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"Le mythe de la carbone-neutralité de la biomasse" par Nicholas Bell

Les centrales à biomasse émettent plus de CO2 que les centrales à charbon.

Le rapport « De biomasse à…biomascarade » publié par Greenpeace Canada en 2011 démonte l’argument largement relayé par l’industrie et par certains gouvernements que « la combustion de biomasse est bonne pour le climat parce qu’elle est carbone-neutre, c’est-à-dire que ses émissions de gaz à effet de serre (GES) sont nulles ».

Pour Greenpeace, « la combustion de biomasse émet d’immenses quantités de CO2 tandis que l’extraction de biomasse perturbe les réserves forestières de carbone. La bioénergie forestière entraîne des conséquences climatiques sur des décennies, voire plus d’un siècle après la combustion, jusqu’à ce que le carbone émis soit recapté. »

Extrait du rapport :

La combustion du bois émet beaucoup de gaz carbonique. Chaque tonne de bois brûlé (à une humidité de 45 %) émet en général une tonne de CO2 . Aux États-Unis, il a été démontré que les centrales électriques à la biomasse actuelles émettent jusqu’à 150% de plus de CO2 que si elles brûlaient du charbon et 400 % plus de CO2 que si elles carburaient au gaz naturel [1].

Même dans les centrales de cogénération, où la chaleur générée par la biomasse remplace celle qui provenait de combustibles fossiles, jusqu’à 200 % plus de carbone est relâché en moyenne en comparaison à une même quantité d’électricité et de chaleur dérivée du gaz naturel. Il est à noter que ces mesures sont prises à la cheminée et que les émissions peuvent grandement varier selon les technologies employées. Un nouveau rapport du Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat (GIEC) montre que de nouveaux processus plus efficaces peuvent réduire significativement les émissions de GES à la cheminée.

Au Canada, selon les centrales électriques de biomasse elles-mêmes, les émissions moyennes à la source pour les petites centrales (15-30MW) sont en moyenne de 269 000 tonnes de CO2 par centrale par année, l’équivalent de l’ajout de 67 500 voitures au parc automobile canadien. Cependant, les gouvernements et les promoteurs de la biomasse répliquent que la combustion du bois est « carboneutre » parce que les arbres repousseront et refixeront éventuellement le carbone émis pendant la combustion. Également, certains ajoutent que le carbone stocké dans la biomasse aurait été émis de toute façon à travers la décomposition. Ainsi, les gouvernements provinciaux et le Canada ne comptabilisent pas ces émissions de GES provenant de la bioénergie en assumant le simple concept de « carboneutralité ». Les émissions de GES ne sont pas incluses dans le total de l’Inventaire national sur les GES mais font plutôt l’objet d’un mémo en annexe.

Cette méthodologie a pour résultat que des émissions de l’ordre de 40 mégatonnes par année, c’est-à-dire l’équivalent de toutes les émissions du parc automobile canadien en 2009, sont littéralement cachées par nos gouvernements. Le concept « carboneutre » entraîne selon plusieurs chercheurs une importante erreur de comptabilité du carbone et un nombre croissant d’études reconnaît l’inexactitude de la « carboneutralité » et l’urgence d’en corriger les nombreuses failles puisque :

1. Les arbres qui sont coupés auraient continué à capter du carbone de l’atmosphère pendant plusieurs années si laissés debout. La coupe et l’extraction de biomasse court-circuitent le cycle du carbone.

2. Il faut plusieurs décennies, même des siècles, pour que les forêts se régénèrent et recapturent le CO2 qui a été relâché d’un seul coup lors de la combustion. L’importance de ce délai de recapture est souligné par les nouveaux travaux du GIEC sur les énergies renouvelables.

3. Les émissions indirectes en provenance de la récolte de biomasse forestière (l’érosion, la décomposition accélérée, etc.) réduisent encore plus les réservoirs forestiers de carbone, tandis que les pertes en nutriments et en carbone ralentissent la régénération.

4. Le carbone de la biomasse forestière reste dans les forêts intactes pendant des décennies, même pendant la décomposition. Une grande partie de ce carbone est recyclée dans le sol, ce qui permet à la prochaine génération d’arbres de mieux séquestrer le carbone de l’air, alors que le reste est relâché très lentement.

5. De grandes quantités d’énergies sont nécessaires pour extraire, transformer, sécher et transportera biomasse, ce qui ajoute à l’empreinte climatique globale de la bioénergie forestière.

 Urgence de réajuster les politiques selon la science la plus récente

Comme Johnson (2009) l’a fait remarquer, récolter des forêts entières pour les brûler à des fins énergétiques, sans tenir compte de quelque émission que ce soit, est absurde et ignore un grand contentieux de littérature scientifique. Déjà dans les années 90, plusieurs articles décrivaient des méthodes et des cadres spécifiques pour comptabiliser le carbone émis par la production de bioénergie forestière. Suivre les variations des stocks forestiers dans les scénarios de comptabilisation de carbone, actuellement complètement négligées parce que considérées « carboneutres », est la méthode qui devrait être privilégiée. La recherche récente montre comment inclure ces stocks forestiers de carbone dans les scénarios de comptabilisation et les agences gouvernementales doivent au plus vite montrer la voie et cesser d’utiliser le faux concept de « carboneutralité ».

Les provinces canadiennes devraient s’inspirer de l’État du Massachusetts qui a confié, en 2009 au Centre Manomet pour les sciences de la conservation, le mandat de produire une analyse de l’empreinte climatique de la biomasse et d’évaluer des normes potentielles pour les émissions de carbone biogénique. Après avoir découvert que les émissions de GES de la biomasse pour l’électricité seraient pires que de continuer à brûler du charbon pendant plusieurs décennies, l’État a proposé de nouveaux règlements qui restreindront l’éligibilité des installations énergétiques de biomasse à des crédits d’énergie renouvelable.

La comptabilisation par le gouvernement canadien des émissions de GES provenant de la foresterie, de la bioénergie et de l’extraction de la biomasse forestière est un échec. La méthodologie utilisée ignore le délais de recapture du carbone et la dette de carbone encourue par la production d’énergie provenant la forêt, ce qui va à l’encontre des prises de position scientifiques et bénéficient aux pollueurs tout en encourageant la diminution drastique des réservoirs de carbone forestiers. Pour s’attaquer aux changements climatiques, l’humanité ne dispose pas de décennies ou de siècles en réserve. Il est crucial de réduire immédiatement les émissions de GES. Retarder ces réductions en attendant que les arbres repoussent constitue une façon irresponsable de faire face à la crise climatique actuelle.

 Biomasse boréale : le pire scénario possible

La forêt boréale joue déjà un rôle précieux pour faire face globalement aux changements climatiques en séquestrant et en gardant en réserve des quantités énormes de carbone. La biomasse extraite de cet entrepôt de carbone constitue l’un des pires approvisionnements sur la planète dû à :

  • La faible productivité et la repousse lente de la forêt boréale résultant du climat froid et d’un enneigement prolongé ;
  • Au fait que la forêt boréale est l’un des plus vastes réservoirs terrestres de carbone au monde et la plus grande partie de ce carbone s’accumule dans ses sols fragiles ;
  • Les faibles taux de décomposition en forêt boréale ;
  • La coupe traditionnelle impose déjà une grosse empreinte environnementale en forêt boréale, avec la plus grande partie des récoltes dans les paysages forestiers intacts.

L’extraction de biomasse en forêt boréale, que ce soit parla collecte de débris de bois laissés après la coupe ou la récolte d’arbres debout, diminuera les réserves forestières de carbone et intensifiera de façon dramatique la quantité de carbone émis dans l’atmosphère lors de la combustion. Ce carbone serait autrement demeuré en forêt pour des siècles au lieu d’être relâché d’un coup.

 Le mythe de la carbone-neutralité dénoncé par de grands journaux et par la Maison Blanche !

Suite à un grand travail d’information et de dénonciation mené par des organisations américaines comme la Dogwood Alliance, de grands articles ont été publiés en juin 2015 dans des journaux britanniques et américains à grand tirage, comme le Mail on Sunday et le Washington Post. Le Mail on Sunday dénonce le fait qu’un milliard de livres a été promis à des entreprises comme Drax pour des mégacentrales qui auront un impact catastrophique sur le climat.. Il précise que la conversion de l’énorme centrale de Drax de charbon à biomasse augmentera les émissions à effet de serre.

Il semble que des fonctionnaires du ministère à Londres et à la Commission Européenne ont également pris note des avertissements des Américains lors de leur tournée en Europe en février. Encore plus surprenant, dans un « policy statement », une déclaration de politique en juin 2015, la Maison Blanche a clairement rejeté la notion que la combustion de biomasse issue de forêts soit « carbon-neutral », ait donc aucun imùpact sur les émissions à effet de serre. Au contraire, elle reprend les arguments de l’Alliance Dogwood, que les centrales à biomasse émettent plus de CO2 que les centrales à charbon.

L’article du Mail on Sunday nous apporte une information qui aide à expliquer comment des entreprises comme Drax ont réussi à obtenir un tel soutien financier et politique de la part du gouvernement britannique. L’ancien Ministre de l’Energie, Chris Huhne, qui a été l’un des architectes de cette politique est entretemps devenu le directeur européen d’une entreprise américaine de pellets qui cherche à pénétrer sur le marché britannique. En même temps, Drax vient de nommer un certain Paul Hodgson comme conseiller en communication avec l’objectif d’expliquer au public les avantages de la biomasse. Ce Monsieur Hodgson travaillait auparavant pour le Ministère britannique de l’Energie et du Climat.

Un dernier mot par rapport à la centrale à biomasse que l’entreprise allemande E.On est en train de mettre en place à Gardanne. Cette centrale devrait fonctionner avec des plaquettes de bois et non pas des pellets. Même si une grande partie de ce combustible sera importée il est probable qu’elle ne proviendra pas de l’Amérique du Nord, qui s’est spécialisée dans la fabrication de pellets. Par contre, la mégacentrale à biomasse d’E.On au Royaume Uni achète effectivement des pellets de l’entreprise Enviva dont Scot Quaranda nous a parlé.

Il reste à voir jusqu’à quel point les gouvernements européens et Bruxelles réviseront leur politique suite à toutes ces révélations. Il semble qu’ils se sont déjà tellement engagés à fournir des subventions à des entreprises comme Drax et E.On qu’il sera très compliqué de faire marche arrière. C’est en tout cas l’impression que nous avons par rapport à la centrale à Gardanne. La grande majorité des experts admettent qu’il s’agit d’un projet aberrant mais personne n’ose l’arrêter.


Photos de la rédaction


[1Évidemment, ces comparaisons sont présentées comme références et n’impliquent pas que le charbon ou le gaz naturel soient de meilleures solutions à la crise du climat. Cependant, bien que l’élimination du charbon soit prioritaire, le remplacer par la biomasse ne peut être présenté comme une meilleure solution climatique à cause des émissions de CO2 plus élevées par unité de production d’énergie. Greenpeace défend une diminution drastique de tous les combustibles fossiles dans ses scénarios de la [R]évolution énergétique.

Par Bell Nicholas

Le lundi 26 octobre 2020

Mis à jour le 27 juillet 2023