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"Des drones monétaires locaux pour amortir les effets économiques et sociaux du Covid ?" par Philippe Lalik

DES DRONES MONÉTAIRES LOCAUX POUR AMORTIR LES EFFETS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DU COVID ?

La perspective d’une sortie de crise du Covid-19 engendre une crainte et une espérance. La crainte est celle d’être en présence d’une économie tellement atone qu’elle se trouverait dans l’impossibilité de redémarrer, ce qui entraînerait un désastre social tellement énorme que nous avons du mal à l’imaginer. C’est ce que Jacques Sapir appelle « l’effet Blanche Neige [1] » : l’économie ne se réveille pas. L’espérance a trait à l’émergence d’une économie soutenable qui prendrait le relais d’un système à bout de souffle qui dégrade les grands équilibres écologiques et menace à terme notre survie. Cette crainte et cette espérance ne sont pas sans rappeler les débats sur le thème « fin du monde, fin du mois » qui ont émergé pendant la crise des Gilets Jaunes.

D’UN IMPROBABLE HÉLICOPTÈRE MONÉTAIRE EUROPÉEN…

Concernant le redémarrage d’une économie en léthargie pendant de longues semaines, une idée, émergente depuis quelques années, fait peu à peu son chemin : la monnaie hélicoptère [2]. Face à une situation dans laquelle les États sont très endettés et les ménages privés de ressources suffisantes, ce nouvel outil permettrait de distribuer gratuitement de la monnaie aux individus, sans causer d’endettement supplémentaire. Avec cette méthode, il serait possible d’attribuer une certaine somme à chaque citoyen, sans passer par les circuits bancaires et financiers classiques. Elle constituerait un transfert de monnaie centrale aux ménages et ceci de façon égalitaire.

«  L’atout de la monnaie hélicoptère est d’offrir un instrument qui permet de s’affranchir des canaux traditionnels de la politique monétaire, ce qui peut s’avérer nécessaire dans certaines circonstances. De quelles circonstances s’agit-il ? Tout simplement lorsqu’ils dysfonctionnent et que leur réparation n’est pas faisable dans un temps raisonnable. C’est le cas des canaux de transmission constitués par les banques et les marchés. Dans nos économies ultra-financiarisées, où la sphère financière a un fonctionnement autonome, largement déconnecté de l’économie réelle, abreuver la sphère financière de liquidités ne permet plus de les acheminer jusqu’à l’économie réelle. Cela permet juste d’entretenir la rotation de la sphère financière sur elle-même et d’accroître les volumes d’opérations qui s’y réalisent et, par suite, les prix d’actifs. En empruntant les canaux traditionnels des banques et des marchés, la politique monétaire actuelle produit également des effets distributifs adverses, qui tendent à accroître les inégalités car ils restent largement concentrés dans la sphère financière, au seul bénéfice des émetteurs et des détenteurs d’actifs financiers (ce qui n’est ni le cas des ménages ni celui des petites et moyennes entreprises pour lesquelles les financements de marchés de titres sont peu adaptés). Un transfert direct de monnaie centrale parviendrait, au contraire, sans délai et de manière uniforme, à l’ensemble de ses bénéficiaires, profitant donc à tous plutôt qu’à quelques-uns [3] »

Depuis la crise de 2008, et même antérieurement, une grand quantité de monnaie a été émise, mais les ménages et les entreprises n’en ont que très peu bénéficié. C’est la sphère financière qui s’est taillée la part du lion comme le montre le graphique ci-dessous publié en 2016 [4]. La monnaie hélicoptère est un moyen d’éviter ce problème en permettant le versement de monnaie directement aux ménages qui l’utiliseraient non pour investir, épargner ou spéculer mais pour consommer.

Certains promoteurs de la monnaie hélicoptère proposent un transfert mensuel de 140 € aux ménages pendant un an, tandis que d’autres envisagent un versement unique [5] de 1 000 € à chaque adulte augmenté de 400 € par enfant. Il existe également des variantes quant à la modulation du montant versé en fonction des revenus du ménage.

Le problème, nous semble-t-il, est qu’en général, les adeptes de la monnaie hélicoptère font reposer ce dispositif sur les instances européennes et en particulier la Banque Centrale Européenne. Malgré l’incurie de l’Union Européenne dans la « gestion » de la crise du Covid-19 et l’incapacité des membres de « l’Union » à s’entendre, ils croient encore que l’Europe peut être d’une quelconque utilité aux citoyens. Ils refusent d’admettre qu’elle ne fonctionne pas à cause des grandes différences culturelles et anthropologiques qui existent entre ses membres, que l’euro met à mal notre économie [6] et qu’elle est de plus en plus autoritaire [7].

Quoiqu’on en pense, le fait que la France ne dispose plus d’une réelle souveraineté monétaire l’empêche de décider seule de l’usage de la monnaie hélicoptère. C’est pourquoi, il peut être opportun de mobiliser d’autres moyens que celui de la monnaie centrale, tel le drone monétaire local, susceptible d’agir au plus près des besoins économiques et sociaux de la population. Le reproche qui est parfois adressé à l’encontre de cette monnaie est qu’elle n’est pas assez ciblée. L’individu moyen risque en effet de la dépenser auprès d’agents économiques qui ne sont pas dans le besoin [8] (tels Amazon, Apple, fabricants de playstations... ). Un autre inconvénient est qu’une partie de cette monnaie va être épargnée plutôt que dépenser. Il convient donc de se montrer vigilant sur ces deux points. Nous verrons plus loin, comment éviter ces écueils.

… A DES DRONES MONÉTAIRES LOCAUX

Concrètement, nous proposons la mise en place d’une monnaie drone locale sur un territoire que nous connaissons bien, le bassin d’emploi de Montargis ou Gâtinais montargois. Sur cet aire géographique circule déjà une monnaie locale complémentaire, le méreau [9]. Nous pourrions par conséquent baptiser la nouvelle monnaie corona-méreau. Ce bassin, situé à l’est du Loiret, compte 135 000 habitants. En considérant que le PIB par habitant y est semblable au PIB par Français, nous parvenons à un montant d’environ 4,4 milliards d’euros de PIB annuel pour cette zone. Si l’on attribue 1000 € par adulte et 400 € par enfant, le montant total de la monnaie déversée par le drone sera de l’ordre de 116 à 120 millions d’euros, soit 2,7 % du PIB local. Afin de donner un ordre de grandeur plus parlant, le budget annuel par habitant du département du Loiret qui est approximativement de 1 000 € par habitant [10].

ÉMETTANT DES MONNAIES CIBLÉES ET FONDANTES

L’avantage de la monnaie drone locale par rapport à une monnaie hélicoptère européenne, consiste à flécher, en fonction du territoire, les consommations qui nous apparaissent les plus importantes voire les plus vitales. Ainsi, sur 1 000 corona-méreaux émis, nous pourrions, par exemple, en destiner 200 à l’alimentation, 100 aux restaurants proprement dits, 200 à la culture (livres, théâtre, cinéma, cours de dessin…), 100 à l’esthétique et aux soins (coiffeurs, esthéticiennes, produits de beauté), 100 aux transports doux (vélo, covoiturage, bus, train…) etc. Aux acteurs locaux de débattre, pas trop longtemps car le temps presse, et de définir des priorités.

Concernant le problème de la destination d’une partie de cette monnaie susceptible d’être épargnée plutôt qu’injectée dans l’activité économique qui en a besoin, il est possible de décider qu’elle soit fondante [11]. Nous pouvons imaginer qu’afin de favoriser sa circulation elle perde 1 % de sa valeur nominale chaque trimestre [12]. La monnaie drone créée ex-nihilo serait ainsi détruite au bout de 25 ans. C’est d’ailleurs ce qui se passe dans le système actuel : lorsqu’une banque accorde un prêt à un particulier ou une entreprise, elle crée la monnaie. Cette monnaie est ensuite partiellement détruite chaque mois, lors du paiement de l’échéance, jusqu’à l’être en totalité au terme de l’emprunt. Cette monnaie drone locale serait en fait composée de bons d’achat dédiés et fondants d’une durée de vie de 25 ans.

Afin qu’elle soit acceptée comme moyens de paiement par les entreprises situées le territoire où elle sera mise en circulation, il est impératif qu’un maximum d’agents tels le Trésor Public (via les impôts et taxes), les organismes sociaux, les grandes entreprises de services publics des domaines de l’énergie, de la distribution d’eau, des transports et des communications l’acceptent également. Ces acteurs pourront régler des salaires et des fournisseurs locaux avec des corona-méreaux. Ces derniers seraient disponibles sous forme de coupons et d’écritures électroniques.

Il est entendu que la monnaie drone locale n’est pas un remède miracle, qu’elle ne va pas résoudre à elle seule des problèmes d’une gravité dont nous évaluons encore très mal la portée, mais elle peut contribuer à ce que la situation ne dégénère pas. Nous insistons sur la nécessité de la mixer avec d’autres initiatives comme la garantie universelle à l’emploi, ou État Employeur en Dernier Ressort [13], surtout si ce dispositif est déployé dans le cadre de la transition écologique [14].

Nous sommes persuadés que la monnaie drone locale dispose d’un potentiel capable de permettre le redémarrage d’une économie amorphe tout en la réorientant vers des pratiques plus soutenables. Il nous faut par conséquent porter rapidement cette idée sur la place publique.

Philippe Lalik,


[1Jacques Sapir : La question du dé-confinement et des coûts de ce dernier : les prérequis au réveil de Blanche-Neige https://www.les-crises.fr/russeurope-en-exil-la-question-du-de-confinement-et-des-couts-de-ce-dernier-les-prerequis-au-reveil-de-blanche-neige-par-jacques-sapir/

[2Voir par exemple Aurore Lalucq et Jézabel Couppey-Soubeyran : La « monnaie hélicoptère » ou le désastre 

https://www.nouvelobs.com/economie/20200330.OBS26781/tribune-la-monnaie-helicoptere-ou-le-desastre.html

[3Jézabel Couppey-Soubeyran : La « monnaie hélicoptère » contre la dépression dans le sillage de la crise sanitaire

https://www.veblen-institute.org/La-monnaie-helicoptere-contre-la-depression-dans-le-sillage-de-la-crise.html

[4Antoine Izambard : Monnaie hélicoptère’ : la solution miracle de la BCE pour doper la croissance ?

https://www.challenges.fr/finance-et-marche/monnaie-helicoptere-la-solution-miracle-de-la-bce-pour-doper-la-

croissance_21567

[5Voir Aude Martin : Monnaie hélicoptère : et s’il pleuvait des billets ? Alternatives économiques n° 401, mai 2020

[6Luc Lenoir : Selon une étude allemande, l’euro aurait particulièrement nui aux Français

https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2019/02/27/20002-20190227ARTFIG00101-selon-une-etude-allemande-l-euro-

aurait-particulierement-nui-aux-francais.php

[7Emmanuel Todd - L’ Euro, une monnaie autoritaire https://www.youtube.com/watch?v=6QM-RxPXMWA

[8Xavier Delmas : Pour ou contre l’hélicoptère monnaie ? (à partir de 7’40’’) :

https://www.youtube.com/watch ?v=oG9ycfqovOohttps ://www.youtube.com/watch?v=oG9ycfqovOo

[10680 millions d’€ en 2019 pour 678 722 habitants.

[11La monnaie fondante, qui se déprécie avec le temps, a été théorisée par Silvio Gesell en 1916.

Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Monnaie_fondantehttps://fr.wikipedia.org/wiki/Monnaie_fondante

[12Nous ne sommes pas favorables à une monnaie fondante dans l’absolu, mais il nous paraît impérieux que celle-ci le soit.

[13Philippe Lalik : Objectif zéro chômeur dans le Gâtinais https://yonnelautre.fr/spip.php?article11307

[14L’implication des TPE locales du secteur du bâtiment dans la Transition, en lien avec le dispositif Territoire Zéro Chômeur Longue Durée, est un thème sur lequel nous reviendrons.

Par Lalik Philippe

Le mardi 22 décembre 2020

Mis à jour le 22 décembre 2020