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"Leurres de vérité" par Yann Fiévet : L’homme suspendu

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Les Chroniques de Yonne Lautre

Le Peuple Breton – Mars 2024 Leurre de vérité

 L’homme suspendu

Nous vivons actuellement en France des années folles au plan politique. Ce que nous avons pompeusement nommé macronisme, avant même l’élection présidentielle de 2017, se résume désormais exclusivement à la personne de Jupiter. Il fait à lui tout seul la pluie et le beau temps. Si le temps est maintenant le plus souvent à la pluie pour le gouvernement du pays il s’arrange plus ou moins adroitement pour présenter aux citoyens de plus en plus désabusés une radieuse météo . Il fait et défait les ministres à sa guise, ne tolère aucune déviation de leur part vis-à-vis de la ligne décidée par lui seul, ligne cependant relativement floue. Les quelques ministres qui osèrent émettre de timides réserves sur la « loi Immigration » ont été tous débarqués lors du dernier remaniement ministériel. Il lui est devenu très difficile de susciter un Gouvernement vraiment crédible. Ainsi, il a fallu attendre un mois après la nomination du nouveau Premier Ministre pour connaître les titulaires de deux postes essentiels, parmi d’autres non pourvus jusques là : ceux de la santé et du logement. En nommant «  »le plus jeune Premier Ministre de la Cinquième République » le monarque omnipotent espérait ce que certains fins stratèges nomment « effet rebond ». Nous savons déjà que le rebond attendu est un flop retentissant.

Gaby le Magnifique est sans surprise à l’image de son Créateur à qui il sait devoir tout ce qu’il lui arrive de bon dans la vie politique. Il le suivra comme son ombre tant qu’il ne se mettra pas lui-même à déplaire à son maître. Il est éloquent, du moins en apparence. Sa parole ne marque jamais la moindre hésitation, surtout lorsqu’il répond à ses contradicteurs ou à des journalistes le plus souvent révérencieux. Il a réponse à tout. Il est l’homme du discours total. Nous ne sommes donc pas étonnés de retrouver cette totalité dans sa pratique de gouvernement. En ce mois de janvier il mit « l’Agriculture au-dessus de tout ». A l’automne dernier, il avait mis l’Ecole au-dessus de tout. Si lors du prochain printemps les quartiers délaissés bronchaient de nouveau il mettra la Sécurité au-dessus de tout. Bref, il met tout au-dessus de tout. Du coup, il est en dessous de tout ! Raymond Devos aurait fait son miel de cette pantomime faussement politique. Oui, disons-le sans ambages : nous ne sommes pas ici dans le champ du politique mais dans celui de la Communication politicienne. Notre bon Gaby est acrobatiquement suspendu au-dessus du vide. D’abord le vide de l’action politique générale face aux multiples crises qui frappent le pays. Mais aussi le vide de la pensée de ce nouveau locataire de Matignon. Son éloquence apparente cache en effet un manque cruel de réflexion et de travail sur les dossiers dont il a eu à s’occuper ces dernières années. Il semble bien être le meilleur spécialiste de la pose de rustines dans l’espoir de corriger l’acuité de problèmes majeurs qui nécessitent au contraire de profondes remises en cause. Sur le dossier agricole, on ne touchera pas à la logique écrasante du modèle agro-alimentaire productiviste. Au contraire on le renforce. Sur le dossier de l’Ecole, le feu follet, Ministre de l’Education durant une courte demie année scolaire, pensait tenir avec « les groupes de niveau » le remède au manque de réussite des élèves les moins favorisés. Toutes les recherches sérieuses sur cette question démontre pourtant que la mise en œuvre de cette mesure conduirait à l’aggravation des inégalités scolaires . La communauté éducative est donc inévitablement vent debout contre la mauvaise bonne idée que Gaby avait entre-temps refilé à la très éphémère « ministre de l’école privée et des Jeux Olympiques ».

L’étonnante Amélie mérite ici une attention spéciale. Elle s’occupait déjà dans le Gouvernement précédent des Sports et des JO de Paris, un fardeau non négligeable. Et voilà que l’on jette dans son escarcelle ministérielle un petit supplément nommée Education Nationale. Gaby, flairant illico que sa collègue risquerait fort de ne pas avoir les épaules, s’empressa de dire qu’il continuera de piloter la réforme de l’Ecole depuis Matignon. Peu d’observateurs s’offusquèrent vraiment de l’étrange nomination. Certes, ils marquèrent un certain étonnement quand il eut fallu crier à l’indécence. C’est que les éditorialistes de renom sont eux-mêmes suspendus, suspendus aux lèvres de ce jeune Premier Ministre au talent monté en épingle par des médias peu soucieux d’analyses politiques sérieuses mais très attachés à l’écume des apparences. Quant à la dame, elle se sentit honorée par l’ajout de l’accessoire. Accessoire encombrant mais accessoire tout de même. Une insulte majeure adressé aux centaines de milliers de professeurs vivant au quotidien les difficultés de l’Ecole d’aujourd’hui. Elle est là la grande erreur, avant même la succession de bourdes commises dès son entrée en fonction par l’étoile filante. Un petit mois et puis s’en va ! Comment peut-on parvenir à une telle aberration ? Quand la Communication politicienne est érigée en valeur première les ministres sont interchangeables, multifonctionnels, bons à tout faire, prêts à nous servir avec conviction n’importe quel discours pré-formaté et passe-partout.

Jupiter ne changera pas sa manière solitaire et intransigeante de gouverner, ni son humeur dévastatrice. Gaby pense probablement avoir été choisi pour ses rares qualités dont la toute première est évidemment son indéfectible fidélité à la personne du maître absolu. Sait-il qu’il est cependant, comme tant d’autres séides avant lui, en suspension ? Tiendra-t-il la barre du navire en perdition jusqu’à la fin du second mandat de Jupiter ? Un jour le grand ordonnateur se lassera de l’impuissance devenue éclatante de sa marionnette. Il la descendra de son piédestal comme l’on abaissait autrefois les lampes à suspension afin de leur redonner un nouvel éclat. Une nouvelle étoile montera alors au firmament politique pour le plus grand bonheur des spectateurs ébahis.

Yann Fiévet

Le Peuple Breton – Décembre 2023 Leurre de vérité

 Glyphosate, l’arbre qui cache la forêt

Le Glyphosate est incontestablement devenu le serpent de mer de l’agriculture chimiquement impure. L’herbicide majuscule est réputé fort dangereux pour la santé humaine et la biodiversité qui nous entoure mais demeure paraît-il indispensable pour assurer le bon maintien de l’agriculture européenne d’aujourd’hui et sûrement la faire prospérer davantage demain. Nous allons alors en reprendre pour dix ans. Dix ans au moins car comme nous le savons les délais sont d’abord faits pour être prolongés sans limite absolue. Les promesses jupitériennes d’hier en la matière n’avaient évidemment aucune valeur. Nous l’avions dit mais cela ne va pas nous interdire de dénoncer encore une fois la monstrueuse duperie. Cependant, il convient de considérer que derrière l’encombrant Glyphosate se cachent bien d’autres substances probablement tout aussi dangereuses.

C’est peu de dire que le Glyphosate cumule à lui tout seul un nombre alarmant de dangers. Il est « cancérigène probable » (OMS, 2015), « possiblement perturbateur endocrinien, génotoxique, générant un stress oxydant et une altération du microbiote » (INSERM, 2021). Pourtant, le 16 novembre 2023, les États membres de l’Union Européenne ne sont pas parvenus à exprimer un vote à la majorité qualifiée pour l’interdire. Faute d’accord entre les États membres, la Commission est la dernière décisionnaire. Elle va ainsi procéder au « renouvellement de l’approbation du Glyphosate pour une période de dix ans, sous réserve de certaines nouvelles conditions et restrictions » exprimées avant le 15 décembre 2023. Cette décision ira incontestablement à l’encontre du principe de précaution consacré par l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’UE. Alors que les preuves de la dangerosité du Glyphosate pour l’Homme et l’environnement s’accumulent, le dossier officiel d’évaluation de cet herbicide présente de très nombreux biais : non prise en compte de plusieurs de ses effets sur la biodiversité, non prise en compte de divers effets sanitaires avérés, etc. les différences d’analyses de l’impact du Glyphosate entre la recherche médicale française (Inserm) et les avis des agences européennes évaluatrices (l’Echa et l’Efsa) sont majeures ! Elles concernent de nombreux aspects comme la génotoxicité et le stress oxydant, les effets sur le microbiote, la toxicité mitochondriale, les effets sur la reproduction et de perturbation endocrinienne ou encore les effets neurotoxiques. Les agences ignorent ainsi superbement de nombreux effets néfastes mis en évidence par des études solides consacrées par l’Inserm. La santé des populations est donc sciemment sacrifiée sur l’autel de la loi du Marché.

Lors du vote décisif la France s’est abstenue ! Elle est le premier pays agricole de l’Europe et se doit à ce titre suprême de défendre les intérêts de ses producteurs. Elle les soutient scrupuleusement depuis toujours. Ses dirigeants actuels n’entendent pas faire exception à la règle intangible. Au prix, au passage sans doute obligé, de quelques conflits d’intérêts ! Ainsi, le ministre de l’Agriculture (et de la souveraineté alimentaire), Marc Fesneau, a choisi en mai dernier sa nouvelle conseillère communication, issue de la principale organisation des industriels de l’agroalimentaire (Ania), validée avec de modestes réserves par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Celle-ci a en effet donné son feu vert" à la nomination de Sophie Ionascu, ancienne directrice de la communication de l’Ania, avec une limite, « ne pas rentrer en contact avec son précédent employeur ». Voilà une rhétorique convenue qui est un sacré rempart ! Le ministre a bien sûr déclaré : "Elle est conseillère en communication, elle ne va pas être en charge du dossier industrie agroalimentaire". Seuls les gogos éternels peuvent évidemment croire à cette précaution de pure convenance. Le printemps dernier fut de fait riche en grandes manoeuvres sur le front de l’agriculture dominante. En mars, Arnaud Rousseau succédait à Christiane Lambert à la tête de la FNSEA. Il était l’unique candidat pour (re)prendre en mains le premier syndicat du secteur. Il cumule des mandats dans de nombreuses sociétés, incarne ainsi le retour de l’agrobusiness aux manettes. Au programme : agenda pro-OGM, mégabassines, et statu quo sur les pesticides. C’est dire si l’agriculture française est maintenant puissamment armée pour… résister au changement !

Revenons à la chimie. Derrière le Glyphosate qui sert malencontreusement de paravent se cache une pléthore de substances peu sympathiques. Ainsi, par exemple, l’agriculture française - et plus largement celle de l’Union européenne (UE) - utilisent massivement et intentionnellement une catégorie très préoccupante de substances pesticides : les pesticides-PFAS.). Les perfluorés dits "PFAS" sont des substances chimiques très utilisées dans l’industrie depuis longtemps. Ils sont très résistants et persistants, ce qui leur vaut la qualification de « polluants éternels ». De nombreuses études scientifiques démontrent qu’une exposition chronique, à faible dose, à ces PFAS a été associée à des effets néfastes sur les systèmes cardiovasculaire, reproductif, hormonal et immunitaire. Ces substances sont donc particulièrement dangereuses pour la santé humaine. Il sont désormais épandus par pulvérisation en agriculture, donc dans notre environnement et sur les denrées alimentaires cultivés de manière intensive. Les chiffres sur l’ampleur du recours aux pesticides-PFAS dans l’UE sont devenus alarmants. Ils sont utilisés comme substances actives leur conférant une plus grande stabilité et ainsi plus d’efficacité. Les principaux producteurs répertoriés sont Bayer, BASF et Syngenta. De puissants lobbyistes qui ont, comme on le sait, l’oreille (attentive) des « décideurs » politiques.

Une autre agriculture existe qui doucement fait son chemin. Elle ne trouvera cependant toute la place qui doit légitimement lui revenir tant que rien de décisif ne sera entrepris pour faire sérieusement reculer l’agriculture dominante prédatrice. Les encouragements et les moyens octroyés à la recherche d’alternatives aux pesticides sont très mesurés. Certaines alternatives existent déjà et sont prometteuses mais la Communication de la FNSEA les nie avec une efficacité certaine auprès du grand public. On ne s’empresse pas de la contredire en haut-lieu. Pire, elle réussit à faire accroire que le modèle agricole qu’elle défend serait victime de campagnes de dénigrement injustifiées. Pourtant, les lanceurs d’alerte qui osent dénoncer la nocivité dudit modèle ont bien du courage, à l’instar de la journaliste Morgane Large. Dans le Centre-Bretagne, au cœur du « modèle agricole breton », elle enquête - et dénonce - depuis des années sur ce système mortifère où la collusion entre producteurs, élus locaux et autorités publiques est avérée. Elle semble désormais déterminée à interrompre son action de salubrité publique craignant pour sa vie et celle de ses enfants après plusieurs agressions que la gendarmerie ne s’empresse pas de vouloir élucider. Là, ce n’est plus seulement la santé des populations ou la biodiversité qui sont menacées. C’est tout bonnement la démocratie qui est en péril.

Yann Fiévet

Le Peuple Breton – Novembre 2023 Leurre de vérité

 L’Ecole ouverte aux vents mauvais

L’Ecole fait toujours couler beaucoup d’encre… et de salive au sein des instances plus ou moins autorisées à parler d’elle et pour elle, notamment au moment d’évènements venant troubler la relative indifférence qu’elle suscite dramatiquement d’ordinaire en ces milieux. Le meurtre récent de Dominique Bernard à Arras, professeur de Lettres, sur le lieu même d’exercice de son métier, juste trois ans après l’assassinat de Samuel Paty, offre à notre effroi un nouvel avatar du chaotique intérêt de la Nation pour ce qui devrait être en toutes circonstances une exigence absolue, à savoir la sauvegarde indéfectible de l’espace crucial de la formation des futurs citoyens. Ce meurtre – rien ne permet de dire que cet homicide était prémédité – et cet assassinat, homicide qui lui avait été odieusement prémédité, sont insupportables. A chaque fois, le débat revient à propos du statut de l’Ecole comme sanctuaire, un lieu à part qu’il convient de protéger. Un grand malentendu surgit alors.

Au fil de ses vicissitudes l’Ecole continue de jouer son rôle. C’est précisément pour cela qu’elle est attaquée. Attaquée notamment par ceux qui placent les dogmes religieux au-dessus de tout, ceux pour qui « la loi de Dieu » est forcément supérieure aux lois des hommes. On les présente communément comme des ennemis de la démocratie. Ils le sont assurément. Cependant, ce qui nous occupe ici c’est leur haine viscérale de l’idée qu’il convient d’apprendre ici-bas aux enfants et aux adolescents à penser par eux-mêmes, donc strictement en dehors des préceptes des religions quelles qu’elles soient. Su l’on ose une comparaison entre les deux homicides précités on est frappé par un point commun et par une différence. Samuel Paty et Dominique Bernard avait tous deux pour « mission » de faire travailler leurs élèves sur des documents ou des œuvres directement issus de l’intelligence humaine en dehors évidemment de toute volonté divine. Ils leur apprenaient à appréhender le sensible de la vie sur terre, sa grande complexité, sa belle diversité, sa richesse infinie. Ils s’échinaient à leur montrer que le monde n’est pas binaire, qu’il ne se divise pas entre le Bien et le Mal. Une gageure peut-être, mais qu’il faut inlassablement relever. La différence maintenant, inquiétante sans doute. Pour empêcher Samuel Paty de continuer de nuire par son travail d’éveilleur des consciences ses assassins – direct ou par procuration – avaient eu besoin d’un prétexte, celui des caricatures du prophète. Dans le cas du meurtre de Dominique Bernard plus besoin de prétexte. Ou plutôt si : lui aussi était professeur. C’est donc cette figure même qu’il faut éliminer du paysage que les obscurantistes de toutes obédiences entendent nettoyer.

Cependant, l’Ecole doit rester ouverte ! Mais, qu’entend-on par cette formule généreuse ? Ici, le malentendu est patent, confine au dialogue de sourds de façon récurrente entre les profs et les « autorités compétentes ». Quand les premiers parlent de sanctuaire ils entendent que l’Ecole ait les moyens de se tenir à distance des perturbations ou des interférences extérieures pour la dispense des savoirs. Pour les seconds, l’idée de sanctuaire signifie nécessité de protéger matériellement les établissements scolaires des possibles agressions physiques venues de l’extérieur. Les premiers se situent sur un plan intellectuel, voire moral, quand les seconds adoptent une posture de type sécuritaire. Les tenants de cette dernière feraient volontiers, du moins certains d’entre eux, des écoles, collèges et lycées des bunkers impénétrables. Ainsi, certains réclament – tel le Patron des Républicains - l’instauration de « la reconnaissance faciale » en ces lieux « désormais trop exposés aux dangers extérieurs » alors que ce système a déjà maintes fois fait la preuve de son inefficacité pour l’identification rapide d’un individu quelconque parmi de nombreux autres. Une ciottise de plus ! On n’est plus à ça près dans l’escalade sécuritaire ambiante. Si certains profs cèdent, la peur contagieuse aidant, à cette idéologie du bunker, la plupart de leurs collègues en sont éloignés. Ils savent qu’elle rime trop facilement avec une vision binaire de la société dans laquelle il faut être « gentil avec les gentils et méchant avec les méchants ». Ils attendent autre chose. Ils savent surtout que l’Ecole étant partie intégrante de la société qui la génère elle ne saurait en être coupée totalement, que l’exercice de leur métier est menacé par d’autres fléaux – permanents ceux-là – plus pernicieux que l’intrusion heureusement très sporadique d’individus louches dans leur établissement.

Enseigner est autrement plus difficile aujourd’hui qu’hier. L’Ecole accueille des cohortes d’élèves nettement moins homogènes socialement qu’autrefois. Mais surtout le savoir transmis par les professeurs est sournoisement concurrencé par tout ce qui traîne sur les réseaux dits sociaux en tous genres particulièrement prisés par les jeunes. Apprendre à se méfier des fausses informations qui foisonnent chaque jour davantage sur Internet n’est pas chose aisée. C’est une lutte de tous les jours à laquelle s’adonnent ceux et celles qui sont chargés d’instruire nos chères têtes blondes et brunes. Ce n’est pas parce que c’est sur la Toile que c’est une information digne de foi ! Du reste, est-ce de l’information fiable ou bien plutôt de la communication vulgaire ? Ainsi, des vents mauvais soufflent sur l’Ecole que les pouvoirs publics ne cherchent en rien à contenir car l’on ne saurait brider les forces du marché. L’horreur internautique tient peut-être en ceci : la part des 8-10 ans disposant d’un compte sur les « réseaux sociaux » ne cesse de croître. Il convient d’introduire ici la question des inégalités sociales. La crédulité des jeunes n’est pas uniforme : elle est sensiblement plus forte dans les milieux sociaux défavorisés. Dans les milieux favorisés les enfants et adolescents bénéficient en dehors de l’Ecole d’armes culturelles et du fécond dialogue intergénérationnel propices à les prémunir relativement mieux contre les dangereuses élucubrations des réseaux sociaux. Nous n’avons donc rien à gagner à l’absence de mixité sociale à l’Ecole. Or, les multiples réformes qui se sont succédées pour la transformer n’ont fait depuis longtemps qu’accentuer les inégalités en son sein et accentuer l’uniformisation des classes. Ainsi, dans les collèges et lycées de « seconde zone » les jeunes des milieux les moins favorisés se retrouvent entre eux au sein qui plus est de classes souvent surchargées. Les autorités comptent bravement sur leurs professeurs pour les faire avancer sur le droit chemin. Un travail de bénédictin !

Tout va bientôt changer. Gaby le Magnifique est arrivé ! Il n’a jamais enseigné, ne s’est probablement jamais demandé sérieusement ce qu’enseigner veut dire mais a pourtant déjà commencé, du haut de ses trente-quatre balais, à dire aux professeurs, pour la plupart fort chevronnés, comment il doivent travailler désormais. Quelle fatuité ! On en rirait si la situation n’était pas si tragique. Décidément, l’Ecole que nous voulons mérite mieux que ce ministre d’opérette.

Yann Fiévet

Le Peuple Breton – Octobre 2023 Leurre de vérité

 Deux rapports sinon rien !

Il y a quand même une rentrée sociale ! Au moins sur le plan de la réflexion. Ce mois de septembre les observateurs soucieux de l’état réel du corps social de notre pays ont pu saluer la publication de deux rapports on ne peut plus important. Ils n’émanent pas des « autorités compétentes » et n’ont pas été non plus commandités par elles. Cela en fait tout le poids. Le premier rapport, rendu public le 13 septembre par le Secours catholique et Aequitaz, une association prônant sans la moindre équivoque la « justice sociale », s’Intitule « Un boulot de dingue – Reconnaître les contributions vitales à la société ». Il se veut être « un antidote au poison des préjugés » en matière d’emploi. Le second rapport, diffusé le 14 septembre, émane du Collectif « Nos services publics », fondé en 2021, avec la contribution d’une centaine de chercheurs, de hauts fonctionnaires et d’agents publics. Il propose de changer notre regard en comparant scrupuleusement l’évolution des besoins de la population avec l’investissement dans lesdits services publics. Ces deux rapports prennent tellement à contre-pied les idées reçues entretenues depuis su longtemps qu’ils n’ébranleront très probablement que fort peu la détermination de nos actuels gouvernants.

« « Un boulot de dingue » met en pleine lumière « le travail invisible et non rémunéré » de nombre de personnes « hors emploi ». Que ce soit dans le champ personnel, en aidant un proche ou via des engagements dans la vie d’un quartier, le voisinage ou au sein d’associations. Ces contributions sont « vitales et utiles à la société » mais ne sont jamais reconnues. Un long inventaire – fruit de recherches étalées sur deux ans, permet de définir précisément ce travail invisible. Il est essentiellement tourné vers « le prendre-soin »et caractérise « une forme de protection sociale de proximité ». Le rapport est un plaidoyer pour « sécuriser ces activités essentielles » et espère être un remède contre « le poison de l’éternel cliché de l’assisté ayant besoin d’être sans cesse remobilisé ». Nombre d’associations en témoignent : les personnes rencontrées sont bel et bien actives, « n’en déplaise à̀ la statistique », qui les range parmi les « inactifs ». Ce cliché sur les « assistés » va sans aucun doute abondamment alimenter les débats du projet de loi pour le plein-emploi, qui sera examiné en octobre par les députés. Le texte doit ouvrir la voie au réseau France Travail, à l’inscription automatique des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) et à de possibles heures d’activité obligatoires, en contrepartie de ce revenu. Pour le Secours catholique et Aequitaz voient là « un contexte politique inquiétant ». Ils rappellent leur ferme opposition « à toute forme de contrepartie au minimum vital qu’est le RSA ». Enfin, le rapport se veut aussi le porte-voix de « celles et ceux que l’on montre du doigt sans jamais prendre le temps de les entendre ». Les personnes qui ont participé aux travaux y relatent leur douleur d’être régulièrement stigmatisées : « « Personne ne survit émotionnellement à l’inactivité doublée de la solitude qu’elle engendre », affirme l’une d’elles. En entrant dans les histoires de vie des personnes qui ont participé à la recherche, on découvre un monde d’entraide et de solidarité. Des valeurs que les politiques publiques d’aujourd’hui sacrifient petit-à-petit sur l’autel de l’ultralibéralisme.

Le Collectif « Nos services publics », quant à lui, nous livre un diagnostic sans appel : alors que les besoins de la population ont évolué, l’Etat n’a pas su s’adapter : des services d’urgence hospitaliers dangereusement fermés certaines nuits, des enseignants qui manquent à l’appel malgré les déclarations officielles lénifiantes, des magistrats qui alertent sur leurs conditions déplorables de travail, etc. Comment expliquer que les services publics « craquent » alors que la dépense publique augmente ? Pour les rapporteurs, « débattre de l’évolution des services publics n’a de sens qu’au regard des évolutions sociales auxquelles ils répondent ». Or, ils constatent que « A l’arrivée, dans tous les domaines, on retrouve une courbe des besoins qui augmente et une courbe des dépenses qui progresse beaucoup moins vite ». Dans sa démarche le collectif a cumulé des indicateurs de nature très variables : les dynamiques démographiques (comme le vieillissement de la population ou la hausse de l’accès aux études supérieures), les progrès sociaux (dont la lutte contre les violences faites aux femmes) et les transformations des modes de vie. Ces paramètres « modifient les attentes de la population et le niveau de référence de prise en charge de ces attentes. Ils permettent de constater une attrition de la dépense publique en regard des besoins, alors même qu’elle a augmenté de manière quasi continue depuis quarante ans – elle représentait moins de 50 % du produit intérieur brut (PIB) au début des années 1980 et 58 % en 2022 – et que le nombre d’agents publics est passé de 4,8 millions à 5,4 millions en vingt ans.

Le chapitre consacré à la santé étudie l’évolution des affections longue durée (ALD), des maladies « dont la gravité et/ou le caractère chronique nécessite un traitement prolongé et coûteux ». D’après les données de l’Assurance-maladie, le nombre de patients en ALD est passé d’environ 9 millions à 12 millions entre 2010 et 2020, soit une augmentation de 34 %. Or le financement du système de soins est de moins en moins adapté à ces pathologies : l’hôpital public, sur lequel repose en grande partie la prise en charge des maladies chroniques, souffre de la « tarification à l’activité », qui ne rémunère pas les tâches de coordination entre l’hôpital et la médecine de ville. Dans le domaine scolaire les besoins ont également fortement évolué. Depuis les années 1980, le taux de bacheliers pour une génération a été multiplié par quatre, et l’école accueille depuis 2005 les enfants en situation de handicap – leur nombre a été multiplié par trois en quinze ans, soit 400 000 élèves. De fait, l’école peine à s’adapter à un public plus hétérogène. Si 80 % d’une classe d’âge parvient au baccalauréat, c’est au prix d’une stratification sociale très forte au sein des filières du lycée, les enfants d’ouvrier composant 34 % des bacheliers professionnels, contre 8 % pour les enfants de cadres supérieurs. Ainsi, du fait de l’inadaptation du système, des inégalités criantes persistent.

Ce qui nous frappe à la lecture conjointe de ces deux rapports c’est le cruel défaut de l’attention portée par les pouvoirs publics à la réalité sociale et à la nécessité de répondre vraiment aux attentes légitimes de la population. Nous le savions depuis longtemps, plus ou moins intuitivement ou par bribes, mais là nous en avons une démonstration implacable. Pourtant, une fois de plus on va sur ces questions cruciales probablement lancer « un grand débat », créer un nouveau Conseil de la « Reconstruction », demander des études complémentaires, etc. Bref, on va encore renvoyer l’urgence d’agir aux calendes grecques !

Yann Fiévet

Le Peuple Breton – Septembre 2023 Leurre de vérité

 Une rentrée rabougrie

La rentrée des classes 2023 en France est marquée du sceau d’un inquiétant rabougrissement. Plusieurs évènements attestent de ce phénomène surgissant dans un moment de grandes tensions au sein du corps social, tensions face auxquelles le pouvoir politique en place manque singulièrement de sérénité. La portée de ces évènements dépasse de très loin le cadre de l’Ecole et sont tout sauf anecdotiques. L’Ecole étant le lieu privilégié de l’accueil de la jeunesse du pays il conviendrait, paraît-t-il, de la reprendre en main. D’une main ferme évidemment accompagnée parfois d’une bonne dose de pudibonderie. Nous allons retrouver ici quelques figures du macronisme le plus pur auquel peuvent venir s’adjoindre sporadiquement, pour pouvoir exister un peu, quelques satellites issus de la sphère politique la plus réactionnaire. Nous nommons, dans l’ordre de leur entrée en scène, Gabriel Attal, Valérie Pécresse, Gérald Darmanin et… Jupiter soi-même.

En juillet dernier, après que la « communauté scolaire » nationale fut entièrement partie en congés d’été, le monarque décida de remplacer le ministre idoine. Ainsi, Gabriel Attal, jeune loup aux dents longues et pourtant déjà presque vieux en politique, succède à Pap Ndiaye qui en une année seulement ne pouvait avoir fait oublier le calamiteux quinquennat de Jean-Michel Blanquer. Contrairement à Pap Ndiaye, qui est universitaire, Gabriel Attal n’a jamais occupé la moindre fonction au sein de « l’appareil éducatif ». Passé par la prestigieuse Ecole Alsacienne de Paris il est le pur produit de la mérito-aristocratie et va ainsi pouvoir donner des gages de sincérité à tous ceux qui craignaient que l’on tente de remettre en cause un tant soit peu les privilèges de l’enseignement privé. C’est précisément là que Pap Ndiaye se mit à dos le plus d’ennemis, et pas seulement au sein de la droite extrême. Partisan de la mise en œuvre de moyens destinés à promouvoir une « mixité sociale » digne de ce nom il entendait y inclure la sphère privée de l’éducation. De fait, l’Elysée n’avait pas même besoin du tollé de la Droite pour ne pas supporter l’outrecuidance d’un ministre osant s’être levé du strapontin qui lui avait complaisamment été offert. L’Ecole doit rester à deux vitesses. On ne va tout de même pas rallumer la guerre scolaire, proclama le Président du Sénat. Il peut enfin dormir de nouveau sur ses deux oreilles : ce n’est pas Gaby le Magnifique qui songera à déterrer la hache de guerre. En revanche, on va le voir beaucoup sur le terrain en cette rentrée, histoire de poursuivre l’esbroufe macronienne entamée voilà plus de six années. Du reste il a commencé en août par la rentrée à la Réunion. Consolons-nous : à cet première occasion il a déjà trouvé le moyen de se prendre les pieds dans le tapis de… « l’immigration en provenance de Mayotte ». Assurément, il compte sur le dos de l’Ecole pour continuer de se faire les dents.

La jeunesse doit savoir se tenir. Gabriel Attal va s’atteler à cette tâche indissociable, selon les tenants de l’Ordre établi, de la « bonne marche » du système éducatif. Il pourra compter en la matière sur le soutien inconditionnel de Valérie Pécresse qui préside aux destinées de la Région Ile-de-France. En juillet dernier, elle déclara que « notre devoir est de faire aimer la France à notre jeunesse ». En même temps, elle décida de débaptiser le lycée Angela-Davis de Saint-Denis (93). En proposant, à la place, le nom de Rosa Parks. Elle se justifie en ces termes : « Personnellement, vous l’avez compris, je préfère la révolution civique de Martin Luther King à la lutte armée violente des Black Panthers ». Elle alimente ainsi l’artificielle opposition entre les activistes noirs : d’un côté, les sages, les modérés, bref, les respectables. De l’autre, les violents, les radicaux, les extrémistes. La réalité est pourtant bien différente : Rosa Parks n’était pas seulement « une petite dame gentille assise dans le bus avec son petit sac ; elle était aussi une militante proche des mouvements communistes. D’autre part, considérer qu’Angela Davis était violente est totalement faux – par conséquent raciste - et consiste à effacer purement et simplement – c’est probablement le but ultime de cette entreprise idéologique de démolition – le fait que les nombreux ouvrages de la sociologue américaine sont lus et analysés dans le monde entier. Valérie Pécresse affiche là la suffisance éhontée des insuffisants. Il conviendrait au contraire d’étudier dans les lycées la pensée d’Angela Davis qui, toute sa vie, a forgé des outils de réflexion contre toutes les formes d’injustices. Alors, la France deviendrait vraiment pleinement aimable aux yeux des jeunes, en particulier dans « les quartiers » si malmenés en maints endroits du pays. Les lycéens de Seine-Saint-Denis – et leurs professeurs – seront-ils muets à la rentrée face à l’insulte qui vient d’être commise, en leur nom, à l’encontre de la figure incontestable de l’antiracisme qu’est Angela Davis ? Un autre livre ne figure évidemment pas au chevet de Valérie Pécresse : celui, remarqué, que l’historien Pap Ndiaye a consacré à « la condition noire ». La boucle est ainsi bouclée !

Il est donc grand temps que notre jeunesse soit édifiée par les bonnes valeurs morales qui lui permettront d’évoluer docilement demain dans une société enfin apaisée. C’est là que Gérald Darmanin intervient. Il abandonne à l’occasion son costume de père fouettard en chef pour endosser celui de nouveau « père la pudeur », costume que porta fièrement autrefois l’un de ses ascendants idéologiques. Il est des filiations qui ne se renient pas. Les débordements de la jeunesse ne se déroulent pas uniquement sur la voie publique. Ils peuvent aussi avoir lieu dans la sphère privée, dans l’intimité des relations interpersonnelles, en principe à l’abri des regards. Il ne faut pourtant pas s’interdire d’agir là-dessus aussi. Le 18 juillet dernier, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur au pouvoir très étendu, a fait interdire la vente aux mineurs d’un roman jeunesse dont certaines scènes ont été jugées pornographiques. Voilà un grand moment de puritanisme imbécile et pour le moins opportuniste. La sexualité de l’adolescence dérange encore et toujours certains esprits qui soit ont raté ce moment initiatique, soit l’ont étonnamment oublié. C’est le moment de la découverte de son propre corps, « la construction de sa capacité à désirer le désirable, etc. Thierry Magnier, éditeur du livre censuré, voulait « montrer comment la littérature, à un âge donné, accompagne cette découverte-là ». Et tant pis si, parfois, les récits abandonnent la littérature en route, pour ne plus raconter que l’été et les corps. » Mais, cela est intolérable aux yeux de ce qui pourrait devenir une nouvelle police des mœurs.

On en conviendra : il se cache derrière ces divers évènements, tous intervenus en juillet quand le citoyen a la tête ailleurs, un manque caractérisé de sérénité. Pour faire bonne mesure, il fallait bien que Jupiter apporte sa pierre à cette fébrilité estivale. Il le fit depuis son lieu de vacances aoutien. Un œil sur le lointain Niger, l’autre sur les banlieues toutes aussi lointaines pour lui, il a prévenu qu’aucun débordement dans les quartiers populaires ne sera toléré à la rentrée. Les mauvaises langues dont nous ne sommes pas diront que le monarque verse là de l’huile sur le feu ! En fait, il sait pertinemment que les motifs d’un possible embrasement sont de plus en plus criants. Il y répondra, le cas échéant, avec ses plus fidèles lieutenants, par de nouvelles manifestations du rabougrissement en marche.

Yann Fiévet

Le Peuple Breton – Juillet-août 2023 Leurre de vérité

 Jupiter, blanchisseur des consciences

Maintenant qu’il pense être sorti vainqueur de la longue séquence dans laquelle il a su brillamment imposer sa réforme des retraites à son peuple décidément trop ingrat, maintenant qu’il est en passe de mettre en place tous les outils disponibles de l’arsenal répressif destiné à tuer dans l’œuf toute contestation intransigeante sur le champ de l’écologie, le monarque absolu peut reprendre avec ardeur l’une de ses marottes favorites : recevoir en son Palais les dirigeants les plus sales de la planète. A ce titre, nous n’avons pas oublié que lors de son premier quinquennat il avait reçu en grandes pompes le Président égyptien Al-Sissi et qu’il lui avait fait remettre, en relatif catimini mais pas vraiment incognito, rien moins que la Grand-Croix de la Légion d’honneur. L’homme qui dirige l’une des dictatures les plus répressives du Proche-Orient, où ses prisons grouillent de tous ses opposants, était ainsi officiellement adoubé par son homologue d’un pays où l’on sait, en principe, ce que signifie l’expression Droits de l’Homme ! La concurrence est tellement âpre sur le marché des dictatures florissantes qu’il nous est permis de craindre une bousculade au portillon. Le premier à s’y présenter en cette fin de printemps fut MBS.

La grandiose offensive diplomatique du prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane (MBS), devait sans doute inévitablement passer par une longue visite de huit jours en France, visite qui se termina par le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial. Etonnamment longue, cette visite de MBS illustre à merveille son stupéfiant retour en grâce. Mis au ban de la communauté internationale après l’ignoble assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi en 2018 à Istanbul – dont il était le commanditaire -, le prince héritier avait été remis en selle l’été dernier par Joe Biden et Emmanuel Macron. "Nous savons bien que le recevoir n’est pas très populaire, dit-on au Quai d’Orsay. L’affaire Khashoggi est une horreur mais il est aujourd’hui très difficile de ne pas parler à MBS." Le langage diplomatique est une langue de bois, une langue lourdement chargée d’hypocrisie. Il ne s’agirait donc que de passer l’éponge sur un crime horrible ? Un mauvais moment à passer sans doute ! Chez les Saoud on exécute à tour de bras, les femmes n’ont toujours pas droit de cité, les homosexuels sont jetés en prison, etc. Fermons les yeux ! Ne les ouvrons pas davantage sur la guerre que l’Arabie saoudite livre au Yemen, notamment avec des armes vendues par la France. Il est vrai que nos médias sont plutôt discrets sur la chose. Oublions donc ces broutilles ! Puisqu’il est question de broutilles, mentionnons-en une dernière pour faire bonne mesure : les salariés français travaillant au sein de l’ambassade d’Arabie saoudite à Paris ne peuvent pas prendre leur retraite. Le pays des Saoud a oublié de payer les cotisations à l’URSAF les concernant. L’Arabie saoudite a également une grosse ardoise à l’AP-HP pour ses ressortissants venus ces dernières années se faire soigner dans les hôpitaux parisiens. Le pays de MBS est éminemment solvable mais est un très mauvais payeur. Gageons que de tout cela il ne fut pas question une seconde dans les salons feutrés de l’Elysée. On ne doit jamais fâcher un hôte de marque !

L’absence de la distance nécessaire – on pourrait dire décente – vis-à-vis des régimes les plus sombres de la planète ne se limite pas à la réception officielle de leurs dirigeants dans les haut-lieux du pouvoir régalien. Elle est également remarquable dans l’insuffisante sympathie envers les opposants déclarés de ces régimes barbares. Il en va ainsi de la décision d’interdire la manifestation que le Conseil National de la Résistance iranienne souhaitait organiser le 1er juillet à Paris. Interdire cette manifestation des Iraniens est un marchandage – déguisé en crainte pour l’ordre public en France - contre la démocratie, la liberté d’expression et la liberté de réunion. Elle revient à céder au chantage exercé par le fascisme religieux au pouvoir en Iran, un régime qui se maintient, après le soulèvement des neuf derniers mois, en s’appuyant essentiellement sur une large vague d’exécutions qui a fait plus de deux cents victimes depuis le début du mois de mai. Il convient de ne pas froisser le régime des mollahs. Dans le même ordre d’idées, on veille à ne pas froisser non plus le régime turc. Dans l’affaire du triple assassinat de représentants de la communauté Kurde près du Centre culturel Ahmet-Kaya, siège du Centre démocratique kurde de France (CDKF), à Paris en décembre dernier, La Turquie a protesté contre ce qu’elle perçoit comme une « propagande anti-Turquie » en France. Si l’auteur des faits a bien été interpellé, il est à craindre que la Justice évitera de faire du zèle pour rechercher les commanditaires de cette action criminelle. Rappelons qu’un autre triple assassinat de Kurdes commis à Paris, en 2013, n’a toujours pas été élucidé.

Après MBS, quel sera le prochain visiteur à venir se faire blanchir sous les lambris de l’Elysée ? Les paris sont ouverts. Jupiter n’a que l’embarras du choix. Nous savons que l’un des candidats potentiels à commencer de redorer son blason, redevient doucement fréquentable. Un homme là aussi avec lequel il faut, paraît-il, de nouveau parler. Il s’agit de Bachar El-Assad soi-même ! En mai 2023 —il a fait son grand retour sur la scène internationale. Le dictateur syrien était en effet présent au dernier sommet de la Ligue Arabe. Un début sans doute prometteur dans le paysage cynique mondial. Pour le moment, il reste encore un peu trop sulfureux pour la France. D’autres prétendants vont forcément lui passer sous le nez avant que son tour ne vienne. Dans l’attente, il conserve le droit d’espérer que l’oubli estompe progressivement la mémoire de ses innombrables crimes.

Yann Fiévet

Le Peuple Breton – Juin 2023 Leurre de vérité

 Total irrespect

A la veille d’un nouvel été difficile la stupeur nous saisit. Le macronisme vient de battre piteusement en retraite sur le front du combat écologique. Les esprits grincheux diront qu’il n’avait jamais vraiment entamé ce combat pourtant impératif. On peut difficilement leur donner tort. Le mois de mai était depuis des lustres le mois du renouveau, celui qui annonçait des jours meilleurs, ceux de l’éclosion générale, des jours attendus avec entrain partout et par tous, petits et grands, pauvres ou riches. Tout cela est bien fini. Le mois de mai est désormais en France le mois de la fin définitive des illusions face à la crise climatique aux ravages indiscutablement grandissants. En cette matière qui ne devrait souffrir aucune défaillance, Jupiter, en dieu impuissant, et son ministre chargé de la « transition écologique » ont, à quelques jours d’intervalle, sonné le glas de nos maigres espérances. Deux hommes passifs pour deux évènements calamiteux. L’irrespect affiché pour la planète est alors à son comble. Et, le pétrolier en chef de s’en délecter en coulisses.

Le premier de ces évènements fut la déclaration péremptoire du Président de la République française à une heure de grande écoute télévisuelle, déclaration par laquelle il exprimait sans ambages son souhait qu’une pause soit prononcée dans la règlementation environnementale européenne. A quelques jours de la réception annuelle des « plus grands patrons du monde entier » au château de Versailles, Emmanuel Macron s’attaquait à rien moins que le green new deal, certes diversement appréhendé par les partenaires de la France, qu’il conviendrait de muscler eu égard au péril climatique et non de l’affaiblir. Du reste, le monarque qui se veut absolu déclencha la stupéfaction européenne en la circonstance. Bien sûr il n’en a cure : son urgence à lui est de rassurer les magnats de la finance et de l’industrie planétaire afin que dans la bonne marche des affaires la France reste pleinement une terre d’accueil ! On se souvient ici de la déclaration énervée de Nicolas Sarkozy en 2011, au Salon de l’agriculture, trois petites années après le « Grenelle de l’environnement » qu’il avait pourtant abondamment promotionné : « l’environnement, ça commence à bien faire ». Mais, douze années plus tard… Ces hommes sont très forts dans l’esbroufe communicationnelle et éminemment discrets dans la mises en œuvre tangible de leurs annonces tonitruantes. C’est que le réalisme économico-financier du capitalisme omnipotent revient toujours à la charge porté par de vigilants gardiens du temple.

On doit le second évènement de ce printemps à Christophe Béchu qui porte fièrement la casquette ministérielle de la transition écologique. Il a officiellement lancé le 22 mai dernier le processus de « l’adaptation » au réchauffement climatique. Jusqu’à la fin de l’été les Français sont consultés afin qu’ils disent les efforts qu’ils sont prêts à consentir pour adapter leurs comportements de consommation dans l’optique d’un réchauffement de 4° à la fin de ce siècle. Rappelons que la COP 21 tenue à Paris en décembre 2015 déclarait qu’il ne faudrait surtout pas dépasser 1,5° pour éviter « l’emballement ». On entérine donc en haut-lieu que l’objjectif est irréaliste et qu’il faut donc se préparer au pire. Les Français pourraient en retour demander ce que les vrais décideurs sont prêts à consentir comme efforts d’adaptation pour changer de manière tangible la prégnance mortifère du capitalisme sur la nature et nos vies. Va-t-on annuler les nombreux projets autoroutiers lancés dans l’hexagone ? Va-t-on enfin décider de transformer radicalement « notre modèle agricole ? Va-t-on un jour prochain contraindre Total à changer profondément sa stratégie de production d’énergie ? Non, rien de tout cela ne reçoit le début du commencement d’une inflexion. Non, c’est aux Français de faire des efforts individuels. Le tandem Macron-Béchu en est resté à ce que Aurélien Bernier avait appelé voilà quinze ans l’écologie du brossage de dents. Désespérant !

Pire, on continue d’envoyer de mauvais signaux à de notoires responsables de la crise écologique. Ainsi, le ministre français de l’agriculture a demandé récemment aux préfets de ne pas verbaliser les agriculteurs contrevenant à l’interdiction de plusieurs pesticides décidée au niveau européen. À l’initiative des sénateurs Les Républicains, une proposition de loi, autorisant le recours à des drones pour l’épandage de pesticides, a été adoptée en première lecture le 23 mai au Sénat.

Cette mesure est présentée comme un « choc de compétitivité pour la ferme "France" ». L’article 8 de cette proposition de loi envisage d’expérimenter durant 5 ans le recours à des drones dans le cadre d’une « agriculture de précision » sur des surfaces présentées comme « restreintes » sans pour autant que soient fixées des limites. L’Europe pers déjà vingt millions d’oiseaux chaque année. Alors, la biodiversité peut bien attendre encore son hypothétique renouveau ! La vraie raison de l’immobilisme ou de la fuite en avant est que l’on se refuse à financer sérieusement l’énorme facture de la transition écologique. Pour cela il faudrait faire payer les plus riches de nos congénères. On pourrait, par exemple, taxer de 5% à cet effet les 10% des contribuables les plus fortunés. Bruno Lemaire, ministre de l’économie gardien scrupuleux de l’orthodoxie fiscale, se refuse farouchement à augmenter les impôts tout en récitant la fable éternelle selon laquelle « la France a déjà la fiscalité la plus élevée d’Europe ». Répondons-lui que les revenus des 37 contribuables français les plus riches sont taxés à… 0,26%. Un record du monde, probablement ! Total irrespect disions-nous.

Yann Fiévet

Le Peuple Breton – Mai 2023 Leurre de vérité

 La haine des braves

L’un des pires penchants qui guette aujourd’hui notre société déstructurée par l’action – ou l’inaction ? – d’un pouvoir politique décidément aveugle et sourd tient en ceci : s’habituer aux violences policières, qu’elles fassent désormais partie de notre quotidien, qu’elles finissent par nous apparaître comme quasi naturelles face aux débordements inévitables du corps social mis sous une pression dangereusement aggravée. Le pouvoir politique nie l’existence de ces violences en usant d’un artifice de la pensée selon lequel l’Etat serait toujours légitime lorsqu’il réprime la mauvaise humeur d’une société en ébullition. Ainsi, la Présidente de l’Assemblée Nationale (PAN), Yaël Braun-Pivet a commis récemment sur l’antenne de France Inter un lapsus terriblement éclairant : « Je réprime le terme de violences policières ». Nous lui répondrons que nier les violences policières, c’est nier ceux qui en ont été les victimes, c’est donc déjà une des formes de la violence d’Etat, C’est effacer avec des mots les conséquences de ses propres actes, C’est quitter sa propre humanité en ignorant celle d’autrui. Nous vivons désormais en France l’expression terrifiante d’un pouvoir que nous pouvons qualifier de pathologique. Toutes les outrances lui paraissent potentiellement permises, toutes les armes disponibles sur le marché du répressif obligé s’offrent à son gargantuesque appétit d’ordre face aux « barbares » de l’intérieur. Le père fouettard en chef est d’ores-et-déjà prêt à couvrir presque tous les abus.

Allons, ils sont tout de même bien braves tous ces policiers et gendarmes. Ils risquent quotidiennement leur peau pour que nous puissions vivre paisiblement malgré les nombreuses incertitudes de nos existences. Ils sont ainsi garants du bon ordre qu’ils ne définissent évidemment pas eux-mêmes mais qu’ils sont persuadés de servir dignement en toutes circonstances. Rassurez-vous bonnes gens, ils connaissent leur métier et incarnent « la profession la plus contrôlée de notre pays ». Et pourtant… Le récit officiel – pour ne pas dire la fable – est de plus en plus souvent écorné. Il convient au passage de préciser que si grâce à quelques témoins malencontreux ou vidéos indiscrètes nous ne sommes plus dupes la part immergée de cette violence d’Etat – physique, morale ou psychologique - reste le plus souvent cachée dans l’intimité des paniers à salades, la discrétion des sombres commissariats, la confusion des nasses savamment organisées lors des manifestations se déroulant sur la voie publique. A ce dernier titre, rapportons quelques avatars récents on ne peut plus édifiants. À Nantes, le 14 mars dernier, un petit cortège étudiant s’en retournait pacifiquement dans son université après avoir participé à un barrage filtrant organisé contre la réforme des retraites par la CGT quand les gardiens de l’ordre ont encerclés le groupe et ont palpé quatre jeunes femmes, palpations ostensibles à l’intérieur des sous-vêtements accompagnées de propos grossiers, insultants et humiliants . Il s’agit là d’agressions sexuelles caractérisées pour lesquelles une plainte a été dûment déposée. Interrogé à l’Assemblée Nationale sur cette affaire, le 21 mars, le ministre de l’Intérieur n’a prononcé aucun mot à l’intention des 4 jeunes femmes ainsi agressées. Pour lui, il s’agit probablement d’une broutille qu’elles oublieront bien vite.

Parlons un peu des BRAV-M, ces brigades motorisées de répression de l’action violente, réminiscence assumée des sinistres « voltigeurs de Charlie », pas l’hebdo, la bavure, dont Gérald Darmanin est sans conteste le digne héritier, le pittoresque accent chantant en moins. Le 6 avril dernier, à Paris, une caméra surprit certains membres aguerris de l’une de ces brigades de choc en pleine action. Ils traînaient un homme au sol, évidemment sans ménagement, lors d’une autre manifestation contre la réforme des retraites. Dans la soirée du 20 mars, également à Paris, des membres d’une autres de ces dangereuses brigades avaient été enregistrés à leur insu au moment où ils insultaient et humiliaient copieusement plusieurs jeunes qu’ils soupçonnaient d’avoir mis le feu à des poubelles. Ils ont ensuite plaidé « La fatigue physique et morale ». Ils ont notamment précisé sans craindre le ridicule que leurs « besoins fondamentaux et vitaux n’ont pas été respectés. S’hydrater et se restaurer étaient très compliqué ». Comment ne pas plaindre ces braves serviteurs de l’Etat pris ici la main dans le sac à injures ? L’enregistrement ayant été authentifié la hiérarchie va être obligée de sévir. Très durement, on l’imagine ! Cependant, nous ne devrions pas être surpris par ces exactions commises lors des grands rassemblements citoyens. Les « jeunes de banlieues » vivent cela au centuple depuis des années à l’abri le plus souvent des regards ou dans l’indifférence des médias de masse. Est-il exagéré de dire que certaines de nos banlieues servent de terrain d’entraînement aux cosaques motorisés de la police française d’aujourd’hui ?

Il n’est plus possible, depuis longtemps déjà, de parler de bavures, de faits isolés inévitables dans le difficile exercice du maintien de « l’ordre républicain ». Il existe dans notre police un état d’esprit délétère que tous ses membres évidemment ne partagent pas mais qui est nettement plus étendu que l’indulgence commune n’est prête à le reconnaître. Osons le dire : il y a une culture policière de la haine faite d’une somme d’acrimonies contre de multiples victimes expiatoires potentielles, acrimonies qui ne demandent qu’à s’exprimer pour peu que l’autorité supérieure oublie , de façon plus ou moins sournoise ou calculée, de maintenir les garde-fous nécessaires à l’existence d’une « bonne police ». Il s’agit là d’une culture très masculine, en partie alimentée par les évolutions sociales des dernières décennies probablement mal acceptées en ces lieux du virilisme traditionnel. Les objets de l’acrimonie ambiante sont fort disparates et forment un curieux patchwork : acrimonie envers les femmes, les homos, les migrants, les écolos, les jeunes des cités, etc. Si cette culture particulière faisant système n’existe pas comment comprendre que l’on écrabouille sauvagement le campement précaire de migrants, qu’un coup de volant à droite fasse volontairement chuter un scooter et ses jeunes occupants, que des mains assermentées se glissent brutalement dans la culotte de jeunes manifestantes, que l’on retarde dramatiquement les secours dépêchés vers les nombreux blessés par le déluge de grenades de Sainte-Soline ? Alors, nous ne pouvons confondre la haine avérée d’une partie non négligeable des forces de l’ordre et « la rage de ceux que l’on piétine » pour reprendre l’expression du philosophe Etienne Balibar. La haine est un sentiment installé a priori sur des préjugés tenaces tandis que la rage est une réaction s’exprimant a posteriori consécutivement aux souffrances physiques ou morales infligées à diverses catégories du corps social. Il est plus que temps de mettre fin aux calamiteuses confusions, de faire entendre un autre récit que celui des fachos en herbe. Pourquoi pas par la multiplication des concerts de casseroles rageuses ?

Yann Fiévet

Le Peuple Breton – Avril 2023 Leurre de vérité

  Le forcené de l’Elysée

Le printemps promettait d’êpre chaud. Il est carrément torride. Disons-le tout net : la responsabilité de la surchauffe sociale incombe exclusivement désormais à Jupiter. Son acharnement à poursuivre coûte que coûte le processus d’adoption de la réforme des retraites, processus qu’il persiste à considérer comme « pleinement démocratique », est sans équivoque caractéristique de l’attitude d’un homme irresponsable, d’un homme incapable de saisir ne serait-ce que d’une once les pulsations profondes du corps social dont il a, au nom d’institutions tournant largement dans le vide maintenant, la charge en principe pour quatre années encore.

Nous avions perçu cette incapacité avant même le début du premier quinquennat du souverain se voulant contre vents et marées omnipotent et omniscient. Il a réussi assez longtemps à faire illusion grâce à une cour béatement agenouillée aux pieds de ce génial transformateur de « la société restée trop longtemps sclérosée » comme le pensent si souvent ces bien-pensants sortis justement pour la plupart de la cuisse de Jupiter. Pourtant, un cap a été franchi en ce mois de mars avec le magistral coup de force voulu par ce seul homme. L’incapacité du monarque absolu à saisir la réalité du pays confine aujourd’hui au paroxysme. Sa cour jusqu’ici servile commence elle-même à se fracturer. Elle bruisse, pour le moment dans les coulisses. Elle ne tardera plus à se répandre au grand jour en déclarations plus ou moins incendiaires contre le forcené de l’Elysée claquemuré dans ses ravageuses certitudes.

L’acharnement jupitérien est pathologique. A preuve le contenu ahurissant de son intervention sur deux chaînes de télévision en milieu de journée la veille d’une nouvelle grande mobilisation, la première après le rejet – à neuf voix près – de la motion de censure consécutive à l’adoption au Palais Bourbon de la réforme honnie par le mauvais peuple, adoption obtenue par l’isage du 49-3. « Cela ne me fait pas plaisir de faire cette réforme. Je préfèrerais ne pas avoir à la faire. » Cette façon totalement assumée de nous parler à la première personne du singulier peut à elle seule révéler l’ampleur du gouffre abyssal qui sépare le souverain de son peuple. Il sait ce qui est bon pour le peuple qu’il ne voit d’ailleurs plus que comme une foule, qui se fait mal pour lui alors qu’il est cependant si ingrat. Oui, tous ces gens qui vocifèrent sont très ingrats à ne pas vouloir se contenter d’obtempérer et de rentrer sagement dans leurs foyers pour qu’enfin l’on puisse réformer sérieusement le travail. Au passage le monarque semble croire que nous avons déjà oublié qu’il a été avant son règne calamiteux le principal instigateur de la « loi travail » de 2016. Je détruis et ensuite je colle ici ou là quelques rustines. Hélas, cela ne prend plus ! Et, c’est définitif. Mais, ce jour-là à la télé il ne s’est pas contenté de nous surplomber du haut de sa superbe arrogance. Il nous a également copieusement insultés. Il n’a pas craint d’esquisser une comparaison irraisonnée entre le mouvement social actuel en France et les hordes complotistes pro-Trump qui un jour envahirent le Capitole à Washington ou les troupes d’extrême-droite, largement composées d’évangélistes, qui étaient prêtes à renverser le Président Lula nouvellement élu à la tête du Brésil. Si Jupiter a encore toute sa raison, il manque singulièrement de sérénité !

La grogne – le mot est faible – ne va pas cesser. Elle revêt tantôt des formes traditionnelles tantôt des visages pleins d’inventivité. Elle s’est répandue en des lieux où jamais on ne la rencontre d’ordinaire, dans de modestes localités d’habitude toujours paisibles, au fin fond des campagnes, dans de modestes bourgades très éloignées du Centre étroit où tout se décide depuis trop longtemps, loin donc du « dé à coudre parisien » pour reprendre la pertinente expression de Frédéric Lordon. Et la jeunesse qui enfin s’en mêle… A sa façon, même dans les beaux quartiers ! La Bretagne est particulièrement remontée. Cela a toujours effrayé Paris. La police du monarque le renseigne scrupuleusement sur tout cela. Dans son entêtement suicidaire il n’entrevoit probablement plus qu’une seule porte de sortie possible après que le déversement de la « pédagogie » maladroite abondamment relayée par les médias dominants a échoué ; : la répression massive et aveugle du mouvement social légitime. Comme le dit l’avocat Arié Alimi, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme : « Il y a une recherche du drame de la part de l’exécutif pour sortir de la crise ». Et cela y compris sur d’autres fronts que celui des retraites. Le front de l’écologie s’agite grandement désormais. A juste titre là aussi. On craint la dangereuse jonction qui doucement s’installe.

Après le drame qu’il veut salvateur, Jupiter espère sûrement qu’il pourra construire quelque chose. On ne voit pas bien quoi, ni avec qui, tellement le paysage politique est aujourd’hui disloqué. La confiance, partout, n’est plus que de façade envers celui qui a dilapidé tout son crédit mais ne veut surtout pas en convenir. Il va bricoler, tenter des arrangements « type Quatrième République » qui évidemment ne tiendront pas et se succéderont au rythme accéléré du désintérêt des citoyens pour la chose politique. Le souverain escompte certainement se refaire une santé grâce aux JO l’an prochain. Il a du reste déjà donné le ton en pleine tourmente contre la réforme des retraites. A 500 jours de l’ouverture des Jeux de Paris une cérémonie officielle s’est tenue devant tout le gratin d’organisation du grandiose barnum. Devant cet autre microcosme hors-sol Jupiter s’est fait joliment mousser. Métamorphosé en César, il tint en cette circonstance surannée un discours particulièrement enjoué contrastant avec la gravité des moments difficiles que vivent nos congénères. Il sait que la formule a souvent fonctionné. Que demande le peuple ? Du pain et des jeux ! César, lyrique, se laissa aller. Il promit ainsi que l’an prochain l’on pourra se baigner de nouveau dans la Seine et dans la Marne. Une promesse de plus impossible à tenir, un caprice de roi surréaliste. Surréaliste, le caprice et le roi tout à la fois. Cette mayonnaise ne prendra pas. L’an prochain, le peuple aura encore la tête ailleurs. Et, il commencera sérieusement à s’inquiéter pour l’avenir de son pays. Là, il ne s’agit pas d’une affaire de médailles. Une petite musique se fait déjà entendre du côté du fascisme rampant : « maintenant que Macron a éteint la lumière, le RN devient la lueur d’espoir. » Dans les stades, on peut vibrer. On peut aussi y frémir.

Yann Fiévet

« Pour la vie »
Contre le capitalisme mortifère, à Dieulefit comme ailleurs

« Pour la vie » est le cri d’espérance lancé en janvier 2021 par la communauté zapatiste du Chiapas. Elle décidait alors de venir en Europe à la rencontre des collectifs qui luttent comme elle contre les dégâts sociaux et écologiques engendrés par le capitalisme débridé. Cinq siècles après la conquête de l’Amérique latine par les Européens les zapatistes entendaient inverser symboliquement l’Histoire, non pas de façon revancharde mais pacifique. Immédiatement, Sandra Blondel et Pascal Hennequin ont senti qu’il leur fallait suivre la venue vers nous de cette communauté très engagée, venue devant s’étaler d’avril à octobre 2021. Leur film éponyme restitue les joies intenses mais aussi les vraies difficultés du généreux voyage des zapatistes.

Les zapatistes ont réussi à se libérer très sensiblement du capitalisme et à transformer radicalement et durablement leur organisation sociale. Ils ont ainsi probablement plusieurs décennies d’avance sur nous en terme d’auto-organisation économique, sociale et politique qu’ils pratiquent à une échelle bien plus étendue que celle de nos collectifs et lieux autogérés européens. L’histoire qu’ils sont venus nous faire partager, telle une « bibliothèque vivante est riche de 28 ans d’expérimentation de gouvernement autonome, d’éducation, de justice, de santé communautaires. Il est évidemment illusoire d’espérer pouvoir mettre en place une organisation semblable chez nous. Néanmoins, nous avons beaucoup à apprendre de leurs échecs et de leurs réussites, réussites d’autant plus admirables au regard du contexte d’extrême répression qu’ils subissent continuellement de la part des autorités mexicaines.

La lutte zapatiste incarne sans conteste le changement radical que l’humanité doit globalement opérer face aux risques systémiques globaux du capitalocène. Elle montre superbement qu’il nous est possible de reprendre en main notre destin commun, que nous ne devons pas renoncer ni nous résigner et être patient, qu’il n’existe pas de plan tout tracé hormis celui d’apprendre en faisant, de construire en avançant vers l’objectif du changement radical. Pendant 10 ans, les zapatistes ont construit la lutte en ralliant les gens un à un, famille par famille, village par village. Il s’agit d’un travail de conscientisation de longue haleine. Ici, au cœur de la société dite de consommation, nous en sommes évidemment loin. Pourtant, pouvons-nous nous payer le luxe d’attendre encore ?

« Pour la vie » est donc un appel à l’humanité entière qui doit se mettre en marche vers sa survie. Nous le savons tous désormais, celle-ci est mortellement menacée par l’emballement climatique, la destruction de la biodiversité, la raréfaction des ressources naturelles , l’accroissement des inégalités socio-économiques et les guerres que tous ces périls vont engendrer. La menace globale est démesurée, paraît alors insurmontable à chacun de nous. Si nous devons forcément penser globalement le monde que nous désirons voir changer c’est localement qu’il nous faut agir pour aller vers l’objectif vital. Il faut sur tous les territoires créer des collectifs de citoyens déterminés et renforcer les collectifs déjà existants. Le pays de Dieulefit doit y prendre sa part. Une chance : ici, nous ne partons pas de rien. De nombreux germes sont déjà là, cultivons-les sans plus attendre !

Mars 2023

 « 64 ans ? Borne out ! »

« Ce n’est pas la rue qui gouverne ! »proclament régulièrement nos gouvernants. En cela ils se trompent lourdement : la rue n’entend nullement gouverner. En revanche, elle désire se faire vivement entendre en de graves circonstances face aux gouvernants dont elle n’est plus très sûre qu’ils gouvernent vraiment ou dont elle est désormais certaine qu’ils gouvernent par procuration des « milieux d’affaires ». Ainsi elle s’exprime souvent avec un humour provocateur comme en atteste certaines banderoles fièrement déployées lors des actuelles manifestations contre la réforme des retraites. La rue a de l’intelligence. Elle a fort bien compris la réalité profonde du projet de réforme qui se cache derrière la présentation trompeuse qui en est faite. Et, elle est étonnamment calme, contrairement au Palais Bourbon. Pour le coup, ne serait-ce pas l’Assemblée Nationale qui est à la rue ces temps-ci ?

La rue est un terme global bien méprisant à l’égard des centaines de milliers de nos concitoyens qui défilent sur le pavé des rues des villes petites et grandes depuis le début de l’année et à l’égard des millions de Français opposés à la réforme voulue avec acharnement par Emmanuel Macron. Tous ces gens savent que l’objectif de la réforme des retraites est purement financier : maintenir les dépenses de retraites à leur niveau
actuel, en dessous de 14% du PIB. Ce qui entraînera, en raison du vieillissement de la population, une baisse du niveau moyen des pensions par rapport à l’ensemble des revenus du travail. Ainsi, comme le souligne le Conseil d’orientation des retraites (COR), le niveau de vie des retraités diminuera par rapport à celui de l’ensemble de la population. Le crédo du macronisme et de la Commission européenne est que les retraites pèsent d’un poids excessif et contribuent aux déficits publics qu’il convient de réduire à n’importe quel prix.

Quand on analyse en détail l’évolution des comptes publics, on découvre que les causes principales
des déficits sont ailleurs. Leur augmentation, ces dernières années, provient d’abord de l’érosion des
recettes publiques, dont le poids en pourcentage du PIB n’a cessé de diminuer. De 2007 à 2021, les recettes fiscales de l’État sont passées de 14,2 % à 12,2 % du PIB. Cette érosion est due aux baisses d’impôts et de cotisations sociales, principalement en faveur des entreprises et des ménages les plus aisés. Cette politique anti-impôts s’est accélérée durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, notamment par la suppression de l’ISF et des impôts de production versés par les entreprises. Cependant, il convient de pousser plus avant l’analyse des comptes publics. Contrairement au discours officiel, largement repris par la plupart des médias, les retraites sont loin d’être le poste de dépenses publiques dont la progression est la plus forte. Le record est détenu par les aides publiques aux entreprises (APE), dont la croissance a été de 5 % par an en termes réels (hors inflation) entre 2007 et 2021, soit 2,5 fois plus que les dépenses consacrées aux retraite.

Les APE – subventions publiques, crédits d’impôt et baisses de cotisations sociales patronales – posent pourtant un double problème. D’une part, il est reconnu qu’elles sont peu efficaces. Ainsi en est-il des baisses de cotisations sociales permises par le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qu’Emmanuel Macron a pérennisé. D’autre part, les APE contribuent à déséquilibrer les comptes de l’État et de la protection sociale, dont font partie les retraites. Dans sa volonté farouche d’imposer l’austérité à l’assurance-vieillesse ainsi qu’aux services publics, le gouvernement s’oppose à tout débat sur la pertinence des APE, dont le
poids est devenu exorbitant, estimé à 160 milliards d’euros par an, soit 6,4% du PIB, bénéficiant surtout aux grandes entreprises. Il y a donc bien deux poids, deux mesures : on protège le capital et on sacrifie le travail. Dans le capitalisme néolibéral la production de profit dépend intrinsèquement de la déconstruction des protections sociales. En l’absence de gains de productivité suffisants, le travail doit être toujours plus pressuré. Voilà bien le sens de la succession des différentes réformes adoptées à marche forcée, en particulier celle des retraites, qui n’est que la poursuite des réformes du marché du travail ou de l’assurance-chômage.

Les atermoiements d’Elisabeth Borne tentant désespérément d’expliquer l’inexplicable cache le fait que nous sommes donc bel et bien confrontés à un choix de société. Elle a choisi d’endosser la responsabilité de la réforme des retraites devant le Parlement afin de boucher un trou de dix milliards d’euros tandis que le Président de la République annonce une enveloppe de quatre-cents milliards en sept ans pour « nos armées » ! Un autre signe confirme cette orientation : le budget de l’Etat adopté cet automne prévoit la création de 4500 emplois de militaires ou policiers et seulement 2500 emplois d’enseignants en 2023. Pour reprendre une image chère à Pierre Bourdieu on durcit la main droite de l’Etat tandis que l’on affaiblit sa main gauche. De fait ce constat renvoie à l’évolution du régime de la Ve République, où les élites dirigeantes ont fait le choix de transformer le modèle social français dans un sens néolibéral. Depuis les années 1980, cela consiste à épouser les intérêts et respecter les prérogatives des milieux d’affaires, en démantelant pas-à-pas l’État social bâti au cours du siècle dernier. Ce faisant, les droits et les capacités d’agir des citoyens ont été remises en cause de manière de plus en plus visible et profonde. Ceux-ci ont exprimé à de nombreuses reprises leur résistance à cette évolution. Mais comme l’Etat estime ne plus avoir les moyens de leur accorder des concessions, en raison de l’affaiblissement de l’économie capitaliste, il retourne contre les citoyens ordinaires toutes les armes que lui donne la Constitution. Ainsi, le pouvoir exécutif dispose des moyens de se retrancher dans les institutions et d’y produire des décisions, sans aucun égard pour les légitimités s’exprimant en dehors des échéances électorales.

Il ne suffit donc pas de proclamer que « la réforme est nécessaire » après avoir prétendu qu’elle était juste. Encore faut-il montrer ce qui, au fil des quarante dernières années, l’a rendu nécessaire et dire surtout qu’elle peut être financée autrement qu’en faisant travailler deux ans de plus les salariés les plus modestes. Il ne suffira pas qu’Elisabeth Borne s’en aille après avoir éventuellement échoué à faire adopter la réforme du Président. Ce n’est pas le fusible Borne qui doit sauter. C’est le projet de réforme qui doit passer à la trappe. Emmanuel Macron est-il en mesure de comprendre que l’opposition à sa réforme est profondément ancrée dans la société ? Lui et ses lieutenants brandissent facilement le mot légitimité. Eh bien, désormais la légitimité est dans la rue. Elle gronde pour la défense des conquêtes sociales d’hier et pour l’avenir de la dignité de tous ceux qui luttent vraiment pour faire triompher la justice sociale. Le printemps approche à grands pas. Il promet d’être chaud !

Yann Fiévet

Le Peuple Breton – Mars 2023

 Jupiter est-il vraiment sain d’esprit ?

Une mise en garde s’impose d’emblée : nous allons ici être quelque peu irrévérencieux à l’encontre du Président de la République française. Cela nous est sans doute déjà arrivé, du reste comme envers ces illustres prédécesseurs avec un soin très attentif pour Nicolas Sarkozy au temps glorieux de son firmament. Il va être question cette fois de santé mentale, évidemment dans le cadre particulier d’une éminente fonction, celle du chef d’un Etat démocratique qui laisse à son dirigeant suprême des coudées excessivement franches. Ces dernières semaines nous ont apporté leur lot de faits on ne peut plus troublants quant à l’exercice de la fonction présidentielle dans notre pays. Cela ne devrait pas manquer de nous inquiéter.

Si Emmanuel Macron était un homme ordinaire la question que nous allons soulever ici ne se poserait tout simplement pas . En effet, dans l’absolu Emmanuel Macron n’est pas fou, son état mental ne relève, pour ce que nous pouvons en connaître, d’aucune des pathologies psychiatriques répertoriées et traitées par le corps médical. Ainsi, on pourrait appliquer à Emmanuel Macron, un homme parmi d’autres, les expressions « un esprit sain dans un corps sain » ou « sain de corps et d’esprit ». Alors, où est donc le problème ? Et bien voici : Emmanuel Macron n’est pas actuellement un citoyen ordinaire. Il est Président de la République ! La question qui nous occupe doit donc être de ce fait posée de façon non pas absolue mais relative. Elle doit ainsi être envisagée relativement aux lourdes charges qu’implique l’exerciice de la fonction extraordinaire dont il a à s’acquitter au quotidien. La Constitution de la Vème République donne à l’hôte de l’Elysée des pouvoirs très étendus dont aucun de ses homologues européens peut s’enorgueillir. De surcroît, par un exercice solitaire assumé de la fonction présidentielle Emmanuel Macron a encore accentué le caractère exorbitant de son pouvoir. Il est donc légitime, dans ces conditions exceptionnelles, d’interroger la capacité du Président de remplir avec sérénité, discernement et distance critique ce fardeau inhabituel.

Voici donc ce qui nous trouble dans le comportement déconcertant de Jupiter ces derniers mois sans que cela n’occulte les multiples incongruités intervenues au cours de son premier quinquennat. Emmanuel Macron nous a habitués à changer souvent d’avis au point même de surprendre le cercle de ses fidèles lieutenants. L’inconstance n’est certes pas une pathologie mais s’agissant d’un Président de la République la chose peut confiner à l’indécision maladive et au manque de clairvoyance. En décembre dernier, Emmanuel Macron s’est rendu à deux reprises à Doha, capitale du Qatar, pour assister, à quelques jours d’intervalle, à des… matches de football. Certes il s’agissait de la Coupe du Monde et l’ équipe de France était à chaque fois l’une des deux équipes sur le terrain. Signalons, pour commencer, qu’aucun autres chef d’Etat ou de Gouvernement des huit pays en lice à partir des quarts de finale de la si grandiose compétition n’a fait le déplacement, pas même le Président de l’Argentine où le football est pourtant une quasi religion. Rappelons ensuite que notre Président avait déclaré face aux vives critiques entourant les désastreuses conditions de préparation de cette compétition « planétaire » qu’il convenait de ne pas politiser le sport. Au soir de la demie finale France-Maroc la politique était en effet ailleurs : un sommet européen se tenait sur notre continent. Qu‘importe ! Le sport dépolitisé avant tout : Emmanuel Macron demanda au chancelier allemand de le représenter lors dudit sommet ! Enfin, avant même la fin de la compétition, Jupiter emboîta le pas du président de la FIFA, éminente organisation mafieuse, en déclarant solennellement que le Qatar organisait une belle Coupe du Monde. Il espérait alors que la France allait conquérir sa « troisième étoile », tout comme les vingt millions de fans rivés à leur écran le soir de la finale. Il misait sans doute sur le fait que cette troisième étoile rendrait surtout plus facile la rude « bataille des retraites » qui l’attendait à la rentrée. Pas de politique ! Est-il besoin de commenter plus avant cette calamiteuse séquence ?

Le 1er Janvier, le Président de la République eut une chance de se racheter une conduite politique digne de ce nom. Encore aurait-il fallu qu’il décide d’aller à Brasilia pour la cérémonie officielle d’investiture du Président Lula. Alors que dix-sept de ses homologues se sont rendus au Brésil pour la circonstance notre Président préféra y déléguer un sous-fifre. Après les quatre années de la quasi dictature de Bolsonaro la présence d’Emmanuel Macron pour saluer le retour du Brésil vers la démocratie eut été plus qu’un symbole. Cela aurait eu assurément plus d’allure que la remise de la légion d’honneur au Maréchal Sissi responsable de la sanglante répression qui sévit en Egypte depuis des années. On a quand même bien le droit de choisir ses interlocuteurs ! Emmanuel Macron conclut l’année de sa triomphale réélection par les traditionnels vœux aux Français. Il y lança une affirmation proprement hallucinante : personne ne pouvait prévoir la crise climatique. Il précipita ainsi brutalement et pêle-mêle dans les oubliettes de l’Histoire le Sommet de la Terre tenu à Rio en… 1992, le protocole de Kyoto de 1997, la célèbre phrase de Jacques Chirac (la maison brûle et nous regardons ailleurs) prononcée en 2002 à Johannesbourg, la Cop 21 tenue à Paris en décembre 2015 et toutes celles qui la précédèrent ou la suivirent, tous les rapports du GIEC dont chaque nouvelle édition est plus alarmante que la précédente, la Convention citoyenne sur le climat organisée en France en 2020-21 et qu’il avait lui-même voulue, etc. Un homme dont le cerveau tourne rond peut-il au tournant de l’année 2023 proférer une pareille idiotie ? Lors du réveillon qui suivit Jupiter s’est peut-être fait sévèrement morigéner par Madame au point de ne pas oser s’envoler pour le Brésil le lendemain matin. Là-bas, l’Amazonie n’a pas fini de souffrir des innombrables incendies allumés par Bolsonaro qu’Emmanuel Macron avait pourtant un jour dénoncé dans un moment de franche lucidité.

On se souvient que lors de son ascension vers sa première « élection Emmanuel Macron se réclamait de la pensée du grand philosophe Paul Ricoeur qu’il avait du reste rencontrer. Nombre d’intélectuels et d’éditorialistes avaient à l’époque salué ce signe évident de culture qui laissait augurer des lendemains prometteurs pour notre pays. Pourtant, on cherche en vain depuis près de six ans dans la politique pratiquée par le prétendu disciple la moindre trace de la pensée du maître. L’élève a probablement lu en diagonale les ouvrages majeurs de Ricoeur. La diagonale du fou ironiseront les esprits les plus chagrins. Soyons plus sobres tout en restant dans la métaphore : le second quinquennat de ce Président tellement imprévisible va être long et pourrait le mettre « échec et mat » avant son terme. Les paris sont ouverts… Pour l’heure, nous sommes sûrs d’une chose : Jupiter va encore nous surprendre.

Yann Fiévet

Le Peuple Breton - Février 2023

 Automne silencieux

L’automne va bientôt prendre fin. Il s’annonçait tumultueux. Il fut plutôt calme. On pourrait s’en réjouir. On aurait tort. Les raisons qui laissaient augurer un automne agité en France ne se sont pas effacées comme par magie. Leurs débouchés possiblement bruyants continuent de couver sous de trompeuses apparences. Sous un calme apparent se cachent en effet des velléités de troubles – qui s’expriment sporadiquement ici ou là - qu’il convient d’étudier attentivement. Parmi les quelques réjouissances à bon compte nous pouvons pointer un automne printanier, le plus doux de tous les temps. Comme il fut agréable de vivre dehors si tard dans la saison ! Et comme nous allons le payer cher demain, plus cher encore que ce que nous payons déjà à la crise climatique. L’immobilisme politique dont nous pouvions espérer sortir après la victoire à la Pyrrhus de Jupiter lors des dernières élections nationales devrait inciter à un sursaut déterminé du corps social. Le pouvoir en place semble cependant Prêt à y résister durement. En mots et en actes.

L’automne s’est déroulé comme s’était déroulé le printemps : le Président Macron et son Gouvernement restent sourds à la nécessité de transformer les règles du jeu de l’action publique. Les promesses d’un « monde d’après » plus doux avec les faibles et moins indulgent avec les forts, plus attentif aux multiples dégâts infligés aux divers écosystèmes par une économie prédatrice sans limites tangibles sont désormais loin derrière nous. Une autre promesse du monarque, celle de moins gouverner perso et avec moins de mépris, s’est elle aussi bien vite envolée. Elle n’a duré que l’espace d’un été torride où comme à l’accoutumée il ne s’est pas passé grand-chose hormis une « intense réflexion » sur les attributions floues d’un Conseil National de la R. qui a vite fait flop à la rentrée. Au Palais Bourbon, où le Président de la République ne dispose que d’une majorité relative, la Première Ministre détient l’arme redoutable du 49-3. Elle le dégaine plus vite que son ombre ! Cela tue le débat démocratique mais permet d’avancer tout droit, sans sourciller.

Ainsi, pour l’adoption de la partie recette du budget de la Sécurité Sociale ou celle de la réforme de l’assurance-chômage. Par ailleurs, l’Elysée et Matignon sont parfaitement à l’unisson pour refuser d’envisager la taxation des superprofits des groupes industriels et commerciaux engrangés ces dernières années. Allons, les profiteurs ne sont pas les actionnaires de ces groupes mais les chômeurs qui refusent de « traverser la rue » pour se faire gracieusement embaucher. Les entreprises vont bien finir par créer les centaines de milliers d’emplois attendus depuis si longtemps. Un peu de patience ! Et, restons calmes ! Rien de nouveau donc sous le soleil de l’automne ou sous les lambris du pouvoir.

Faute de pouvoir donner un grand coup de pied dans la fourmilière pseudo démocratique les citoyens encore politisés – contrairement à ce que l’on prétend trop souvent – s’expriment ailleurs et cherchent à inventer de nouvelles formes de lutte. À ce titre, l’automne n’a pas été vraiment silencieux. Encore faut-il orienter ses oreilles - et son regard - dans la bonne direction. Sur le terrain social l’imagination n’est certes pas vraiment de mise : blocages de raffineries sans entraves majeures, grèves de transports assez peu suivies, manifestations de rues plutôt clairsemées, etc. L’embrasement que certains espéraient n’est pas venu. Nous n’en déduirons pas que les « gens du bas de l’échelle » sont satisfaits de leur sort. Pour la plupart, ils ne croient plus aux formes traditionnelles de lutte aux maigres résultats depuis trop longtemps. Ils craignent aussi sans doute d’être dangereusement maltraités par une police surarmée. C’est en revanche sur le terrain des luttes écologiques que poussent de salutaires radicalités. Elles sont non violentes, ne recherchent aucunement l’affrontement avec les « forces de l’ordre » établi, évitent de répondre aux provocations de ces dernières. Elles privilégient la réalisation d’opérations symboliques représentatives des dangers gravissimes qui pèsent sur notre société et la nature qui la porte. Il s’agit ainsi de frapper l’opinion publique jugée par trop léthargique. À l’occasion, ces actions symboliques s’accomplissent lors de rassemblements festifs. Ce fut le cas le mois dernier à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres où le « scandale des méga-bassines » a mobilisé des milliers de gens inquiets de l’appropriation privée – par et pour l’agriculture intensive - de la ressource en eau. Une lutte pour la vie !

C’est à propos de l’évènement susnommé, au cours duquel fut démontée une canalisation devant alimenter une méga-bassine vaste comme plusieurs terrains de football, que Gérald Darmanin, Ministre de l’Intérieur, nous a asséné le terme « éco-terrorisme ». Il range probablement sous le même vocable les actions du collectif Ultime Génération qui cible – sans les dégrader – des peintures ancestrales célébrant la nature dans de prestigieux musées ou le collectif Dernière Rénovation qui bloque des routes pour réclamer un plan enfin sérieux d’isolation thermique des bâtiments.

C’est déjà lui qui parlait en 2020 de « l’ensauvagement de la société ». Où est la vraie sauvagerie, où se situe la véritable terreur, si ce n’est dans les multiples dégâts mortifères engendrés par nos modes de production et de consommation ? On a encore franchi un cran dans la tentative de provoquer l’effroi de nos concitoyens lorsque plusieurs « élus ou anciens élus de la République ont risqué dans une tribune de la presse écrite le terrible « éco-totalitarisme ». Parmi ces acharnés défenseurs du modèle économique dominant destructeur du « bien commun » on compte Christophe Castaner. Assurément, un fin connaisseur puisqu’il précéda Gérald Darmanin à l’Intérieur. On prépare là à l’évidence la criminalisation des divers mouvements hostiles à la poursuite incontrôlée du capitalisme débridé. Nos dirigeants qui de fait ne dirigent pratiquement plus que par procuration des lobbies envisagent de légiférer afin que désormais les auteurs des actes de ce « nouveau terrorisme » soient lourdement sanctionnés. L’Italie peut du reste leur fournir un excellent exemple : Giorgia Meloni, dès son arrivée aux affaires, a instauré une loi par laquelle ces actes insupportables au regard de l’ordre public sont maintenant punissables de six années de prison. Si l’éco-totalitarisme est une vue de l’esprit – sauf à considérer que le préfixe éco signifie économie et non écologie – le fascisme, lui, frappe bel et bien à nos portes. Alors, il va nous falloir être moins silencieux. Nous devrons même faire beaucoup de bruit.

Yann Fiévet

Par Fiévet Yann

Le dimanche 26 novembre 2023

Mis à jour le 25 février 2024