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Nicholas Bell : Centrale biomasse à Gardanne/Meyreuil : Une victoire, mais...

Publications & Brèves.

26 novembre 2018 Nicholas Bell : Nouvelles émissions "Entre cimes et racines"

Vive l’irrégularité, 1ère partie (24ème émission de la série "Entre cimes et racines")

Nous nous trouvons dans le Limousin pour une rencontre régionale organisée les 9-10 novembre 2018 par le Réseau pour les Alternatives Forestières. Dans cette région la forêt représente un sujet conflictuel où une grande partie de la population a le sentiment de subir les sombres plantations monospécifiques de résineux. Une controverse qui a trouvé une expression publique grâce au film « Le temps des forêts ». La question y est clairement posée : forêts vivantes et irrégulières, riches en biodiversité et à couvert permanent, ou des déserts boisés constitués de monocultures avec des arbres ayant tous le même âge et taille. Des espaces sans oiseaux ou faune sauvage. Dans cette première émission nous partons en balade dans une forêt avec son gestionnaire, Hans Kreusler. Ensuite un entretien avec un propriétaire forestier, Philippe Jorrand.

Lien direct vers cette émission : http://www.zinzine.domainepublic.net/?ref=3911

Vive l’irrégularité, 2ème partie (25ème émission de la série "Entre cimes et racines")

Nous nous retrouvons dans le Limousin à la rencontre régionale organisée les 9-10 novembre 2018 par le Réseau pour les Alternatives Forestières. Dans cette émission nous écouterons plusieurs participants qui, chacun(e) à sa manière, cherchent à combattre le modèle dominant de gestion industrielle de la forêt. Entretiens avec Loic et Rémy du Collectif Forestiers Environnement Limousin ; Philippe et Chantal d’Ambiance Bois ; Marie, propriétaire forestier en Dordogne ; Sylvain de Faite et Racines ; Antoine qui lutte contre une usine de pellets torréfiés ; et Nathalie de Bois 07.

Lien direct vers cette émission : http://www.zinzine.domainepublic.net/?ref=3912


6 décembre 2017 Nicholas Bell : Gardanne et la planète : Sortir du charbon, oui. Mais brûler des arbres à la place, non. En tout cas, pas si l’on veut lutter contre les changements climatiques.

Depuis bientôt cinq ans le collectif SOS Forêt du Sud conteste la conversion partielle d’une centrale à charbon à Gardanne. Celle-ci brûlera environ 850.000 tonnes de biomasse, en grande majorité du « bois forestier », c’est-à-dire des arbres entiers. Nous nous y opposons pour de nombreuses raisons : l’impact sur les forêts dans l’immense zone d’approvisionnement (400 km autour de Gardanne) et sur le marché du bois régional, les conséquences pour la santé publique (particules fines, poussières de bois, bruit, forte augmentation du trafic de camions…), le gaspillage de subventions publiques (70 millions d’euros par an pendant 20 ans), la très faible efficacité énergétique (moins de 40%, à cause de l’absence de cogénération et donc de valorisation de la chaleur)… Et la cerise sur le gateau ? Ca n’aide en rien la lutte contre les changements climatiques. En fait, ça l’empire.
https://blogs.mediapart.fr/nicholas-bell/blog/061217/gardanne-et-la-planete


19 mars 2017 Nicholas Bell : Énergies folles

Texte extrait du numéro de mars d’Archipel.

Malgré une pluie diluvienne, notre manifestation à Gardanne le 5 février était un grand succès. Pas loin de mille personnes ont dénoncé, une fois de plus, la centrale à biomasse que l’entreprise Uniper (ex-E.On) est en train de mettre en place dans cette ville ouvrière près de Marseille [1].

Cette aberration « écologique » fait partie des pires exemples des dérives dans le domaine des énergies renouvelables qui ont même réussi à obtenir un soutien financier public considérable. Depuis dix ans, les politiques concernant l’énergie et son impact sur le climat et l’environnement sont fortement marquées par Bruxelles et nous nous trouvons aujourd’hui à un moment clé où l’Union Européenne est au début du processus long et très complexe qui mènera à la mise en place d’un nouveau « Clean Energy Package » (CEP – paquet de mesures pour l’énergie propre) pour la période 2020-2030.

Afin de mieux comprendre ce qui s’y trame, quelques jours après la manifestation je suis monté à Bruxelles. Mais le comprendre n’est pas si évident que ça ! ILUC, LULUCF, RED… voilà quelques-uns des sigles auxquels je me suis confronté lors de la « Big Bioenergy Meeting » (grande rencontre sur les bioénergies) organisée les 9-10 février 2017 par une série d’ONG basées dans la capitale européenne. Les permanent(e)s de ces ONG montrent une impressionnante volonté pour cerner et souvent contrer les visées des eurocrates de la Commission européenne.

La rencontre en question a réuni une soixantaine de personnes venant de 15 pays travaillant pour des associations et ONG aux niveaux européen ou national sur l’énergie, le climat, les transports, l’écologie… et un certain nombre d’activistes locaux plus ou moins analphabètes dans le domaine, comme moi. Cette dernière catégorie a ramé pour comprendre environ la moitié des interventions et des questions soulevées qui sont d’une complexité effrayante. Le tout uniquement en anglais, ce qui normalement ne me pose pas de problèmes. Voilà encore un élément cocasse du brexit : le principal pays anglophone quitte la barque mais sa langue domine de plus en plus.

Malgré nos difficultés, nous avons tous compris qu’il s’agissait là d’une vaste problématique d’une importance centrale pour l’avenir. Les décisions et surtout les programmes de soutien mis en place par l’Union européenne dans le domaine de l’énergie auront un impact que personne ne pourra ignorer.

De quoi s’agit-il, en peu de mots ? Le 30 novembre 2016, la Commission européenne a publié son CEP. Elément central de ce paquet : la Renewable Energy Directive (RED – Directive sur les Energies Renouvelables). Dans le cadre du CEP antérieur, la RED de l’époque, qui est entrée en vigueur en 2010, s’était donné comme objectifs les fameux 20-20-20 : porter à 20% la part des énergies renouvelables (ER) dans la consommation d’énergie, améliorer l’efficacité énergétique de 20%, réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20%, le tout jusqu’en 2020.

La RED publiée le 30 novembre est plus ambitieuse : l’objectif est désormais que les ER atteignent 27% de l’énergie totale. Elle corrige certains aspects de la RED antérieure qui ont eu des conséquences désastreuses, mais la direction globale est la même. L’exemple sans doute le plus flagrant d’erreur grave et lourde de « dommages collatéraux » dans la RED de 2010 concerne les agrocarburants. L’UE s’ést donné l’objectif de remplacer 10% du carburant consommé dans le secteur des transports par des biofuels ou agrocarburants. Il s’agit d’éthanol produit de sucre et d’amidon (surtout venant de cultures céréalières et sucrières), de biogas produits par la digestion anaérobique de récoltes agricoles et de déchets, et biodiesels fabriqués à partir d’huiles végétales (colza, soja, huile de palme, tournesol…).

A l’époque, les décideurs européens n’avaient pas encore entendu parler de ILUC, sigle qui désigne « Indirect Land Use Change » [2]. Derrière ce concept se cache une vaste réalité de désolation, de famines, de déforestations massives à l’échelle planétaire. Accorder des subventions publiques à la production agricole de carburants pour remplacer le pétrole va logiquement défavoriser la culture de produits alimentaires et ainsi causer des pénuries et des émeutes de la faim. Cela va aussi considérablement augmenter les surfaces agricoles et donc la destruction de forêts. C’est une chaîne d’impacts extrêmement difficile à cerner et à calculer, mais de nombreuses études indiquent à quel point cette politique est contre-productive.

Prenons l’exemple de l’huile de palme, une culture qui couvrait en 2012 environ 17 millions d’hectares (6 millions d’ha en 1990), uniquement dans des pays tropicaux (surtout l’Indonésie, la Malaisie et des pays d’Amérique du Sud). Différentes études récentes indiquent que lorsque toutes les conséquences directes et indirectes sont prises en compte, le bilan carbone de la production d’agrocarburants à partir de l’huile de palme est pire que de simplement utiliser le pétrole et pourrait aller jusqu’à deux ou trois fois plus d’émissions.

Face à cette situation, que de nombreuses ONG avaient dénoncée depuis longtemps, l’UE a décidé en 2015 de baisser son objectif de 10% à 7%. Dans la nouvelle RED celui-ci devrait être encore graduellement réduit à 3,8% en 2030. En même temps on voit apparaître maintenant de nouveaux agrocarburants « avancés », issus d’algues, d’arbres…

Un autre chapitre essentiel de la RED concerne la biomasse - c’est ce qui m’a surtout motivé à monter à Bruxelles. Depuis trois ans que je fais partie du « Collectif SOS Forêt du Sud », j’ai pu me rendre compte à quel point ce nouvel engouement pour la biomasse industrielle est un phénomène planétaire aux conséquences néfastes. Il est peu connu que plus de 60% des énergies renouvelables actuellement produites en Europe sont issues de la biomasse : agrocarburants, biométhane, mais surtout du bois brûlé pour le chauffage et pour produire de l’électricité comme à Gardanne et, à une échelle beaucoup plus grande, à Drax au Royaume-Uni [3].

L’un des arguments les plus utilisés pour justifier la production d’électricité grâce à la combustion de la biomasse est qu’elle mènera à une nette réduction des émissions à effet de serre. Plusieurs études récentes indiquent clairement que ce n’est pas le cas. La « carbone-neutralité » tant vantée par les industriels et par de nombreux gouvernements est un mythe. En juin 2015, la Maison Blanche a publié une « Déclaration politique » allant dans ce sens. Il s’avère que le bilan carbone est sans doute même pire que celui d’une centrale à charbon. Lors de la rencontre à Bruxelles, l’expert environnemental Duncan Brack a présenté l’étude approfondie sur les émissions provoquées par la combustion de la biomasse [4] sur laquelle il travaille depuis deux ans et il a confirmé cette analyse.

Nous contestons ces mégacentrales pour beaucoup d’autres raisons : leurs conséquences sur la santé publique [5], l’efficacité énergétique extrêmement faible (environ 35%), l’impact sur les forêts aux niveaux régional et international [6], le gaspillage de fonds publics [7].

L’absurdité des objectifs de l’UE se montre clairement dans sa volonté à poursuivre la priorité donnée à la biomasse dans le mix des énergies renouvelables. En 2016, la « Stratégie Forêt » de l’UE a alerté sur le fait que si les « Plans d’Action Nationale pour l’Energie Renouvelable » sont respectés, tous les arbres récoltés en Europe, sans exception, seraient nécessaires à des fins énergétiques. « La Commission a pris l’option de sacrifier les forêts pour l’énergie » (Fern, 30.11.16)

Transformer des vieilles centrales à charbon en avaleurs de bois ne fait que perpétuer une forme centralisée et totalement obsolète de production énergétique. La priorité devrait être à la décentralisation et surtout à la réduction de notre consommation, grâce à un programme volontariste d’isolation de bâtiments et d’amélioration de l’efficacité du réseau.

Même si la proposition de RED reconnaît l’importance d’imposer des critères d’efficacité énergétique aux grandes centrales de plus de 20MW, il semble qu’ils ne seront appliqués qu’aux nouvelles centrales à partir de 2021 ; ou même 2024 après une phase de transition. En plus, avec la formulation actuelle les conversions charbon-biomasse sur le modèle de Drax et de Gardanne pourraient y échapper, n’étant pas de nouvelles unités. Or ce sont de loin les plus grandes centrales à biomasse en Europe.
Plus généralement, le fait même que la « bioénergie » fasse partie de la politique européenne d’énergies renouvelables est contesté. En février 2016, 120 associations et ONG du monde entier ont demandé qu’elle en soit exclue. L’Agence Internationale de l’Energie définit les énergies renouvelables ainsi : « l’énergie obtenue de processus naturels (soleil, vent…) qui sont remplacés plus rapidement qu’ils ne sont consommés ». Brûler des agrocarburants ou de la biomasse ne correspond guère à cette définition. Un arbre peut avoir besoin d’un siècle à pousser mais part en fumée en dix minutes.

La balle est maintenant chez les parlementaires européens et les ministres du Conseil Européen qui doivent étudier et amender la proposition de la Commission du 30 novembre. Mais ce sont des questions qui nous touchent tous, et il est donc important que la société civile s’empare de ces questions, même si cela peut provoquer des maux de tête. Et il va falloir continuer à manifester notre refus absolu des pires dérives, comme à Gardanne.

Pour en savoir plus, vous pouvez contacter les organisations suivantes :
 Bureau Européen de l’Environnement – fédération de plus de 140 organisations environnementales situées dans les 28 Etats membres de l’UE : www.eeb.org
 Climate Action Network, une coalition réunissant plus de 130 organisations dans plus de 30 pays européens travaillant sur les questions liées au climat et à l’énergie : www.caneurope.org
 Fern, créée en 1995 pour suivre l’implication de l’UE dans les forêts et pour coordonner les activités des ONG au niveau européen : www.fern.org


22 avril

Centrale biomasse à Gardanne/Meyreuil : Une victoire, mais...

(22.04.23)
Comme vous le savez probablement, le 27 mars 2023, le Conseil d’Etat français, la plus haute instance judiciaire du pays, a annulé l’autorisation d’exploiter la centrale biomasse à Gardanne/Meyreuil car les incidences environnementales "susceptibles d’être provoquées par son utilisation et son exploitation" doivent être prises en compte au même titre que les incidences directes. La cour reconnaît ainsi que l’exploitation de la centrale biomasse aurait des incidences sur l’ensemble de la zone d’approvisionnement en bois. Elle renvoie l’affaire à la Cour administrative d’appel.
C’est une affaire très compliquée qui dure depuis longtemps. Plusieurs associations, dont la plus grande association environnementale française, France Nature Environnement, ont déposé une première requête, le 29 novembre 2013, contre l’autorisation d’exploiter délivrée par le Préfet des Bouches-du-Rhône en novembre 2012. Elle avaient attaqué plusieurs aspects de l’enquête publique et de l’étude d’impact environnementale, et notamment le fait que celle-ci avait été limitée aux impacts immédiats dans les quelques kilomètres autour de la centrale. Le 8 juin 2017, la Cour administrative de Marseille a donné raison aux associations sur les manquements de cette étude d’impact et a annulé l’autorisation. Elle a imposé à l’entreprise de mener une étude plus large sur tous les impacts dans les zones d’approvisionnement.
L’entreprise et le ministère ont fait recours et, parallèlement, le lendemain du jugement (le 9 juin 2017), le Préfet a accordé une autorisation provisoire d’exploiter qui permettait à l’entreprise de poursuivre son activité. Ensuite, en 2020, la Cour d’appel de Marseille a statué sur le recours déposé en 2017 et a donné raison à l’entreprise, annulant ainsi le jugement du 8 juin 2017. Les associations ont porté l’affaire devant le Conseil d’Etat qui a donc annoncé sa décision le 27 mars 2023.
Le problème est que l’autorisation provisoire accordée par le Préfet le 9 juin 2017 n’a pas été contestée et resterait en vigueur. L’entreprise peut donc continuer à exploiter la centrale.
Dans les prochains mois, la question cruciale sera de surveiller de près comment Gazel Energie (l’actuel propriétaire de la centrale) mène l’étude d’impacts élargie devenue obligatoire suite à la décision du Conseil d’Etat. Qui fera cette étude ? Comment assurer que toutes les zones d’approvisionnement soient inclues ? Comment définir le "bois local", car en 2012 on évoquait déjà un rayon de 400 km, ensuite on parlait de 250 km...
Pour moi, il semble essentiel d’étendre cette étude aux importations de plaquettes pour la centrale. Il y a plusieurs années, la presse rapportait que des bateaux étaient arrivés du Brésil avec du bois issu de plantations. Dans le compte rendu de l’une des récentes réunions publiques au sujet du projet Hynovera (projet de production de carburant pour bateaux et de kérosène (avions) à partir d’hydrogène « verte » et de bois, prévu sur le site de la centrale), il est indiqué que Gazel Energie continue à importer du bois de Brésil. L’autorisation de 2012 avait prévu que la moitié du bois pourrait être importé pendant les dix premières années de fonctionnement et qu’ensuite il faudrait que la totalité du bois soit approvisionnée en France. Cependant, suite à la vague de contestation dans la région en 2013-2016, avec des centaines de motions adoptées par des collectivités locales, les autorités françaises ont autorisé une augmentation du niveau des importations.
Il me semble évident que les autorités françaises voudraient éviter de provoquer de nouvelles contestations locales, suite à des coupes rases ou nuisibles au paysage. Le modèle s’approche de plus en plus de celui de Grande-Bretagne, où Drax importe la quasi totalité du bois brûlé dans la centrale. En plus, les autorités utilisent un nouvel argument : la nécessité de maintenir l’activité du port de Fos-sur-Mer ,affectée par la fermeture du Groupe 5 de la centrale à Gardanne qui fonctionnait au charbon. La CGT à Fos insiste lourdement sur l’importance de remplacer les importations de charbon par celles du bois. Si ses subventions étaient annulées ou sensiblement réduites, le modèle économique de Drax ne fonctionnerait plus.
Il est largement connu que les approvisionnements en bois pour les centrales à biomasse en Europe ont causé des dégâts énormes et irréparables dans les forêts du sud-est des Etats-Unis et de l’Estonie, pour ne citer que ces deux exemples. Il est fort probable que c’est vrai aussi pour la centrale de Gardanne.
Pour revenir à la décision du Conseil d’Etat, il faut ajouter que, plus généralement, elle crée un précédent important. C’est à ma connaissance la première fois qu’un tribunal statue que les impacts indirects d’un chantier ou d’une activité industrielle doivent être inclus dans l’étude d’impact. Cela pourrait vouloir dire, par exemple, qu’une étude d’impact sur une nouvelle autoroute devrait prendre en compte les impacts occasionnés par l’apport des matériaux comme le sable, le béton etc...

Par Bell Nicholas

Le samedi 22 avril 2023

Mis à jour le 22 avril 2023