Vaincre le chômage, du moins celui de longue durée, est possible. Grâce à l’expérimentation « Territoires Zéro Chômeur Longue Durée », nous en avons maintenant la preuve. Dans un contexte de « crise » majeure et inédite qui va aggraver le phénomène du chômage de masse que nous connaissons depuis trop longtemps, seule une forte volonté politique de le supprimer manque.
Bien sûr, cette bataille a un coût. On estime généralement que le coût direct [1] d’un chômeur pour la société est de l’ordre de 18 000 € par an, soit à 1 000 € près, le salaire et les cotisations d’un salarié rémunéré au SMIC. Dans le cadre des TZCLD, tout chômeur de longue durée peut occuper un emploi sous contrat à durée indéterminée payé au SMIC au sein d’une EBE (Entreprise à But d’Emploi). Les rapports portant sur l’expérimentation chiffrent le coût réel d’un salarié à 26 000 € par an. Le matériel, les locaux, l’encadrement, les frais de fonctionnement de l’EBE représenterait un coût de l’ordre de 8 000 €. Les EBE parvenant à facturer le travail d’un salarié 3 000 € par an, il reste par conséquent 5 000 € à la charge de la société. Ce montant est à comparer au coût d’un emploi aidé d’environ 8 250 € et à celui du CICE estimé à 180 000 € par emploi crée ou conservé [2] !
Les municipalités, communautés de communes et départements font face à une augmentation de leurs dépenses et en même temps à une contraction de leurs recettes. Dans ce contexte défavorable, la question du financement de la création d’emplois destinés aux chômeurs de longue durée se pose. Nous y reviendrons.
Les territoires doivent se préparer à affronter les effets du dérèglement climatique et de la chute vertigineuse de la biodiversité. Ils voient bien souvent leur patrimoine immobilier et naturel se dégrader dangereusement. Une nouvelle fois, le manque de moyen fait obstacle à leur volonté d’agir.
Pourtant, une main d’œuvre abondante, désemparée et en voie d’appauvrissement réside sur les territoires. Des chantiers de restauration du patrimoine, d’isolation thermique des habitations et de sauvegarde de la nature pourraient être ouverts grâce à leur concours. Bien entendu, un encadrement de personnels qualifiés serait nécessaire pour mener à bien ces projets. Prenons trois exemples parmi bien d’autres afin d’illustrer ce qu’il serait possible d’entreprendre.
Une expérience de grande ampleur a été récemment menée dans l’Ohio aux États-Unis. Elle a démontré qu’en plantant beaucoup d’arbres, la qualité de l’eau devenait nettement meilleure et que le ruissellement de l’azote et du phosphore diminuait de 95 % [3]. Ces plantations améliorent également la biodiversité. Mais si un territoire désirait se lancer dans une telle aventure, le manque de monnaie l’en empêcherait à coup sûr.
La mobilité est un véritable fléau sur les territoires ruraux pour une part importante de la population. Trop souvent, les systèmes de covoiturage locaux ne fonctionnent pas correctement pour différentes raisons. Il serait pourtant possible de créer des plateformes Internet et téléphoniques gérées pas des chômeurs qui connaissent les problématiques de mobilité mieux que toutes autres catégories de la population. Si les territoires ne se lancent pas dans ce type de solution, les GAFAM le feront, en nous rendant dépendant et sans création d’emploi sur les espaces géographiques concernés. Ajoutons que le temps presse, car notre approvisionnement énergétique pour la décennie qui débute est loin d’être assuré [4].
Face à la chute dramatique de la biodiversité, des mesures de conservation et de restauration des milieux naturels pourraient endiguer ce phénomène. Une main d’œuvre importante encadrée par du personnel compétent – qui éprouve lui-même des difficultés pour trouver un emploi - serait nécessaire pour cela. Mais comment financer une telle initiative ?
Nous sommes en présence de nombreux besoins (humains, sociaux, écologiques…) non satisfaits d’un côté et d’une désespérance liée au déclassement, à la précarité [5] et au manque de revenus de l’autre. Et à l’avenir, nous allons nous trouver dans une situation où nous rencontrerons toujours davantage de difficultés à surmonter avec de moins en moins de moyens pour y faire face.
Dans la situation de contraintes budgétaires des années à venir, le financement des expérimentations sociales n’est pas garantie. Bien des secteurs touchés par la crise vont demander des aides d’État qui engendreront un accroissement de la dette du pays et sa dépendance à l’égard des marchés financiers.
La loi prévoit que les EBE à l’œuvre sur les TZCLD devront à terme équilibrer leur budget et par conséquent trouver les moyens de financer leur encadrement, investissements et autres frais de fonctionnement. Si les salaires et cotisations versés aux chômeurs embauchés par ces structures sont financés par l’État et autres institutions, tel n’est pas le cas pour les autres dépenses. Les EBE seront donc amenées à facturer le plus possible leurs prestations. Mais dans le cas de la protection de la biodiversité, à qui facturer ? Comment donc financer les EBE pour ce type de travaux d’une grande utilités écologique et sociale ?
Sachant que « la principale difficulté de ces programmes est le manque de moyens mis à disposition par l’Etat [6] » Pourquoi ne pas créer la monnaie nécessaire à cette entreprise d’utilité publique ex nihilo sans devoir s’endetter au préalable auprès des banques ou des marchés financiers, c’est-à-dire sans devoir créer un déficit budgétaire [7] ?
Ce financement peut être envisagé par une création monétaire locale. Comme l’ont si bien décrit les auteurs de « Halte à la toute-puissance des banques ! Pour un système monétaire durable [8] », la création monétaire est le chaînon manquant de la durabilité.
Le PIB annuel généré par le Gâtinais montargois et ses 135 000 habitants est de l’ordre de 4,4 milliards d’euros. En créant chaque année l’équivalent de 0,23% du PIB en monnaie locale, c’est à dire 10 millions d’euros ou 75 euros par habitant, nous aurions de quoi financer nombre de projets écologiques et sociaux. Afin de stimuler sa circulation, cette monnaie pourrait être fondante. Elle perdrait 1% de sa valeur nominale chaque trimestre. Dans ce cas de figure, la monnaie locale en circulation après 25 ans d’émission se stabiliserait à 3 % du PIB annuel. Rien d’extravagant au regard des avantages qu’elle apporterait [9]. Cette monnaie locale circulerait sous forme électronique afin de simplifier sa gestion et en particulier sa fonte.
La monnaie locale créée ex-nihilo serait ainsi détruite au bout de 25 ans. C’est d’ailleurs ce qu’il se passe dans le système actuel : lorsqu’une banque accorde un prêt à un particulier, une entreprise où à l’État, elle crée la monnaie. Cette monnaie est ensuite partiellement détruite chaque mois, lors du paiement de l’échéance, jusqu’à l’être en totalité au terme de l’emprunt. Cette monnaie locale serait en fait composée de bons d’achat fondant d’une durée de vie de 25 ans.
Afin qu’elle soit acceptée comme moyen de paiement par les entreprises situées sur le territoire où elle circulerait, il est impératif qu’un maximum d’agents tels le Trésor Public (via les impôts et taxes), les organismes sociaux, les grandes entreprises de services publics des domaines de l’énergie, de la distribution d’eau, des transports et des communications l’acceptent également.
Ces acteurs pourraient régler salaires et fournisseurs locaux en éco-méreaux [10].
Aujourd’hui, la création monétaire est le monopole des banques privées. L’État lui-même est devenu un emprunteur comme les autres, ce qui pose de graves problèmes. Mais tel n’a pas toujours été le cas. L’endettement public relève en effet d’un choix effectué au cours des années 70 et 80 [11]. Face au manque de moyens et en présence de responsables politiques nationaux qui refusent de changer de cap, nous devons nous montrer inventifs et remettre en cause certains dogmes.
La création monétaire constitue un angle mort de la transition écologique et sociale. Elle est pourtant un levier décisif que nous devons absolument réactiver afin de la financer [12].
Philippe Lalik,