16 janvier 2018 Maladies & Cancers professionnels en Europe : une hécatombe ouvrière
Environ 1,3 millions d’Européen.ne.s meurent chaque année du cancer. L’Institut syndical européen vient de publier un remarquable rapport1 qui évalue en détail la responsabilité du travail dans ces décès. Au total, les cancers d’origine professionnelle, c’est-à-dire causés par des facteurs de risque rencontrés pendant le travail, représentent entre 8 et 12% du total, selon le bilan des estimations scientifiques officielles, probablement sous-évaluées. C’est-à-dire au moins 130 000 morts par an à cause de la négligence patronale et des lacunes de la prévention.
Ce seul chiffre devrait susciter un scandale continental. 130 000 décès évitables, dûs à des produits parfaitement identifiés : les gaz d’échappement diesel, le travail de nuit, les poussières de bois, les fumées de soudage, les huiles minérales, la silice, l’amiante… Autant de nuisances dont on sait exactement comment protéger les travailleurs, avec des protections individuelles (masques, gants…), collectives (ventilation, captation à la source, etc) et des politiques de substitution (remplacer un produit dangereux par un inoffensif).
Le scandale vient du fait que ces décès sont pour la plupart parfaitement évitables. Le travail de nuit est un facteur prouvé de cancer du sein : admettons qu’on ne peut l’éliminer dans la police ou les hôpitaux, mais pourquoi est-ce dans l’industrie qu’il s’est le plus développé au cours des récentes décennies, en particulier pour les femmes ? Pour répondre à la logique du profit, évidemment. Surtout, pour la plupart des produits il existe des outils de prévention efficace : seules l’ignorance des employeurs et/ou leur refus de financer les équipements nécessaires peuvent expliquer ce massacre permanent.
Le scandale est encore plus grand à cause de colossales inégalités. On sait que les ouvriers en paient presque à eux seul le prix : en France ils représentent 23% des salariés mais 70% des salariés exposés à des agents cancérogènes. Autrement dit, il y a fort à parier que plus des deux-tiers des 130 000 victimes annuelles sont des ouvriers. C’est objectivement scandaleux mais suscite moins d’indignation médiatique que s’il s’agissait de cadres, de professeurs universitaires ou de journalistes.
Une réserve toutefois : pourquoi mettre en avant des coûts monétaires exorbitants mais qui n’ont guère de sens ? Selon l’ETUI, « la facture se monte entre 270 et 610 milliards d’euros chaque année, ce qui représente de 1,8 % à 4,1 % du produit intérieur brut de l’Union européenne ». Mais pour l’essentiel (à 90%) ces chiffres résultent du nombre de morts multiplié par une soi-disant valeur monétaire de la vie humaine, fixée par des calculs économiques douteux à 4 millions d’euros. Pourquoi communiquer sur une « facture de 610 milliards » autant voire même davantage que sur une hécatombe de 130 000 morts ? Quel intérêt de valider cette très contestable monétarisation de la vie humaine2 ? Les salarié.e.s et citoyen.ne.s se mobiliseront plus facilement en défense de la vie que pour économiser des milliards.
Thomas Coutrot, économiste, membre d’Attac
1 « The cost of occupational cancer in the EU 28 », https://www.etui.org/fr/Themes/Sante-et-securite/Actualites/Les-cancers-professionnels-dans-l-Union-europeenne-coutent-chaque-annee-entre-270-et-610-milliards-d-euros