L’Éducation populaire est née à la fin du XIXe siècle et le développement
durable à la fin du XXe.
Aujourd’hui, les deux mouvements se rencontrent et se fécondent
mutuellement, comme l’a montré le séminaire organisé par l’ASTS et « les MJC
en Ile-de-France, fédération régionale », le 3 octobre à la Cité
Internationale, avec le soutien de l’Iforep.
« L’éducation populaire et le développement durable ont un point commun :
l’humanisme. » C’est dans cette même préoccupation de l’Homme, de sa place
dans la société, dans ses dimensions sociales et culturelles, que Georges
Gontcharoff, conseiller à la rédaction de la revue Territoires, lie un
mouvement et un concept, nés quasiment à un siècle de distance. C’est à ce
rapprochement qu’était consacré un séminaire sur le thème Éducation
populaire et développement durable (1). « Nous sommes convaincus que le
développement durable, d’une part, et la citoyenneté et la démocratie locale
d’autre part, sont les deux faces d’une même réalité que l’on aurait tort de
vouloir traiter différemment », souligne François Hannoyer, directeur de
l’ADELS.
Le développement durable est une question brûlante au sens propre du terme,
rappelle Jean-Paul Deléage, directeur de la revue Écologie et politique :
« Tous les spécialistes qui nous alertent depuis plusieurs années sur le
changement climatique disent désormais que ce qu’ils prévoyaient pour 2100,
arriverait dès 2020/2025 ». Pour trancher le nœud gordien de toutes ces
questions « insoutenables » (2), - au sens propre du terme - il est donc
nécessaire à ses yeux que « les citoyens en fassent l’un des enjeux centraux
de l’action politique ».
La recherche d’une nouvelle jeunesse
Or, « les gens veulent jouer un rôle », analyse Paul Brouzeng. « La dimension
scientifique et technique de ces problèmes est incontournable. Et la
médiation scientifique permet que les gens se forgent des idées rationnelles
et lucides. Les membres de la communauté scientifique apportant des éléments
de réponse qui leur permettent de construire leurs choix. » L’une des clés en
serait donc l’éducation populaire, qui pourrait trouver dans le
développement durable « une dynamique », comme le considère Jean-Marc Brûlé,
conseiller régional (Verts) d’Ile-de-France.
Du pain béni pour un mouvement « à la recherche d’une nouvelle jeunesse »,
remarque malicieusement l’historienne Françoise Tétard. En effet, la notion
de développement durable date d’une trentaine d’années, alors que
l’Éducation populaire est née à la fin du XIXe siècle, dans la foulée de la
création des Bourses du Travail, des premières mutuelles, etc. Certes,
note-t-elle, ce mouvement a été traversé, notamment depuis la fin de la
seconde guerre mondiale, par les nombreuses évolutions économiques, sociales
et politiques qu’a connues la société. Pendant les années 1950, les ménages
s’équipaient massivement en réfrigérateurs, télévision, etc., profitant,
souligne Françoise Tétard d’un « budget qui augmentait alors chaque année ».
1958, voit un autre tournant avec une mutation du politique et l’émergence
de notions aujourd’hui oubliées, comme « l’autogestion ». Au cours des années
1960, tout « s’accélère ». « Cela rend les gens inadaptés et les plus inadaptés
ce sont les jeunes », était-il noté dans l’introduction du IVe Plan
(1962-1966). C’est à cette époque que naît « l’animateur, cet être secrété
par les temps modernes », remarque Françoise Tétard.
« Jamais, il n’y a eu autant de bénévoles »
Celle-ci formule l’hypothèse qu’« une bascule se serait produite au cours des
années 1970 ». La loi de 1971 sur la formation permanente, qui traduit le
fait que les salariés devront changer de métier au cours de leur vie
professionnelle, et la crise pétrolière de 1974 marqueraient cette rupture.
Mais, remarque-t-elle, à cette époque l’Éducation populaire est absente de
ces mutations. « Elle est toujours installée dans la croissance et la"
promotion de l’individu " », alors que le chômage devient massif. Reste que
les mouvements associatifs loi 1901, à la fin de cette période, retrouveront
une nouvelle vitalité ; on pourra parler à ce propos d’un véritable « boom ».
Cette flamme n’est pas retombée aujourd’hui si l’on en croit l’enquête menée
par la sociologue Sandrine Nicourd (3) auprès de militants et de bénévoles
d’associations. « De nouveau, des associations contestataires se développent,
observe-t-elle, et jamais il n’y a eu autant de bénévoles. » Son étude lui a
permis de trouver quatre ressorts puissants qui fondent l’engagement des
individus. Le premier est que cela permet de « trouver un sens pour les
autres, d’être utile socialement et donc d’être reconnu comme utile. » Le
deuxième, « construire un sens avec les autres » traduit le besoin de
sociabilité, mais aussi celui de construire dans le travail. Le troisième,
« trouver un sens pour soi », traduit les raisons personnelles de s’engager.
Ce peut être, remarque Sandrine Nicourd, « un moyen de nommer ses blessures ».
Enfin, « s’engager, c’est aussi trouver un sens à son époque. Cela ne
signifie pas la même chose aujourd’hui qu’en 1936 ». Pris isolément, aucun de
ces registres ne suffit à provoquer un engagement ; « ils doivent être liés »,
insiste-t-elle, et il faut un « passeur qui donnera envie ». Par la suite,
rien n’est gagné comme en ont fait la cruelle expérience les partis
politiques, qui n’ont pas su retenir les adhérents venus à eux après la
secousse du 21 avril. Une réflexion qui rejoint celle de Françoise Amossé,
de l’IFOREP, qui souligne : « Dans un numéro précédent des Cahiers (n°115)
nous avons interrogé notre militantisme. Nous ne sommes pas dans la société
hyperindividualisée que l’on voudrait nous vendre. » Mais regrette-t-elle,
« il faudrait qu’il y ait plus de passerelles, plus d’échanges avec le monde
associatif. »
Des valeurs communes
Aujourd’hui, la fécondation mutuelle entre Éducation populaire et
développement durable semble possible à Françoise Tétard et serait un moyen
de surmonter le « décalage » pointé par François Hannoyer, entre d’une part
« l’urgence avec laquelle il faut aborder les questions d’environnement, le
besoin de vivre et de travailler autrement, etc. » et, d’autre part, « la
conception de ce qu’est l’Éducation populaire aujourd’hui. » En effet, pour
Françoise Tétard, les deux mouvements partagent de nombreuses valeurs
communes : la culture du débat, celle du consensus dans la prise de décision,
la recherche d’utopie… Encore faut-il travailler sur certaines d’entre
elles. Lorsqu’elle affirme que l’on retrouve au sein de ces mouvements, avec
le choix de « l’entre soi », une notion proche « de celle d’" élite " (4)
défendue au Conseil National de la Résistance », cela se heurte à cette
transformation profonde soulignée par Georges Gontcharoff : « On passe
aujourd’hui d’une logique " descendante ", à un mouvement ascendant, où nous
nous prenons en main, et nous choisissons notre avenir collectif. L’avantage
du développement durable est de lier le local au global. Les petits gestes,
comme éteindre sa télévision ou la laisser en veille, ont un rapport avec la
marche du monde. Le citoyen est donc acteur dans son quartier mais aussi
dans le monde ». Bref, « il faut sortir d’un discours moralisateur, et
transformer les gens en citoyens actifs, faire en sorte qu’ils construisent
eux-mêmes leurs réponses », souligne François Cosserat du MNLE.
Ce ressort éducatif est déjà utilisé au sein du réseau des MJC. Aux Hauts de
Belleville, dans le 20e arrondissement de Paris, l’environnement est au cœur
des actions, avec comme premier objectif de « sensibiliser à
l’éco-citoyenneté l’ensemble de la population, en privilégiant le public des
enfants, en raison de l’effet d’entraînement qu’ils ont sur les adultes ». À
Limours dans l’Essonne, l’équipe de la MJC travaille avec des groupes
restreints, à partir de leurs préoccupations : « Des jeunes raveurs sont
sensibilisés à l’environnement à travers l’organisation de leurs
manifestations. »
Il est vrai, reconnaît, Alain Roch, directeur de la MJC du Mont Mesly à
Créteil, « que l’on parle du développement durable dans les MJC depuis peu de
temps », mais il donne à cette notion « une dimension culturelle », l’objectif
étant de la réintroduire au cœur de l’Éducation populaire. « Pour nous,
fédération régionale des MJC, un des enjeux est la mise en œuvre de l’Agenda
21 et faire en sorte qu’il soit pris en compte dans les collectivités
territoriales ». Dans ce cadre, les MJC font partie de « ces structures, ces
endroits », que cherche François Cosserat, « où les différents acteurs
pourraient se retrouver et proposer des solutions ». D’autant, indique en
écho Jacques Yvars, président de « les MJC en Ile-de-France, fédération
régionale », que les MJC « entendent promouvoir la démocratie participative ».
Bref, les mouvements d’Éducation populaire offriraient ainsi un moyen de
trancher le « nœud gordien », évoqué par Jean-Paul Deléage, en offrant aux
citoyens les moyens de s’approprier ces questions.
Marc Mentré
(Ce texte est publié dans le numéro 116 des Cahiers de l’Iforep
http://www.iforep.fr/index.php?m=article
Notes
<http://www.asts.asso.fr/maj/templat...>
(1)
Séminaire organisé le 3 octobre 2005, par l’ASTS et « les MJC en
Ile-de-France, fédération régionale », avec la participation de Jean-Paul
Deléage, directeur de la revue Écologie et Politique, Sandrine Nicourd,
sociologue, Alain Roch, directeur de la MJC du Mont Mesly à Créteil,
Françoise Tétard, historienne et Georges Gontcharoff, conseiller à la
rédaction de Territoires. Le débat était animé par François Hannoyer,
directeur de l’ADELS.
<http://www.asts.asso.fr/maj/templat...>
(2)
baptisées ainsi en opposition à l’expression « développement soutenable »
<http://www.asts.asso.fr/maj/templat...>
(3) étude
réalisée avec Bénédicte Havard Duclos. Publiée en 2005 chez Payot
(collection Essais) sous le titre Pourquoi s’engager ? Bénévoles et militants
dans les associations de solidarité.
<http://www.asts.asso.fr/maj/templat...>
(4) Cette
notion d’"élite" était aussi très liée à celle de « mérite républicain ».