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ARORY : décès de Jean Léger, survenu le 22 mars 2015

1er avril 2015, 23:09, par Yonne Lautre

C’est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris le décès de Jean Léger, survenu le 22 mars 2015, à l’âge de 89 ans. Jean Léger n’aura survécu que deux mois à son ami très cher, Bernard Furet, qui l’avait retrouvé en Allemagne à sa sortie du camp de Dachau.

Jean Léger est né le 5 avril 1925 à La Chapelle-sur Oreuse, dans une famille implantée au village depuis des siècles. Après avoir été élève à l’école primaire du village, il est entré à l’Ecole primaire supérieure de Sens où il a préparé et réussi le concours d’entrée à l’Ecole normale qu’il a intégrée à la rentrée 1941 (l’Ecole normale d’instituteurs était alors occupée par les Allemands et installée pour cette raison dans les locaux du lycée Jacques Amyot à Auxerre). Au lycée, il diffuse déjà des tracts et des écrits antinazis que lui procure Delaporte, un camarade de promotion qui était en liaison avec une organisation nivernaise de résistance ; avec quelques amis qui partagent son hostilité à la politique du maréchal Pétain, il sabote au cinéma-théâtre de la ville un gala collaborationniste.
En 1943, son ami Roger Rondeau lui fait part des activités de résistance de son père, Alfred Rondeau, maire de La Chapelle-sur-Oreuse. Ancien combattant de la Grande Guerre, républicain et patriote, Alfred Rondeau s’est engagé dans la Résistance et se trouve au cœur des activités de plusieurs groupes de résistance. A la suite d’un parachutage, un dépôt d’armes a été constitué en mai 1943 dans les carrières de Michery. Les responsables en sont Marc Bizot et Bernard Furet, son ami et camarade de promotion. Avec Roger Rondeau, Maurice Berdou, Gaston et Lucien Brûlé, Jean Léger transporte des armes du dépôt de Michery à la ferme de Hollard, où elles sont cachées dans une maison du village appartenant à la famille Rondeau.
Il obtient en juin 1943 la première partie du baccalauréat. Astreint au Service civique rural par le régime de Vichy, il participe dans l’été 1943 aux travaux de la moisson à la ferme d’Alfred Rondeau, au hameau de Hollard. Le 22 septembre 1943, Jean Léger passe la journée avec ses camarades à la ferme de Hollard où l’on fait les vendanges. Mais, obéissant à sa mère qui lui a demandé de dîner à la maison, il ne reste pas prendre le repas du soir à la ferme et redescend au village. Peu après les Allemands investissent la ferme d’Alfred Rondeau. Ils ont appris que les frères Paquet qui, l’après-midi à Sens, ont tué trois soldats allemands qui venaient les arrêter, avaient été hébergés à la ferme d’Alfred Rondeau. Jean Léger n’apprend l’arrestation d’Alfred Rondeau, de toute sa famille et de son ami Maurice Berdou que le lendemain matin. Aussitôt, avec l’aide d’un maçon du village, il fait évacuer les armes et les munitions cachées dans une maison du village et qui sont jetées dans les sources du lavoir.
Malgré le danger dont il est parfaitement conscient, il décide de retourner au lycée. Le 28 octobre, il apprend avec consternation l’exécution d’Alfred Rondeau qu’un tribunal allemand a condamné à mort. Le 25 novembre, il est arrêté au lycée Jacques Amyot. « Dans la matinée nous sommes en classe de mathématiques (…) Un surveillant entre dans la classe, parle à l’oreille du professeur et me demande de le suivre. En passant la porte, il me chuchote que trois hommes au comportement suspect m’attendent. Trop tard, ils sont déjà sur le palier et leur tenue, long manteau de cuir noir et feutre rabattu sur les yeux, ne laisse planer aucun doute sur la nature de leur mission. (…) Dès la sortie du lycée, dûment menotté, je suis embarqué dans une Traction noire et emmené directement à la Gestapo… ».
Peu après son arrestation à Auxerre, la Gestapo le conduit à Sens où il est interrogé à l’Hôtel de Paris sur l’affaire Rondeau. Vers le 15 décembre, il est transféré à la prison d’Auxerre. Dans sa cellule, il fait la connaissance de Jorge Semprun auquel il a inspiré l’un des personnages de son premier roman Le grand voyage et qu’il a retrouvé 60 ans plus tard à Villeneuve-sur-Yonne. A la mi-février 1944, il est conduit à la prison parisienne du Cherche-Midi où il reste deux semaines. L’étape suivante le conduit au camp de concentration de Natzweiler-Struthof dans les Vosges. Il n’a pas encore 19 ans lorsqu’il entre dans l’univers concentrationnaire, classé NN (Nacht und Nebel), c’est-à-dire destiné à disparaître dans « la nuit et le brouillard ».
Au Struthof (matricule 7855), au Kommando de Kochem, à Dachau, au Kommando d’Allach (matricule 101172), il vit l’enfer de la déportation. Rien ne lui est épargné : les travaux démentiels du tunnel de Kochem, la construction de la route d’accès au Struthof, le froid terrible de janvier 1944 au Kommando d’Allach où, affamé et gelé, il doit porter d’énormes traverses de chemin de fer. Il est aux portes de la mort quand il est libéré, le 30 avril 1945 : il pèse 42 kg, il a la tuberculose et il contracte le typhus ; il devra rester hospitalisé près de Fribourg en Allemagne pour y soigner la tuberculose qui le ronge et qui ne lâchera pas facilement prise puisqu’il lui faudra encore 22 mois pour guérir.
A son retour en France, il va mal. « Je ne comprenais plus les réactions de ceux qui m’entouraient, pourquoi ils riaient, les causes de leurs tristesses. Je ne supportais pas les questions que les gens me posaient (…) Il m’arrivait souvent d’avoir des absences brutales : autour de moi tout s’effaçait, et je plongeais dans le néant, figé au milieu d’un geste. Je revenais à la réalité avec, invariablement, le regard anxieux de ma mère fixé sur moi, et qui me renvoyait bien involontairement à ma différence ». La carrière d’enseignant lui est fermée, car ancien tuberculeux.
Il fonde alors une famille et tente le saut dans l’inconnu pour redonner un sens à sa vie et couper radicalement avec le passé. Le 24 mai 1952, il part pour l’Afrique noire. Il travaille au Gabon comme responsable du personnel dans une exploitation de bois dans la forêt équatoriale, puis comme chargé des relations publiques dans l’aviation de brousse.
Près de trente ans plus tard, il revient en France où il retrouve ses amis. Au début des années 1980, ses amis ayant su le convaincre d’écrire ses souvenirs de déportation, il décide de témoigner. Dans son livre « Petite chronique de l’horreur ordinaire », écrit en à peine deux mois et publié en 1998, Jean Léger nous révèle l’horreur et la violence de son expérience concentrationnaire et propose une analyse du fonctionnement du système avec une étonnante distance et un réel talent d’auteur. Devenu témoin, il s’engage alors dans la voie du témoignage militant.
Pendant plus de 25 ans, il visitera les établissements scolaires pour porter son témoignage, à raison d’au moins six ou sept interventions par an, et donne également des conférences. Ce sont donc des centaines d’élèves qui l’ont rencontré. Les professeurs qui l’ont invité dans leur classe peuvent témoigner que tous les jeunes qui l’ont entendu dans les collèges et les lycées de l’Yonne se sont toujours montrés attentifs, impressionnés, passionnés par le récit mesuré et distancié de son expérience et se souviendront à coup sûr de leur rencontre avec lui. Il participe aussi au jury du Concours de la Résistance, et dans ce cadre, il a guidé des visites du camp du Struthof pour les lauréats du concours et leur professeur. Il milite activement au sein du milieu associatif des anciens résistants et déportés : à l’ANACR (Association nationale des anciens combattants de la Résistance), à la FNDIRP (Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes). Jean Léger était vice-président de la Commission départementale des anciens combattants, président de l’ADIF, l’association départementale des déportés, internés et familles de disparus. Il était aussi vice-président de l’ARORY et avait toujours manifesté son intérêt et son soutien sans faille à nos activités.
Avec Alfred Rondeau, avec Albert Fandard, ses aînés, avec ses camarades du lycée Jacques Amyot, avec Marc Bizot, fusillé à 20 ans, avec ses camarades sénonais, Maurice Berdou, Bernard Furet, Roger Rondeau, Roger Pruneau, Camille Fandard qui avaient tous son âge, avec une poignée d’autres, femmes et hommes, jeunes et moins jeunes, bourgeois, paysans, ouvriers, de gauche et de droite ou sans engagement politique, Jean Léger faisait partie de ceux, peu nombreux aux heures sombres du printemps 1943, qui se sont engagés dans une action dont les risques étaient énormes et dont l’issue était loin d’être certaine. Il y fallait du courage, et il fallait ancrer ce courage dans des convictions patriotiques et démocratiques profondes.
Avec le décès de Jean Léger, c’est un des principaux témoins de la résistance icaunaise et de la déportation qui vient de disparaitre.

L’ARORY

http://www.arory.com/index.php?id=12

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