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"Relocalisation : Quels outils pour quels objectifs ?" par Philippe Lalik

La multiplication des AMAP semble démontrer que de plus en plus de gens prennent conscience que la relocalisation de l’économie est devenu un impératif écologique et social.

Toutefois, malgré leur succès grandissant, ces structures demeurent anecdotiques par rapport à la consommation globale. L’ouverture annoncée d’un supermarché discount de 3000 m2 à Chalette sur Loing et celle probable d’un hypermarché d’un ha à Souppes sur Loing confirment que les pratiques insoutenables de la grande distribution progressent bien plus vite.

Face à ces mastodontes et à leur pouvoir de nuisance, l’AMAPP du Gâtinais fait figure de nain. Elle éprouve même quelques difficultés pour ouvrir un second lieu de distribution, notamment à cause du transport (1) des denrées, et peine à satisfaire la demande en légumes.

Cela m’amène à poser quelques questions : Le soutien à l’agriculture paysanne ne doit-il pas se diversifier pour gagner en efficacité ? Quelles productions soutenir ? Au delà des producteurs, ne doit-on pas aider également les transformateurs ? Doit-on se cantonner au seul secteur alimentaire ?

Si le but est de soulager la planète, de ne plus mettre les pieds dans une grande surface, de créer des emplois et de rebâtir un espace démocratique, les réponses vont de soi. Il ne faut pas oublier, surtout en période de crise, que pour un emploi créé dans la grande distribution, quatre sont supprimés ailleurs et que la domination sans partage de l’agro-industrie malmène les paysans comme la “crise du lait” nous le rappelle en ce moment même.

Si l’objectif est effectivement de relocaliser un maximum d’activités pour réduire notre empreinte écologique tout en favorisant l’emploi, il faut se demander de quelles activités il est question et de quels moyens on doit se doter pour l’atteindre.


Concernant l’alimentation,
l’installation de maraîchers est une priorité avec toutes les difficultés que cela comporte, en particulier au niveau de l’accès à la terre.

L’installation de producteurs n’est pas des plus aisés même si certaines cultures (par exemple celle des petits fruits, framboises, groseilles...) ne semblent pas impossible à mettre en oeuvre.
D’autres pistes, telle celle de la pisciculture, ne sont pas à écarter. Il reste cependant à trouver les personnes compétentes et motivées pour monter des projets.

L’installation de transformateurs n’obéit pas aux mêmes contraintes. Ainsi, une
boulangère a pu créer son emploi dans un délai relativement court. On peut supposer que d’autres activités liées à la transformation des aliments pourraient voir le jour sans trop de difficultés. La pâtisserie et la fabrication de pâtes, raviolis et lasagnes pourraient créer de l’activité localement, cela d’autant plus facilement que certaines villes, telle Chalette sur Loing, s’engagent dans la démarche du “bio local”.

D’autres secteurs d’activité comme l’habillement (2) ou la fabrication de produits
d’entretien écologiques
sont également susceptibles d’être relocalisés dans des délais plus ou moins courts.

L’agriculture biologique dans nos régions fait face à un problème d’échelle. Elle est suffisamment importante pour satisfaire une demande locale en pleine croissance mais demeure trop marginale pour approvisionner la restauration collective, pourtant friande de ses produits, et devenir l’élément moteur d’une relocalisation économique rendue nécessaire par les changements climatiques, l’arrivée prochaine du pic pétrolier et la survenue de la crise économique et sociale.

Si l’on veut faire contre-poids aux pratiques scandaleuses de l’agro-industrie et favoriser l’agriculture paysanne, c’est à ce changement d’échelle qu’il faut s’atteler.

Cela est d’autant plus pressant que 20% des repas servis dans la restauration collective devront être bio dès 2012. Fixer un objectif aussi ambitieux dans des délais aussi courts comporte des effets pervers indéniables. On sait déjà qu’il faudra avoir recours à des importations massives parce que l’on n’évolue pas aussi rapidement dans l’agriculture que dans l’industrie et que la reconversion au bio ne se fait pas aussi facilement qu’on le voudrait. On sait également que l’agriculture bio commence à être vidée de son contenu au niveau européen.

De fait, les conditions sont réunies pour que le “bio industriel” reposant sur la
monoculture et les grandes exploitations prenne son essor. L’agriculture bio et paysanne ne pourra pas relevé le défi sans une grande volonté politique. Il nous faut donc organiser la filière bio locale et accompagner son développement comme cela a été fait dans les Pyrénées Orientales (3). Sinon, Sodexo et consorts le feront à leur manière. En effet, les gros opérateurs qui peuvent fournir à la fois du conventionnel et du bio sont particulièrement bien placés sur ce nouveau marché4. Si l’on veut voir le bio tomber entre les mains de ceux qui se sont enrichis avec l’agriculture chimique sur le dos des agriculteurs, il n’y a qu’à laisser faire... le marché.

L’un des reproches désormais adressés aux partisans de la relocalisation repose sur le fait que la production locale est parfois plus polluante, avec sa noria de trajets, que des importations de gros volumes (5).

La production locale serait donc bio mais pas écolo.

Bien que cela ne concerne que certaines productions, la question des transports de
marchandises est centrale.

C’est pourquoi, il conviendrait de les rationaliser au maximum. A ce propos, entre les différentes structures qui soutiennent l’agriculture paysanne localement (AMAPP, magasin de producteurs de Toucy, magasin citoyen de Joigny), il serait pertinent d’harmoniser les transports effectués dans l’espace géographique qu’elles partagent.

Il nous faut réfléchir aux outils - les plus conviviaux possibles pourrait-on dire en
référence à Ivan Illich - à mettre en place pour soutenir et accompagner le développement des filières locales.

A défaut d’une telle réflexion, nous courrons le risque de voir l’industrie agro-alimentaire venir nous concurrencer sur notre propre terrain.

Avec quelles conséquences ?

Les déboires d’Artisans du Monde face au développement d’un commerce équitable d’un nouveau genre impulsé par Max Havelaar, la grande distribution et les grandes marques doit nous alerter sur un phénomène qui pourrait au mieux nous marginaliser et au pire à nous condamner à disparaître.

Paradoxalement donc, la restauration collective (6) qui pouvait être le talon d’Achille de l’industrie agroalimentaire pourrait sonner le glas de l’agriculture bio telle qu’on la connaît, qu’on la souhaite, qu’on la rêve. Ne nous appartient-il pas alors de relever le gant ?

Philippe Lalik,

1
Je reviendrai sur le problème crucial du transport plus loin.

2
Le secteur de l’habillement constitue une filière importante, de la culture à la création en passant par le tissage...

3
Politis n° 1055 du 04/06/2009 p. 14.

4
Voir Politis n° 1055 du 04/062009 p. 13. Sodexo est déjà partenaire de la ville de Brest pour l’approvisionnement en aliments bio.

5
Voir notamment Le courrier de l’environnement de l’INRA n° 53 (décembre 2006)
www.inra.fr/dpenv/pdf/SchlichC53.pdf

6
Pour mémoire, voir le dossier « Pour une cuisine responsable et solidaire » (décembre 2004) http://yonnelautre.net/IMG/pdf/cuisine45-1.pdf

Par Lalik Philippe

Le mercredi 27 novembre 2019

Mis à jour le 19 février 2023