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Ivan Larroy, co-fondateur de Mémoire, Histoire des Républicains Espagnols dans l’Yonne

Entretien réalisé par la Rédaction de Yonne Lautre le 22 avril 2014

 Ivan Larroy, vous êtes depuis quelques années très impliqué dans l’Association Mémoire Histoire des Républicains Espagnols du département de l’Yonne. Pourriez-vous d’abord nous parler de l’arrivée de votre famille dans l’Yonne ?

Ma famille maternelle, française, est elle aussi une famille déracinée.
Chassée, du haut Morvan, par la misère suite à la crise de 29 elle vient s’installer à St Sauveur. Mon Grand père, "piqueur de bœufs", est embauché dans une entreprise forestière pour débarder du bois.
Après l’exode plusieurs Espagnols (F Solano et son père, Fortuny, Gonzalo...) qui ont réussi à se cacher dans les bois, vont travailler comme bûcheron pour la même entreprise.
Ils vont ensuite s’installer dans une bicoque dans la même cour que mes grands parents qui malgré leur extrême pauvreté vont tout faire pour leur venir en aide. 
F Solano dans la dédicace qu’il m’a faite de son livre y fait allusion.
 ....Je n’ai pas oublié non plus la cour et la maison du "Grand-Jeu" à St Sauveur
où j’ai reçu de ses habitants que du bonheur...

Mon père Esteban Larroy n’arrivera à St Sauveur que fin 43, début 44.
Après avoir franchi la frontière le 8 ou 9 février 39 vers Bourg Madame, il est successivement interné dans les camps de concentration de La Tour de Carol, puis du Vernet d’Ariège puis de Septfonds. 
En avril ou mai 39 il s’engage dans la 52ème CTE pour aller construire des fortifications à Le Nouvion dans le prolongement de la Ligne Maginot.
Au moment de l’offensive Allemande, leur officier (un instituteur) réussit à les sortir du guêpier et à les ramener à Villeneuve sur Lot.
 Il est ensuite incorporé dans la 525ème GTE, sous contrôle de la police de Vichy, à Bagnères de Bigorre pour faire du bûcheronnage. Il travaillera ensuite dans une ferme à Batsère.
 C’est là que les gendarmes Français viendront le récupérer début 43 pour le remettre aux Allemands de l’organisation TODT qui réclament de la main d’œuvre pour construire le "mur de l’Atlantique".
 Après quelque mois à la base sous marine de ST Nazaire, il va se battre avec un officier allemand , l’assommer et s’échapper. Il se réfugiera près de Bordeaux à Pauillac ou des copains le cachent et le font travailler à la réparation de bateaux.
 Avec l’aide d’un haut fonctionnaire qui lui procure des papiers puis un "laisser passer", il va rejoindre ses cousins Solano à St Sauveur dans la cour où habitent mes grands parents maternels.

 En quelle année l’Association Mémoire Histoire des Républicains Espagnols du département de l’Yonne a-t-elle été créée et pourquoi ne l’a-t-elle pas été avant ?

MHRE 89 a été créée le 18 octobre 2008. C’est donc une toute jeune Association.
 
Très peu de réfugiés espagnols ont raconté à leurs enfants, leur parcours et les événements qui les ont conduits à fuir leur pays.
Mon père m’en avait un peu parlé, mais de façon décousue à l’occasion d’un événement qui le faisait réagir ou d’une question que je lui posais.
 
J’ai eu la chance d’avoir en seconde un jeune prof d’Histoire Alain Bataille qui apprenant mes origines m’a demandé de faire un exposé sur la guerre d’Espagne.
C’est la seule fois où mon père m’a raconté de manière linéaire, l’arrivée de la République, le coup d’état, la guerre, la Retirada.....
Ce n’était plus un sujet tabou et il en parlait un peu à ses enfants ou petits enfants qui l’interrogeaient.
 
À sa mort en 2006, des petits enfants m’ont demandé de leur photocopier les documents que mon père avait conservé de cette période.
 J’ai commencé à le faire et je me suis dit que cela n’aurait aucun sens si ces documents n’étaient pas reliés à son histoire et à l’Histoire.
 J’ai donc commencé à écrire un document qui fera au final plus de 150 pages et pour cela il m’a fallu interroger la famille de France et d’Espagne, leur demander des contributions, mais aussi à faire des recherches.
 
C’est ainsi que j’ai découvert les Archives mais aussi l’existence d’Associations Mémorielles surtout dans le sud-ouest .....
 

Dans le même temps, j’avais beaucoup échangé avec un autre directeur d’école d’Auxerre Francis Romero lui aussi fils de Républicain Espagnol, et je cherchais à entrer en contact avec un certain J Muñoz qui de temps à autre mettait un billet dans le courrier des lecteurs mais qui était en liste rouge.
 J’ai fini par nouer les contacts et nous nous sommes rencontrés. Nous avons passé des heures à échanger, à nous raconter ce que nous savions.....
A la 3ème ou 4ème rencontre nous nous sommes dits que d’autres souhaiteraient peut-être se joindre à nous et nous avons organisé une première Rencontre le 24 avril 2008 (jour anniversaire de Guernica) à l’amphithéâtre de la Brosse.
 
Nous avons eu la chance que 2 journalistes , D Guadarrama de l’Yonne Républicaine et PJ Gaye d’Auxerre TV relaient notre proposition sur le département et que le Maire d’Auxerre nous soutienne matériellement pour cette première.
 
F Solano que nous avions sollicité comme grand témoin pensait que nous serions une trentaine, nous pensions nous réunir entre 50 et 60 personnes !!!!
Nous nous sommes retrouvés entre 120 et 150 pour un moment chargé d’émotion mais aussi très festif......
 
La conclusion des participants a été il faut créer une Association pour continuer à échanger à rechercher à construire notre Mémoire.... 
 
Nous n’avions pas du tout envisagé cette possibilité mais nous nous sommes mis au travail et 6 mois plus tard, l’Assemblée générale constituante était convoquée.

 C’est effectivement une belle réussite ! Et depuis cela continue ! Pouvez-vous nous raconter comment l’association s’est développée et a agi ?

Le Conseil d’administration qui a pris en charge le fonctionnement de MHRE 89 s’est défini plusieurs axes de travail afin de répondre à l’attente de nos adhérents et sympathisants.
1- Travailler sur notre mémoire

  • en recueillant les témoignages de nos "Padrinos", nos quelques anciens encore en vie qui avaient connu la proclamation de la République, la rébellion des factieux, la guerre, la Retirada, l’exil...
  • en effectuant des recherches aux Archives départementales de l’Yonne, puis dans les communes et dans les départements limitrophes.
    C’est de cette façon que nous avons découvert l’importance de l’arrivée des réfugiés dans de très nombreuses communes de l’Yonne.
    Nous avons eu la chance lors de ce travail de récupérer les listes de très nombreux réfugiés (plus de 4500 identités sur les plus de 6 500 réfugiés arrivés dans l’Yonne), ce qui nous a permis d’aider de nombreux descendants à reconstituer le parcours de leurs parents.
    Nous avons d’ailleurs l’année dernière dans un travail collectif entré tous ces noms dans une tableur ce qui nous facilite grandement ces recherches.

2- Construire notre mémoire collective lors de 2 rencontres par an

La première à une date proche du 14 Avril, date anniversaire de la proclamation de la République.
La seconde autour du 20 octobre.
Nous choisissons un thème - "Les Républicains Espagnols combattants oubliés de la Libération" ce 12 Avril 2014- et nous le traitons à partir :

  • d’un diaporama présentant nos recherches,
  • d’un film "La Nueve", "le Triangles Bleus", "70 ans de silence"....
  • d’une pièce de Théâtre "Tu me manques" d’Irma Hellou traitant de la séparation lors de l’exil
  • de témoignages.........
    Nos rencontres sont donc souvent chargées en émotion mais nous n’oublions pas le côté festif avec chansons de la République, flamenco, Sangria tapas, repas commun ...

3- Se doter d’outils de qualité pour présenter cette Mémoire
Tout d’abord Francis Romero a réalisé pour MHRE une série de grandes aquarelles présentant de thèmes qui nous sont chers : le courage des femmes, le rôle de l’église, les camps de concentrations, le dernier regard à la terre....
Il a de plus créé notre Logo, des cartes postales, nos cartes d’adhésions...... Merci l’artiste !!!
Nous avons ensuite, emprunté, acheté, puis réalisé nos propres expositions en fonction des thèmes traités ....
Nos affiches sont toujours inspirées de celles de la République .

4- Travailler en partenariat avec des municipalités, de médiathèques, associations
Notre histoire totalement occultée pendant des décennies intéresse un public qui va bien au delà des "descendants...."
Nous sommes sollicités pour la présenter dans les lycées et collèges mais aussi dans de nombreuses municipalités.
Le travail en partenariat que nous effectuons se situe dans la continuité des "missions pédagogiques" ou du "Musée du peuple" véritable Education Populaire mise en place par la 2ème République Espagnole et soutenue par Garcia Lorca, Machado........

5- Informer, médiatiser ce que nous organisons, ce que nous découvrons, les informations que nous recevons.
J’ai au début de cet interview fait part du soutien que nous avons reçu dès la première rencontre des médias locaux. 
Cet intérêt ne s’est pas démenti et nous accompagne à chacune de nos prestations.
Il faut y ajouter l’accompagnement de "l’Yonnelautre" qui nous permet de toucher un autre public.
Nous avons de plus développé nos propres outils.
Deux fois par mois, nous envoyons une info par courrier électronique à plus de 200 adhérents, une bonne centaine de sympathisants et presque autant d’associations ou personnes qui travaillent sur la Mémoire de l’Espagne Républicaine.
Nous avons de plus créé notre propre site qui est la Mémoire de nos actions.
 
Pour terminer nous nous enrichissons des contacts établis avec d’autres Associations de L’Yonne (ARORY, ADIAMOS...) mais aussi avec les autres Associations Mémorielles Espagnoles et nous participons à des évènements nationaux
 70 ans de la Retirada avec FFREEE, 80 ans de la proclamation de la République à Ill sur Têt, cérémonie de la Libération de Paris.....

 Ivan Larroy, vous êtes déterminé et enthousiaste. Mais vous voici engagé dans une Association qui doit vous prendre beaucoup de temps ?

Faire des recherches mémorielles, se documenter, faire vivre une Association demande effectivement pas mal de temps.
C’est le privilège des retraités de pouvoir faire des choix ... même si ce n’est pas mon seul intérêt loin s’en faut !

C’est tout simplement un engagement militant.

Ce qu’ont fait et subi nos parents, les valeurs qu’ils défendaient et qui sont toujours d’actualité, le comportement des fascistes de tous poils et la lâcheté ou duplicité des démocraties, tout cela mérite que nous le révélions, que nous le fassions partager au plus grand nombre et en particulier aux élèves des collèges et lycées. Leur intérêt pour ces temps d’information et d’échange avec nos "Padrinos" est remarquable.

D’autre part, le Conseil d’Administration de MHRE plus quelques individualités, s’implique largement dans l’organisation de nos manifestations, dans la vie de l’Association, dans nos travaux de recherches. Nous allons donc vers un travail d’équipe où chacun prend sa part en fonction de ses disponibilités, de ses intérêts et de ses compétences .

Nous sommes maintenant loin des débuts de MHRE où le trio de précurseurs devaient tout prendre en charge.

Par Larroy Ivan, Mémoire Histoire des Républicains Espagnols de l’Yonne, Rédaction de Yonne Lautre

Le lundi 25 novembre 2019

Mis à jour le 6 août 2022