Édition du 21.09.23
Le Peaufiné Déluré – Edition du 21 septembre 2023
Vroum-vroum dieulefitois
De l’art de s’acclimater à l’enfer
De notre envoyé spécial non motorisé, Colas Mulot
À Alain Flachaire,
Homme d’une autre culture.
Nous n’allons pas tourner autour du pot… d’échappement : le Rallye du Picodon est bel et bien un machin salement infernal ! Depuis notre article de septembre 2018 (1) nous savions que nous aurions à y revenir un jour. Robert Lamoureux, que les moins de quarante ans ne peuvent pas avoir connu, aurait pu dire : cinq ans plus tard le rallye était toujours vivant. Et bien vivant puisque selon les connaisseurs il a même encore pris du poids. L’édition 2023, le week-end des 9 et 10 septembre dernier, n’a pas failli à la tradition. C’est le moins que l’on puisse dire comme nous allons le voir. Étudions donc l’anatomie d’une persistance on ne peut plus insolite à l’heure de la surchauffe climatique.
Certes, le contexte politique local a changé depuis que nous avions passablement malmené Christine Priotto, maire de Dieulefit au moment de la publication de l’article susnommé. En juin 2020, une nouvelle équipe municipale fortement teintée d’écologie est arrivée aux manettes. On se souvient que près de trois mois s’écoulèrent – confinement anti-cobid oblige – entre les deux tours de ces Municipales. Dans ce laps de temps les futurs élus, placés très largement en tête du premier tour, furent très souvent questionnés sur leurs intentions concernant le Rallye du Picodon. Les opposants à cette manifestation « d’un autre âge » comprirent alors qu’il ne fallait pas se faire trop d’illusions. Bernard Delpal, qui deviendra ensuite « chargé de la transparence de l’information » à la Mairie, donnait le ton en déclarant que « nous n’allons pas commencer par nous mettre à dos une partie des habitants de notre commune ». Il fallait bien entendre dès lors que le rallye ne serait pas interdit de séjour à Dieulefit. Néanmoins, une fois en place le nouveau Conseil municipal décida de ne plus accorder de subventions directes à l’épreuve controversée et de raboter sensiblement la logistique mise à la disposition de ses organisateurs, soutien indirect qui avoisinait alors les dix mille euros quand certaines associations oeuvrant toute l’année dans le domaine social recevaient des clopinettes. La nouvelle équipe assurait là une sorte de « minimum syndical », la moindre des choses quand on a été élu sous la bannière de l’écologie.
Comme l’on pouvait s’y attendre ce minimum n’interrompit pas le train d’enfer du rallye. Il semble même qu’il le galvanisa en activant une sorte d’esprit de revanche exploité à l’envi par les organisateurs auprès de nombreux aficionados bien peu regardants à l’égard de la chose climatique. C’est peu de dire que tout ce petit monde se regarde d’abord le nombril. Ils sont probablement indécrottables ! Ce n’est donc pas tant de leur côté que doivent porter les principaux étonnements sur l’affaire. Les deux mamelles de cette dernière sont la duplicité et le fatalisme qui ont gagné la plupart des opposants du monstrueux raout annuel. Duplicité ? Il y a deux ans des riverains de la vieille route ont rencontré Christian Bussat en sa Mairie pour lui demander de ne pas changer le sens de circulation automobile sur ladite route lors de la nouvelle édition du rallye qui approchait à grands pas. Cet « itinéraire de dégagement » improvisé provoque en effet, durant les deux jours du rallye, un flot ininterrompu de véhicules en tous genres dévalant à vive allure tout le long de cette route étroite. M. le Maire répondit que la démarche arrivait un peu tard car il venait de valider le plan de circulation. Il promit de « revoir cela l’année prochaine ». Depuis lors, chaque année tous les riverains de la vieille route trouvent dans leur boîte-à-lettres, quelques jours avant le rallye, un avis… d’inversion du sens de circulation.
Les mêmes riverains avaient profité de la rencontre avec le premier magistrat de Dieulefit pour soulever un autre problème de circulation, non lié celui-là au rallye du Picodon. Pour se rendre dans la zone commerciale faisant face au cimetière il leur faut traverser la route principale venant de Montélimar , très passante à certaines heures, notamment l’été, avec des véhicules roulant à vitesse immodérée à cet endroit. Sur ce point précis M. le Maire avança « une solution toute simple et rapide à mettre en œuvre ». Ul suffisait de déplacer le panneau d’entrée à Dieulefit en amont de la zone commerciale afin d’obliger les automobilistes à ralentir avant d’atteindre celle-ci. Deux ans plus tard ledit panneau n’a pas bougé d’un centimètre. Un bel exemple d’immobilisme ! Un immobilisme incompréhensible. Fatalisme ? Revenons au rallye tant il nous colle à la peau plus sûrement que nos chemisettes en pleine canicule. Nous constatons avec un grand désarroi que désormais les élus, y compris les plus « écolos » d’entre eux, sont définitivement résignés : « allez, ce n’est jamais qu’un week-end dans l’année ».
Et, quel week-end ! Les réjouissances débutent dès le vendredi avec la mise en place. Oui, ils investissent toute la place. Il va y avoir du grain à moudre à la pelle durant trois longues journées ! Une armée de bénévoles pas encore déguisés s’active à l’installation des équipements nécessaires à l’éphémère manifestation, notamment pour la fête du samedi soir où la fièvre devrait grimper de plusieurs crans sous le chapiteau accueillant, pour la paella géante, des centaines de fans ralliés à la cause. Les soldats de cette armée gratuite se reconnaissent sans peine à l’état d’excitation qui les anime 24 heures avant la compète. Ils sont rejoints par une escouade de salariés de la Mairie donnant un sérieux coup de main pour le montage – et le démontage le lundi matin – des équipements prévus « pour le bon déroulement » des festivités. On entend déjà au loin le vrombissement des bolides. Ils sont en « reconnaissance ». Le samedi matin très tôt tous les bénévoles sont à leurs postes respectifs . Ils sont rodés, ont revêtu leur chasuble colorée, se sont munis de leur fanion estampillé Rallye du Picodon. Ils agissent avec autorité, ne plaisante pas. Tout doit se dérouler au cordeau. Tout va reposer sur eux, sur leur dévouement sans faille ! La course peut enfin débuter.
Rappelons que si les épreuves se déroulent sur les petites routes de la campagne environnante Dieulefit est bien le cœur névralgique du pétaradant week-end. Le PC de la course est installé en face des pompes à essence du Super U dont le patron déjà se frotte les mains. Une sorte de banc d’essai a été installé au bout des Promenades, à dix mètres d’une rangée d’habitations. Les bolides vont s’y succéder durant des heures, à pleine puissance, pour mesurer on ne sait quels paramètres des tonitruants moteurs. Les passants se rendant vers la zone commerciale – car tout de même la vie continue – en prennent plein les narines, se bouchent les oreilles tant le vacarme est assourdissant à cet endroit et pourrait même réveiller les morts du cimetière lui aussi tout proche. Ce serait presque le moment de rêver à l’enterrement, en grandes pompes, de ce foutu rallye ! Pour l’heure ce dernier a plutôt l’air – pas très pur – de s’étendre géographiquement. Il paraît en effet que cette année les épreuves poussaient jusqu’à La Motte-Chalancon, con ! Une prof d’anglais à la retraite qui demeure un peu à l’écart du village de Crupies avoue avoir « vécu un week-end d’enfer ». Elle n’est évidemment pas la seule. Au fil des années, nombre d’habitants situés sur le parcours des « spéciales » se sont résolus à aller ailleurs passer ces deux jours irrespirables. On demande à ceux qui restent de ne pas sortir de chez eux. Pour leur sécurité ! Merci, M. le Préfet.
Sécurité ? Tard le samedi soir, après la paella géante bien arrosée, un crétin des Alpes ou d’ailleurs se prenant pour Fangio – encore une référence d’un autre âge – monta à vive allure sur le rond-point des chèvres aux Grands Moulins, y faucha une sculpture animalière et termina sa course intrépide en contre-bas de la route sur un terrain appartenant, ironie du sort, à l’un des principaux organisateurs du rallye. Propreté ? Au Pré Morin, le lundi matin des dizaines de grands sacs-poubelles regorgeant de déchets non triés jonchaient le sol. Les organisateurs du grandiose barnum ne sont visiblement pas soumis à l’obligation du tri sélectif. Qui s’en est chargé à leur place ? On ne le saura sans doute jamais. Civilité ? Dans la matinée du lundi deux habitants d’un âge avancé qui se remettent doucement des émotions de ces deux pénibles journées conversent sur les Promenades de nouveau libres. Le premier raconte l’altercation qui le mit aux prises, la veille à ce même endroit, avec deux accompagnateurs du rallye s’activant dans le fatras désordonné des voitures stationnés là depuis tôt le matin. « Ils étaient très agressifs, étaient à l’évidence en territoire conquis. »Le second de lui répondre : « On autorise ce rallye, cela ne dispense pas de faire respecter un minimum de règles vis-à-vis de la quiétude de la population. Où était la Police Municipale durant ces deux jours ? » Amis lecteurs, nous ne savons pas vraiment répondre à cette question. Peut-être était-elle occupée à applaudir la course !
On l’aura compris : l’édition 2023 du Rallye du Picodon a battu de nombreux records ! Nous en avons évoqué quelques-uns… Mais, il ne faudrait surtout pas oublier celui-ci : jamais le rallye se déroulant en septembre n’avait connu une telle température atmosphérique. Lors des deux après-midis de course le thermomètre dépassa les 32° à l’ombre. Cela devrait inquiéter au plus haut point. Pourtant, cela n’inquiètent ni les organisateurs acharnés, ni les foules dévotement rassemblées au bord des routes, ni tous les « officiels » qui facilitent, de près ou de loin, la tenue de cette manifestation surannée. Il n’existe plus qu’une seule solution pour faire cesser cet insupportable délire : lui couper le robinet. Pas le robinet de la pompe à fric, celui des pompes à essence. On nomme cela le courage politique !
(1) Madamme le Maire prie les autos de ne plus revenir – Le Peaufiné déluré (septembre 2018)
Edition du 17.06.23
L’être au Lavoir
A Dieulefit, un marché pas comme les autres
De notre alter-reporter, Colas Mulot
La crise sociale n’épargne évidemment pas la population du pays de Dieulefit. Des citoyens déterminés s’organisent dans le but clairement affiché d’en atténuer les effets pour les plus démunis de nos congénères mais aussi dans l’intention ambitieuse de promouvoir une autre façon de vivre ensemble. A ce double titre, le « marché du Lavoir » a lancé sa nouvelle saison le 10 mai dernier. Huit producteurs de Dieulefit et des alentours s’y engagent pour proposer « une alimentation durable » accessible à tous. Ce marché original se tient au lavoir de la rue des Reymonds tous les mercredis de 17 à 19 heures, jusqu’au mois de février prochain. On y trouve de fort bons produits bio, locaux et variés : légumes, pain, fruits de saison (petits fruits ce printemps), oeufs, miel, fromage, agneau.
Les consomm’acteurs choisissent, en fonction de leurs moyens, entre 3 prix : accessible (65%), juste (100%) ou solidaire (125%). Une nouveauté cette année : pour indiquer l’option de prix choisie, des “cartes vitales de l’alimentation” de 3 couleurs différentes remplacent les billes en vigueur les années précédentes. Cette expérience qui préfigurent ce que pourrait être une sécurité sociale de l’alimentation ne peut que se renforcer à l’avenir afin de sortir de la marge. Aux dires de certains grincheux il n’y aurait pourtant pas de quoi en faire un plat.
Justement, mettons allègrement les pieds dans le plat : il existe un Dieulefit ouvert et un Dieulefit moisi. Fort heureusement le second est beaucoup plus étroit – c’est bien le cas de le dire – que le premier. Cette dichotomie ne recouvre évidemment pas la distinction entre natifs du cru et « pièces rapportées ». Nombre de Dieulefitois pur jus sont éminemment ouverts sur des horizons géographiques ou socio-culturels les menant bien au-delà de leur nombril et leur épargnant l’inconfort d’une trop courte vue tandis que parmi les installés de fraîche date l’on peut rencontrer des individus accrochés rageusement à de vieilles lunes que les nécessités du temps imposent pourtant d’éclipser. Moisi ? Le mot est fort ! Oui, il est fort et doit donc être illustré par quelques frasques de clocher fort affligeantes. Ainsi, on a vu fleurir ces derniers mois sur les murs de notre cité de curieuses inscriptions. Par exemple, le slogan « Oui aux migrants, non aux touristes » caricature outrageusement l’esprit d’ouverture de l’équipe municipale actuelle qui entame la seconde moitié de son mandat. Ou encore, le sarcasme affiché au bord de la passerelle enjambant le Jabron face à La Quincaille : « Pas d’eau ! ». On pardonnera cette insondable ineptie aux crétins monumentaux qui n’ont toujours pas compris que la « guerre de l’au » a bel et bien été déclarée, qu’il est grand temps de lutter contre la dramatique pénurie, que les élus en place ici ne racontent pas d’histoires en la matière. Il y a probablement dans tout cela des relents peu glorieux de défaite mal digérée par certains « natifs ».
Les récents arrivés à Dieulefit ne sont pas forcément en reste. Parmi ces « estrangers », une citoyenne, retraitée de l’enseignement « supérieur », semble pouvoir à merveille incarner le manque de clairvoyance de la minorité récalcitrante à l’égard des réalités du temps, notamment en ce qui concerne la liberté d’accès au marché des denrées alimentaires. Lors du premier confinement provoqué par la crise Covid cette citoyenne, dont nous préservons l’anonymat, avait affublé – heureusement en aparté - du vocable « terroristes » certains des bénévoles qui organisaient la distribution en circuits courts de paniers alimentaires. Ils avaient osé espérer l’associer à la démarche. Ainsi, elle fit du Darmanin avant Darmanin ! Que ne dira-t-elle pas lorsque l’on osera interdire le remplissage des piscines ? La même concitoyenne souhaite qu’un « second supermarché s’installe à Dieulefit afin de faire baisser les prix ». Oui, il existe encore des gens pour penser que la Grande Distribution est LA solution pour les plus démunis auxquels du reste cette bonne âme n’appartient pas, des gens qui n’ont toujours pas compris que ce « système intégré » signe partout où il sévit la ruine du petit commerce et par conséquent l’affaiblissement du lien social de proximité que celui-ci entretient. Il faut sans doute dépenser beaucoup d’énergie pour combattre la ténacité de ces idées reçues fortement ancrées dans des esprits depuis longtemps étriqués.
N’en déplaise aux grincheux patentés et autres atrabilaires de longue date, le marché du Lavoir est une indéniable innovation sociale. Il convient donc de l’encourager sans minauder inutilement. De fait, l’initiative dieulefitoise est moins isolée qu’il y paraît. Des expériences similaires sont désormais menées un peu partout dans l’Hexagone. D’autres devraient éclore prochainement sous l’égide d’associations engagées dans le champ du social, celui de l’écologie ou les deux ensemble. Quand on analyse d’assez près ces diverses initiatives on est frappé par le fait qu’il ne s’agit jamais de satisfaire un objectif unique. En effet, il ne s’agit pas seulement de redonner du pouvoir d’achat aux plus modestes des consommateurs par une péréquation de prix à laquelle consentent les plus favorisés. Bien au-delà de ce premier objectif éminemment salutaire il s’agit également de généraliser l’accès à une alimentation de qualité, de faire ainsi reculer la « malbouffe » à laquelle les plus démunis sont trop souvent condamnés. Ce second objectif est essentiel : on ne fait pas appel à n’importe quel producteur mais à ceux qui sont engagés dans le développement d’une « autre agriculture », loin des « mégas bassines » et arrosages de pesticides mortifères. Nous ne sommes donc pas étonnés de constater que la Confédération Paysanne est assez souvent à l’origine de ces expériences novatrices qui nous éloigne opportunément de l’agriculture dominante prédatrice.
Cependant, il y a plus encore ! Au-delà des préoccupations strictement socio-économiques des promoteurs de ces initiatives, « par-dessus le marché », on perçoit une philosophie particulière et réconfortante. On concrétise là des réflexions entamées voilà près d’un quart de siècle quand émergea sérieusement l’idée de « consommation responsable », réflexions symbolisées par me slogan « moins de biens, plus de liens », où l’être devait primer sur l’avoir. « De l’avoir plein nos armoires » ironisait le chanteur populaire. L’avoir est matériellement figé quand l’être incarne pleinement la vie, l’espérance, la volonté de changer nos existences, la possibilité de reprendre en mains l’espace et le temps. L’être c’est aussi bien sûr l’attention portée aux autres, notamment aux plus faibles. Affirmons-le sans ambages : tout cela se cache plus ou moins discrètement dans le marché du Lavoir de Dieulefit. Pour tout cela il doit donc prospérer ! Ou faire des petits qui à leur tour grandiront.
Edition du 12.12.22
Non loin de Dieulefit
Une mafia villageoise
De notre reporter intempestif, Colas Mulot
Nous allons aujourd’hui remonter le temps, retourner à l’époque d’avant la Covid. Nous allons vous conter une histoire peu glorieuse qui débuta une dizaine d’années avant la mémorable pandémie et se termina au cours des premiers mois de celle-ci. Cette histoire a pour cadre un modeste – et en apparence paisible – village situé à moins de trois lieues de Dieulefit et accroché au mitan d’une agréable montagne. C’est aux alentours de l’année 2010 qu’un nouveau forestier est venu s’installer par chez nous et décida peu de temps après d’élire domicile dans le village en question. Cet homme nous le nommerons K, comme le héros malheureux du procès, le plus illustre des romans de Franz Kafka. Du reste, nous l’allons voir, notre affaire a bien quelque chose de kafkaïen et aurait pu de fait déboucher sur un procès.
C’est dans les denses forêts du massif vosgien que K a autrefois appris son métier. Très jeune il passait presque tout son temps à la fréquentation des arbres. Il s’imprégna lentement de leurs vertus, comprit qu’une forêt s’exploite avec méthode si l’on veut qu’elle dure vraiment. C’est donc un forestier consciencieux – et solide à la tâche – qui s’installa chez nous afin d’exploiter des bois privés que leurs propriétaires négligent souvent d’entretenir. Il travaille trop bien sans doute, dans les règles de l’art comme il ne craint pas de le dire. Quand il vous promet du bois sec son bois est vraiment sec contrairement à ce que livre certains de ses confrères implantés de longue date. Très vite on va le jalouser et souhaiter plus ou moins secrètement qu’il s’en retourne d’où il vient. Ainsi, dans le village personne ne lui a jamais acheté le moindre stère de bois, les habitants concernés par ce mode de chauffage préférant se fournir chez un concurrent installé dans un autre village au pied de la montagne, et cela au risque d’une moindre qualité d’approvisionnement. Un soir d’été, après avoir rangé tout l’après-midi son stock de bois en prévision des livraisons prochaines, il se risqua à questionner l’un de ses voisins. Ce dernier sans doute grisé par les effluves d’essence de lavande s’échappant de la distillerie toute proche lui répondit : pourquoi vous achèterait-on du bois, vous n’êtes pas d’ici ! Voilà qui avait le mérite de la franchise ! Heureusement, ailleurs on savait apprécier le travail de cet homme sans lui reprocher de n’être pas du cru.
Pourtant, il y a pire dans cette affaire que l’imbécile bouderie des concitoyens de K à son égard. Régulièrement ses engins de chantier furent sabotés, notamment le tracteur indispensable au déplacement du produit des coupes réalisées dans les bois souvent escarpés sur le versant de cette montagne. Pneus crevés, roues dévissées, systèmes de freinage endommagés, la liste finit par être longue de ces avaries intentionnelles et bien sûr dangereuses pour certaines d’entre-elles. Des heures de travail perdues en vérification scrupuleuse au début de chaque journée de labeur ou en réparation lorsqu’une avarie est effectivement constatée. Encore faut-il ajouter à ce tableau désastreux le vol de tas de bois fraîchement confectionnés et disséminés sur les parcelles exploitées. Porter plainte ? Contre qui ? Ce matériel de travail restait dans les bois, loin de toute habitation, sur des terres dont K n’est pas propriétaire. Plus d’une fois ce dernier a songé à abandonner la partie par trop déloyale. Seule sa ténacité presque à toute épreuve lui a permis de tenir dix ans face à ce régime décourageant. Il espérait toujours que les choses finiraient par s’arranger.
Au cours du dernier été que K passa en ces lieux une fête fut organisée dans le village afin d’inaugurer le four à pizza communal tout récemment construit. Au début de la cérémonie, dans un silence quasi religieux, M. Le Maire, pizzaÏolo d’un soir, fit un éloge plein d’emphase du nouvel objet qui jusque-là avait probablement manqué grandement à ses ouailles. Emporté par sa verve vespérale il alla jusqu’à avouer, presque sur le ton de la confidence, qu’ayant trouvé ce four tellement beau il en avait fait installé un second chez lui. On félicita le maire par quelques applaudissements. K qui pour sa part ne trouvait pas le four à pizza vraiment beau garda bien sûr pour lui ce jugement discordant. Les pizzas étaient bonnes, la soirée se termina bon enfant. K faillit s’étrangler quelques semaines plus tard en découvrant dans les comptes diffusés par la Mairie que ledit four émargeait à … cinquante mille euros. Même en associant les deux fours, en une sorte de « partenariat public-privé » d’un nouveau type, le compte n’y était pas. Il y avait sûrement anguille sous roche. Voilà comme l’on s’arrange dans ces petits villages « bien de chez nous », se dit l’étranger définitif. Ne voulant pas en rester là K demanda à voir la facture du four communal comme tout citoyen peut exercer ce droit. On lui refusa ce droit élémentaire. Ne voulant pas capituler il songea à obtenir par la voie légale de quoi satisfaire sa curiosité légitime. Sa compagne l’en dissuada arguant du fait qu’il était déjà suffisamment mal vu comme ça dans le coin. L’affaire du four en resta là. Ou du moins elle resta sur l’estomac de K tout comme l’ostracisme dont il faisait l’obbjet depuis des années. Si nous faisions preuve d’inconvenance nous rappellerions que la pizza et la mafia sont toutes les deux napolitaines d’origine !
Les sabotages continuèrent. Au printemps suivant, une avarie peut-être plus sévère que d’habitude fut la goutte d’eau qui mit le feu aux poudres, l’étincelle qui fit déborder le vase. Ce fut décidé : il faut partir. K prospecta, monta en Lorraine où rapidement il trouva le lieu d’une nouvelle installation pour son activité. Là, il exploite de nouveau de « vraies forêts » loin des mesquineries méridionales. Avant de nous quitter il aurait pu donner la main à une autre victime de l‘ostracisme ambiant en la personne d’un éleveur d’agneaux vivant et travaillant à Bourdeaux depuis plusieurs années. Lui, c’est avec des chasseurs du cru qu’il eut maille à partir. Partir est bien le mot qui convient : il est désormais installé en Ariège avec sa famille. A ce qu’il paraît, il a été plutôt bien accueilli, tout comme K en Lorraine. Chacun de son côté, il leur arrive peut-être de fredonner de temps en temps et tout en travaillant les paroles de Brassens : « …des gens qui regardent Le reste avec mépris du haut de leurs remparts / La race des chauvins des porteurs de cocardes/ Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part ».
Edition du 21.06.22
Musiques en festival
Quand Dieulefit demeure une oasis de tolérance et de diversité
De notre envoyé exclusif, Colas Mulot
« - Moi, j’ai dit Bizz’art, Bizz’art, comme c’est étrange ! Pourquoi aurais je dit Bizz’art, Bizz’art ?
– Je vous assure mon cher cousin, que vous avez dit Bizz’art, Bizz’art.
– Moi, j’ai dit Bizz’art, comme c’est Bizz’art ! »
On aura sans peine reconnu ici un pastiche du dialogue cocasse entre Louis Jouvet et Michel Simon dans le film « Drôle de drame » de Marcel Carné (1937, dialogue de Jacques Prévert). Drôle de drame ? On ne saurait mieux dire s’agissant des avatars vécus par le Festival de musique Oasis organisé depuis des années au mois de juillet par La Bizz’art Nomade. On se souvient en effet qu’à la suite de l’édition 2018 de cette belle manifestation qui avait attiré durant trois jours dans le parc de la Baume près de trois mille personnes – dont de nombreux jeunes – le Conseil municipal de Dieulefit adopta à la majorité une motion proposée par la première magistrate de l’époque, motion qui contenait la sentence définitive suivante : « Nous n’accueillerons plus le festival au théâtre de Verdure, qui n’est pas du tout adapté à cet événement. » Aucun incident sérieux – et encore moins d’accident – n’avait pourtant émaillé le festival. On ne peut en dire autant du tonitruant Rallye automobile du Picodon qui, lui, n’a pourtant jamais été considéré par l’ancienne municipalité comme un évènement « pas du tout adapté » à l’environnement de Dieulefit et de ses alentours. Quelles étaient donc les raisons du mauvais coup infligé alors à la joyeuse manifestation culturelle multicolore de La Bizz’art ? Le flou est demeuré sur les tenants et aboutissants de l’interdiction prononcé sans appel pour l’avenir d’Oasis. Comme il se doit le plus souvent en pareille affaire des langues ne tardèrent pas cependant à se délier. Prêtons-leur de nouveau nos oreilles quatre années plus tard. Et, sourions-en !
La musique, en principe, adoucit les mœurs ! Mais, pas pour tout le monde, semble-t-il. Pas pour une minorité d’habitants souvent prompts à ronchonner pour des peccadilles ou à nourrir la machine à cancans dieulefitarde. Les mêmes , peut-être, qui se livrent à l’occasion, toute honte bue, à la délation photographique à l’aide de leur téléphone portable. En ce mois de juillet 2018, le festival Oasis à peine terminé on commença d’alimenter un argumentaire hétéroclite, digne de l’inventaire à la Prévert, destiné à jeter le discrédit sur l’évènement. Nous ne choisirons ici que quelques exemples de ce délicieux florilège. D’abord, ce festival serait beaucoup trop bruyant ; il empêcherait certains riverains de dormir. Soulignons que les concerts se terminaient chaque jour au plus tard vers une heure du matin. Mais, chacun sait que l’été à Dieulefit, surtout quand il fait très chaud, les gens vont au lit très tôt ! Ces grincheux intempestifs n’ont-ils jamais élevé une protestation ou signé une pétition contre le vacarme des moteurs – cyniquement nommés atmosphériques – du Rallye du Picodon ? Les oreilles de certains de nos concitoyens sont curieusement sélectives et au goût incertain. Ensuite, ce festival attirerait des jeunes qui au fil de la soirée finissent par être passablement éméchés et, à l’approche du 14 Juillet, manient de curieux pétards. Pour faire bonne mesure on imaginerait bien une grenouille de bénitier à l’esprit étriqué déclarant avoir vu quelque couple se diriger fébrilement vers un fourré assombri pour s’y adonner à on ne sait quelle débauche de soir torride. Un désordre à la morale publique fut, lui, en revanche bel et bien dénoncé : une jeune femme avait osé se rafraîchir à l’eau d’une fontaine… les seins nus ! Voilà une poussée anachronique de pudibonderie qui va nous inciter à filer lestement la gaudriole.
Pudibonderie ? Oui ! Et même pudibonderie mâtinée de voyeurisme car, on le sait bien, les dénonciateurs des comportements indécents de nos congénères sont souvent les premiers à zieuter par le trou de la serrure. C’est d’ailleurs à cause de ça qu’ils peuvent alerter les autres qui n’avaient pas même remarquer la chose. Rendez-vous compte, une jeune femme a exhibé ses nichons au clair de lune ! Amusons-nous donc un peu de ce scandale d’un soir d’été à Dieulefit. Les seins des femmes ? Il nous est donné de pouvoir en contempler, plus ou moins discrètement, au clair de lune ou en pleine lumière, une large variété : des petits ou des opulents, des pointus ou des aplatis, des pâlots ou des cuivrés, des tristement tombants ou des fièrement dressés, des arrogants ou des timides, etc. Ils sont, tous, à l’image de la grande diversité de caractères des habitants d’ici et d’ailleurs. Poussons plus loin encore l’amusement quelque peu gaulois en contant une vieille et authentique anecdote. L’histoire se déroule à Erdeven, sur la côte morbihanaise, dans les années 1970. Il y a là une très grande plage de sable fin dont une partie est dévolue aux adeptes du naturisme, vous savez, celles et ceux qui affectionnent d’ôter également le bas ! C’est aussi sur cette portion de côte encore sauvage qu’EDF projetait à l’époque de construire une centrale nucléaire. Une nuit, des paysans du coin inondèrent de lisier nauséabond la plage naturiste. La nuit d’après, des militants anti-nucléaires venus d’un peu plus loin répondirent en inscrivant au goudron sur plusieurs murs de la commune la maxime circonstanciée suivante : oui aux nichons, non aux neutrons ! La plage naturiste existe toujours aujourd’hui ; la centrale nucléaire ne fut jamais construite. Ainsi, à Erdeven, le tolérable est resté, l’intolérable écarté.
Revenons à Dieulefit. L’histoire précédente nous enseigne que si la tolérance est essentielle elle ne saurait être absolue. Pas de tolérance pour les intolérants ! Dans l’affaire du festival Oasis la Mairie a fait incontestablement preuve d’une légèreté coupable. Le fatras de rumeurs farfelues ou fort peu étayées brandi contre Oasis fut saisi comme une aubaine au service d’on ne sait quel trouble dessein. Madame la Maire sut habilement trouver la complicité – entre autres élus atrabilaires – de « Belotte & Loto » et de « l’homme qui déplantait des arbres » pour faire aboutir sa sentence d’interdiction. Le discernement défaillant de ces élus en la circonstance démontrait qu’ils ignoraient superbement que la tolérance et la diversité sont les deux indispensables mamelles du « bien vivre ensemble ». (Deux ans plus tard cette équipe a royalement perdu la Mairie.) Le festival Oasis aurait pu ne pas se remettre du sournois coup de pied de l’âne qui lui fut ainsi infligé. Le salut vint de la commune de Montjoux qui accueillit généreusement le festival En juillet 2019. Puis la crise sanitaire surgit. Oasis est enfin revenu au parc de la Baume en juillet 2021 – grâce à l’accueil naturel de la nouvelle municipalité de Dieulefit – mais avec une édition plus modeste qu’autrefois car la crise sanitaire sévissait toujours. C’est donc vraiment cette année que le festival va retrouver sa pleine capacité à offrir la grande diversité artistique qui, chaque fois, ravit un public nombreux.
Les fidèles seront forcément là. Il serait bon que ceux qui dénigrent l’évènement sans jamais y avoir réellement poser leurs pieds aient enfin la saine curiosité de pénétrer dans cette chaleureuse Oasis. Il leur suffira de bouger courageusement leurs fesses – bien sûr sans les montrer – pour venir se laisser envahir les oreilles, les neurones et l’âme par les richesses musicales proposés par La Bizz’art Nomade. Les organisateurs du festival sont évidemment enchantés de revenir au parc de La Baume : « LE plus grand festival, des musiques actuelles du monde et arts nomade, installé en Drôme est de retour du 7 au 9 juillet. » Il n’y aura donc pas que de la musique. On y trouvera une quinzaine de « stages pour expérimenter, apprendre, se perfectionner et partager » : arts plastiques, Chants kurdes et méditerranéens, polyphoniques, Percussions orientales, Danse de Grêce et du Kurdistan, Danse contemporaine, Cuisine congolaise, Slam, écriture et Dessin, Pilate, Danse N’Dombolo, Chant Maloya, Fabrication de Kayamb, etc. (1) Cette diversité culturelle foisonnante ne pourra que repousser potentiellement les limites de l’intolérance. Il nous resterait à formuler un vœu sincère en ces temps climatiques fort difficiles : qu’une eau pure et fraîche jaillisse en abondance à toutes les fontaines de Dieulefit durant toute la durée du festival Oasis. Considérons alors que ce souhait est comme une ardente prière : par tous les seins !
(1) Programme musical complet et inscription aux divers stages sur le site www.bizzartnomade.net
Edition du 2.01.22
Accident de chasse à Dieulefit
Un sasseur ne sassant sasser sans son sien
Une investigation minutieuse de Colas Mulot, enquêteur spécial
J’ai beaucoup de peine à trouver une place pour ma voiture sur le parking de l’hôpital. Il me faut ensuite chercher le bureau du chirurgien qui s’est occupé de la victime à son arrivée ici avant-hier. « Bonjour, M. Mulot. Je suis enchanté de faire votre connaissance. Vous l’ignorez mais je suis un lecteur assidu de votre journal intempestif et irrévérencieux. Venons-en tout de suite à l’objet de votre visite. Nous avons opéré Mme Cordier dès son arrivée chez nous. Elle revient de loin. Elle avait perdu beaucoup de sang. La balle n’a pas été facile à extraire. Fort heureusement, aucun de ses organes vitaux n’a été vraiment endommagé. Elle est de bonne constitution mais à soixante-dix ans on ne se rétablit pas aussi rapidement qu’à trente ou quarante ans. Au plan physique, elle ne devrait garder aucune séquelle. En revanche, au plan psychologique, je suis plus inquiet. Pensez donc : se promener paisiblement dans les bois le jour de Noël et se faire tirer comme un lapin, si vous me permettez cette expression triviale. Elle est encore très fatiguée et sous le coup de cette forte émotion. Je vous autorise néanmoins à lui parler à condition que l’entretien ne soit pas trop long. Elle a déjà eu une visite hier, bien malgré moi, en la personne de Michel Thiravu, le Président de la Société de chasse de Dieulefit. Je ne sais même pas comment il a trouvé la chambre de Mme Cordier sans passer par nous. Ces gens sont sans scrupules, se croient tout permis ! » Que voulait-il ? dis-je d’un air faussement intrigué. « Ce n’est pas difficile à deviner. J’imagine qu’il est venu s’assurer que Mme Cordier ne porterait pas plainte contre l’auteur du tir malencontreux qu’il va être probablement malaisé d’identifier . » Docteur, ils ont un pouvoir exorbitant qui leur vient de loin . Savez-vous, que les Sociétés départementales de chasse ont été créées sous le Régime de Vichy en 1941 ? Ainsi, les chasseurs d’aujourd’hui sont en quelque sorte des enfants de Pétain ! « Je reconnais bien là votre humour dévastateur, M. Mulot. Comme moi, vous ne semblez guère les aimer ces messieurs de la gâchette… Allez, je vous laisse vous rendre auprès de Mme Cordier. Au plaisir de vous revoir. »
Elisabeth Cordier me sourit timidement à mon entrée dans sa chambre. « Colas Mulot, je suppose ? On m’a prévenu de votre venue. J’ai accepté de vous voir bien que ne souhaitant guère, dans les circonstances présentes, rencontrer des journalistes. Je fais donc une exception pour vous, en raison de l’honnêteté foncière de votre journal. » Je vous remercie et m’efforcerai d’être digne de votre confiance. « C’est difficile pour moi, je ne souhaite pas porter plainte, à Dieulefit tout le monde se connait, nous avons souvent dans notre entourage ou au sein de nos familles des chasseurs que nous côtoyons assez régulièrement et que nous pouvons apprécier par ailleurs. En même temps je n’ai pas envie que ce genre d’accident qui aurait pu me coûter la vie se reproduise. J’aimerais donc quand même savoir ce que l’on pourrait faire pour éviter une telle mésaventure à l’avenir. » Elisabeth Cordier fixe du regard l’énorme bouquet de fleurs trônant à sa droite sur la table de chevet. « Un geste des chasseurs dont je ne suis évidemment pas dupe. Ils ont la trouille, ils n’ont pas si bonne presse en ce moment… D’autant plus que cela fait au moins trois accidents en quelques mois. Moi, je n’ai pas trop envie de leur faire de cadeau. » Sachez, Mme Cordier, Que si vous ne portez pas plainte le Capitaine Crochu de la gendarmerie de Dieulefit, qui est un défenseur inconditionnel des chasseurs, ne bougera pas le petit doigt. Pour ma part, ma curiosité maladive me pousse aussi à vouloir comprendre comment un tel accident est possible. « Je vous l’ai dit, je vous fait confiance, vos articles ne sont jamais injurieux ou diffamants, et ce n’est pas la vie privée des gens qui vous intéresse. » Alors, auriez-vous au moins un petit indice me permettant de débuter une discrète investigation ? « L’auteur du tir zozote ! » Il zozote ? « Oui ! Juste avant de perdre connaissance j’ai entendu l’un des hommes rassemblés autour de moi dire ceci : ze te zure, Missel, z’ai vraiùment cru qu’il s’azissait d’un sevreuil ». » Voilà qui est très intéressant ! Quelque chose me dit que je vais aller vendredi soir réveillonner chez les chasseurs. Dans l’immédiat, je vous laisse vous reposez et vous souhaite, Elisabeth, un retour rapide chez vous.
Le « rendez-vous de chasse » est aujourd’hui bien connu à Dieulefit. Situé en bordure du très beau parc Réjaubert - qui aurait pu devenir municipal mais est désormais interdit aux promeneurs - il a été édifié sur un terrain offert gracieusement par la Mairie en 2018 et est rapidement devenu le lieu de rassemblement régulier des chasseurs au retour de leurs expéditions. Ce soir, ils vont probablement être au complet : deux rangées de 4x4 Diesel plus ou moins rutilants cernent l’édifice où les réjouissantes à l’évidence sont déjà entamées. Je réussis à me faufiler entre deux véhicules. Ma petite auto fait bien pâle figure face à ces mastodontes tellement en harmonie avec l’idée que l’on se fait de leurs propriétaires. Devant le bâtiment, deux gros chiens semblent monter la garde. On a dû les prévenir de ma venue car ils me laissent pousser la porte sans broncher. Une douce chaleur règne à l’intérieur. Michel Thiravu s’avance vers moi : « M. Mulot, bienvenue chez nous. Nous sommes heureux de vous accueillir mais je ne vous cache pas que nous sommes un peu intimidés. C’est la première fois que nous recevons un journaliste. J’espère seulement que vous ne venez pas en ennemi… » Sans attendre ma réponse il me tend une coupe de Champagne et m’invite à trinquer avec lui. « Sachez, M. Mulot, que nous déplorons tous le regrettable accident de samedi dernier. Dieu merci, Mme Cordier est tirée d’affaire. » C’est alors que j’aperçois dans le fond de la salle le Capitaine Crochu en grande conversation avec plusieurs chasseurs. Un rapide coup d’œil circulaire m’indique qu’aucune femme n’est présente ici ce soir. La chasse est décidément une affaire d’hommes !
Je suis là depuis un quart d’heure à peine lorsque la porte s’ouvre sur une dame que je ne reconnais pas immédiatement. Le maître des lieux se précipite à sa rencontre. « Bonsoir Gigi, comment vas-tu ? » La dame esquisse un sourire forcé puis se campe au milieu de l’assemblée. « Je ne vais pas très bien, Michel, comme tu pourrais l’imaginer. Dieulefit est en émoi, pour ne pas dire en colère. Ces trois derniers jours, j’ai eu l’occasion de rencontrer plusieurs responsables d’associations. Ils sont tous très énervés. Je mentionne notamment les Amiches de la Terre, le Correctif Mitoyen et, surtout, le Réseau Intercommunal d’Epanouissement par le Numérique. La mobilisation de cette dernière structure pourrait être déterminante dans cette triste histoire : d’abord parce qu’Elisabeth Cordier, que je connais bien par ailleurs, travaille pour elle généreusement trois jours par semaine ; ensuite parce que les adversaires de la chasse sont en général beaucoup mieux connectés à l’Internet et aux réseaux sociaux que vos partisans traditionnels. Ils communiquent facilement, l’information circule vite entre eux. Ils savent fédérer les énergies. Bref, le lendemain des fêtes promet d’être chaud à Dieulefit. » Comme pour faire écho à cette dernière sentence un chasseur se lève et se dirige vers le feu : « Ze vais razouter une busse dans la seminée. » Voilà donc notre homme, me dis-je en tentant de dissimuler ma satisfaction derrière un sourire détaché. C’est néanmoins à cet instant que la dame si
familièrement nommée Gigi, que j’avais en fait reconnu dès qu’elle avait débuté sa tirade, constate ma présence. « Michel, qu’est-ce qu’il fait ici ce journaliste ? » L’interpellé sourit franchement : « Tout comme toi, il est ce soir notre invité. » Gigi fait une grimace de dégoût : « vous tentez le Diable ! Ne savez-vous pas qu’il trempe sa plume dans le vitriol plus souvent qu’à son tour ? » Michel Thiravu ne se départit pas de son sourire : « Tu en sais quelque chose. Il t’a en effet épinglée plus d’une fois. Pour notre part, comme dirait le Toine, nous n’avons rien à casser ! » Et, se tournant légèrement vers le somptueux buffet dressé derrière lui, il ajoute, déjà très satisfait de son soudain trait d’esprit : « Sauf la croûte, bien entendu. »
Le repas est fort copieux et bien arrosé. Incontestablement, les chasseurs savent recevoir. L’alcool aidant, les langues ne tardent pas à se délier, ce sur quoi je compte pour poursuivre mon investigation. On comprend vite que Gigi n’est pas venue ce soir par simple courtoisie mais compte repartir tout à l’heure avec quelques assurances pour l’avenir. « Michel, trois accidents en quatre mois c’est intolérable. Il va falloir agir, ne serait-ce que pour calmer la population. » Le Président ne sourit plus. « Chère Gigi, tu ne vas tout de même pas rejoindre les partisans de l’interdiction de la chasse ? Ou au minimum sa fermeture le week-end ? Nous devons respecter absolument les traditions. Dans ma famille, on est chasseur depuis six générations et c’est comme ça pour la plupart d’entre nous. Les accidents ? Ils sont tout-à-fait regrettables mais nous sommes assurés et prenons en charge la réparation des dommages non couverts par les assurances. Il y a des milliers d’accidents mortels chaque année sur les routes, on n’interdit pas pour autant la circulation automobile. » Un autre chasseur, comprenant que le patron a besoin de retrouver son calme, prend le relai : « Et puis, nous devons réguler la faune sauvage. C’est aujourd’hui indispensable. » Vous régulez surtout le flux des animaux que vous élevez et lâchez dans la nature juste avant l’ouverture de la chasse, dis-je passablement agacé. Je sens alors l’hostilité monter autour de moi. C’est le moment de porter l’estocade. Regardant le Toine dans les yeux je lance : comment peut-on prendre une promeneuse de jaune vêtue pour un chevreuil ? Un silence de plomb s’abat sur l’assistance. Tous les chasseurs se regardent, médusés. Le Toine est pétrifié, Michel Thiravu livide. Gigi me dévore des yeux, interloquée d’abord, un tantinet admirative ensuite. Le Capitaine Crochu attend à l’évidence une réaction de son ami Thiravu.
Le Président rompt enfin le silence. « M. Mulot n’est pas qu’un journaliste mordant, il est également un fin limier. Nous devons nous incliner. Ce n’est quand même pas de chance… Depuis que je connais le Toine je ne l’ai jamais vu atteindre le moindre gibier. Le seul animal qu’il a tué c’est son chien Sherpah lors de cette mémorable battue aux sangliers organisée chez Charly Barjot à la ferme des Jarets voilà deux ans. » Courroucée, Gigi lui coupe la parole
: « Et vous continuez de l’emmener à la chasse, de lui confier un fusil ? C’est de la pure inconscience ! Savez-vous que ce que vous nommez un regrettable accident serait requalifié par la Justice en homicide involontaire si la victime avait perdu la vie ? Je te rassure, Michel, je ne réclame pas l’interdiction de la chasse. Je sais de plus que vous pouvez encore compter sur quelques solides soutiens au sein du Conseil municipal actuel même si on n’y trouve plus l’unanimité d’hier. Mais, il va falloir que vous mettiez sérieusement de l’ordre dans vos rangs. » Le Capitaine Crochu se sent obligé d’acquiesser de la tête. Michel Thiravu reprend courageusement : « Je décide aujourd’hui que le Toine n’aura plus dorénavant le droit de porter un fusil, du moins en notre présence. Toine, tu restes évidemment parmi nous, tu as d’autres talents. M. Mulot, c’est le Toine qui cette année encore a confectionné notre crèche de Noël. Il a lui-même sculpté tous les personnages, Jésus, Marie, Joseph… » Gigi reste visiblement sur sa faim. « Cela est très touchant mais un peu court. Toine n’est tout de même pas responsable de tous les accidents. A l’avenir, vous allez devoir surveiller de près à qui est accordé le permis de chasse. » Plusieurs chasseurs baissent la tête, aucun n’ose protester. Le Président espère pouvoir conclure : « Je promets que nous traiterons très sérieusement de cette question lors de notre prochaine Assemblée générale dans moins d’un mois. Gigi, tu pourras le vérifier, tu seras invitée comme chaque année. » Nous nous regardons Gigi et moi. J’ai fortement l’impression que nous avons la même envie : quitter cette soirée devenue pesante. Je songe, en mon for intérieur, qu’il conviendrait de déguerpir avant minuit afin d’éviter d’hypocrites effusions. Cinq minutes plus tard nous sommes tous deux à l’air libre. La nuit est étoilée, l’atmosphère légèrement chargée d’humidité. Sans nous concerter nous décidons de faire quelques pas avant de nous séparer.
« Vous avez fait très fort, M . Mulot. Nous étions ce soir des alliés de circonstances. Michel Thiravu a raison, vous êtes une sorte de Tintin ! » Vous trouvez vraiment que j’en ai le look ? Et vous, Gigi, ne seriez-vous pas alors un peu la Castafiore ? « Vous ne ratez jamais une occasion de mettre l’autre en boîte, vous saisissez toutes les perches que l’on vous tend, faites feu de tout bois… Vous êtes redoutable ! Passons, je ne vous en veux pas. J’ai plutôt une question à vous poser. Quel est votre secret ? » Mon secret est que je n’ai pas de secret. J’ai tout au plus quelques principes bien établis. Par exemple, ne jamais me fier aux apparences, elles sont la plupart du temps trompeuses. Les arbres les plus verdoyants peuvent cacher des forêts de curieuse facture. « Je crois que vous êtes un homme dangereux, M. Mulot. Vous connaissez trop bien la société dieulefitoise. » Je la connais assez bien, en effet. Et de longue date. Tenez, savez-vous que j’ai bien connu votre oncle Albert ? Un paysan à l’ancienne que je n’ai jamais vu tenir un fusil. Il préférait chanter plutôt que chasser. Gamin, je montais sur le dos de son cheval Bijou et caressais au printemps les cabris de la ferme. Et la Mama, votre grand-mère, quelle femme délicieuse ! On ne parlait pas la même langue, tout passait cependant dans l’échange des regards. Je vous parle en partie d’un temps, Gigi, où vous n’étiez pas encore venue au monde. Voyez-vous, il y a traditions et traditions ! A chacun ses souvenirs… « Là, vous jouez sur la corde sensible. Je suis forcément très touchée… Mais, revenons à notre soirée… J’imagine que vous allez rapidement écrire un papier sur cette pénible affaire. Je vous ai vu prendre discrètement quelques photos. Vous allez mettre le Toine à la Une ? » Pour la Une, j’ai mieux que la bobine de ce pauvre Toine. J’ai immortalisé la cresse des sasseurs, avec le petit-Zésus et les rois mazes. Oserai-je ajouter comme légende, tu ne tueras point ? N’oublions pas que dans quelques jours ces messieurs vont tirer les rois. « Attention à vous, M. Mulot. » C’est une menace ou une aimable mise en garde ? « « Une aimable mise en garde. Certains de ces chasseurs ont la gassette facile, l’un d’eux pourrait un jour vous prendre pour une bisse ! » Voilà que vous vous y mettez à votre tour. « C’est sans doute que votre humour ravageur est contagieux. Bon, je ne m’ennuie pas avec vous mais je commence vraiment à avoir sommeil. Je vais rentrer. » Je vous souhaite sincèrement, Gigi, une très bonne nuit malgré toutes les émotions de la soirée. Moi, je vais tout de suite écrire mon papier, à chaud, il sera plus percutant. « Alors, bonne nuit studieuse… mon Coco ! »
Edition du 28.10.21
Pays de Dieulefit
Une salade de champignons ou le cueilleur cueilli
De notre envoyé incognito, Colas Mulot
Quelle salade ! Chacun connaît la morale de la célèbre fable : tel est pris qui croyait prendre. On se souvient également bien de l’histoire de l’arroseur arrosé. Dieulefit vient d’en vivre cette semaine une nouvelle et savoureuse illustration. L’affaire se déroule cette fois dans le milieu, en principe paisible, des cueilleurs de champignons. Voilà peu de temps un amateur éclairé en la matière, que nous ne nommerons que par son seul prénom, Claude, se targuait d’être un cueilleur parcimonieux et, fort de cette suprême qualité, faisait par l’envoi d’une missive sentencieuse la leçon à quelques congénères à qui il reprochait de ne pas avoir la même retenue au moment de leur cueillette dans « des bois privés ». Cette missive adressée par courriel à tout un aréopage disparate fut rapidement appuyée par un autre amateur de champignons nommé Vincent qui lui aussi saisissait là l’occasion d’affirmer sa compréhension de l’intérêt des propriétaires de ces bois. Tous deux insistaient sur l’étroite collaboration entre lesdits propriétaires et les… gendarmes à des fins de verbalisation des dangereux aventuriers. L’appel à l’autorité de la maréchaussée associée à la défense empressée de la propriété privée. Benoîtement, le premier écrivait qu’il convenait de se limiter à « une cueillette frugale et modeste » pour ne pas provoquer les foudres des vigilants propriétaires. Le second ne pouvait qu’acquiescer. Voilà un tandem qui aime que les choses soient bien ordonnées !
Nous en arrivons au moment cocasse de l’histoire. Dans la matinée ensoleillée de mardi dernier, deux des principaux interpellés par la récente missive, tombèrent nez-à-nez, au détour d’un sentier serpentant dans un bois réputé privé , sur le fameux Claude flanqué d’un acolyte et portant deux gros paniers remplis de… champignons. Face aux regards pour le moins surpris des deux premiers nommés notre donneur de leçons ne sut que bredouiller : ce n’est pas pour moi, je suis là seulement pour aider mon ami. Une excuse bien peu convaincante, on en conviendra. Il y avait vraiment de quoi être penaud : être pris ainsi la main dans le… panier à champignons. Un bel exemple de duplicité ! Faîtes ce que je dis mais ne dîtes pas ce que je fais. La frugalité et la modestie en matière de cueillette sont donc à géométrie variable.
Revenons un instant sur le sujet des préoccupations des propriétaires de ces bois. Nous disons bois car il serait pour le moins abusif de parler de forêts. Ces bois, plutôt mal entretenus, sont de plus en plus souvent clôturés obligeant les tranquilles promeneurs, assez peu nombreux, à faire de longs détours au cours des randonnées qu’ils affectionnent depuis des années. L’ami Claude affirme que « la complaisance des propriétaires privés nous conforte actuellement ». Il ne faut donc pas les décevoir, imagine-t-on. Que pense-t-il alors d’une autre complaisance des propriétaires, celle à l’égard des chasseurs qui sont, eux , autorisés sans réserves à pénétrer ces bois privés, parfois pour des battues autrement plus déstabilisantes pour les sous-bois que le passage des randonneurs ou des cueilleurs ? Ces derniers ne sont armés au pire que d’un canif et nous n’avons jamais eu à déplorer d’accident de cueillette de champignons. On ne peut en dire autant en ce qui concerne la chasse. Précisons qu’il n’y avait pas de chasseurs mardi dernier dans le bois de notre fable. Ainsi, nos protagonistes n’ont pas risqué de recevoir une décharge de chevrotines dans les fesses. En revanche, notre donneur de leçons aurait pu mériter de se faire sévèrement botter le derrière. Heureusement il avait face à lui des individus fort pacifiques. Pacifiques et honnêtes. Honnêtes car évitant de pratiquer le double jeu. Du reste, ils ne sont toujours pas revenus de leur découverte du jour et méditent depuis sur cette autre maxime : les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Cependant, ils sont parfois impayables !
Edition du 1.06.20
Anti-écologie dieulefitoise
Francis Gresse : « J’irai scier sur vos tombes ! »
De notre envoyé spécial, Colas Mulot
A Dieulefit, le déconfinement semble libérer l’imagination des individus les plus vils. Tandis que la plupart des concitoyens savourent les joies du retour à une vie à peu près normale quelques autres s’échinent à remettre en lumière leurs vieilles rancoeurs. C’est ainsi que Francis Gresse, premier adjoint de Mme Christine Priotto, maire de la commune, a décidé de faire abattre jeudi dernier 28 mai la rangée de cyprès du cimetière. Des familles se plaignaient depuis un moment des saletés que ces arbres répandaient sur les tombes de leurs chers disparus. De bon matin on se mit donc à l’ouvrage ce jeudi. C’est l’adjoint aux travaux qui dirigea la manœuvre sans se poser davantage de questions. Rapidement, huit cyprès furent sciés à leur base . Des arbres centenaires et en parfaite santé. L’arrivée sur place d’une trentaine d’habitants scandalisés par le forfait permit d’interrompre la sale besogne. Malheureusement, deux cyprès seulement purent ainsi être sauvés.
Comme on aimerait connaître ces familles tellement soucieuses du repos éternel de leurs ascendants que même la chute d’épines de résineux pourrait troubler. On oserait alors peut-être leur dire qu’il existe bien d’autres manières de respecter la mémoire des regrettés défunts que de sacrifier de si précieux arbres. En fait, nous pouvons douter ici de la volonté prétendue desdites familles : elles ont peut-être tout simplement protesté contre le manque d’entretien du cimetière durant le confinement. Remédier à ce petit désagrément ne méritait évidemment pas le recours au moyen expéditif et irrémédiable employé par la mairie. Il paraît que la première magistrate de la commune n’était pas au courant du projet de son premier adjoint. Les dieulefitois qui savent avec quelle autorité Mme Priotto a tenu la mairie tout au long de ses mandats ont grand peine à croire cette version des faits. Quoi qu’il en soit, la chose est grave pour deux raisons : outre la destruction, à l’heure où l’on doit préserver la biodiversité , d’arbres auxquels d’autres très nombreuses familles de Dieulefit sont attachés le geste inconsidéré de Francis Gresse est un déni de démocratie puisqu’il est accompli sur le domaine public sans aucune consultation ou information préalables de la population.
Quand le vent de l’écologie semble enfin souffler sur Dieulefit les mauvais perdants perdent aussi la tête. Cet acte imbécile sonne comme l’enterrement d’une longue vie d’élu local sans grand relief. Un enterrement de dernière classe ! Demain, une nouvelle équipe investira la mairie de Dieulefit, pour un redressement démocratique attendu et une attention forcément plus soutenue à l’environnement naturel des habitants. Hélas, la vie ne pourra être rendue aux cyprès du cimetière sacrifiés sur l’autel de la petitesse. Nous n’en garderont que la mémoire, l’écume des jours.
No copyright.
Edition du 10.09.18
Pays de Dieulefit
Madamme le Maire prie les autos de ne plus revenir
De notre envoyé spécial, Colas Mulot
Au lendemain d’un week-end marqué par la Journée mondiale pour le climat c’est une sorte de cataclysme qui secoue la commune de Dieulefit. La première magistrate de ce gros bourg si paisible aurait décidé, ce lundi 10 septembre, après une nuit de mauvais cauchemars, d’intervenir fermement pour que le traditionnel rallye du picodon soit désormais interdit et que, au minimum, « il ne puisse plus circuler sur le territoire de ma commune ». Rappelons que si dans nombre de villes du monde on marchait pour le climat ce samedi, à Dieulefit on roulait pour le rallye automobile du picodon durant deux longues journées. Il y avait là une confusion qui ne pouvait qu’ébranler la conscience d’une élue de la République soucieuse de la défense de l’intérêt général sur le long terme. En fait, la confusion est ici d’autant plus forte que Madame Christine Priotto avait gentiment accueilli à la mairie jeudi dernier les cyclistes du tour Alternatiba pour un petit-déjeuner au cours duquel lesdits cyclistes exprimèrent avec conviction aux élus présents les enjeux majeurs de la crise climatique . Cette coïncidence d’évènements fortement contradictoires avait donc de quoi perturber le sommeil des citoyen normalement constitué, entendons par-là les citoyens qui voient le climat plus loin que le bout de leur nez. Leurs rêves des dernières nuits ont probablement dû être perturbés par les irruptions pétaradantes et nauséabondes des « as du violent ».
Un autre évènement concomitant pourrait avoir fait pencher la balance vers la disgrâce annoncée de ce rallye d’un autre âge. Ce samedi soir, dans le cadre du beau festival « Eclats de voix », Arthur H donnait un concert à La Halle de Dieulefit. Après trois chansons, devant une salle comble et déjà conquise, il s’excusa de sa grande fatigue après une si longue et éprouvante journée. C’était là son entrée en matière inattendue pour ensuite ridiculiser avec un humour décapant le tonitruant rallye et ses protagonistes qui ont tellement bien compris que pour le climat il fallait aujourd’hui se faire entendre. Alors, à fond les moteurs, jusque dans les oreilles des vaches de Comps, histoire qu’elles réfléchissent enfin elles aussi à leur environnement ! L’artiste a été chaleureusement applaudi pour cette savoureuse parenthèse, des spectateurs lui ont crié merci. Il est des citoyens qui préfèrent, pour l’adoucissement des mœurs et du climat, la diversité des « oasis de musique » à la virilité des rouleurs de mécaniques vrombissantes. Arthur H a certes aimé l’accueil qui lui a été réservé à Dieulefit. Grâce au rallye du picodon il n’oubliera pas l’endroit. On peut évidemment rêver meilleure publicité.
Quoi qu’il en soit, les commentaires allaient bon train ce lundi matin au café du commerce de la place de l’église. Ceux qui ne veulent « plus le moindre picaillon pour le rallie du picodon » sont peu nombreux en ce lieu de débats animés à l’heure du pastis. Alors, Madame le Maire aura-t-elle le courage de concrétiser sa première et louable intention ? A suivre…