"Leurres de vérité" par Yann Fiévet : « Pour la vie » Contre le capitalisme mortifère, à Dieulefit comme ailleurs
« Pour la vie »
Contre le capitalisme mortifère, à Dieulefit comme ailleurs
« Pour la vie » est le cri d’espérance lancé en janvier 2021 par la communauté zapatiste du Chiapas. Elle décidait alors de venir en Europe à la rencontre des collectifs qui luttent comme elle contre les dégâts sociaux et écologiques engendrés par le capitalisme débridé. Cinq siècles après la conquête de l’Amérique latine par les Européens les zapatistes entendaient inverser symboliquement l’Histoire, non pas de façon revancharde mais pacifique. Immédiatement, Sandra Blondel et Pascal Hennequin ont senti qu’il leur fallait suivre la venue vers nous de cette communauté très engagée, venue devant s’étaler d’avril à octobre 2021. Leur film éponyme restitue les joies intenses mais aussi les vraies difficultés du généreux voyage des zapatistes.
Les zapatistes ont réussi à se libérer très sensiblement du capitalisme et à transformer radicalement et durablement leur organisation sociale. Ils ont ainsi probablement plusieurs décennies d’avance sur nous en terme d’auto-organisation économique, sociale et politique qu’ils pratiquent à une échelle bien plus étendue que celle de nos collectifs et lieux autogérés européens. L’histoire qu’ils sont venus nous faire partager, telle une « bibliothèque vivante est riche de 28 ans d’expérimentation de gouvernement autonome, d’éducation, de justice, de santé communautaires. Il est évidemment illusoire d’espérer pouvoir mettre en place une organisation semblable chez nous. Néanmoins, nous avons beaucoup à apprendre de leurs échecs et de leurs réussites, réussites d’autant plus admirables au regard du contexte d’extrême répression qu’ils subissent continuellement de la part des autorités mexicaines.
La lutte zapatiste incarne sans conteste le changement radical que l’humanité doit globalement opérer face aux risques systémiques globaux du capitalocène. Elle montre superbement qu’il nous est possible de reprendre en main notre destin commun, que nous ne devons pas renoncer ni nous résigner et être patient, qu’il n’existe pas de plan tout tracé hormis celui d’apprendre en faisant, de construire en avançant vers l’objectif du changement radical. Pendant 10 ans, les zapatistes ont construit la lutte en ralliant les gens un à un, famille par famille, village par village. Il s’agit d’un travail de conscientisation de longue haleine. Ici, au cœur de la société dite de consommation, nous en sommes évidemment loin. Pourtant, pouvons-nous nous payer le luxe d’attendre encore ?
« Pour la vie » est donc un appel à l’humanité entière qui doit se mettre en marche vers sa survie. Nous le savons tous désormais, celle-ci est mortellement menacée par l’emballement climatique, la destruction de la biodiversité, la raréfaction des ressources naturelles , l’accroissement des inégalités socio-économiques et les guerres que tous ces périls vont engendrer. La menace globale est démesurée, paraît alors insurmontable à chacun de nous. Si nous devons forcément penser globalement le monde que nous désirons voir changer c’est localement qu’il nous faut agir pour aller vers l’objectif vital. Il faut sur tous les territoires créer des collectifs de citoyens déterminés et renforcer les collectifs déjà existants. Le pays de Dieulefit doit y prendre sa part. Une chance : ici, nous ne partons pas de rien. De nombreux germes sont déjà là, cultivons-les sans plus attendre !
Mars 2023
« 64 ans ? Borne out ! »
« Ce n’est pas la rue qui gouverne ! »proclament régulièrement nos gouvernants. En cela ils se trompent lourdement : la rue n’entend nullement gouverner. En revanche, elle désire se faire vivement entendre en de graves circonstances face aux gouvernants dont elle n’est plus très sûre qu’ils gouvernent vraiment ou dont elle est désormais certaine qu’ils gouvernent par procuration des « milieux d’affaires ». Ainsi elle s’exprime souvent avec un humour provocateur comme en atteste certaines banderoles fièrement déployées lors des actuelles manifestations contre la réforme des retraites. La rue a de l’intelligence. Elle a fort bien compris la réalité profonde du projet de réforme qui se cache derrière la présentation trompeuse qui en est faite. Et, elle est étonnamment calme, contrairement au Palais Bourbon. Pour le coup, ne serait-ce pas l’Assemblée Nationale qui est à la rue ces temps-ci ?
La rue est un terme global bien méprisant à l’égard des centaines de milliers de nos concitoyens qui défilent sur le pavé des rues des villes petites et grandes depuis le début de l’année et à l’égard des millions de Français opposés à la réforme voulue avec acharnement par Emmanuel Macron. Tous ces gens savent que l’objectif de la réforme des retraites est purement financier : maintenir les dépenses de retraites à leur niveau
actuel, en dessous de 14% du PIB. Ce qui entraînera, en raison du vieillissement de la population, une baisse du niveau moyen des pensions par rapport à l’ensemble des revenus du travail. Ainsi, comme le souligne le Conseil d’orientation des retraites (COR), le niveau de vie des retraités diminuera par rapport à celui de l’ensemble de la population. Le crédo du macronisme et de la Commission européenne est que les retraites pèsent d’un poids excessif et contribuent aux déficits publics qu’il convient de réduire à n’importe quel prix.
Quand on analyse en détail l’évolution des comptes publics, on découvre que les causes principales
des déficits sont ailleurs. Leur augmentation, ces dernières années, provient d’abord de l’érosion des
recettes publiques, dont le poids en pourcentage du PIB n’a cessé de diminuer. De 2007 à 2021, les recettes fiscales de l’État sont passées de 14,2 % à 12,2 % du PIB. Cette érosion est due aux baisses d’impôts et de cotisations sociales, principalement en faveur des entreprises et des ménages les plus aisés. Cette politique anti-impôts s’est accélérée durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, notamment par la suppression de l’ISF et des impôts de production versés par les entreprises. Cependant, il convient de pousser plus avant l’analyse des comptes publics. Contrairement au discours officiel, largement repris par la plupart des médias, les retraites sont loin d’être le poste de dépenses publiques dont la progression est la plus forte. Le record est détenu par les aides publiques aux entreprises (APE), dont la croissance a été de 5 % par an en termes réels (hors inflation) entre 2007 et 2021, soit 2,5 fois plus que les dépenses consacrées aux retraite.
Les APE – subventions publiques, crédits d’impôt et baisses de cotisations sociales patronales – posent pourtant un double problème. D’une part, il est reconnu qu’elles sont peu efficaces. Ainsi en est-il des baisses de cotisations sociales permises par le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qu’Emmanuel Macron a pérennisé. D’autre part, les APE contribuent à déséquilibrer les comptes de l’État et de la protection sociale, dont font partie les retraites. Dans sa volonté farouche d’imposer l’austérité à l’assurance-vieillesse ainsi qu’aux services publics, le gouvernement s’oppose à tout débat sur la pertinence des APE, dont le
poids est devenu exorbitant, estimé à 160 milliards d’euros par an, soit 6,4% du PIB, bénéficiant surtout aux grandes entreprises. Il y a donc bien deux poids, deux mesures : on protège le capital et on sacrifie le travail. Dans le capitalisme néolibéral la production de profit dépend intrinsèquement de la déconstruction des protections sociales. En l’absence de gains de productivité suffisants, le travail doit être toujours plus pressuré. Voilà bien le sens de la succession des différentes réformes adoptées à marche forcée, en particulier celle des retraites, qui n’est que la poursuite des réformes du marché du travail ou de l’assurance-chômage.
Les atermoiements d’Elisabeth Borne tentant désespérément d’expliquer l’inexplicable cache le fait que nous sommes donc bel et bien confrontés à un choix de société. Elle a choisi d’endosser la responsabilité de la réforme des retraites devant le Parlement afin de boucher un trou de dix milliards d’euros tandis que le Président de la République annonce une enveloppe de quatre-cents milliards en sept ans pour « nos armées » ! Un autre signe confirme cette orientation : le budget de l’Etat adopté cet automne prévoit la création de 4500 emplois de militaires ou policiers et seulement 2500 emplois d’enseignants en 2023. Pour reprendre une image chère à Pierre Bourdieu on durcit la main droite de l’Etat tandis que l’on affaiblit sa main gauche. De fait ce constat renvoie à l’évolution du régime de la Ve République, où les élites dirigeantes ont fait le choix de transformer le modèle social français dans un sens néolibéral. Depuis les années 1980, cela consiste à épouser les intérêts et respecter les prérogatives des milieux d’affaires, en démantelant pas-à-pas l’État social bâti au cours du siècle dernier. Ce faisant, les droits et les capacités d’agir des citoyens ont été remises en cause de manière de plus en plus visible et profonde. Ceux-ci ont exprimé à de nombreuses reprises leur résistance à cette évolution. Mais comme l’Etat estime ne plus avoir les moyens de leur accorder des concessions, en raison de l’affaiblissement de l’économie capitaliste, il retourne contre les citoyens ordinaires toutes les armes que lui donne la Constitution. Ainsi, le pouvoir exécutif dispose des moyens de se retrancher dans les institutions et d’y produire des décisions, sans aucun égard pour les légitimités s’exprimant en dehors des échéances électorales.
Il ne suffit donc pas de proclamer que « la réforme est nécessaire » après avoir prétendu qu’elle était juste. Encore faut-il montrer ce qui, au fil des quarante dernières années, l’a rendu nécessaire et dire surtout qu’elle peut être financée autrement qu’en faisant travailler deux ans de plus les salariés les plus modestes. Il ne suffira pas qu’Elisabeth Borne s’en aille après avoir éventuellement échoué à faire adopter la réforme du Président. Ce n’est pas le fusible Borne qui doit sauter. C’est le projet de réforme qui doit passer à la trappe. Emmanuel Macron est-il en mesure de comprendre que l’opposition à sa réforme est profondément ancrée dans la société ? Lui et ses lieutenants brandissent facilement le mot légitimité. Eh bien, désormais la légitimité est dans la rue. Elle gronde pour la défense des conquêtes sociales d’hier et pour l’avenir de la dignité de tous ceux qui luttent vraiment pour faire triompher la justice sociale. Le printemps approche à grands pas. Il promet d’être chaud !
Yann Fiévet
Le Peuple Breton – Mars 2023
Jupiter est-il vraiment sain d’esprit ?
Une mise en garde s’impose d’emblée : nous allons ici être quelque peu irrévérencieux à l’encontre du Président de la République française. Cela nous est sans doute déjà arrivé, du reste comme envers ces illustres prédécesseurs avec un soin très attentif pour Nicolas Sarkozy au temps glorieux de son firmament. Il va être question cette fois de santé mentale, évidemment dans le cadre particulier d’une éminente fonction, celle du chef d’un Etat démocratique qui laisse à son dirigeant suprême des coudées excessivement franches. Ces dernières semaines nous ont apporté leur lot de faits on ne peut plus troublants quant à l’exercice de la fonction présidentielle dans notre pays. Cela ne devrait pas manquer de nous inquiéter.
Si Emmanuel Macron était un homme ordinaire la question que nous allons soulever ici ne se poserait tout simplement pas . En effet, dans l’absolu Emmanuel Macron n’est pas fou, son état mental ne relève, pour ce que nous pouvons en connaître, d’aucune des pathologies psychiatriques répertoriées et traitées par le corps médical. Ainsi, on pourrait appliquer à Emmanuel Macron, un homme parmi d’autres, les expressions « un esprit sain dans un corps sain » ou « sain de corps et d’esprit ». Alors, où est donc le problème ? Et bien voici : Emmanuel Macron n’est pas actuellement un citoyen ordinaire. Il est Président de la République ! La question qui nous occupe doit donc être de ce fait posée de façon non pas absolue mais relative. Elle doit ainsi être envisagée relativement aux lourdes charges qu’implique l’exerciice de la fonction extraordinaire dont il a à s’acquitter au quotidien. La Constitution de la Vème République donne à l’hôte de l’Elysée des pouvoirs très étendus dont aucun de ses homologues européens peut s’enorgueillir. De surcroît, par un exercice solitaire assumé de la fonction présidentielle Emmanuel Macron a encore accentué le caractère exorbitant de son pouvoir. Il est donc légitime, dans ces conditions exceptionnelles, d’interroger la capacité du Président de remplir avec sérénité, discernement et distance critique ce fardeau inhabituel.
Voici donc ce qui nous trouble dans le comportement déconcertant de Jupiter ces derniers mois sans que cela n’occulte les multiples incongruités intervenues au cours de son premier quinquennat. Emmanuel Macron nous a habitués à changer souvent d’avis au point même de surprendre le cercle de ses fidèles lieutenants. L’inconstance n’est certes pas une pathologie mais s’agissant d’un Président de la République la chose peut confiner à l’indécision maladive et au manque de clairvoyance. En décembre dernier, Emmanuel Macron s’est rendu à deux reprises à Doha, capitale du Qatar, pour assister, à quelques jours d’intervalle, à des… matches de football. Certes il s’agissait de la Coupe du Monde et l’ équipe de France était à chaque fois l’une des deux équipes sur le terrain. Signalons, pour commencer, qu’aucun autres chef d’Etat ou de Gouvernement des huit pays en lice à partir des quarts de finale de la si grandiose compétition n’a fait le déplacement, pas même le Président de l’Argentine où le football est pourtant une quasi religion. Rappelons ensuite que notre Président avait déclaré face aux vives critiques entourant les désastreuses conditions de préparation de cette compétition « planétaire » qu’il convenait de ne pas politiser le sport. Au soir de la demie finale France-Maroc la politique était en effet ailleurs : un sommet européen se tenait sur notre continent. Qu‘importe ! Le sport dépolitisé avant tout : Emmanuel Macron demanda au chancelier allemand de le représenter lors dudit sommet ! Enfin, avant même la fin de la compétition, Jupiter emboîta le pas du président de la FIFA, éminente organisation mafieuse, en déclarant solennellement que le Qatar organisait une belle Coupe du Monde. Il espérait alors que la France allait conquérir sa « troisième étoile », tout comme les vingt millions de fans rivés à leur écran le soir de la finale. Il misait sans doute sur le fait que cette troisième étoile rendrait surtout plus facile la rude « bataille des retraites » qui l’attendait à la rentrée. Pas de politique ! Est-il besoin de commenter plus avant cette calamiteuse séquence ?
Le 1er Janvier, le Président de la République eut une chance de se racheter une conduite politique digne de ce nom. Encore aurait-il fallu qu’il décide d’aller à Brasilia pour la cérémonie officielle d’investiture du Président Lula. Alors que dix-sept de ses homologues se sont rendus au Brésil pour la circonstance notre Président préféra y déléguer un sous-fifre. Après les quatre années de la quasi dictature de Bolsonaro la présence d’Emmanuel Macron pour saluer le retour du Brésil vers la démocratie eut été plus qu’un symbole. Cela aurait eu assurément plus d’allure que la remise de la légion d’honneur au Maréchal Sissi responsable de la sanglante répression qui sévit en Egypte depuis des années. On a quand même bien le droit de choisir ses interlocuteurs ! Emmanuel Macron conclut l’année de sa triomphale réélection par les traditionnels vœux aux Français. Il y lança une affirmation proprement hallucinante : personne ne pouvait prévoir la crise climatique. Il précipita ainsi brutalement et pêle-mêle dans les oubliettes de l’Histoire le Sommet de la Terre tenu à Rio en… 1992, le protocole de Kyoto de 1997, la célèbre phrase de Jacques Chirac (la maison brûle et nous regardons ailleurs) prononcée en 2002 à Johannesbourg, la Cop 21 tenue à Paris en décembre 2015 et toutes celles qui la précédèrent ou la suivirent, tous les rapports du GIEC dont chaque nouvelle édition est plus alarmante que la précédente, la Convention citoyenne sur le climat organisée en France en 2020-21 et qu’il avait lui-même voulue, etc. Un homme dont le cerveau tourne rond peut-il au tournant de l’année 2023 proférer une pareille idiotie ? Lors du réveillon qui suivit Jupiter s’est peut-être fait sévèrement morigéner par Madame au point de ne pas oser s’envoler pour le Brésil le lendemain matin. Là-bas, l’Amazonie n’a pas fini de souffrir des innombrables incendies allumés par Bolsonaro qu’Emmanuel Macron avait pourtant un jour dénoncé dans un moment de franche lucidité.
On se souvient que lors de son ascension vers sa première « élection Emmanuel Macron se réclamait de la pensée du grand philosophe Paul Ricoeur qu’il avait du reste rencontrer. Nombre d’intélectuels et d’éditorialistes avaient à l’époque salué ce signe évident de culture qui laissait augurer des lendemains prometteurs pour notre pays. Pourtant, on cherche en vain depuis près de six ans dans la politique pratiquée par le prétendu disciple la moindre trace de la pensée du maître. L’élève a probablement lu en diagonale les ouvrages majeurs de Ricoeur. La diagonale du fou ironiseront les esprits les plus chagrins. Soyons plus sobres tout en restant dans la métaphore : le second quinquennat de ce Président tellement imprévisible va être long et pourrait le mettre « échec et mat » avant son terme. Les paris sont ouverts… Pour l’heure, nous sommes sûrs d’une chose : Jupiter va encore nous surprendre.
Yann Fiévet
Le Peuple Breton - Février 2023
Automne silencieux
L’automne va bientôt prendre fin. Il s’annonçait tumultueux. Il fut plutôt calme. On pourrait s’en réjouir. On aurait tort. Les raisons qui laissaient augurer un automne agité en France ne se sont pas effacées comme par magie. Leurs débouchés possiblement bruyants continuent de couver sous de trompeuses apparences. Sous un calme apparent se cachent en effet des velléités de troubles – qui s’expriment sporadiquement ici ou là - qu’il convient d’étudier attentivement. Parmi les quelques réjouissances à bon compte nous pouvons pointer un automne printanier, le plus doux de tous les temps. Comme il fut agréable de vivre dehors si tard dans la saison ! Et comme nous allons le payer cher demain, plus cher encore que ce que nous payons déjà à la crise climatique. L’immobilisme politique dont nous pouvions espérer sortir après la victoire à la Pyrrhus de Jupiter lors des dernières élections nationales devrait inciter à un sursaut déterminé du corps social. Le pouvoir en place semble cependant Prêt à y résister durement. En mots et en actes.
L’automne s’est déroulé comme s’était déroulé le printemps : le Président Macron et son Gouvernement restent sourds à la nécessité de transformer les règles du jeu de l’action publique. Les promesses d’un « monde d’après » plus doux avec les faibles et moins indulgent avec les forts, plus attentif aux multiples dégâts infligés aux divers écosystèmes par une économie prédatrice sans limites tangibles sont désormais loin derrière nous. Une autre promesse du monarque, celle de moins gouverner perso et avec moins de mépris, s’est elle aussi bien vite envolée. Elle n’a duré que l’espace d’un été torride où comme à l’accoutumée il ne s’est pas passé grand-chose hormis une « intense réflexion » sur les attributions floues d’un Conseil National de la R. qui a vite fait flop à la rentrée. Au Palais Bourbon, où le Président de la République ne dispose que d’une majorité relative, la Première Ministre détient l’arme redoutable du 49-3. Elle le dégaine plus vite que son ombre ! Cela tue le débat démocratique mais permet d’avancer tout droit, sans sourciller.
Ainsi, pour l’adoption de la partie recette du budget de la Sécurité Sociale ou celle de la réforme de l’assurance-chômage. Par ailleurs, l’Elysée et Matignon sont parfaitement à l’unisson pour refuser d’envisager la taxation des superprofits des groupes industriels et commerciaux engrangés ces dernières années. Allons, les profiteurs ne sont pas les actionnaires de ces groupes mais les chômeurs qui refusent de « traverser la rue » pour se faire gracieusement embaucher. Les entreprises vont bien finir par créer les centaines de milliers d’emplois attendus depuis si longtemps. Un peu de patience ! Et, restons calmes ! Rien de nouveau donc sous le soleil de l’automne ou sous les lambris du pouvoir.
Faute de pouvoir donner un grand coup de pied dans la fourmilière pseudo démocratique les citoyens encore politisés – contrairement à ce que l’on prétend trop souvent – s’expriment ailleurs et cherchent à inventer de nouvelles formes de lutte. À ce titre, l’automne n’a pas été vraiment silencieux. Encore faut-il orienter ses oreilles - et son regard - dans la bonne direction. Sur le terrain social l’imagination n’est certes pas vraiment de mise : blocages de raffineries sans entraves majeures, grèves de transports assez peu suivies, manifestations de rues plutôt clairsemées, etc. L’embrasement que certains espéraient n’est pas venu. Nous n’en déduirons pas que les « gens du bas de l’échelle » sont satisfaits de leur sort. Pour la plupart, ils ne croient plus aux formes traditionnelles de lutte aux maigres résultats depuis trop longtemps. Ils craignent aussi sans doute d’être dangereusement maltraités par une police surarmée. C’est en revanche sur le terrain des luttes écologiques que poussent de salutaires radicalités. Elles sont non violentes, ne recherchent aucunement l’affrontement avec les « forces de l’ordre » établi, évitent de répondre aux provocations de ces dernières. Elles privilégient la réalisation d’opérations symboliques représentatives des dangers gravissimes qui pèsent sur notre société et la nature qui la porte. Il s’agit ainsi de frapper l’opinion publique jugée par trop léthargique. À l’occasion, ces actions symboliques s’accomplissent lors de rassemblements festifs. Ce fut le cas le mois dernier à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres où le « scandale des méga-bassines » a mobilisé des milliers de gens inquiets de l’appropriation privée – par et pour l’agriculture intensive - de la ressource en eau. Une lutte pour la vie !
C’est à propos de l’évènement susnommé, au cours duquel fut démontée une canalisation devant alimenter une méga-bassine vaste comme plusieurs terrains de football, que Gérald Darmanin, Ministre de l’Intérieur, nous a asséné le terme « éco-terrorisme ». Il range probablement sous le même vocable les actions du collectif Ultime Génération qui cible – sans les dégrader – des peintures ancestrales célébrant la nature dans de prestigieux musées ou le collectif Dernière Rénovation qui bloque des routes pour réclamer un plan enfin sérieux d’isolation thermique des bâtiments.
C’est déjà lui qui parlait en 2020 de « l’ensauvagement de la société ». Où est la vraie sauvagerie, où se situe la véritable terreur, si ce n’est dans les multiples dégâts mortifères engendrés par nos modes de production et de consommation ? On a encore franchi un cran dans la tentative de provoquer l’effroi de nos concitoyens lorsque plusieurs « élus ou anciens élus de la République ont risqué dans une tribune de la presse écrite le terrible « éco-totalitarisme ». Parmi ces acharnés défenseurs du modèle économique dominant destructeur du « bien commun » on compte Christophe Castaner. Assurément, un fin connaisseur puisqu’il précéda Gérald Darmanin à l’Intérieur. On prépare là à l’évidence la criminalisation des divers mouvements hostiles à la poursuite incontrôlée du capitalisme débridé. Nos dirigeants qui de fait ne dirigent pratiquement plus que par procuration des lobbies envisagent de légiférer afin que désormais les auteurs des actes de ce « nouveau terrorisme » soient lourdement sanctionnés. L’Italie peut du reste leur fournir un excellent exemple : Giorgia Meloni, dès son arrivée aux affaires, a instauré une loi par laquelle ces actes insupportables au regard de l’ordre public sont maintenant punissables de six années de prison. Si l’éco-totalitarisme est une vue de l’esprit – sauf à considérer que le préfixe éco signifie économie et non écologie – le fascisme, lui, frappe bel et bien à nos portes. Alors, il va nous falloir être moins silencieux. Nous devrons même faire beaucoup de bruit.
Yann Fiévet