https://www.moulinsdefrance.org/wp-content/uploads/2020/05/2017-08-Livre-Blanc-FFAM-Con-Ecolo.pdf

2018

Agence française pour la biodiversité, Conseil scientifique, séance des 26-27 avril 2008, « DÉLIBÉRATION N° CS/2018-02 : NOTE DU CONSEIL SCIENTIFIQUE : éléments DE RÉPONSE À CERTAINS ARGUMENTS CONTRADICTOIRES SUR LE BIEN-FONDÉ DU MAINTIEN ET DE LA RESTAURATION DE LA CONTINUITÉ ÉCOLOGIQUE DANS LES COURS D’EAU », 6 pages.

AFB : https://www.afbiodiversite.fr/ devenue depuis janvier 2020, par fusion avec l’INFCS (Office national de la chasse et de la faune sauvage), « Office français pour la biodiversité » : https://www.afbiodiversite.fr/

Pour télécharger la note : https://www.afbiodiversite.fr/sites/default/files/2018-09/180620%20-%20Delib%202%20CS%20AFB%20continuite%20rivieres.pdf

Documents joints

Projet d’aménagement du Branlin : quelle crédibilité ? Quelle sincérité ?
Pétition Branlin
Quelques remarques sur le Branlin, son histoire et ses poissons
Aménagement du Branlin : les commentaires révélateurs du Commissaire-enquêteur
Moulins, seuils et continuité écologique des cours d’eau : ressources