Réponse de ADRET-MORVAN à Monsieur Jean-Yves CAULLET
(Lire ou relire l’entretien que Mr Jean-Yves Caullet a accordé à Yonne Lautre le 20 octobre 2014, entretien qui traitait des questions de la forêt).
1. La coupe à blanc, une méthode de gestion forestière durable ?
La coupe rase est un véritable choc environnemental par la destruction massive de l’habitat et la dégradation occasionnée aux sols et à la qualité de l’eau [1] . La coupe rase détruit l’équilibre forestier qui mettra des dizaines d’années, voire des siècles dans certains cas, à se reconstituer.
La coupe à blanc, il faut en être conscient, provoque aussi une libération massive de carbone...
A ce titre, la coupe rase ne peut pas être considérée
comme une méthode de gestion forestière [2].
Contrairement à ce que soutient Monsieur Jean-Yves Caullet, nous pensons que la coupe rase, dans le Morvan, n’est pas une fatalité, et ce pour deux raisons :
- Les plantations de résineux auxquelles monsieur Jean-Yves Caullet fait allusion ne sont pas arrivées à maturité [3] mais à un stade où la régénération naturelle (et diversifiée) est possible. Par ailleurs, au vu de la pression sur la ressource, les rotations sont de plus en plus courtes, ce qui conduit, après un non sens environnemental, à un non sens économique.
- Les coupes rases qui nous « émeuvent » (sic) concernent les feuillus : Tous les jours, été comme hiver, des dizaines d’hectares de forêts naturelles de feuillus sont coupées à blanc pour faire place à de nouvelles plantations de résineux [4]. Ces forêts, riches en biodiversité, denses, équilibrées, sont ainsi remplacées par une culture intensive d’arbres [5], sans réelle valeur en eux-mêmes (voir les débouchés du douglas élevé en Morvan : papier, carton, bois aggloméré, bois énergie et finalement très peu pour la construction).
Ces forêts de feuillus, qui ont manqué de suivi sylvicole ces dernières décennies, sont réputées inadaptées à la demande des marchés d’aujourd’hui et donc peu rentables. Cet argument ne tient pas, même en acceptant de réduire la forêt à une vulgaire marchandise, car elle a gardé la mémoire et la qualité de ses sols et une réorientation est parfaitement possible (vers le chêne comme cela a été le cas par exemple)... si toutefois on voulait bien raisonner en fonction du temps de la forêt et non de celui de l’investissement boursier. De nombreux exploitants responsables ont d’ailleurs démontré que cette gestion là est tout aussi rentable à moyen terme... et l’est beaucoup plus à long terme.
2. La mono-culture : pourquoi il est urgent de distinguer plantation et forêt
Monsieur Jean-Yves Caullet ne nous rassure pas en affirmant que la forêt progresse.
Ce qui progresse, c’est la plantation, c’est à dire une culture d’arbres, de la même essence, en ligne, exploitée dans le sens de la pente, le plus souvent à rotation courte. Cette méthode d’exploitation s’apparente à la culture industrielle de céréales, avec le même cortège de dommages environnementaux (appauvrissement, érosion et pollution des sols, dégradation de la ressource en eau, pertes graves en biodiversité, bilan carbone discutable, etc).
La coupe à blanc porte une grave atteinte à la forêt et à son écosystème, le changement d’affectation des sols vers la plantation détruit définitivement la forêt et son écosystème... et contribue au réchauffement climatique [6] .
La destruction de l’écosystème de la forêt a également un impact économique puisque le déséquilibre forestier entraîne une perte de productivité et une dépendance aux engrais [7], aux pesticides – insecticides, herbicides et fongicides [8]. Une station d’étude de l’INRA, basée à Saint Brisson, à côté de la Maison du Parc Naturel du Morvan, étudie déjà les intrants « qui seront nécessaires à la pérennisation du douglas » (sic).
Dans le Limousin, où la mono-culture de résineux a un peu d’avance sur nous, les jeunes plants sont mis en terre avec des granules d’insecticides à libération lente qui détruisent également, au passage, des insectes non cibles... comme les abeilles.
Monsieur Jean-Yves Caullet ne nous rassure pas non plus en présentant la forêt comme sous-exploitée : la France est le pays européen au plus faible taux de bois sur pied [9]. Comme Monsieur Jean-Yves Caullet le souligne lui-même, nous avons des prétendues réserves de bois qui ne sont pas exploitées (difficultés d’accès, essences peu commercialisables, espaces protégés...), et ce qu’il ne dit pas, c’est que la pression est d’autant plus forte sur les autres forêts, et en particulier celles du centre et du centre-est. Certaines de ces forêts sont actuellement littéralement siphonnées, en particulier de leurs chênes, exploités pour beaucoup d’entre eux bien avant leur maturité, et les forêts communales d’Avallon n’échappent pas à cette dérive économique. Mais nous y gagnons que la Bourgogne est l’un des plus gros exportateur européen de chênes (reste à savoir pour combien de temps).
3. Le résineux en mono-culture : un désastre environnemental... et économique
La coupe rase et la mono-culture ne sont ni des méthodes de gestion forestière acceptables, ni des méthodes durables, et elles le sont encore moins quand la ou les essences cibles sont exclusivement résineuses.
Cette mono-culture de résineux a des conséquences lourdes sur la qualité des sols, de l’eau et sur la biodiversité.
Appauvrissement des sols (humus) :
Lorsque les feuilles des arbres meurent et rejoignent la litière de la forêt, elles subissent l’action des micro-organismes [10], qui se chargent de remobiliser leurs éléments de base (dont le carbone). Les feuillus (en particulier l’aulne, le frêne et le charme) donnent des litières améliorantes. La plupart des résineux créent des litières acidifiantes à décomposition très lente et qui ne génèrent pas d’activité biologique suffisante pour permettre la création d’un humus de qualité. Au fil des années, cette litière acide se compacte sur le sol et finit par le stériliser. Ce qui explique que d’un point de vue autant environnemental qu’économique, le résineux ne peut exister / produire valablement qu’en forêt mélangée [11].
Eau :
Le résineux est un gros consommateur mais aussi un gaspilleur d’eau : les pluies d’automne et d’hiver (celles qui réalimentent les nappes phréatiques) sont retenues au passage par la couverture dense des résineux et une grande partie de cette eau s’évapore avant de toucher le sol.
La perte en humus, véritable éponge régulatrice, et l’acidification du sol forestier, qui agit comme un filtre, entraîne une dégradation de la ressource et de la qualité de l’eau [12]. Cette très mauvaise gestion du sol a également pour conséquence de porter atteinte à la biodiversité des cours d’eau (régulation, acidification, d’autant plus prégnante que les résineux bordent le cours d’eau) et favorise indirectement les inondations en aval.
L’enjeu est de taille : l’eau potable provient à 80% de la forêt et c’est elle notre meilleur filtre.
Biodiversité :
Les conséquences d’un enrésinement intensif pèsent également sur la faune et sur la flore. La disparition de l’humus et de sa microflore, la modification des conditions d’éclairement et du régime hydrique des sols, ainsi que la disparition de l’habitat (sous-bois arbustifs, arbres sénescents, et tout simplement feuillus) entraînent une raréfaction des espèces animales et végétales. Même si des espèces nouvelles apparaissent sous les résineux (à condition qu’on les laisse s’installer, ce qui n’est pas le cas dans les plantations à rotation du Morvan), la faune et la flore des « forêts » de résineux est beaucoup moins riche et diversifiée que celle des forêts mélangées.
Tous ces éléments constituent le patrimoine forestier, gage d’une bonne qualité environnementale mais aussi de la capacité productive de la forêt.
On perd trop souvent de vue que la viabilité économique de la forêt est conditionnée par son équilibre biologique.
Nous ne voyons, comme le rappelle Monsieur Jean-Yves Caullet, que « peu de forêt » dans notre existence, mais nous pouvons dès à présent adapter nos méthodes de sylviculture afin de préserver le patrimoine forestier :
Cesser les coupes à blanc qui sont une impasse autant environnementale qu’économique, régénérer et diversifier naturellement les plantations, réorienter les forêts de feuillus, et les mélanger quand la station le permet, plutôt que de les détruire.
4. Et le réchauffement climatique (carbone) ?
Nous voyons cet aspect de la question forestière sous un angle un peu plus diversifié que Monsieur Jean-Yves Caullet qui se contente de voir à adapter plus ou moins les plantations aux modifications climatiques annoncées.
Nous préférons parler du rôle de la forêt et de sa résilience.
Outre le fait que la forêt naturelle participe à la régulation du climat, elle joue un rôle important dans la stockage du carbone. Mais le fait de ne considérer que le carbone circulant falsifie le calcul. C’est oublier que la part importante du carbone stocké dans une forêt n’est pas le carbone circulant mais le carbone immobilisé et que plus la forêt est dense et diversifiée, plus son écosystème est équilibré, plus elle va stocker du carbone, y compris dans le sol, et plus ce carbone sera recyclé par la vie organique.
La plantation, a fortiori de type mono-culture, a fortiori en essence cible résineuse, de part sa pauvreté, de part la mauvaise qualité de ses sols, est très loin de rendre le même service. Quand cette plantation fait suite à une coupe rase, on comprend aisément que le bilan carbone de l’opération est désastreux.
Par ailleurs, seule la forêt naturelle, en équilibre avec le climat et avec la station, aura la capacité d’évoluer (éventuellement avec une orientation sylvicole douce) et de s’adapter au changement climatique. Seule la forêt naturelle, par sa diversité, par sa richesse biologique, par la mémoire et la qualité de ses sols, sera résiliente aux événements climatiques [13].
Il nous apparaît de ce fait que le meilleur outil face au dérèglement climatique est de préserver la forêt naturelle, et d’assurer ainsi plus certainement sa pérennité économique.
5. L’industrialisation de la forêt et la taille des entreprises de sciage (impacts sur l’emploi, sur le développement de la filière locale, sur la forêt)
Nous sommes en accord avec l’analyse de Monsieur Jean-Yves Caullet sur l’inadéquation entre le temps de l’industrie et le temps de la forêt, et nous pensons que la pression des groupes industriels, qui zappent d’une zone d’approvisionnement à une autre, voire même d’une ressource à une autre, n’est pas acceptable sur la forêt [14].
L’industrialisation de notre forêt, qui se fait sur le modèle et avec le matériel du nord de l’Europe, conduit non pas à optimiser notre exploitation mais à transformer nos forêts en zone de production de résineux calibrés selon ce modèle unique [15]... et qui sont loin d’avoir la même qualité car le climat et les sols ne sont pas les mêmes.
La course à la sur-mécanisation du travail forestier conduit à la destruction des sols, quelques soient les précautions prises sur le papier. La loi récemment votée sur l’avenir de la forêt, tout en reconnaissant la multifonctionnalité de la forêt, l’importance et la fragilité de ses sols, n’est pas parvenue à limiter significativement le poids des engins forestiers qui avoisinent souvent les 40 tonnes...
L’industrialisation de la forêt n’est pas non plus une chance pour le développement économique local. Plus une forêt est industrialisée, plus elle est standardisée et mécanisée, moins elle crée d’emploi, moins elle transforme sur place, moins les emplois sont qualifiés, et plus ils sont sous-traités (le plus souvent à des sociétés étrangères qui importent du personnel low-cost... légalement ou non).
L’industrialisation de la forêt conduit à l’industrialisation des scieries, et donc à la disparition des petites scieries locales qui créent pourtant trois fois plus d’emploi au m3 traité qu’une grosse unité, et surtout qui sont plus à même de traiter les feuillus et les grumes d’une certaine importance.
Pire encore, l’implantation d’une grosse scierie industrielle va formater peu à peu la forêt à son image, c’est à dire à ses besoins. Son fort pouvoir d’achat, en particulier lorsqu’elle est équipée d’une co-génération subventionnée, va la placer, par élimination progressive de la petite concurrence locale, en situation de monopole et donc au final en situation de régler la production ainsi que le prix du bois.
C’est exactement ce qui s’est passé à Wielsam, en Belgique, avec IBV, la maison mère de Erscia, et c’est exactement ce que nous ne voulions pas pour le Morvan, la récente installation de la scierie industrielle-cogénération Fruytier à La Roche en Brénil (Côte d’Or, en limite de Morvan) exerçant déjà à elle seule une trop forte pression sur la forêt et sur la filière locale.
Nous remercions Monsieur Jean-Yves Caullet de nous reconnaître, d’avoir, les premiers, alerté sur le problème de la ressource, et de la compétition d’usage.
Mais notre opposition à l’installation d’Erscia ne se limite pas à une question d’exploitation de la forêt, ou d’un choix de site contestable (destruction d’une zone humide hébergeant des espèces protégées, pollution de l’eau, manque d’accessibilité...). Il s’agissait également et surtout d’implanter un incinérateur, et d’exporter en Belgique des plaquettes bois-énergie pour une production d’électricité subventionnée.
Nous avons déjà démontré le peu de sérieux des contrôles de la DREAL sur ce projet, le peu de crédibilité à accorder aux promesses d’emploi, et les vraies réalités de la pollution à attendre d’une telle installation.
6. Que penser du bois-énergie ?
Force est de constater, même en se gardant de stigmatiser les gros industriels comme Monsieur Jean-Yves Caullet nous y invite, que la bonne idée du bois-énergie a été dévoyée et qu’elle conduit à des excès plus que préoccupants, tant pour la forêt, que pour le réchauffement climatique [16].
On peut accepter sur le principe une production de chaleur distribuée localement, et qui utilise réellement les produits non exploitables de la forêt, ainsi que les sous-produits de la transformation. Le problème, c’est que cela conduit, même à petite échelle, d’une part, à accaparer le bois de chauffage et ainsi à paupériser les populations locales, et d’autre part, à siphonner encore un peu plus les forêts de leurs bois qui ne seraient pas de qualité, et qui sont pourtant indispensables au bon équilibre forestier. Les sous-bois, et en zone humide, les aulnes, les frênes, les trembles... payent un lourd tribut à cette énergie.
Le développement industriel du bois-énergie, largement subventionné au titre de l’électricité « verte » est une aberration autant d’un point de vue environnemental qu’économique.
Des rapports scientifiques émanant d’organisations indépendantes, voire de collectifs de scientifiques, prouvent que les centrales biomasses de capacité supérieure à 8 MW vont a l’opposé des résultats recherchés, à savoir un moindre impact écologique.
Le rendement des installations est en général de l’ordre de 25%, la pollution engendrée sous-évaluée [17], la ressource sur-évaluée [18], et le bilan carbone franchement négatif [19].
Cette production d’électricité « verte » par biomasse bois met en danger la forêt mondiale, soit par déforestation pure et simple, soit en la remplaçant par une « nouvelle forêt » plus adaptée, à savoir une plantation industrialisée [20].
Quand on sait que ces installations ne sont économiquement rentables que du fait des subventions et autres certificats verts (financés par le contribuable, faut-il le rappeler ?), cela laisse un peu rêveur...
7. En conclusion, que dire de la forêt du Morvan ?
Très sincèrement, nous pensons que le Morvan est loin d’être le Parc Naturel vanté par nos élus, et nous pensons que la conversion programmée de la forêt naturelle du Morvan en zone de production résineuse détruit cette région autant d’un point de vue environnemental qu’économique.
Les dégradations (environnement, eau, sols, état des chemins et des routes, disparition des petites scieries, impacts sur le tourisme, l’élevage, paupérisation des habitants etc etc) sont locales, les bénéfices sont réalisés le plus souvent hors région si ce n’est à l’étranger, en Belgique et au Luxembourg notamment...
Extrait de l’Echo des Adrets n° 3 (juillet 2013) :
« La haute administration française et les politiques ne considèrent la forêt que comme une ressource qu’il faut impérativement exploiter au plus vite en vue de réduire le déficit commercial.
Pourtant, la gestion durable de la forêt est une priorité si l’on ne veut pas reproduire les erreurs du passé et transmettre, en plus de nos dettes sociales et fiscales, des dettes écologiques à nos enfants.
Le Morvan n’est pas que le biotope d’animaux protégés, c’est aussi et surtout notre écosystème ».