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Christiane Marty : Réforme des retraites : Des garanties fortes sur la valeur du point ?

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15 octobre 2018 Christiane Marty : Retraite par points : plus équitable, vraiment ?

Retraite par points : plus équitable, vraiment ?

Christiane Marty, 12 octobre 2018

Depuis 1993, les réformes successives des retraites ont été menées au nom de l’équilibre financier des régimes. Aujourd’hui que le déficit des caisses est en voie de résorption - au prix de la baisse du niveau des pensions et du départ plus tardif en retraite -, c’est la recherche de l’équité qui est invoquée pour justifier une nouvelle réforme. Le projet est de transformer le système actuel par annuités en un régime par points, à vocation universel, qui remplacera les 42 régimes actuels (base et complémentaires). L’objectif annoncé est qu’« à carrière identique, revenu identique, la retraite doit être identique  ». Donc, à carrière incomplète et faibles revenus, faible retraite, mais ce sera la même chose pour tout le monde ! Est-ce cela l’équité visée ? Jean-Paul Delevoye, haut commissaire à la réforme des retraites, interviewé sur France Inter le 11 octobre 2018, précisait : « la retraite est le reflet de la carrière, ça, c’est quelque chose qui est juste. Si vous avez une belle carrière, vous avez une belle retraite, si vous avez une moins belle carrière, vous avez une moins belle retraite  ».

Quid alors des dispositifs de solidarité ? Ce sont eux qui constituent le socle de la redistribution du système de retraites en faveur des personnes qui n’ont que peu de droits à la retraite car elles n’ont pas eu une activité professionnelle suffisante. Tout le monde, en effet, n’a pas les mêmes possibilités de faire « une belle carrière  » et d’avoir de bons salaires, du fait de l’existence de contraintes économiques - le chômage et la précarité sont une réalité -, du fait des normes sociales qui pèsent sur les femmes en leur attribuant la charge de l’éducation des enfants. Les inégalités de pension qui en résultent sont importantes. L’équité doit consister à les prendre en compte et à assurer une pension convenable, y compris aux personnes qui n’ont pas une belle carrière.

Certes, les documents officiels affirment que les solidarités seront consolidées, mais ils indiquent aussi qu’il faut « redéfinir leurs objectifs et clarifier la nature de leur financement  ». JP Delevoye demandait : ne relèvent-ils pas plutôt de la solidarité nationale via l’impôt ? La question préfigure la réponse. L’idée est de sortir certains dispositifs du système de retraites et de les faire financer par la fiscalité. Dans le contexte actuel de recherche tout azimut de baisse des dépenses publiques, il y a là un risque majeur de régression.

En outre, il est clairement indiqué que le montant actuel des retraites, qui représente 14 % du PIB, doit être un plafond. Tout d’abord, déclarer que la part des retraites dans la richesse produite ne doit pas croître alors que la part des retraité·es dans la population va augmenter revient à décider de leur appauvrissement. Est-ce là « bâtir un système de retraite fondé sur une solidarité renforcée [1] » ?

Ensuite, on ne voit pas bien alors comment on pourrait assurer cette « solidarité renforcée », qui prendra en compte « les interruptions d’activité liées aux aléas de carrière ou de vie », « les carrières longues, les métiers pénibles, le handicap  », tout cela à budget constant. On ne voit pas non plus comment les pensions de réversion seraient garanties, comme il a été annoncé : les conditions d’attribution de la réversion varient actuellement selon les régimes (de 50 % à 60 % de la pension de la personne décédée, avec des conditions d’âge ou de ressources différentes) : les harmoniser dans le cadre d’un budget constant signifie mathématiquement qu’il y aura beaucoup de perdant·es !

Le fonctionnement d’un régime par points permet d’éviter le débat public

Dans un régime par points, on accumule des points en cotisant tout au long de sa vie active, les cotisations achetant des points. Au moment de la retraite, les points sont convertis en pension. Il n’y pas de taux de remplacement (rapport entre la pension et le salaire) fixé à l’avance, à la différence du régime de base par annuités qui définit un taux plein que l’on obtient moyennant une certaine durée de cotisation. Un régime par annuités est « à prestations définies », un régime par points est « à cotisations définies » : on connaît le niveau de ses cotisations, mais comme il n’y a aucune notion de taux plein, on n’a pas de visibilité sur sa future pension.

La valeur du point à l’achat, celle du point lors de la conversion en pension ainsi que d’autres paramètres sont réglés chaque année de manière à équilibrer les finances des caisses de retraite. Ce sont des mesures techniques d’ajustement qui sont décidées au niveau des gestionnaires de caisse, ce qui escamote ainsi tout débat public sur l’évolution des retraites et le partage de la richesse produite, d’une part au sein de la masse salariale entre salarié·es et retraité·es, d’autre part en amont, entre masse salariale et profits.

L’exemple des régimes complémentaires Agirc et Arrco qui fonctionnent par points est loin d’être enviable : entre 1990 et 2009, le taux de remplacement a baissé de plus de 30 % dans chacun d’eux, ce qui est une baisse beaucoup plus sévère que dans le régime de base. À l’Agirc, par exemple, la pension des nouveaux liquidants est très inférieure à celle des personnes déjà retraitées, en raison notamment de la baisse du rendement des cotisations au cours des dernières années. En 10 ans, de 2006 à 2016, la pension moyenne de droit direct des retraité·es a baissé de 16,4 %.

Un régime par points ne peut que pénaliser plus encore les femmes, et plus généralement toutes les carrières heurtées

Un régime par points est basé sur une logique purement « contributive », c’est-à-dire qu’il vise à ce que les pensions perçues par une personne pendant sa retraite soient proportionnelles à la somme actualisée de l’ensemble des cotisations versées au cours de sa carrière. La pension reflète ainsi l’ensemble des salaires perçus, et non plus les 25 meilleures années de salaires comme dans le régime général, ou les six derniers mois comme dans la fonction publique. Tant pis alors pour les personnes aux carrières courtes ou avec de bas salaires, elles auront peu de points. On le sait, la mesure de 1993 qui a modifié le calcul de la pension en prenant en compte comme salaire de référence la moyenne des 25 meilleures années au lieu des 10 meilleures auparavant a abouti à une baisse conséquente des pensions des personnes liquidant leur retraite.

Dans la situation actuelle, caractérisée par des carrières de femmes en moyenne plus courtes, assorties de salaires plus faibles et de périodes de temps partiel, les inégalités de pension entre les sexes, alors qu’elles sont déjà importantes et doivent diminuer, ne pourraient qu’en être encore accentuées par rapport au système actuel.

Une simulation réalisée avec le modèle Destinie de l’Insee permet de s’en faire une idée : pour les générations nées entre 1950 et 1960, la somme des salaires perçus au cours de sa carrière par une femme ne représenterait en moyenne que 58 % de celle d’un homme. La somme des cotisations versées par les femmes ne représenterait, de même, que 58 % de celle des hommes et la pension moyenne des femmes serait aussi de 58 % de celle des hommes. Actuellement, la pension moyenne de droit direct des femmes parties en retraite en 2017 représente 69 % de celle des hommes ! (Pour l’ensemble des retraité·es, ce ratio est de 61% : il est plus faible car les inégalités sont plus fortes pour les générations les plus âgées).

Des dispositifs de solidarité bien plus faibles dans les régimes par points

La logique de construction des régimes par points qui vise une contributivité maximale du système n’empêche pas malgré tout, la présence de quelques dispositifs de solidarité dans les régimes complémentaires du système de retraite actuel. Mais ils sont bien moins importants que dans les régimes par annuités. Ils ne représentent que 6,9 % du montant des pensions servies dans ces régimes, contre 23,1 % dans les régimes de base par annuités. De plus, en proportion, ces dispositifs bénéficient moins aux femmes. Notamment, il n’y a pas de minimum de pension (sauf exception).

Dès le premier enfant ?

Selon le dossier de presse publié le 10 octobre, « des points seront accordés pour chaque enfant, dès le premier enfant, afin de compenser les impacts sur la carrière des parents de l’arrivée ou de l’éducation de l’enfant  ». L’information « dès le premier enfant » a été commentée par les médias et même par la CFTC comme un nouvel avantage du projet car actuellement ce ne serait qu’à partir du troisième enfant. Mais il y a confusion. Il existe des majorations de durée d’assurance (MDA) qui attribue des trimestres pour chaque enfant, dès le premier. Rien de nouveau donc. On sait que les droits familiaux liés aux enfants permettent de compenser, un peu, les pensions des femmes et ainsi de réduire les inégalités de pension entre les sexes. Il ne peut évidemment pas être question de les réduire lorsqu’on annonce une réforme au nom de l’équité (mais les augmenter n’est pas non plus la bonne solution pour améliorer les pensions des femmes [2]). L’indication « dès le premier enfant » vise en réalité un dispositif existant qui attribue une majoration de pension de 10 % à chacun des parents ayant trois enfants : les hommes ayant en moyenne des pensions plus élevées, ce dispositif leur bénéficie beaucoup plus qu’aux femmes, alors que ce sont elles qui subissent l’impact des enfants sur leur carrière et leur pension ! Ce dispositif, injuste, représente la somme importante de 9 milliards d’euros, et de l’avis à peu près unanime, ce montant doit être utilisé de manière plus juste. Réparer cette injustice est donc le minimum que l’on attend de toute réforme !

Le libre choix de sa retraite ?

JP Delevoye et les partisans d’un régime par points insistent sur le fait que celui-ci offre « la faculté de choisir le moment de partir en retraite ». On pourrait ainsi arbitrer soi-même le montant de sa pension : si on n’a pas assez de points, on continue de travailler. Quelle illusion… ou quelle hypocrisie ! Lorsqu’on sait que les transitions directes d’une situation d’emploi à la situation de retraite n’existent que pour un peu plus de la moitié des personnes, que les employeurs continuent de se débarrasser des seniors, ou encore que de nombreuses personnes qui ont des métiers pénibles et souvent de faibles salaires (par exemple des métiers comme aide-soignante) ont déjà du mal à attendre l’âge légal de départ, de quelle liberté de choix parle-t-on ?

Une perte de crédibilité du système sciemment organisée

Les arguments mobilisés pour légitimer la nouvelle réforme pointent la perte de confiance des Français·es dans notre système de retraite. Les jeunes notamment sont nombreux à penser qu’ils n’auront pas de retraite. En effet, les réformes passées ont organisé une baisse continuelle du niveau des pensions en refusant d’augmenter les ressources des caisses de retraite, tout en durcissant les conditions pour une pension à taux plein. L’objectif de fond est d’inciter celles et ceux qui le pourront à se constituer un complément de retraite par une épargne individuelle, et de faire ainsi la place aux assurances privées et aux produits financiers. Avec la crise de 2008, qui a entrainé de très sévères baisses de pension pour de nombreuses personnes dans les pays où les fonds de pension sont développés, la promotion de la capitalisation n’était plus à l’ordre du jour. Aujourd’hui, la voilà de retour. Il est prévu dans le projet présenté que les revenus d’activité ne cotiseront plus dans le système commun de retraite sur la partie supérieure à 10 000 euros bruts par mois… et pour ces personnes, il y aura des incitations financières pour l’épargne individuelle. L’étage de capitalisation étant instauré, il suffira ensuite abaisser ce seuil de revenus pour élargir le volume offert au secteur privé.

En conclusion

JP Delevoye, questionné sur les raisons d’une nouvelle réforme, mentionnait que ses amis européens l’interrogeaient de même, en lui faisant remarquer que le niveau des retraites en France était le meilleur des pays européens et que le système est proche de l’équilibre. Alors pourquoi changer ? Oui, bonne question. La réponse donnée par JP Delevoye fut que le système actuel n’est pas adapté au 21ème siècle, car les métiers évoluent, et les régimes professionnels qui voient la baisse des effectifs connaitront des difficultés (médecins libéraux, agriculteurs, …), ce qui risquerait de créer des conflits entre régimes. Piètre argument ! Comme si les métiers n’avaient pas déjà évolué au 20ème siècle : par exemple, les métiers de mineurs ont disparu, c’est la solidarité qui a naturellement joué son rôle pour assurer leurs retraites. Il existe une solidarité horizontale entre les différents régimes, qui prend en compte et compense l’évolution différenciée de la démographie selon les secteurs professionnels. Nul besoin d’un régime par points.

Le système actuel n’est certes pas satisfaisant, avec la baisse programmée des pensions, des inégalités qui doivent être corrigées, et notamment les conditions de pénibilité qui doivent être prises en compte. Mais il est tout à fait possible d’améliorer le système actuel par annuités, en visant à harmoniser par le haut les différents régimes et en augmentant leurs ressources (voir Retraites, l’alternative cachée [3]).


6 avril 2018 Christiane Marty : La régression sociale en cours touche d’abord les femmes

Par Fatima Benomar, Co-porte-parole des effronté-es, Huayra Llanque, Commission Genre d’Attac, Christiane Marty, Fondation Copernic, Céline Piques, Porte-parole d’Osez le féminisme ! Suzy Rojtman, Porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes — 5 avril 2018
http://www.liberation.fr/debats/2018/04/05/la-regression-sociale-en-cours-touche-d-abord-les-femmes_1640995


12 mars 2017 Christiane Marty : À propos de l’ouvrage Contre l’allocation universelle (M. Alaluf, D. Zamora, dir.)

À l’heure où le revenu universel occupe le débat public, un petit ouvrage paru fin 2016, Contre l’allocation universelle [1] vient en éclairer les enjeux, à partir d’une évaluation résolument de gauche.

Versée de manière inconditionnelle à chaque citoyen, l’allocation universelle vise à lutter contre la pauvreté, la précarité et le chômage. Paradoxalement, la proposition séduit à gauche comme à droite. Dans son acception de gauche, elle doit permettre chacun de se libérer de l’impératif de travailler : selon ses promoteurs, le plein emploi serait en effet devenu une utopie du fait de la robotisation et l’automatisation des tâches. Le travail flexible de type « uber » devenant la norme, « le revenu de base inconditionnel serait donc le dispositif social adapté à une société ’ubérisée’ ». À droite, cette idée plaît aussi, ses partisans y voyant un moyen de se débarrasser des institutions de la sécurité sociale.

https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-12-hiver-2017/debats/article/a-propos-de-l-ouvrage-contre-l-allocation-universelle-m-alaluf-d-zamora-dir


13 octobre 2016 Christiane Marty : L’avenir des retraites : une amélioration, vraiment ?

Depuis la loi du 20 janvier 2014, le Conseil d’orientation des retraites (COR) a la mission de produire chaque année avant le 15 juin un rapport d’évaluation et de perspectives des retraites. Ce document, basé sur des indicateurs de suivi définis par décret et sur différents scénarios de projections économiques, doit permettre d’évaluer la conformité du système de retraites avec ses objectifs en termes de pérennité financière, d’équité et de solidarité. C’est ensuite la mission du Comité de suivi des retraites (CSR), instauré par cette même loi, d’examiner cette conformité et de rendre un avis public avant le 15 juillet. S’il considère que le système s’éloigne de manière significative de ses objectifs, il « formule des recommandations » visant à en garantir le respect.

https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-11-automne-2016/dossier-le-travail-en-question-s/article/l-avenir-des-retraites-une-amelioration-vraiment


24 octobre 2015 Retraites complémentaires : la régression continue, par Christiane Marty

Je mets en ligne, avec l’autorisation de son auteure, une analyse approfondie, par Christiane Marty, de l’accord sur les retraites complémentaires Agirc et Arrco conclu il y a quelques jours entre le patronat (Medef, CGPME et UPA) et trois syndicats (CFDT, CFE- CGC et CFTC). Le fichier pdf du texte complet (6 pages) peut être téléchargé via ce lien : martycomplem.pdf

Voici de courts extraits pour vous donner envie d’en savoir plus.

« L’objectif était de rétablir l’équilibre financier de ces caisses. Suite à la crise, leurs comptes sont devenus déficitaires après 2008 du fait de la dégradation de l’emploi et de la stagnation des salaires. En 2014, le déficit est de 3,1 milliards d’euros. Mais les caisses Agirc et Arrco ont des réserves, respectivement 14,1 et 61,8 milliards d’euros (résultats 2014) dont la fonction est précisément de faire face à une conjoncture défavorable. La dramatisation des difficultés pour assurer le financement futur des retraites est un classique pour mieux faire accepter des réformes régressives.

http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2015/10/23/retraites-complementaires-la-regression-continue-par-christiane-marty/


13 janvier 2015 Christiane Marty : Sur le plafonnement du quotient familial et la modulation des allocations

L’objectif d’économies budgétaires conditionne la politique familiale depuis quelques années. Les principales mesures adoptées depuis 2012, comme le plafonnement du quotient familial et la modulation des allocations familiales, n’en sont pas moins présentées comme des mesures de justice sociale, ce que ce texte se propose de discuter. Auparavant, il est utile de rappeler le contexte plus globalement.

https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-5-hiver-2015/debats/article/sur-le-plafonnement-du-quotient?pk_campaign=Infolettre-191&pk_kwd=sur-le-plafonnement-du-quotient


3 novembre 2014 Christiane Marty : Un ras-le-bol fiscal qui se nourrit… d’injustice fiscale

Rendre l’IR et l’ISF plus progressifs participerait à rendre la fiscalité plus juste et donc à réconcilier les citoyens avec l’impôt.

http://www.politis.fr/Tribune-Un-ras-le-bol-fiscal-qui,28736.html


9 octobre 2014 Christiane Marty "L’impôt sur le revenu, un acte citoyen"

Annoncée par Manuel Valls le 17 septembre, la suppression de la première tranche d’impôt semble approuvée par une majorité de Français (1), tous bords politiques confondus. Probable traduction d’un « ras-le-bol fiscal » soigneusement cultivé par le discours politique, cette approbation dénote, en réalité, une méconnaissance de ce que serait une fiscalité juste. La suppression de la première tranche (en fait, la deuxième, la première étant celle à 0%) va à l’opposé d’une évolution progressiste.

Tout d’abord, il est utile de rappeler que l’impôt sur le revenu est, en théorie, le plus juste des impôts car il est progressif : les ménages aisés contribuent proportionnellement plus que les ménages modestes.

http://www.liberation.fr/economie/2014/10/07/l-impot-sur-le-revenu-un-acte-citoyen_1116782


22 décembre 2019

Des garanties fortes sur la valeur du point ?

« Le gouvernement souhaite apporter des garanties fortes sur la fixation du point. »

« La loi mettra en place une règle d’or précisant que la valeur du point ne pourra pas baisser. » Dossier de presse d’E. Philippe du 11 décembre 2019, page 6.

Tout d’abord, affirmer que la valeur du point ne baissera pas – il s’agit de la valeur de service, qui convertit les points acquis en pension – ne signifie pas que le pouvoir d’achat des pensions au moment de la liquidation ne baisse pas au fil des années : il faudrait en effet garantir que la valeur du point augmente chaque année au moins autant que l’inflation, et mieux, autant que le salaire moyen (plus favorable).

Curieusement, il est indiqué dans le dossier de presse, à la fois que la loi garantira que cette valeur du point ne pourra pas baisser, et juste avant, que cette valeur « augmentera chaque année comme le salaire moyen  ». Très bien, c’est mieux en effet. Mais alors pourquoi ne pas inscrire cela dans la loi, au lieu de se limiter à affirmer que la valeur du point ne baissera pas ? N’est-ce pas significatif ?

De plus, la loi est-elle une garantie ?

On doit en douter. Rappelons que la loi impose déjà que les pensions servies soient indexées sur l’inflation [1]. Pourtant les gouvernement sous F. Hollande et E. Macron ne se sont pas privé d’y déroger, soit en gelant les pensions, soit en reculant la date annuelle de revalorisation, soit en sous-indexant les pensions (revalorisation prévue de 0,3 % en 2019 et 2020, contre une inflation attendue de 1,5 %).

Autre exemple, la loi de 2003 fixait (déjà) l’objectif d’atteindre un minimum de retraite de 85 % du SMIC pour une carrière complète : ce minimum n’a jamais été atteint, et l’évolution actuelle en éloigne de plus en plus.

Ensuite, même si la valeur de service du point évolue comme le salaire moyen, la pension pour un même nombre de points baissera pour un départ à un âge donné. Car la valeur de service du point s’applique pour un départ en retraite à l’âge d’équilibre, prévu au départ à 64 ans (pour un départ à 62 ans, il y aura une décote sur cette valeur de 10 %, et de 5 % à 63 ans). Or l’âge d’équilibre est appelé à augmenter régulièrement, notamment en fonction de l’espérance de vie (réf. 1). À âge donné, la valeur du point baissera.

Enfin, et plus globalement, il est instructif de regarder comment ont évolué les régimes complémentaires par points Agirc Arrco : la baisse des taux de remplacement (pension/salaire) y a été encore plus sévère que dans le régime général (baisse de 30 % de 1993 à 2008).

Le graphique suivant montre l’évolution du rendement pour chacun de ces régimes depuis 1963. Le rendement effectif est défini comme la valeur instantanée de la pension moyenne annuelle servie par le régime, obtenue par le versement d’un euro de cotisation. C’est donc le rapport entre la valeur de service et le coût total d’achat d’un point. Car bien sûr, l’évolution du prix d’achat du point a aussi une influence.

(Ce rendement n’est pas un rendement financier).

Évolution des rendements effectifs et contractuels des régimes ARRCO et AGIRC

depuis 1963 (en %)

Capture d’écran 2019-12-21 à 14.26.00.png

Source COR, L’évolution des paramètres des régimes ARRCO et AGIRC, 2009.

Nota :

Le rendement contractuel ne prend en compte que la partie de cotisation qui sert à acheter des points. Car dans les régimes Agirc Arrco, une partie de la cotisation ne fournit pas de points : pour 127 euros de cotisation payés, seuls 100 euros sont transformés en points.

Le rendement effectif, lui, prend en compte la cotisation totale. Il est donc plus faible.

Le système de retraites projeté reproduit cette distinction : sur une cotisation prévue à 28,12 %, seuls 25,31 points serviront à acquérir des points, les 2,81 points restant serviront au « financement mutualisé du système de retraites ».

On peut remarquer que le rendement sera fixé à 5,5 % au début de la mise en oeuvre du système, c’est-à-dire qu’il est même inférieur au rendement des régimes Arrco et Agirc qui était normalement de 6 % en 2018 (avant la fusion de ces deux régimes).

Christiane Marty

1- Article de Justin Benard et Michaël Zemmour : https://blogs.alternatives-economiques.fr/zemmour/2019/11/30/la-valeur-du-point-ne-pourra-pas-baisser-mais-le-niveau-de-votre-pension-si

Voir aussi l’article de Michel Husson : alternatives-economiques.fr//michel-husson/garantir-point-ne-garantit rien/00091288


[1Indexation sur l’inflation depuis 1987, étendue en 1993 puis en 2003 pour la Fonction publique.

Par Marty Christiane

Le dimanche 22 décembre 2019

Mis à jour le 22 décembre 2019