La laïcité, un idéal en péril, par Francine Palisson, animatrice du groupe de travail Laïcité d’Attac - Tribunes favorables à la laïcité et au républicanisme civique
2005
La laïcité met en jeu des principes philosophiques fondateurs dont la traduction juridique a été donnée par la loi de 1905,(séparation de l’Etat et des églises). Oublier ou taire cet idéal fondateur, c’est ébranler ce cadre juridique ; et c’est bien ce que nous percevons quand on parle de « laïcité ouverte », « neutralité positive ». Ces expressions visent à restaurer de façon rampante l’emprise des cléricalismes religieux sur la cité.
La laïcité implique une affirmation forte de l’état républicain, dépositaire du bien commun et donc d’une authentique citoyenneté. Elle s’y attache par l’école publique, par la solidarité redistributive, la justice sociale afin d’assurer à tous la dignité d’existence. Cependant, elle n’interdit pas la manifestation du pluralisme ; elle doit rendre lisible ce qui est commun aux êtres humains, et non exalter ce qui les divise.
1- Un monde commun à tous.
Dans la cité laïque, la loi commune laisse chacun libre de choisir sa façon de vivre et sa démarche spirituelle, elle s’inscrit dans les limites requises par le respect de la vie privée. Pour qu’il n’y ait aucune confusion, il faut souligner que la laïcité exclut aussi bien l’athéisme officiel que la religion officielle, ainsi que le système concordataire.
La laïcité doit faire du peuple tout entier, sans privilège ni discrimination, la référence de la communauté politique, c’est alors que celle-ci mérite son nom de République.
Peuple (laos), renvoie à ce qui unit tous les humains sans tutelle reconnue à une partie qui se penserait investie d’une mission et qui entendrait dire la norme. Par essence, elle n’est pas anti-religieuse, si l’anti-cléricalisme a constitué une réponse historique au refus de l’Eglise de reconnaître la stricte égalité des croyants et des non croyants dans
les institutions publiques, il n’était pas premier dans la définition de l’idéal laïque.
2- Laïcité et droits de l’homme.
Les droits de l’homme, non pas la litanie d’un humanitarisme qui tend à se substituer à toute conscience politique, ne peuvent exister qu’à partir d’une exigence de valeur émancipatrice. L’unité des communautés humaines doit se fonder sur la République dans le sens de communauté politique. La République, communauté de citoyens se construit sur des lois communes fondées sur la définition des droits et des devoirs. L’Etat n’est pas l’arbitre des croyances, il n’impose ni interdit un credo. L’époque qui a prévalu si longtemps (un roi, une loi, une foi) et réactivé par Louis XIV avec la révocation de l’Edit de Nantes, est révolue ; mais la confusion est loin d’avoir disparu. L’Etat est souvent assimilé à une instance de domination par ceux qui refusent son rôle régulateur et redistributeur. On en vient à oublier que l’Etat, tel qu’il a été refondé par la Révolution française, n’est pas une entité extérieure au peuple.
Il faut réfléchir à la nature qui rassemble ce peuple : ce n’est ni l’union communautariste, ni l’union organique autour d’une ascendance ethnique, ni celle d’un particularisme de coutumes qui seraient toutes exclusives des autres (ex Yougoslavie, Proche-Orient). L’union laïque délit les hommes, les libère, ce qui d’autant mieux les unit. Mais pour jouir d’une autonomie de jugement qui rend chacun maître de ses pensées, le rôle de l’école est décisif, elle n’est pas là pour s’adapter au monde, mais pour former la capacité de jugement du citoyen, sans imposer un credo, citoyen capable d’obéir, mais le cas échéant de se révolter.
3- Ya-t-il plusieurs laïcités ?
Contrairement à la conception qu’en ont certains, la laïcité ne peut déroger aux trois principes fondamentaux que sont la liberté de conscience, l’égalité pour tous les citoyens et l’indépendance de la sphère publique.
– ni la Pologne, imposant la prière à l’école,
– ni l’ex Union soviétique érigeant le marxisme en philosophie officielle, ne furent des pays laïques, pas plus que les pays concordataires ne sont des versions de la laïcité.
Pour qu’un croyant, un agnostique ou un athée puissent vivre ensemble, ils doivent définir des règles communes hors de toute référence à toutes options particulières ; la laïcité n’entre pas en concurrence avec les différentes options spirituelles, elle affranchit de toute tentation cléricale, alors que dans le cas contraire on instrumentalise la spiritualité dans un but de domination. Spinoza et Hugo ont tous deux souligné que le cléricalisme semblait souvent plus soucieux de la terre que du ciel !
Il nous faut rappeler l’importance d’une traduction juridique claire, il y a trois cas de figures.
1er cas, les guerres de religions, ce qui est hélas encore actuel, (affrontements inter-religieux entre musulmans et hindoux, catholiques et protestants en Irlande du nord…).
2ème cas, la mosaïque des communautarismes, comme dans certaines dérives des pays anglo-saxons (Canada, Etats-Unis).
3ème cas, la république laïque qui permet d’affirmer l’idée d’un monde commun aux êtres humains, sans nier leurs différences, et en les dotant d’un statut qui assure leur coexistence.
Attention à ne pas confondre public et privé, privé et individuel ; par exemple une messe est une association de croyants qui usent de leur liberté privée, même si elle se manifeste publiquement, il en est ainsi pour toute réunion de mouvements religieux ou philosophiques.
Selon le droit, est public ce qui concerne le peuple dans son ensemble et qui relève de la légitimité de l’Etat : nation, région, départements, communes.
La laïcisation du droit libère les mœurs : sexualité et procréation, vie affective et mariage, liberté de la femme face à la tutelle machiste, l’homosexualité de l’opprobe où elle a été tenue. Mais en réalité certains partisans de la « laïcité ouverte » rêvent de renégocier ce qu’ils s’obstinent à nommer « un pacte laïc ».
La vraie liberté de l’école : assurer à tous une instruction capable d’élargir les références et de fonder l’autonomie de jugement. « Apprendre ce que l’on ignore, pour pouvoir , le moment venu se passer de maître ».
Les enfants et les jeunes ne sont pas des « consommateurs », voir l’introduction dans les établissements scolaires du jeu du CIC, les « masters d’économie ». Les groupes de pression de l’hégémonie capitaliste sont aussi dangereux que les groupes de pression cléricaux et communautaristes.
L’école de la République se doit de tenir à distance tous les groupes de pression, non seulement religieux, mais aussi économiques, sociaux et médiatiques. Toutefois la liberté de conscience ne peut se réduire au fait d’admettre n’importe quoi, toutes les idées ne se valent pas, et l’école laïque ne peut désarmer le jugement critique par un relativisme sans visage qui serait confondu avec la liberté ou l’égalité.
Un autre piège qu’il nous faut déjouer, le communautarisme, les apprentis sorciers du communautarisme, visent à une destruction de la laïcité qu’ils baptisent pudiquement « Laïcité ouverte », sous le respect des différences.
4- La laïcité menacée.
C’est le cas de cette partie de la République, l’Alsace-Moselle, qui échappe à la loi de séparation au prétexte qu’en 1905, cette région n’était pas intégrée à la République française.
Une autre menace, et celle là déjà en cours, la privatisation supposée nécessaire « des services publics à la française », le financement public d’écoles privées, hérité du régime de Vichy constitue un manquement à la laïcité, puisqu’il définit l’instruction publique comme une prestation de service.
Quand on parle de laïcité ouverte est-ce qu’on pense qu’on pourrait parler de « droits de l’homme ouverts » ? Vient ensuite la notion de « culture religieuse ». Acquérir la connaissance des doctrines religieuses et des faits historiques liés, c’est se constituer une culture, mais ce ne peut pas plus s’appeler « culture religieuse » que le fait de connaître la doctrine communiste ne peut s’appeler « doctrine communiste ». Attention au glissement sémantique. Les religions n’ont pas le monopole du sens.
Le retour de l’ordre moral ? L’idée républicaine de bien commun articule droits sociaux et solidarité redistributive, il faut voir les véritables causes de la misère du monde, et cesser d’attribuer à la laïcité la perte de sens et d’idéal. Au contraire, laïcité et justice sociale vont de pair, la déshérence sociale ne peut se résoudre par un supplément d’âme religieux qui impliquerait une restauration d’emprise publique pour les religions.
On ne peut effacer la politique au profit de la vogue humanitaire et de la vague éthique.
L’aspiration laïque en Europe.
L’idéal laïc est une figue originale du rapport au religieux. En Europe il existe des formes variées de ce rapport. Si la France était seule en 1789, on constate des aspirations constantes à cet idéal dans toute l’Europe : ex la Suède récemment ; mais une tendance en France, comme dans d’autres pays européens, se fait jour à travers certains penseurs cléricaux qui rêvent de communautariser la laïcité à l’image de ce qui se passe en Belgique, où la laïcité se trouve ravalée au rang d’une option spirituelle, alors qu’elle a vocation à assurer la concorde entre les divers croyants, les agnostiques et les athées. Nous pouvons trouver d’autres exemples avec l’Espagne, alors que la constitution de 1978 stipule qu’ « aucune religion n’est religion d’Etat », l’Eglise a conservé certains avantages, « statut spécial ». En Italie, évolution similaire (constitution de 1948), mais la séparation de l’Eglise et de l’Etat s’est trouvé limitée par certaines dispositions héritées des accords de Latran, 1929, où Mussolini avait érigé le catholicisme en religion d’état, ambiguïté qui a perduré jusqu’au nouveau concordat de 1984, abolissant ce principe.
Dans les pays dominés par les traditions protestantes, il n’y a pas eu de véritable laïcisation (Angleterre, Pays-bas, Danemark,Allemagne) : pour l’essentiel , la liberté de conscience y est respectée. On se souvient tout de même de la querelle des crucifix en Allemagne, ainsi que de la prière obligatoire dans les écoles anglaises.
Un autre danger existe, « le respect des croyances » qui veut exprimer le « religieusement correct ». C’est au nom de ce dernier type de respect, qu’aux Etats-Unis, des protestants ont pu demander la suspension des cours de biologie qui enseignaient les théories darwiniennes, incompatibles avec le dogme de la création divine.
La situation des libertés est mieux établie dans un pays laïque, mais le danger existe d’une remise en question ; l’Instance Européenne, en faisant droit aux groupes de pression religieux, tend à revenir sur ce caractère originaire. L’article I-51 du projet de traité constitutionnel, en est la preuve, et nous devons exiger son retrait.
Les penseurs anti-laïcs en France et sûrement dans d’autres pays, se servent de l’argument européen pour prétendre que la France laïque, étant la seule, ne peut pas continuer, alors que les penseurs laïcs européens utilisent la France comme modèle.
http://www.communautarisme.net/attaclaicite/index.php?action=article&id_article=174446