Tom Roberts : GILETS JAUNES... Ça Pschittt ou ça passe ?
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GILETS JAUNES... Ça Pschittt ou ça passe ?
Et nous dans tout ça ?
C’est vrai que, comme beaucoup d’entre nous, je reste un peu perplexe par rapport au mouvement des Gilets Jaunes... Ne pas sachant comment me positionner face à une explosion de colères accumulées sans savoir si cela ressemble à un truc plutôt de droite, d’extrême droite, de populiste et tatatitatatsoin … ou au contraire un schmilblick tendance gauche, extrême gauche aussi populiste et tatatsitatastoin...
Du coup, je suis allé faire un tour (en vélo... ça circule plus facilement) lors du blocage du rond point au sud de Sens (Yonne). Certes, je n’ai pas trop discuté, mais simplement suis allé faire un tour pour tenter de « ressentir » l’atmosphère.
La première impression, c’était le côté « bon enfant » : Point d’agression, de tension ou de violence à priori mais une sorte de rassemblement populaire où les gens se retrouvaient à la base pour exprimer un sentiment de raz le bol... et qui, en même temps, communiquaient entre eux... Ça peut sembler bizarre comme ça mais il faut imaginer que la plupart d’entre eux n’avait jamais manifesté et se retrouvait avec d’autres personnes qui portaient les mêmes préoccupations. Du coup, tout le monde se parlait, échangeait...
On ne sentait pas du tout une présence prédominante d’un parti (RN, Insoumis entre autres) ou d’un syndicat ou autre mouvement « organisé ». Il y avait là quelque chose de spontané qui intriguerait plus d’un sociologue.
Finalement, cela correspondait bien à ce tract que quelqu’un a fait circuler sur une liste d’Attac.
Extraits :
« …
Qu’est que le mouvement des Gilets Jaunes ?
C’est un mouvement POPULAIRE, pas de parti, pas de syndicat, pas de classe sociale, pas d’âge, pas de religion.
... »
(Déjà y’a de quoi exciter quelques vielles fibres anarchistes... Mais c’est à ce stade aller trop loin).
« …
Attention !
Il est très important que ces actions se fassent dans une ambiance « bon enfant » et sans casse. Elles doivent montrer une bonne image de notre mouvement si on veut rallier encore quelque hésitants à notre mouvement.
... »
A ce stade, nous ne savons pas si ce mouvement est quelque chose d’éphémère ou s’il risque de perdurer, voire de s’organiser.
(Cela rappelle une phrase de Bakounine « La révolution transforme la révolte en système, qui tue la révolte... » enfin... ne soyons pas pessimistes).
Ceci dit, c’est certainement pour cela que ce mouvement perturbe les syndicats, partis politiques, autorités voire associations qui ont du mal à se positionner...

Car, en temps normal, nous avons l’habitude, face à l’émergence d’un mouvement populaire, de tenter d’identifier les initiateurs avant de se positionner... Si on sent, par exemple, l’odeur putride de l’extrême droite qui infecte la chose, on recule, on s’abstient voire on attaque... Mais il semble qu’actuellement, nous ne sommes pas dans ce cas de figure (certains initiateurs sont simplement des adeptes de la bagnole)... Le « cas de figure » serait bien plus complexe qu’on ne le pense car malgré des tentatives de récupération, le mouvement des Gilets Jaunes reste encore à l’image de la société « globale » : il y a de tout.
Dans le doute, devons nous nous abstenir par crainte de nous retrouver dans un machin incontrôlable et au risque de s’apercevoir que l’ombre de l’extrême droite rode dans le coin ?
Ou alors, faut-il s’y frotter ? Y mettre notre grain de sel, contribuer... et pourquoi le ferions nous ?
Ce qui amène à une autre question : Qu’est-qui, un jour, nous a amené (toi, moi,vous, ils et elles...) à nous engager d’une façon militante ?
Étais-ce par rapport à une vielle tradition (militants de Père en Fils, de Mère en Fille, de Mère en Fils ou de Père en fille) ? Une rencontre imprévue ? Un prof génial ? … voire un curé (sisi, ça existe... Même moi, j’étais enfant de cœur et je m’en suis sorti indemne) ? Une manif inattendue ? Un bouquin qui n’avait qu’un seul tord, celui de traîner quelque part au moment que vous n’aviez plus rien à lire ? Mais peut être aussi une photo qui vous a marqué ou encore un dessin qui vous a convaincu ?...
Souvent notre militantisme est le fruit d’un parcours ou d’un événement, un coup du sort ou un hasard, qui nous a amené à nous poser des questions et à vouloir y trouver des réponses.
Et c’est peut être ce qui est en train de se produire du côté des Gilets Jaunes. D’après ce que j’ai cru comprendre, lire et voir, ils sont nombreux-ses à n’avoir jamais manifesté, à ne s’être jamais impliqué dans une cause quelconque ou une lutte sociale ou environnementale. Ce seraient tout simplement des gens qui ont fini par bouger car l’élasticité de leur portefeuille ne correspondait plus à la réalité des charges du quotidien.
Peut-on leur en vouloir ? Il y en a qui disent « on ne vous a pas vu sur les manifs sur le climat, ni sur la défense des droits acquis ou encore les services publics et toutes les autres luttes... Mais dès lors qu’il s’agit de défendre votre diesel, là, vous bougez... »
Ce n’est pas forcement vrai... Certes, les taxes sur les carburants sont la goutte d’essence qui a fait déborder le réservoir, mais bon nombre de tracts vont bien au-delà de cette première revendication (abandon des taxes). Extraits :
« …
Pour revendiquer quoi ?
La baisse des taxes.
La baisse des charges patronales pour les PME, les artisans.
Des remboursements des soins plus justes.
Une vraie éducation pour nos enfants.
Des retraités mieux encadrés.
... »
D’autres textes vont encore plus loin. On sent le fruit de discussions où on note ce que chacun à a dire, parfois de travers, parfois maladroitement... Mais on sent une expression qui, tout en échappant aux discours politique et syndicaux traditionnels, erre dans le sphère social...
… à voir...
OK, on leur reproche de ne pas avoir soutenu les causes environnementales (et en plus, soutenir leur droit d’acheter du diesel … Grrr), sociales et autres. Mais il y à une chose que nombre d’entre-nous avons du mal à saisir, c’est que pas mal de gens dans ce pays ne lisent que peu ou pas de journaux, ne regardent pas les actualités et préfèrent NRJ à France Inter (et Vad Retro Satanas France Culture ou ARTE)...
Et là, d’un seul coup d’un seul, ils/elles sont directement concerné(e)s face à un pouvoir d’achat en berne.
Parce qu’elles/ils font parti des classes modestes qui ont du mal à boucler des fins de mois, à honorer des dettes, à envisager un avenir pour leurs gamins...
Puis ils/elles découvrent que la suppression de l’ISF s’est accompagné ne nombreux autres cadeaux aux favorisés et que de l’autre côté, on baisse les APL, on augmente la CSG sur les retraites et on augmente les taxes sur les carburants qui touchent tout le monde... et surtout ceux qui vivent en zone rurale sans transports en commun.
Que l’on soit de droite, de gauche, d’extrême droite ou d’extrême gauche, il y a de quoi être vénère !
Du coup, ceux et celles qui sont de droite, de gauche, d’extrême droite ou d’extrême gauche se retrouvent sur un terrain commun.
Et c’est là où une sorte de magie s’opère... Car d’un seul coup d’un seul, tous ces gens découvrent que la mobilisation, finalement, c’est pas si mal que ça... Qu’on peut gagner mais qu’on peut perdre, mais avant tout que ce qui semblait être impensable dans son coin devient possible ensemble (hé, faudrait faire un slogan comme ça !).
Mais après ? Pour faire quoi, pour aller où et comment y aller ? C’est peut être là qu’avec notre expérience et nos idées, nous avons quelque chose à dire.
Il est vrai que je suis fatigué de prêcher à des convaincus, d’organiser des conférences – débats où l’on rencontre toujours les mêmes têtes... Nous nous plaignons souvent de ne pas être dans les quartiers populaires et voilà que nous assistons à l’émergence d’un mouvement populaire. S’il est effectivement éphémère et sans lendemain, ce sera dommage mais sans doute logique. Dans le cas contraire, on ne peut s’abstenir de le prendre en compte.
Certains me connaissent comme musicien dont le répertoire compte pas mal de chansons engagées qui racontent des histoires de lutte, de travailleurs, de syndicats, de marins, de paysans et tutti quanti. Il m’est arrivé de participer à des concerts de soutien et, là encore, le public était « acquis ». Mais j’ai toujours préféré les concerts dans les bars improbables où les gens ne me connaissaient pas et encore moins ma musique.
Et pour cause, elles/ils venaient avant tout pour boire un verre, discutailler avec des potes et accessoirement, écouter quelques morceaux de musique. Autant dire que rien n’était gagné d’avance. C’est vraie qu’il y a eu des sacrés flops... mais il est aussi vrai qu’il y a eu des véritables moments de magie. Ces histoires de syndicats, de travailleurs opprimés, de luttes sociales, de migrants ou de sans grade... Ben, souvent, ça faisait mouche ! Parfois, j’avais vraiment l’impression qu’il y avait un grain d’éducation populaire dans tout cela.
Voilà, je crois que peut être, il y a de cela dans le mouvement actuel des GJ... Beaucoup n’ont jamais manifesté. Ils/elles viennent parce qu’elles/ils sont directement concernées par l’amputation de leur pouvoir d’achat... Et elles/ils découvrent l’action collective, ils/elles découvrent le pouvoir de la parole collective et la capacité de rêver à quelque chose d’autre que ce que l’on tente de leur imposer... Peut être que cela débouchera sur quelque chose de plus fort...
Voili voilou...
Tom
PS. Juste une dernière pour la route. Les analyses d’Attac sont pertinentes. Perso, je ne suis pas contre l’augmentation des taxes (bien qu’étant très concerné car mon camion roule au diesel et que je vis dans un coin paumé de la diagonal du vide. Je fais mes courses à 5 bornes à vélo mais quand il faut ramener un pac d’eau ou de la litière pour chats voire 15 Kg de croquettes pour le chien, ça craint).
Ceci dit, le gouvernement a mis la charrue avant les bœufs... La charrue, ce sont les taxes et le bœuf, c’est la transition écologique... L’ennui, c’est que ce bœuf n’existe pas et que, sans bœuf, la charrue n’avance pas.
Si on me disait qu’on va réduire le trafic routier et favoriser le fret ferroviaire avec les investissements à la clé... Je dirais top-là.
Si on me disait qu’on allait rouvrir les chemins ferrés locales, les gares abandonnées (et y’en a une flopée du côté de chez moi : avant, on pouvait prendre le train pour relier Sens Montargis, c’est à 60 bornes. Maintenant, il faut monter à Paris -120 km- changer de gare et redescendre à Montargis -120 km...)... Là encore je dirais top-là.
Si on me disait qu’on allait rendre tous les transports en commun gratuits, mais que cela coûte des sous, je dirais top-là.
L’ennui, c’est que la transition écolo qu’évoque le gouvernement ressemble à un tableau de Matisse : abstrait voire absent.
Dans le temps, j’ai investi dans une chaudière solaire. Le coût de l’opération était de 8000 €. Je ne les avais pas. Mais avec 50% de crédit d’impôt, 1000 € de subvention de région et 1000 € de subvention communale, cela ne faisait plus que 2000 €. J’ai dit « top-là »...
Maintenant, il faut que je me débarrasse de ma chaudière centrale au fioul. Pour me pousser à le faire, pas vraiment de subventions mais une augmentation de taxes du fioul pour me convaincre de passer à autre chose... Là, je ne dis plus « top-là », je n’en ai plus les moyens...
Je me chauffe au bois (il paraît que cela pollue aussi... La seule alternative devient la doudoune)...