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Jacques Berthelot : Pertes de recettes douanières liées à l’APE Afrique de l’Ouest

7 septembre 2014, 09:39, par Yonne Lautre

Le South Centre, organisme officiel d’études économiques des pays en développement situé à Genève, a évalué en mai 2014 les pertes annuelles de recettes douanières attendues de la mise en œuvre de l’Accord de partenariat économique (APE) régional entre l’Afrique de l’Ouest – composée des 15 Etats membres de la CEDEAO plus la Mauritanie – et l’UE, en distinguant les pertes annuelles en fonction des dates de libéralisation selon les catégories de produits : A pour les produits libéralisés 5 ans après le début de la mise en œuvre, B pour les produits libéralisés 15 ans après le début de la mise en œuvre et C pour les produits libéralisés 20 ans après le début de la mise en œuvre. La catégorie D correspond aux produits sensibles qui ne seraient pas libéralisés. L’ensemble des données et résultats, basés sur les importations venant de l’UE en 2012, ne sont pas disponibles mais le South Centre nous autorise à publier ceux qui suivent. Pour une meilleure compréhension à la fois pour l’UE et pour les pays de la zone franc de l’Afrique de l’Ouest, on a converti en euros les données du South Centre exprimées en dollars, sur la base du taux de change de 1,2848 dollar pour un euro en 2012.

Le tableau 1 montre que les résultats sont proprement affolants puisque les pertes annuelles de recettes douanières seraient de 746,7 millions d’€ pour les produits libéralisés après 5 ans, auxquelles s’ajouteraient 886,9 millions d’€ après 15 ans puis 238,8 millions d’€ après 20 ans, arrivant alors à une perte annuelle de 1,871 milliard d’€. Les produits non libéralisés permettraient de conserver des droits de douane de 950 millions d’€, soit une perte des deux tiers des droits de douane potentiels de 2,821 milliards d’€. Ces résultats ont été présentés aux négociateurs en chef de l’Afrique de l’Ouest en mai 2014, ce qui ne les a pas empêchés de parapher l’APE régional le 30 juin à Ouagadougou, paraphe confirmé par les Chefs d’Etat le 10 juillet à Accra.

Tableau 1 – Pertes de recettes douanières liées à l’APE Afrique de l’Ouest, en millions d’€

Libéralisation En 5 ans (2020)En 15 ans (2025)En 20 ans (2030)Pertes totales douanièresProduits non libéralisés
Catégorie A B C A+B+C D
Afrique de l’Ouest 745,718 886,893 238,796 1871,406 949,861
Non PMA 429,448 524,650 162,196 1116,296 494,295
’ en % du total 57,6% 59,2% 67,9% 59,7% 52%
Nigéria 281,642 380,848 92,096 754,585 248,088
Ghana 91,288 93,934 34,408 219,630 130,539
Côte d’Ivoire 48,138 38,957 28,193 115,289 82,891
Cap Vert 8,380 10,911 7,500 26,792 32,777
PMA 316,269 362,243 76,599 755,111 455,566
’ en % du total 42,4% 40,8% 32,1% 40,3% 48%
Sénégal 89,619 107,305 18,409 215,333 81,392
Mali 15,306 8,295 5,975 29,577 37,435
Togo 79,275 141,866 8,982 230,122 53,462

Source : South Centre, mai 2014

Pourtant ils auraient dû comparer ces 1,871 milliard d’€ de pertes aux 150 millions d’€ de droits de douane que les importateurs de l’UE des produits exportés en 2013 par les 3 pays non PMA (pays moins avancés) de la CEDEAO – Côte d’Ivoire, Ghana et Nigéria – auraient dû payer si l’APE régional n’était pas ratifié et que leurs importations s’étaient faites sous le régime du SPG (système de préférences généralisées). Pourtant la société civile de la CEDEAO a proposé de verser ces droits de douane aux exportateurs des 3 pays non PMA afin de maintenir leur compétitivité sur le marché de l’UE [1]. Le Cap Vert n’est plus un PMA mais est exempté de droits de douane au titre du régime SPG+.

Les 1,871 milliard d’€ de recettes douanières qui seraient perdues à partir de 2035 sont supérieures de 43,9% aux 1,3 milliard d’€ d’aides totales par an promises par l’UE au titre du PAPED – programme d’appui aux APE de 6,5 milliards d’€ sur 5 ans, qui regroupent la totalité des aides du 11è FED (Fonds européen de développement) plus d’autres ressources communautaires (y compris des prêts de la Banque européenne d’investissements) –, sans que ces promesses ne servent à compenser ces pertes douanières mais sont là pour les projets habituels financés par les FED précédents. Mais déjà les 746 millions d’€ de recettes perdues dès 2020 seraient égales à 57% des promesses du PAPED annuel.

Or ces promesses du PAPED n’engagent que ceux qui veulent bien y croire comme le montre un autre rapport du South Centre de septembre 2013 sur la déconvenue des pays du CARIFORUM qui avaient signé leur APE régional dès 2008 : ’Les pays du CARIFORUM ne reçoivent pas les soutiens financiers et techniques anticipés en 2008 pour la mise ne œuvre de l’APE quand l’accord a été signé. L’aide financière reçue jusqu’à présent est inadéquate pour l’objectif de la mise en œuvre de l’APE [2].

La deuxième conclusion tirée de cette analyse du South Centre est que, contrairement aux allégations que la Commission européenne aurait accepté de limiter le taux d’ouverture de l’Afrique de l’Ouest à 75% de ses exportations – à la demande du Danemark, de la France, de l’Irlande, des Pays-Bas et du Royaume-Uni – est que ces 75% ne portent que sur le total des lignes tarifaires alors que le taux d’ouverture en termes de valeur des importations de l’Afrique de l’Ouest venant de l’UE serait de 82%, avec de fortes différences d’un pays à l’autre comme le montre le tableau 2, toujours sur la base des importations de 2012.

Tableau 2 – Taux d’ouverture de l’Afrique de l’Ouest aux exportations de l’UE en valeur dans l’APE

TogoSénégalNigériaMoyennePMAGhanaCôte d’Ivoire
91,8% 86,1% 85,9% 82% 80,7% 80,4% 75,3%

Source : South Centre, mai 2014

Une troisième conclusion tirée de l’analyse du South Centre est que, aux pertes de recettes portant sur les droits de douane à l’importation des produits venant de l’UE s’ajouteraient des pertes de recettes douanières portant sur les taxes à l’exportation. L’article 13 de l’APE (selon le texte de février 2014 car celui paraphé en juillet n’est pas encore connu) dispose en effet : ’Aucune nouvelle taxe à l’exportation ou charge à effet correspondant ne sera introduite, ni celles déjà en œuvre ne seront augmentées en ce qui concerne les échanges entre les parties, à partir de la date de mise en œuvre de cet accord’. Or la plupart des Etats de l’Afrique de l’Ouest prélèvent des taxes sur leurs plus importants produits d’exportation, notamment sur les hydrocarbures, le cacao, le coton, les noix de cajou (pour lesquelles ces taxes représentent 40% des recettes fiscales de Guinée-Bissau), les bovins, le bois, les métaux précieux… Interdire de nouvelles taxes à l’exportation et la hausse de celles existantes signifie qu’il ne sera pas possible de compenser les pertes de recettes sur les droits à l’importation. C’est condamner l’Afrique de l’Ouest à réduire les budgets déjà très faibles portant sur l’éducation, la santé, l’agriculture et les infrastructures. Ce qui montre que les APE ne sont pas de simples accords commerciaux mais des accords mixtes nécessitant la ratification par les Parlements nationaux de l’UE.

[1Droits de douane du SPG sur les exportations de la Côte d’Ivoire, du Ghana et du Nigéria vers l’UE si l’APE régional n’est pas ratifié, Solidarité, 16 août 2014, http://www.solidarite.asso.fr/Articles-de-2014,684

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