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Hommages à Yann Fiévet décédé ce 30 mars 2024 & Leurres de vérité de Yann Fiévet

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Les Chroniques de Yonne Lautre

Hommages à Yann Fiévet décédé ce 30 mars 2024

La cérémonie d’adieu a eu lieu samedi 6 avril 2024, à 10h30, au cimetière de Dieulefit.
À Yann, le clairvoyant
J’ai connu Yann il y a une quinzaine d’années dans le cadre du combat contre les OGM agricoles.
J’ai été bouleversé par sa force d’esprit, son humour, son humanité, son courage, son engagement, mais surtout par sa clairvoyance !
Alors que bien des gens dotés de deux yeux parfaitement fonctionnels nous emmènent droit dans le mur, Yann avait une remarquable capacité d’analyse objective et une parfaite vision de l’autre monde pour lequel il militait.
Yann va profondément nous manquer mais il nous laisse un riche héritage sur lequel nous pouvons nous appuyer et duquel nous pouvons nous inspirer pour poursuivre les combats que nous partagions avec lui.
A toujours, l’Ami !
Christian Vélot

Yann avait depuis sa jeunesse des problèmes respiratoires et ces dernières années, malgré sa migration de la région parisienne vers Dieulefit dans la Drôme, sa santé s’est dégradée. Cet hiver il a subi un covid qui n’a pas arrangé les choses.
Yann était très engagé, de toutes ses forces, pour la justice sociale et environnementale.
Je l’ai connu il y a une vingtaine d’années où je l’ai épaulé pour son site internet Action Consommation, où Yann était en avance, à décrypter consommation et altermondialisme. Je me suis occupé de son serveur yanninfo et Yann a contribué à "nourrir" Yonnelautre et ses lettres thématiques. Nos échanges étaient presque quotidiens. Ce qui m’impressionnait, c’était son soutien à toutes les alternatives, sa confiance et son estime pour toutes les personnes engagées.
Ces dernières années Yann est devenu totalement aveugle mais il a continué, sans rien lâcher.
Jusqu’à son dernier souffle.
Toutes nos pensées à Jocelyne sa compagne.Yann adorait la musique, comme Jocelyne l’adore, le jazz, la chanson, toutes les musiques.
Alors pour lui :

à mon ami,
Pascal Paquin co-rédacteur de Yonnelautre.fr

J’ai appris avec consternation et une immense tristesse le décès de Yann Fievet avec lequel j’ai eu la chance de partager un quart de siècle de combats et d’engagements, notamment au sein de l’association Action-Consommation dont il a assuré avec talent la présidence durant plusieurs années.
Je me souviens de ces conférences et débats que nous avons animé ensemble sur de multiples sujets liés à cette marche délétère du monde qui nous révoltait.
Je me souviens d’un homme engagé, droit, loyal, courageux, prêt à relever tous les défis malgré son état de santé et son handicap.
Je me souviens d’un homme de caractère à l’engagement indéfectible.
Je me souviens de ce portrait que j’avais fait de lui en juin 2011 lorsque j’officiais encore sur le site de Marianne 2.
Nous nous étions promis de nous revoir après son départ pour Dieulefit mais la distance et le manque de temps en ont malheureusement décidé autrement.
Toutes mes pensées vont à sa merveilleuse compagne, Jocelyne, avec laquelle il a tant partagé et qui lui a permis de vivre son handicap comme s’il n’existait pas.
Yann nous manque déjà.
Je ne vois pour chacune et chacun d’entre nous qu’une seule façon de lui rendre hommage : poursuivre et amplifier les actions et les combats qu’il a mené avec courage et passion.
Christian JACQUIAU

J’ai connu Yann il y a peut-être une dizaine d’années. J’organisais des cinés débats pour tout public et en établissement scolaire sur la solidarité internationale et autres sujets. Il était venu pour alimenter la discussion et nous avions sympathisé. Je suis en Normandie, nous n’avons pas eu d’autres occasions de se voir mais j’ai gardé un excellent souvenir de notre rencontre. Destinataire de ses mails et des listes de Yonnelautre, j’ai pu m’y abonner et ainsi accéder à des infos importantes. Il avait une "plume" intéressante et interpellante.
Merci et adieu Yann
Marianne Blin

Nous avons rencontré Yann Fiévet il y a vingt ans dans le cadre de ciné-débats qu’il organisait en région parisienne avec Action consommation. Nous étions restés en contact et nous sommes revus régulièrement depuis. Avec Pascal nous souhaitions rendre hommage à son engagement sans faille pour la construction d’un monde plus juste et durable.
Depuis juin 1994, il tenait une chronique « Leurre de vérité » dans le Peuple Breton dont il allait fêter cette année les 30 ans. En 2009, il était heureux de leur publication dans un seul ouvrage Le monde en pente douce. Yann était un homme de partage et de liens. Il tenait une mailing liste [Yanninfo] via laquelle il partageait régulièrement les articles, les actualités qui le révoltaient.
Vous pouvez retrouver ses « Écrits modestes et radicaux » sur son site :
http://www.yanninfo.fr

Installé depuis quelques années dans la Drôme, nous nous sommes revus la dernière fois il y a tout juste un an en mars 2023 en plein mouvement contre la réforme des retraites où il avait fait une intervention pleine d’élan sur le voyage pour la vie des zapatistes.
Yann va terriblement nous manquer. Nous adressons nos pensées à Jocelyne sa compagne.
Sandra & Pascal

Merci Yann
Ton constant engagement a toujours été une lumière pour moi
Chantal G

Ça fait longtemps que je connaissais Yann. Depuis son enfance en fait quand il faisait de longs séjours au centre climatique de Dieulefit où je travaillais.
Je retiens surtout de lui quelqu’un de très courageux d’une éthique rigoureuse, qui malgré tous ses problèmes de santé a toujours oeuvré pour une société plus juste et égalitaire.
Je reste très humble devant tant de courage. Il va nous manquer.
J’espère que je continuerai à recevoir vos messages d’information que Yann m’envoyait régulièrement.
Mes condoléances et celles des miens à sa soeur et sa compagne.
Anita Fourtier

L´avis du décès de Yann s´est propagé dans mon réseau d´Amaps que je fournis avec des fruits bios en provenance de la province de Málaga en Andalousie.
Il en faisait partie et se chargeait de nous passer les commandes pendant de nombreuses années lorsqu´il habitait dans la région parisienne. Là, j´étais allé le rencontrer lui est sa compagne Jocelyne. Nous avons parlé du réseau, de fruits, de politique, de philosophie, etc. Intarissable qu´il était et curieux de tout. J´ai été frappé par ce caractère opiniâtre et imbus de justice et de générosité. Puis je suis allé les voir de nouveau cette fois à Dieulefit, invité par Yann pour une présentation publique de mon livre "Agir ici et maintenant. Penser l´écologie sociale de Murray Bookchin". Une belle rencontre suivi d´un débat, où je fus accueilli une fois encore à bras ouverts.
Pendant tout ce temps, grâce à sa généreuse correspondance, il a démontré que son handicap n´en était pas.
Floréal M. Romero

Tristesse d’apprendre le départ de Yann Fiévet,
Je n’ai malheureusement pas les piges des émissions réalisées avec lui sur l’antenne d’idfm Radio Enghien
Je garde le souvenir d’un homme franc et généreux, qu’il repose en paix.
Bien à vous,
Lundi 5 octobre 2009
Yann Fiévet, président d’Action Consommation : " grandeurs et misères de la grippe porcine "
Lundi 2 novembre 2009
Yann Fiévet, professeur de sciences économiques et sociales, président de l’association
" Action Consommation " autour du livre " Le monde en pente douce " aux éditions Golias
Lundi 20 décembre 2010
Yann Fiévet, président d’Action Consommation
L’association Max Havelaar France a assigné Christian Jacquiau économiste, journaliste et écrivain - Les coulisses de la grande distribution, 2000 - Les coulisses du commerce équitable, 2006) pour diffamation suite à la publication d’un article titré
« Commerce équitable : un attrape-bobo ? » publié dans l’Echo des savanes en juin 2008.
7 à dire du 7 octobre 2013 à 14:00
Yann Fiévet, professeur de Sciences Économiques et Sociales, est progressivement devenu aveugle. Il est contraint, pour continuer à exercer normalement son métier, de recourir aux services d’un assistant — une assistante en l’occurrence — fonction pour laquelle l’Education nationale ne prévoit pas de formation spécifique et ne recrute que des "assistants d’éducation" sous-payés et au statut précaire. Il s’est battu une nouvelle fois en cette rentrée pour conserver son assistante menacée de chômage. Le contrat de celle-ci est finalement prolongé de dix mois. Cette première victoire pourrair s’élargir : les assistants de professeurs handicapés se verraient proposer en juin 2014 un Contrat à durée indéterminée. A suivre de près...
Le thème : "L’École handicapée" ?
Joëlle Vérain

Quels mots ? J’ai simplement besoin de dire un peu de ma peine. Je n’ai aucune originalité ou événement particulier à partager. Yann dans notre coin, le Val d’Oise, a été le partage de son sourire autant que ses connaissances. Puis ses emails, si nombreux qu’il était bien difficile à suivre mais il était là, parmi nous... Coeur serré je pense maintenant à lui. Que ses proches ressentent un peu de réconfort en sachant que Yann aura traversé la vie avec tant de fraternité rebelle.
Serge

Nous remercions Yann de sa générosité, de sa bonté, ainsi que son dévouement au service des autres.
Nos meilleurs pensées à Jocelyne.
François, Antoine et Camille Décombe

Cher Yann,
Tu es parti en ce mois de mars en laissant une communauté d’engagés en deuil....
Je suis fière de t’avoir connu, créée cette association de TOULEMONDILAIBIO et d’en avoir été adhérente et administratrice depuis la première heure à tes côtés. Il y a eu de très bons moments de partage, des prises de tête pour organiser au mieux les pré-commandes et les livraisons chez toi dans ton sous-sol. Je me rappelle l’engagement que l’on avait pour sensibiliser les Arnouvillois(es) sur le circuit-court, sur la cause de la rémunération juste pour les producteurs avec la petite équipe fidèle. Il a fallu de la patience même pour Jocelyne ! Accepter ce va-et-vient à longueur de journée pour récupérer nos commandes les mercredis pour les agrumes et les vendredis pour les Normands...Plus toutes les autres de tous ces producteurs que nous avons soutenus par nos commandes régulières et fidèles ...Je ne l’oublierais pas.
Depuis ton départ pour une vie plus saine, loin de cette pollution parisienne, j’ai gardé le rythme des livraisons du GIE normands, des agrumes et certaines autres chez moi ! Une raison de plus pour te remercier de nous avoir fait connaître ces réseaux qui tiennent toujours debout depuis toutes ces années. On pense à toi avec Christian, Christine et Sandrine, pas plus tard que vendredi, la veille de ton grand départ !
Je pense que tu trouveras matière à écrire sur ton nouveau monde, l’histoire de ne pas perdre la main et d’en informer certains !
Je ne pourrais malheureusement pas être présente pour ton grand départ, ton voyage en aller simple, mais mes pensées seront avec Jocelyne et toute la famille, les ami(e)s ce samedi 6 avril 2024.
Merci Yann pour ton engagement permanent et constant ! Tu es un Homme engagé, un modèle de la juste cause que je n’oublierai jamais...Je te souhaite bon voyage et repose en paix, bien méritée.
Christelle

Même si nous ne nous sommes pas croisés très souvent, disons seulement deux fois, Yann va nous manquer mais il restera dans nos cœurs. Yann était une personne très attachante. Son opiniâtreté à dénoncer les injustices, à défendre les plus faibles suscitaient la sympathie. Son intelligence, son caractère joyeux malgré ses soucis de santé, sa gentillesse, son écoute étaient admirables. Nous l’avions rencontré lors d’une présentation de son livre à Grenoble, il était venu à la maison. Nous avions promis de nous revoir. La deuxième fois, il nous avait reçus chez lui et Jocelyne, à Dieulefit, quelques jours. Des moments courts, heureux et inoubliables. Tout notre soutien à Jocelyne et ses proches.
Séverine, Sylvain et Armand

Avec Yann nous ne nous sommes vus qu’une seule fois. C’était à l’époque où je travaillais à la médiathèque de Bobigny en compagnie de Jocelyne. C’était à l’occasion de la venue de Bernard Friot pour son livre l’enjeu des retraites. Depuis ce jour nous n’avons cessé d’être en lien par mails interposés. Que ce soit dans Gauche Cactus ou Leurre de vérité j’aimais sa plume ciselée et drôle à la fois. Sa liste de diffusion était riche et variée et j’y ai découvert de nombreuses ressources qui me servent encore aujourd’hui. Merci Yann !
Cela faisait plusieurs fois que Jocelyne et lui m’avaient invitée à Dieulefit mais je n’ai pas su prendre le temps et je le regrette. C’est tellement précieux d’entretenir des liens en dehors du virtuel et de ralentir nos rythmes effrénés. Je vais désormais m’y atteler, promis !
Pensées à Jocelyne en ces moments difficiles.
Natacha

J’ai croisé Yann ces dernières années à Dieulefit (Drome) et alentours, et en particulier parce qu’il a, sans hésiter, fait partie des fondateurs de l’association "Interstices : Solidarités économiques locales et Lutte contre la privation d’emploi" un groupe de citoyens décidés à œuvrer pour le droit à l’emploi pour tous et le projet expérimental Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée : adapter le travail aux personnes et pas l’inverse.
Ce militantisme de terrain et très innovant lui tenait vraiment à coeur, et c’est toujours avec énergie et volonté qu’il participait à nos travaux dans la limite de ses forces.
Un grand merci et une profonde reconnaissance à toi, Yann.
Nos pensées vont aussi à sa famille et à ses proches, en particulier à Jocelyne.
Pierre pour Interstices26

C’est avec une grande émotion que j’ai appris le décès de Yann. Après son séjour à l’hôpital en janvier dernier je le croyais bien rétabli. Mais le destin est décidément très injuste... Yann aurait mérité une vie plus douce.
Nous nous sommes connus il y a 20 ans au sein d’Action Consommation, où ses interventions, solidement étayées, étaient très écoutées. Il est devenu Président de l’association quelques années après, lorsque celle-ci a traversé une période difficile.
Il était courageux et tenace. Jamais il n’a renoncé à ses engagements malgré ses problèmes de santé et son handicap visuel.
Il avait aussi une belle plume qu’il mettait au service de ses combats. Il a produit de très nombreux articles dont la qualité pourrait faire pâlir bien des journalistes.
Depuis son départ à Dieulefit le lien s’était maintenu via les informations qu’il diffusait sur sa mailing liste. Son départ laisse un grand vide.
Toutes mes pensées vont à ses proches et tout particulièrement à Jocelyne, sa compagne.
Florence Jacquiau

Yann était un militant qui a défendu des causes justes et dont l’engagement mérite notre admiration et notre respect .
Michel Jaurrey

J’apprends cet après-midi avec une grande émotion le décès de Yann. Il était pour moi un repère, un point d’appui et une source d’espoir permanente, avec un travail militant et d’information incroyable malgré le handicap visuel qui s’était peu à peu aggravé. Nous sommes toujours restés en contact depuis RECIT (réseau des écoles de citoyens), le CAC (collectif des associations citoyennes) et depuis cinq ans le collectif Changer de cap. Nous nous sommes toujours nourris de Yanninfo pour alimenter notre propre lettre. Depuis 20 ans, il y avait cette confiance réciproque, cette connivence, et cette conviction qu’on ne lâche rien. C’est un frère qui disparaît, mais son combat est toujours vivant en nous.
Didier Minot

Il n’était pas besoin, que l’accaparement des terres du Triangle de Gonesse par le groupe Auchan arrive, pour que je rencontre Yann. Je me souviens de ses interventions à la rencontre annuelle d’ATTAC dans la belle prairie de Saint Martin du Tertre à la fin du printemps. Des associations de l’ouest de la Plaine de France, résistaient à l’emprise de la grande distribution, entre autres Carrefour à Domont. Les analyses économiques et sociales de Yann ont conforté l’engagement et les succès de quelques militantes et militants du Collectif Plaine de France Ouest.
Très vite en 2011, après l’annonce du projet EuropaCity, Yann s’est engagé au nom de l’association Toutlemondeilestbio avec les associations d’environnement du Val d’Oise et de la Seine Saint Denis regroupées dans le Collectif pour le Triangle de Gonesse, pour contester ce projet et préserver cet espace agricole. Une aide précieuse, par ses écrits et ses contacts, qui ont représentés la majorité des 150 signataires de la première tribune contre EuropaCity.
Le CPTG lui doit aussi la mise en contact avec la lutte contre le projet de centre commercial Val Tolosa, en région toulousaine. Très vite son association a accueilli dans une salle municipale d’Arnouville les réunions mensuelles du CPTG. Sa plume, son humour et son handicap ont croisé, la plume, l’humour et le handicap de Jacqueline Lorthiois pour produire les sketchs des clowns sur l’absurdité du projet EuropaCity.
Ce samedi 6 avril les anciennes et anciens du CPTG seront par la pensée à Dieulefit exceptée notre amie Florence qui s’est installée dans la ville voisine de Die qui sera présente. Nous adressons toutes et tous notre amical soutien à Jocelyne, sa compagne à qui nous devons une partie de tout ce que Yann nous a donné.
Bernard pour le Collectif pour le Triangle de Gonesse.(CPTG)

Jacqueline Lorthiois (JA pour les intimes)

SOUVENIRS DU DUO DE CLOWNS JA ET YA

Pour moi, Yann Fiévet, c’était YA. Pour lui, j’étais JA. C’était nos deux noms de scène : deux clowns handicapés, certes cabossés par la vie, mais sublimant notre galère par une bonne dose d’humour, bien utile, face à la rigidité des administrations (Tribunaux, Préfectures, Conseils Régional et Départemental, Ministères, Éducation Nationale, intercommunalités, mairies, etc…) et l’incompétence de bien des élus.

J’avais connu Yann un certain 19 Janvier 2011. Le groupe local Europe-Écologie-les Verts m’avait demandé de participer à un débat sur Europacity. A cette époque, j’animais la commission Aménagement du Territoire Ile-de-France d’Europe Ecologie les Verts et j’avais publié au cours de l’été 2010 un article critiquant la politique d’aménagement du Territoire du gouvernement. Il était intitulé « Roissy : un mirage Blanc », du nom de Christian Blanc, nouveau Secrétaire d’État au Grand Paris, qui entendait bien sacrifier les terres agricoles du Triangle de Gonesse

https://j-lorthiois.fr/wp-content/documents/pdf/509.pdf

Yann était prof d’économie au lycée Jean-Jacques Rousseau de Sarcelles et avait publié le seul article paru à l’époque contre Europacity.

J’avais préparé un powerpoint que je n’ai pas pu projeter, car il n’y avait pas d’ordinateur. Sa lecture me laisse un brin nostalgique. Bien des questions sont toujours d’actualité (non taxation du kérosène, transports inutiles, étroitesse de la palette des métiers de Roissy, offres de formation inadéquates, etc…)

A mon entrée dans la salle, j’avais aperçu ce grand mec qui se tenait bien droit, avec sa grande barbe noire et attendait, assis à la table. Je m’étais approchée, je lui avais fait un signe amical accompagné d’un grand sourire. Il n’avait pas bougé. Je m’étais dit : « pas commode, le gars ». Pendant le débat, il ne se tournait jamais vers moi, il n’y avait aucune interaction… J’avais renforcé mon jugement : « qu’est-ce qu’il est désagréable ». A la fin de l’intervention, il s’est penché et a saisi les morceaux de sa canne posés sous son siège qu’il a assemblé en canne blanche. J’ai eu drôlement honte de mon aveuglement : c’était moi qui avait des problèmes de vue ! Alors je suis allée lui faire des excuses et il est parti d’un grand éclat de rire, communicatif. C’est ainsi que nous sommes devenus très amis.

Notre couple était fondé sur le tandem aveugle /paralytique : je le guidais parmi les obstacles et lui me portait mes affaires, car j’avais toujours 15 tonnes de dossiers, classeurs, ordinateur, calculette, etc… Y avait un problème particulier lorsqu’on était sur scène, il se tournait toujours vers moi, d’où venait le son bien sûr, du coup il se mettait sans arrêt de profil et je passais mon temps à le tourner d’un ¼ de tour vers la salle… J’avais pris une voix de fausset dans les aigus et lui avait une voix grave. Quand il était de profil, sa voix grave tombait dans sa barbe et il fallait tout le temps ajuster la balance du son entre nous 2. Autre pb technique : nous n’avions qu’un micro et comme j’étais beaucoup plus petite que lui, il fallait passer son temps à l’enlever et le porter à sa hauteur et le remettre sur son support à ma hauteur. Une véritable gymnastique.

Nous passions des heures au téléphone à commenter l’actualité et nous inventions des tas de blagues, gags, jeux de mots, etc. Nous avons appris 4 sketchs, dont un que nous n’avons jamais joué pour cause de tempête sur le Triangle, qui avait trempé la sono. Mais nous avons commis plusieurs centaines de bouts de sketchs inachevés. J’ai pris des tonnes de notes, malheureusement, m’étant fait voler mon ordinateur, je suis obligée de faire appel à ma mémoire, pour restituer une part infime de nos créations. On se complétais parfaitement, parce qu’il était très bon public et à son contact, mon imagination était stimulée et j’inventais sans arrêt de nouvelles idées. YA choisissait les meilleures et creusait les sillons, en rajoutant de nombreux jeux de mots, commentaires, blagues, etc. Yann avait un humour plus féroce et grinçant que le mien, domestiqué par de sages études dans un cours privé catholique de « jeunes filles de bonne famille »

J’avais une spécialité, c’était d’imaginer des fausses associations, qui donnait lieu ensuite à des courriers, émettant des plaintes administratives et menaçant de recours juridiques.

Nous avions aussi nos têtes de turc, notamment le journaliste Eric Veillon, qui dirigeait un journal qui s’appelait Roissy Mail. Il avait commis un article très méchant contre Bernard Loup, président du Collectif pour le Triangle de Gonesse, qu’il avait traité de « vieux loup » et avait critiqué son éternel militantisme et les pétitions qu’il faisait signer et qu’il jugeait dérisoires. On lui avait réservé un « traitement de défaveur », en mettant à la fin de ses articles des commentaires cinglants sur son canard… Du coup, il avait boycotté nos adresses, mais on en créait de nouvelles pour passer outre et en rajouter une louche. Du coup, quand on faisait nos sketchs et qu’on avait un trou de mémoire, on avait toujours la ressource d’une phrase « revenons à nos moutons… » ce qui nous permettait de meubler et de se remémorer la suite. YA rajoutait « oui faut faire gaffe à nos moutons… ils sont en danger sur le Triangle de Gonesse, avec tous ces loups qui font signer des pétitions … » Un jour, Jean François Wolf a rejoint notre collectif : notre meute de loups était devenue internationale… 

Pour un 1er Avril, nous avions dégotté sur internet un rugissement épouvantable (c’était une baleine) et nous avions fait un montage, prétendant que c’était le monstre du Loch Gonesse qui était sorti de son lac souterrain et qui était en fureur contre l’urbanisation du Triangle de Gonesse. On disait avoir été contactés par le monstre, qui tenait absolument à signer notre pétition contre Europacity, parce qu’il voulait garder le monopole de la monstruosité sur le Triangle de Gonesse  !!

Dans l’équipe d’Europacity, on se moquait allègrement de Lebon, un dirigeant, auquel on rajoutait systématiquement « très surfait », « pub mensongère »… Il y avait aussi BIG (Bjarke Ingels Groupe) le cabinet d’architecte qui avait gagné le concours d’Europacity. Nous avions trouvé cette blague : « quelle idée quand on veut garder la ligne (sous-entendu le métro 17 Nord) de choisir du BIG… »

JA et YASKETCH « EXPLORATION POLAIRE EN EMPLOIS EXTREMES »

Le sketch avait été joué au cours d’un colloque ayant lieu à Villiers-le-Bel, qui consistait à « balayer les idées reçues » sur l’emploi et le chômage. Le sketch était concentré sur l’idée reçue : « il faut des emplois pour faire baisser le chômage ».

CONTEXTE

Je n’ai pas encore créé mon concept de « Ville dissociée », mais on constate déjà qu’à Gonesse l’emploi augmente et le chômage aussi. Donc la politique du maire ne sert à rien !

DES POLITIQUES D’EMPLOI CIBLEES PAR CATEGORIE

Les politiques de l’emploi sont en train de faire disparaître la conscience transversale de solidarités entre catégories. Le gouvernement, le ministre de l’Emploi tente de séparer les « catégories ».

Les adultes hommes

Il y a débat sur les jeunes qui « ne veulent pas travailler » et qui préfèreraient rester chez Papa-Maman, dans la « famille Providence », qui aurait remplacé « l’Etat providence ». Du coup les actifs insérés sont obligés de surtravailler pour répondre à la demande.

Les temps partiels contraints. Ceci pose la question du « travail gratuit » des Femmes, qui les empêche d’exercer des emplois à temps plein. La loi sur la parité en politique a été durcie. Du coup, Fabius s’est cru autorisé à une plaisanterie de mauvais goût sur « qui c’est qui va garder les enfants ? »

Tous les boulots du « halo du chômage  ». L’invention des « auto-entrepreneurs de Sarko a fait exploser le nombre concerné, de gens qui ne sont pas comptés dans les chômeurs et pourtant qui sont extrêmement précaires. Il y a maintenant des CDD extrêmement courts qui permettent de sortir les chômeurs des statistiques (ce que nous appelons les « courts de chez court, façon Roland Garros).

Les chômeurs proprement dit, que j’appelle les « Polaires », ceux qui refroidissent à Pôle Emploi.

EXPLICATIONS DU SKETCH

1/ J’avais prévu de tenir une pancarte avec mon idée reçue inscrite, mais j’ai pas eu le temps de la faire.

2/ Il y a une allusion au Conseil Général à qui j’ai reproché de ne pas avoir compté les chômeurs sur une carte par commune qui fait l’impasse sur ceux-ci. Nous avions écrit pour protester. On nous avait fait remarquer : ’ce n’est pas possible de compter les chômeurs, pcq ils n’ont pas de lieu de travail précis’. Malheureusement, YA a oublié ce passage. Donc on ne comprend pas dans son intervention le lien entre les chômeurs et tous les emplois qu’on appelle « nomades » (infirmière à domicile, taxi, VRP, etc…) qui n’ont pas de lieu de travail précis, et qui sont sans aucun problème comptés à leur domicile. Ainsi, l’argument ne tient pas.

3/ Il y a aussi une allusion aux articles très désagréables de Roissy Mail, qui avait osé traiter Bernard Loup de ’vieux loup’, perdant son temps à ’faire signer des pétitions’. Du coup, on ironise sur cette histoire de loups qui font signer des pétitions.

4/ Il y a enfin une allusion à Dalstein (dr d’Europacity) qui nous avait accusé aux débats de la CNDP de ’faire de la politique’ et de ne pas être neutres (comme si Europacity l’était !!).`

https://ouiauxterresdegonesse.fr/wp-content/uploads/2024/04/Polaire.webm``

QUELQUES PROJETS IMAGINES SUR LE TRIANGLE DE GONESSE

Le projet DECIBEL, une École du « Bruit et de la Fureur »

Avec production de couacs, larsens, franchissement du mur du çon, etc…

en réponse à la présidente du département du Val d’Oise qui voulait implanter la Philharmonie sur le Triangle

Le projet BERMUDES, un centre d’objets perdus ( huile de vidange du circuit de formule 1, balles perdues du stade Roland Garros, quadrature triangulaire de l’Exposition universelle…)

Le projet EXTERMINATOR, un centre de déradicalisation des idées reçues, avec stages de décontamination obligatoires pour les responsables politiques

Le centre de VACCINATION contre la Bêtise, ouvert 24 H/24 et 7 j /7 compte tenu de l’affluence

Le laboratoire du VIDE, spécialisé sur la recherche du zéro absolu, dans le tunnel Le Bourget-Triangle de G.

QUELQUES CREATIONS D’ASSOCIATIONS

Le CUL… PFF… !!! = Le Collectif Unitaire des Lombrics de la Plaine de France Fertile, qui se plaignait de la concurrence déloyale des chantiers du Grand Paris Express alors qu’ils creusaient gratuitement des tunnels depuis des dizaines de milliers d’années. Dans des conditions de travail inacceptables 24 h/24 et 7 j /7, dimanches et jours fériés.

Le CUTTER, le Collectif Unitaire des Taupes des Terres de France, qui voulaient creuser les galeries marchandes d’Europacity, mais qui n’avaient pas obtenu le marché public. Elles avaient été également recrutées par Bouygues pour creuser les trous du golf de Roissy, mais elles avaient attrapé une maladie professionnelle, le syndrome de la guerre du golf.

Le MLPO, Mouvement de Libération du Petit Oiseau prisonnier dans le logo d’Auchan…

Contrairement à beaucoup de celles et ceux qui sont dans le deuil aujourd’hui, je n’étais pas un vieux compagnon de route de Yann.
J’avais fait sa connaissance il y a 9 ans, en entrant dans le Conseil d’Administration du Collectif Pour le Triangle de Gonesse, association citoyenne dont il était un des piliers les plus actifs, en dépit de sa cécité déjà bien installée. En 2015, il était encore en activité, professeur au lycée Jean Jacques Rousseau de Sarcelles, commune assez proche de celle de Gonesse, qui a donné son nom au triangle objet de toutes nos sollicitudes militantes.

Le Triangle de Gonesse, pas n’importe quel triangle, en effet, parmi tous ceux que forment les routes convergeant vers Paris ! ...Situé à peine à 10 kms de la capitale au nord-est, il est coincé entre 2 aéroports (Le Bourget au sud-ouest et Roissy au nord-est), raison nécessaire et suffisante pour que toute habitation y soit interdite, à cause du passage incessant des avions à basse altitude, des nuisances et des risques qui en découlent. Par conséquent, à part, à sa pointe sud, une zone d’entrepôts employant peu de personnel, le Triangle de Gonesse n’a jamais pu être construit. Il est donc resté pour une grande part en terres agricoles, les dernières avant d’entrer dans Paris, et parmi les plus fertiles de France, son sol (limons éoliens du Bassin Parisien) pouvant atteindre jusqu’à 6 mètres de profondeur.

Quand j’ai connu Yann, le CPTG, créé en 2011, se battait déjà pour sauvegarder le caractère agricole du Triangle, et tâcher de le préserver de l’urbanisation que la municipalité de Gonesse et les « décideurs » de la Région Ile de France appelaient de tous leurs vœux.
A l’époque, la menace de bétonnage s’appelait Europa City. Projet délirant, porté par Auchan, d’un centre d’attractions et de galerie marchande tout à la fois, qui ambitionnait, entre autres excentricités énergivores et écocides, un aqualand et…une piste de ski !...
Grâce aux efforts tenaces du CPTG et de soutiens associatifs de plus en plus nombreux au fil des mois, ce projet mégalo a fini par capoter en 2019. L’état, jusque-là très favorable, s’étant enfin décidé à lui donner le coup de grâce en l’annulant officiellement. Auparavant, le vent de l’opinion et de la société civile avait tourné significativement grâce à nos soins diligents d’information auprès du grand public, et de contestation aussi radicale qu’argumentée face aux élus locaux et aux promoteurs.
Malheureusement, cette victoire déterminante ne nous a pas fait pour autant gagner définitivement la guerre contre les bétonneurs !... Face à l’entêtement rétrograde de la municipalité de Gonesse et de la Société d’aménagement du Grand Paris, toujours soutenues par l’état, et inventant inlassablement de nouveaux grands projets aussi inutiles et imposés que d’un autre temps, la lutte continue.
Mais depuis 2019, c’était sans Yann. Peu de temps après l’annulation d’Europa City, il a déménagé à la faveur de son départ à la retraite. Il est retourné vivre sur la terre de son enfance, là où il va reposer, désormais.

C’est donc pendant le combat contre Europa City, entre 2015 et 2019, que j’ai pu apprécier son dynamisme, sa ténacité, la force de ses convictions politiques et écologistes, son militantisme infatigable…en dépit d’une mobilité réduite par la cécité, qu’il gérait avec autant de courage que de pudeur, mais aussi, au besoin, avec humour, l’un de ses traits de caractère les plus constitutifs.
Mobilité réduite ou pas, il assistait à presque toutes les réunions mensuelles de notre conseil d’administration. Pendant toute une période, elles ont eu lieu dans une salle municipale d’Arnouville les Gonesse, commune voisine, comme son nom l’indique…qui soutenait sans réserve le projet Europa City !!!...Nous devions ce lieu situé en plein « territoire ennemi » aux bons soins de Yann. Dans sa déclaration à la mairie pour l’obtention de la salle, il faisait croire que nos réunions étaient celles de « Tout le monde il est bio », qu’il avait fondé et qu’il présidait. Cette association fournissait , en circuit court, le secteur en légumes et en fruits bios, comme l’indiquait son nom, où l’on reconnaissait bien la marque de fabrique de Yann et sa prédisposition pour le calembour et le clin d’œil verbal. Les jours de réunion, une condition drastique, la seule et unique de toute la soirée : faire attention à ce que nous disions dans les couloirs de la maison communale avant d’entrer dans la salle et en en sortant…. Une fois dedans, grâce à Yann, confort d’installation et liberté de parole assurés !.. Cela a pu durer ainsi jusqu’à son départ dans le Sud…
Pendant la même période, Yann venait aussi régulièrement aux réunions du débat public, dont nous avions pu arracher de haute lutte la tenue à la famille Mulliez, dynastie marchande qui s’abrite discrètement derrière la marque Auchan, et qui était à l’origine du projet Europa City. Depuis 2 ou 3 ans, en effet, elle « trainait des pieds » dans la constitution du dossier pour tenter d’échapper à la confrontation avec la société civile et une opinion publique qui ne recevrait pas que sa « com » purement publicitaire.
Lors de ces séances sous l’égide de la CNDP, Commission Nationale du Débat Publique, ce n’était pas rare d’entendre s’élever la voix forte de Yann ! ...Comme on peut le deviner aisément, il ne reculait jamais devant la perspective de pousser un coup de gueule …Mais quand il le faisait, c’était toujours pertinent…et percutant…

Bien entendu, il ne pouvait pas être présent à nos actions les plus physiques, comme par exemple distribuer des tracts sur les marchés.
Mais c’était largement compensé par ce qu’il faisait dans le cadre de ses cours en tant qu’enseignant. Ainsi, scandalisé par l’ingérence de la « propagande » d’Europa City jusque dans son lycée, où les promoteurs du projet avaient leurs petites et grandes entrées grâce à la complaisance de la direction, Yann s’était mis en devoir, afin de rétablir l’équilibre au sein de la controverse, d’organiser dans ses classes des séances d’information et de travail où les enjeux écologiques et environnementaux du Triangle trouvaient, enfin, toute leur place.
De même il coopérait activement aux échanges de mails incessants entre membres du CA, pour préparer les réunions, ou prendre des décisions urgentes dans les intervalles. Ces discussions par courriel, passionnées, interminables, n’allaient pas sans fatigue ni tension, face à un adversaire qui, fort de son gros budget et de ses soutiens haut placés, ne voulait absolument rien lâcher.
Dans ces débats au long cours un peu éprouvants, Yann incrustait sans vergogne une badinerie qui avait au moins le mérite de nous redonner le sourire et de remettre entre nous un peu de légèreté…C’est ainsi que, sous sa plume facétieuse, parfois acérée, voire féroce, Valérie Pécresse, la présidente de la Région Ile de France, devenait « Valérie La Pécheresse », Europa City le « monstre du Loch Gonesse » et Facebook « Face de bouc » …Quand ce n’était pas… « fesse de… » Quant à Dalstein, le maître d’ouvrage mandaté par Auchan, c’était Dalle de pierre, à partir de quoi il n’y avait plus qu’un pas jusqu’à « Pierre tombale », vite franchi par Yann, on s’en doute.

Mais n’en restait pas là. Pour servir la défense du triangle de Gonesse, Il avait poussé son sens de l’autodérision et du burlesque jusqu’à son stade ultime : le clown !...
Pour pointer par le rire les délires mégalos, la distillation des rêves bons marchés du consumérisme, ainsi que la spéculation immobilière qui se cachait derrière, le clown Ya, et la clownesse Ja, sa comparse, avaient choisi de fustiger effrontément tout ça sur scène, lors des événements « Portes ouvertes » organisés par le CPTG. Ja, alias Jacqueline Lorthiois, membre du CA elle aussi, brillante chercheuse, tout à la fois géographe, démographe, sociologue, statisticienne (et j’en oublie…), ayant souvent, pendant le débat public, battu en brèche haut la main les boniments trompeurs de nos adversaires…Un peu, faite femme, ce que Yann était en tant qu’homme : deux creusets rares, où la verdeur du langage, la truculence, la propension salutaire à « mettre les pieds dans le plat » et au coup de gueule (Décidemment on y revient ! ...) font très bon ménage avec une immense culture, un très haut niveau intellectuel et, plus encore, une grande conscience morale.
Cette symbiose peut sans doute se résumer, pour l’un comme pour l’autre par la formule suivante : prendre très au sérieux ce que l’on fait, mais ne surtout pas se prendre trop au sérieux soi-même.
A preuve, une capacité extraordinaire chez tous les deux à prendre de la distance vis-à-vis de ses malheurs, voire, à en rire : lui aveugle, elle lourdement polyhandicapée appelaient leur binôme clownesque « l’aveugle et le paralytique » !...
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Atypique, assurément, Yann l’était et l’assumait pleinement. Ce non-conformisme pouvait même parfois aller jusqu’à la non-conformité… Ainsi vis-à-vis de nos règles d’envoi de courriel, prohibant catégoriquement tout mail sans rapport étroit avec la raison d’être du collectif. Et bien Yann nous inondait d’informations politiques, sociologiques, philosophiques généralement de grand intérêt…. Mais complètement hors sujet pour le groupe ! ....
A ma connaissance, personne ne s’en est jamais ouvertement formalisé…Signe tacite de déférence pour ce qu’il avait de particulier ???!... Pour la place de poids qu’il tenait parmi nous, tantôt prééminente, tantôt discrète, lui qui savait aussi se taire longtemps en assemblée ???!...Ou bien, tout simplement, résignation, de guerre lasse, face à cette « forte nature » qui se jouait parfois gaillardement des conventions ???!...
Toujours est-il que ses envois se sont poursuivis après son départ de la Région parisienne, jusqu’à une date récente, celle, nous le savons maintenant, que son état de santé déclinant lui a permise. Envois toujours riches, toujours instructifs, donc suffisamment profitables, en dépit de leur surabondance et de leur décalage par rapport au cœur de cible du PTG, pour que je continue de les accepter de bonne grâce. Il n’empêche que leur déferlante quotidienne m’a fait plus d’une fois soupirer, et parfois même franchement rouspéter !
Mais maintenant que je sais que l’interruption est définitive, je ressens surtout un grand vide !... D’abord parce que c’était réellement de « l’info qui informe », comme il était le premier à le dire. Ensuite, parce que sa liste de contacts, dont nous étions, c’était tout un symbole. Comme son blog, Leurre de vérité (Encore un jeu de mots bien de son cru ...), comme « La Gauche Cactus », où il écrivait des articles. Le symbole d’une volonté de vigilance, un véritable mouvement de résistance intellectuelle contre la désinformation et le décérébration ambiantes…
A la fois éclectique et d’une grande cohérence, Yann était haut incontestablement en couleurs, lui qui ne les voyait plus depuis déjà un certain temps, mais qui continuait de percevoir si bien toutes les couleurs de la Vie.
Alors, Yann, merci pour ton message d’amour de la Planète, de l’Humanité, que tu affectionnais bien plus que tes airs parfois un peu bourrus pouvaient le laisser supposer. Merci pour ton exemple de résilience, de courage face à l’infirmité et à la maladie. Merci pour l’immense corpus de textes, d’articles, pour tout ce que tu nous laisses d’humanité en héritage…
Par ce leg inestimable, par ton souvenir indéfectible, tu continueras d’être un peu à nos côtés sur ce chemin d’avenir qui s’étend devant nous,
JF Wolff

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Le Peuple Breton – Mars 2024 Leurre de vérité

 L’homme suspendu

Nous vivons actuellement en France des années folles au plan politique. Ce que nous avons pompeusement nommé macronisme, avant même l’élection présidentielle de 2017, se résume désormais exclusivement à la personne de Jupiter. Il fait à lui tout seul la pluie et le beau temps. Si le temps est maintenant le plus souvent à la pluie pour le gouvernement du pays il s’arrange plus ou moins adroitement pour présenter aux citoyens de plus en plus désabusés une radieuse météo . Il fait et défait les ministres à sa guise, ne tolère aucune déviation de leur part vis-à-vis de la ligne décidée par lui seul, ligne cependant relativement floue. Les quelques ministres qui osèrent émettre de timides réserves sur la « loi Immigration » ont été tous débarqués lors du dernier remaniement ministériel. Il lui est devenu très difficile de susciter un Gouvernement vraiment crédible. Ainsi, il a fallu attendre un mois après la nomination du nouveau Premier Ministre pour connaître les titulaires de deux postes essentiels, parmi d’autres non pourvus jusques là : ceux de la santé et du logement. En nommant « le plus jeune Premier Ministre de la Cinquième République » le monarque omnipotent espérait ce que certains fins stratèges nomment « effet rebond ». Nous savons déjà que le rebond attendu est un flop retentissant.

Gaby le Magnifique est sans surprise à l’image de son Créateur à qui il sait devoir tout ce qu’il lui arrive de bon dans la vie politique. Il le suivra comme son ombre tant qu’il ne se mettra pas lui-même à déplaire à son maître. Il est éloquent, du moins en apparence. Sa parole ne marque jamais la moindre hésitation, surtout lorsqu’il répond à ses contradicteurs ou à des journalistes le plus souvent révérencieux. Il a réponse à tout. Il est l’homme du discours total. Nous ne sommes donc pas étonnés de retrouver cette totalité dans sa pratique de gouvernement. En ce mois de janvier il mit « l’Agriculture au-dessus de tout ». A l’automne dernier, il avait mis l’Ecole au-dessus de tout. Si lors du prochain printemps les quartiers délaissés bronchaient de nouveau il mettra la Sécurité au-dessus de tout. Bref, il met tout au-dessus de tout. Du coup, il est en dessous de tout ! Raymond Devos aurait fait son miel de cette pantomime faussement politique. Oui, disons-le sans ambages : nous ne sommes pas ici dans le champ du politique mais dans celui de la Communication politicienne. Notre bon Gaby est acrobatiquement suspendu au-dessus du vide. D’abord le vide de l’action politique générale face aux multiples crises qui frappent le pays. Mais aussi le vide de la pensée de ce nouveau locataire de Matignon. Son éloquence apparente cache en effet un manque cruel de réflexion et de travail sur les dossiers dont il a eu à s’occuper ces dernières années. Il semble bien être le meilleur spécialiste de la pose de rustines dans l’espoir de corriger l’acuité de problèmes majeurs qui nécessitent au contraire de profondes remises en cause. Sur le dossier agricole, on ne touchera pas à la logique écrasante du modèle agro-alimentaire productiviste. Au contraire on le renforce. Sur le dossier de l’Ecole, le feu follet, Ministre de l’Education durant une courte demie année scolaire, pensait tenir avec « les groupes de niveau » le remède au manque de réussite des élèves les moins favorisés. Toutes les recherches sérieuses sur cette question démontre pourtant que la mise en œuvre de cette mesure conduirait à l’aggravation des inégalités scolaires . La communauté éducative est donc inévitablement vent debout contre la mauvaise bonne idée que Gaby avait entre-temps refilé à la très éphémère « ministre de l’école privée et des Jeux Olympiques ».

L’étonnante Amélie mérite ici une attention spéciale. Elle s’occupait déjà dans le Gouvernement précédent des Sports et des JO de Paris, un fardeau non négligeable. Et voilà que l’on jette dans son escarcelle ministérielle un petit supplément nommée Education Nationale. Gaby, flairant illico que sa collègue risquerait fort de ne pas avoir les épaules, s’empressa de dire qu’il continuera de piloter la réforme de l’Ecole depuis Matignon. Peu d’observateurs s’offusquèrent vraiment de l’étrange nomination. Certes, ils marquèrent un certain étonnement quand il eut fallu crier à l’indécence. C’est que les éditorialistes de renom sont eux-mêmes suspendus, suspendus aux lèvres de ce jeune Premier Ministre au talent monté en épingle par des médias peu soucieux d’analyses politiques sérieuses mais très attachés à l’écume des apparences. Quant à la dame, elle se sentit honorée par l’ajout de l’accessoire. Accessoire encombrant mais accessoire tout de même. Une insulte majeure adressé aux centaines de milliers de professeurs vivant au quotidien les difficultés de l’Ecole d’aujourd’hui. Elle est là la grande erreur, avant même la succession de bourdes commises dès son entrée en fonction par l’étoile filante. Un petit mois et puis s’en va ! Comment peut-on parvenir à une telle aberration ? Quand la Communication politicienne est érigée en valeur première les ministres sont interchangeables, multifonctionnels, bons à tout faire, prêts à nous servir avec conviction n’importe quel discours pré-formaté et passe-partout.

Jupiter ne changera pas sa manière solitaire et intransigeante de gouverner, ni son humeur dévastatrice. Gaby pense probablement avoir été choisi pour ses rares qualités dont la toute première est évidemment son indéfectible fidélité à la personne du maître absolu. Sait-il qu’il est cependant, comme tant d’autres séides avant lui, en suspension ? Tiendra-t-il la barre du navire en perdition jusqu’à la fin du second mandat de Jupiter ? Un jour le grand ordonnateur se lassera de l’impuissance devenue éclatante de sa marionnette. Il la descendra de son piédestal comme l’on abaissait autrefois les lampes à suspension afin de leur redonner un nouvel éclat. Une nouvelle étoile montera alors au firmament politique pour le plus grand bonheur des spectateurs ébahis.

Yann Fiévet

Le Peuple Breton – Décembre 2023 Leurre de vérité

 Glyphosate, l’arbre qui cache la forêt

Le Glyphosate est incontestablement devenu le serpent de mer de l’agriculture chimiquement impure. L’herbicide majuscule est réputé fort dangereux pour la santé humaine et la biodiversité qui nous entoure mais demeure paraît-il indispensable pour assurer le bon maintien de l’agriculture européenne d’aujourd’hui et sûrement la faire prospérer davantage demain. Nous allons alors en reprendre pour dix ans. Dix ans au moins car comme nous le savons les délais sont d’abord faits pour être prolongés sans limite absolue. Les promesses jupitériennes d’hier en la matière n’avaient évidemment aucune valeur. Nous l’avions dit mais cela ne va pas nous interdire de dénoncer encore une fois la monstrueuse duperie. Cependant, il convient de considérer que derrière l’encombrant Glyphosate se cachent bien d’autres substances probablement tout aussi dangereuses.

C’est peu de dire que le Glyphosate cumule à lui tout seul un nombre alarmant de dangers. Il est « cancérigène probable » (OMS, 2015), « possiblement perturbateur endocrinien, génotoxique, générant un stress oxydant et une altération du microbiote » (INSERM, 2021). Pourtant, le 16 novembre 2023, les États membres de l’Union Européenne ne sont pas parvenus à exprimer un vote à la majorité qualifiée pour l’interdire. Faute d’accord entre les États membres, la Commission est la dernière décisionnaire. Elle va ainsi procéder au « renouvellement de l’approbation du Glyphosate pour une période de dix ans, sous réserve de certaines nouvelles conditions et restrictions » exprimées avant le 15 décembre 2023. Cette décision ira incontestablement à l’encontre du principe de précaution consacré par l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’UE. Alors que les preuves de la dangerosité du Glyphosate pour l’Homme et l’environnement s’accumulent, le dossier officiel d’évaluation de cet herbicide présente de très nombreux biais : non prise en compte de plusieurs de ses effets sur la biodiversité, non prise en compte de divers effets sanitaires avérés, etc. les différences d’analyses de l’impact du Glyphosate entre la recherche médicale française (Inserm) et les avis des agences européennes évaluatrices (l’Echa et l’Efsa) sont majeures ! Elles concernent de nombreux aspects comme la génotoxicité et le stress oxydant, les effets sur le microbiote, la toxicité mitochondriale, les effets sur la reproduction et de perturbation endocrinienne ou encore les effets neurotoxiques. Les agences ignorent ainsi superbement de nombreux effets néfastes mis en évidence par des études solides consacrées par l’Inserm. La santé des populations est donc sciemment sacrifiée sur l’autel de la loi du Marché.

Lors du vote décisif la France s’est abstenue ! Elle est le premier pays agricole de l’Europe et se doit à ce titre suprême de défendre les intérêts de ses producteurs. Elle les soutient scrupuleusement depuis toujours. Ses dirigeants actuels n’entendent pas faire exception à la règle intangible. Au prix, au passage sans doute obligé, de quelques conflits d’intérêts ! Ainsi, le ministre de l’Agriculture (et de la souveraineté alimentaire), Marc Fesneau, a choisi en mai dernier sa nouvelle conseillère communication, issue de la principale organisation des industriels de l’agroalimentaire (Ania), validée avec de modestes réserves par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Celle-ci a en effet donné son feu vert" à la nomination de Sophie Ionascu, ancienne directrice de la communication de l’Ania, avec une limite, « ne pas rentrer en contact avec son précédent employeur ». Voilà une rhétorique convenue qui est un sacré rempart ! Le ministre a bien sûr déclaré : "Elle est conseillère en communication, elle ne va pas être en charge du dossier industrie agroalimentaire". Seuls les gogos éternels peuvent évidemment croire à cette précaution de pure convenance. Le printemps dernier fut de fait riche en grandes manoeuvres sur le front de l’agriculture dominante. En mars, Arnaud Rousseau succédait à Christiane Lambert à la tête de la FNSEA. Il était l’unique candidat pour (re)prendre en mains le premier syndicat du secteur. Il cumule des mandats dans de nombreuses sociétés, incarne ainsi le retour de l’agrobusiness aux manettes. Au programme : agenda pro-OGM, mégabassines, et statu quo sur les pesticides. C’est dire si l’agriculture française est maintenant puissamment armée pour… résister au changement !

Revenons à la chimie. Derrière le Glyphosate qui sert malencontreusement de paravent se cache une pléthore de substances peu sympathiques. Ainsi, par exemple, l’agriculture française - et plus largement celle de l’Union européenne (UE) - utilisent massivement et intentionnellement une catégorie très préoccupante de substances pesticides : les pesticides-PFAS.). Les perfluorés dits "PFAS" sont des substances chimiques très utilisées dans l’industrie depuis longtemps. Ils sont très résistants et persistants, ce qui leur vaut la qualification de « polluants éternels ». De nombreuses études scientifiques démontrent qu’une exposition chronique, à faible dose, à ces PFAS a été associée à des effets néfastes sur les systèmes cardiovasculaire, reproductif, hormonal et immunitaire. Ces substances sont donc particulièrement dangereuses pour la santé humaine. Il sont désormais épandus par pulvérisation en agriculture, donc dans notre environnement et sur les denrées alimentaires cultivés de manière intensive. Les chiffres sur l’ampleur du recours aux pesticides-PFAS dans l’UE sont devenus alarmants. Ils sont utilisés comme substances actives leur conférant une plus grande stabilité et ainsi plus d’efficacité. Les principaux producteurs répertoriés sont Bayer, BASF et Syngenta. De puissants lobbyistes qui ont, comme on le sait, l’oreille (attentive) des « décideurs » politiques.

Une autre agriculture existe qui doucement fait son chemin. Elle ne trouvera cependant toute la place qui doit légitimement lui revenir tant que rien de décisif ne sera entrepris pour faire sérieusement reculer l’agriculture dominante prédatrice. Les encouragements et les moyens octroyés à la recherche d’alternatives aux pesticides sont très mesurés. Certaines alternatives existent déjà et sont prometteuses mais la Communication de la FNSEA les nie avec une efficacité certaine auprès du grand public. On ne s’empresse pas de la contredire en haut-lieu. Pire, elle réussit à faire accroire que le modèle agricole qu’elle défend serait victime de campagnes de dénigrement injustifiées. Pourtant, les lanceurs d’alerte qui osent dénoncer la nocivité dudit modèle ont bien du courage, à l’instar de la journaliste Morgane Large. Dans le Centre-Bretagne, au cœur du « modèle agricole breton », elle enquête - et dénonce - depuis des années sur ce système mortifère où la collusion entre producteurs, élus locaux et autorités publiques est avérée. Elle semble désormais déterminée à interrompre son action de salubrité publique craignant pour sa vie et celle de ses enfants après plusieurs agressions que la gendarmerie ne s’empresse pas de vouloir élucider. Là, ce n’est plus seulement la santé des populations ou la biodiversité qui sont menacées. C’est tout bonnement la démocratie qui est en péril.

Yann Fiévet

Le Peuple Breton – Novembre 2023 Leurre de vérité

 L’Ecole ouverte aux vents mauvais

L’Ecole fait toujours couler beaucoup d’encre… et de salive au sein des instances plus ou moins autorisées à parler d’elle et pour elle, notamment au moment d’évènements venant troubler la relative indifférence qu’elle suscite dramatiquement d’ordinaire en ces milieux. Le meurtre récent de Dominique Bernard à Arras, professeur de Lettres, sur le lieu même d’exercice de son métier, juste trois ans après l’assassinat de Samuel Paty, offre à notre effroi un nouvel avatar du chaotique intérêt de la Nation pour ce qui devrait être en toutes circonstances une exigence absolue, à savoir la sauvegarde indéfectible de l’espace crucial de la formation des futurs citoyens. Ce meurtre – rien ne permet de dire que cet homicide était prémédité – et cet assassinat, homicide qui lui avait été odieusement prémédité, sont insupportables. A chaque fois, le débat revient à propos du statut de l’Ecole comme sanctuaire, un lieu à part qu’il convient de protéger. Un grand malentendu surgit alors.

Au fil de ses vicissitudes l’Ecole continue de jouer son rôle. C’est précisément pour cela qu’elle est attaquée. Attaquée notamment par ceux qui placent les dogmes religieux au-dessus de tout, ceux pour qui « la loi de Dieu » est forcément supérieure aux lois des hommes. On les présente communément comme des ennemis de la démocratie. Ils le sont assurément. Cependant, ce qui nous occupe ici c’est leur haine viscérale de l’idée qu’il convient d’apprendre ici-bas aux enfants et aux adolescents à penser par eux-mêmes, donc strictement en dehors des préceptes des religions quelles qu’elles soient. Su l’on ose une comparaison entre les deux homicides précités on est frappé par un point commun et par une différence. Samuel Paty et Dominique Bernard avait tous deux pour « mission » de faire travailler leurs élèves sur des documents ou des œuvres directement issus de l’intelligence humaine en dehors évidemment de toute volonté divine. Ils leur apprenaient à appréhender le sensible de la vie sur terre, sa grande complexité, sa belle diversité, sa richesse infinie. Ils s’échinaient à leur montrer que le monde n’est pas binaire, qu’il ne se divise pas entre le Bien et le Mal. Une gageure peut-être, mais qu’il faut inlassablement relever. La différence maintenant, inquiétante sans doute. Pour empêcher Samuel Paty de continuer de nuire par son travail d’éveilleur des consciences ses assassins – direct ou par procuration – avaient eu besoin d’un prétexte, celui des caricatures du prophète. Dans le cas du meurtre de Dominique Bernard plus besoin de prétexte. Ou plutôt si : lui aussi était professeur. C’est donc cette figure même qu’il faut éliminer du paysage que les obscurantistes de toutes obédiences entendent nettoyer.

Cependant, l’Ecole doit rester ouverte ! Mais, qu’entend-on par cette formule généreuse ? Ici, le malentendu est patent, confine au dialogue de sourds de façon récurrente entre les profs et les « autorités compétentes ». Quand les premiers parlent de sanctuaire ils entendent que l’Ecole ait les moyens de se tenir à distance des perturbations ou des interférences extérieures pour la dispense des savoirs. Pour les seconds, l’idée de sanctuaire signifie nécessité de protéger matériellement les établissements scolaires des possibles agressions physiques venues de l’extérieur. Les premiers se situent sur un plan intellectuel, voire moral, quand les seconds adoptent une posture de type sécuritaire. Les tenants de cette dernière feraient volontiers, du moins certains d’entre eux, des écoles, collèges et lycées des bunkers impénétrables. Ainsi, certains réclament – tel le Patron des Républicains - l’instauration de « la reconnaissance faciale » en ces lieux « désormais trop exposés aux dangers extérieurs » alors que ce système a déjà maintes fois fait la preuve de son inefficacité pour l’identification rapide d’un individu quelconque parmi de nombreux autres. Une ciottise de plus ! On n’est plus à ça près dans l’escalade sécuritaire ambiante. Si certains profs cèdent, la peur contagieuse aidant, à cette idéologie du bunker, la plupart de leurs collègues en sont éloignés. Ils savent qu’elle rime trop facilement avec une vision binaire de la société dans laquelle il faut être « gentil avec les gentils et méchant avec les méchants ». Ils attendent autre chose. Ils savent surtout que l’Ecole étant partie intégrante de la société qui la génère elle ne saurait en être coupée totalement, que l’exercice de leur métier est menacé par d’autres fléaux – permanents ceux-là – plus pernicieux que l’intrusion heureusement très sporadique d’individus louches dans leur établissement.

Enseigner est autrement plus difficile aujourd’hui qu’hier. L’Ecole accueille des cohortes d’élèves nettement moins homogènes socialement qu’autrefois. Mais surtout le savoir transmis par les professeurs est sournoisement concurrencé par tout ce qui traîne sur les réseaux dits sociaux en tous genres particulièrement prisés par les jeunes. Apprendre à se méfier des fausses informations qui foisonnent chaque jour davantage sur Internet n’est pas chose aisée. C’est une lutte de tous les jours à laquelle s’adonnent ceux et celles qui sont chargés d’instruire nos chères têtes blondes et brunes. Ce n’est pas parce que c’est sur la Toile que c’est une information digne de foi ! Du reste, est-ce de l’information fiable ou bien plutôt de la communication vulgaire ? Ainsi, des vents mauvais soufflent sur l’Ecole que les pouvoirs publics ne cherchent en rien à contenir car l’on ne saurait brider les forces du marché. L’horreur internautique tient peut-être en ceci : la part des 8-10 ans disposant d’un compte sur les « réseaux sociaux » ne cesse de croître. Il convient d’introduire ici la question des inégalités sociales. La crédulité des jeunes n’est pas uniforme : elle est sensiblement plus forte dans les milieux sociaux défavorisés. Dans les milieux favorisés les enfants et adolescents bénéficient en dehors de l’Ecole d’armes culturelles et du fécond dialogue intergénérationnel propices à les prémunir relativement mieux contre les dangereuses élucubrations des réseaux sociaux. Nous n’avons donc rien à gagner à l’absence de mixité sociale à l’Ecole. Or, les multiples réformes qui se sont succédées pour la transformer n’ont fait depuis longtemps qu’accentuer les inégalités en son sein et accentuer l’uniformisation des classes. Ainsi, dans les collèges et lycées de « seconde zone » les jeunes des milieux les moins favorisés se retrouvent entre eux au sein qui plus est de classes souvent surchargées. Les autorités comptent bravement sur leurs professeurs pour les faire avancer sur le droit chemin. Un travail de bénédictin !

Tout va bientôt changer. Gaby le Magnifique est arrivé ! Il n’a jamais enseigné, ne s’est probablement jamais demandé sérieusement ce qu’enseigner veut dire mais a pourtant déjà commencé, du haut de ses trente-quatre balais, à dire aux professeurs, pour la plupart fort chevronnés, comment il doivent travailler désormais. Quelle fatuité ! On en rirait si la situation n’était pas si tragique. Décidément, l’Ecole que nous voulons mérite mieux que ce ministre d’opérette.

Yann Fiévet

Le Peuple Breton – Octobre 2023 Leurre de vérité

 Deux rapports sinon rien !

Il y a quand même une rentrée sociale ! Au moins sur le plan de la réflexion. Ce mois de septembre les observateurs soucieux de l’état réel du corps social de notre pays ont pu saluer la publication de deux rapports on ne peut plus important. Ils n’émanent pas des « autorités compétentes » et n’ont pas été non plus commandités par elles. Cela en fait tout le poids. Le premier rapport, rendu public le 13 septembre par le Secours catholique et Aequitaz, une association prônant sans la moindre équivoque la « justice sociale », s’Intitule « Un boulot de dingue – Reconnaître les contributions vitales à la société ». Il se veut être « un antidote au poison des préjugés » en matière d’emploi. Le second rapport, diffusé le 14 septembre, émane du Collectif « Nos services publics », fondé en 2021, avec la contribution d’une centaine de chercheurs, de hauts fonctionnaires et d’agents publics. Il propose de changer notre regard en comparant scrupuleusement l’évolution des besoins de la population avec l’investissement dans lesdits services publics. Ces deux rapports prennent tellement à contre-pied les idées reçues entretenues depuis su longtemps qu’ils n’ébranleront très probablement que fort peu la détermination de nos actuels gouvernants.

« « Un boulot de dingue » met en pleine lumière « le travail invisible et non rémunéré » de nombre de personnes « hors emploi ». Que ce soit dans le champ personnel, en aidant un proche ou via des engagements dans la vie d’un quartier, le voisinage ou au sein d’associations. Ces contributions sont « vitales et utiles à la société » mais ne sont jamais reconnues. Un long inventaire – fruit de recherches étalées sur deux ans, permet de définir précisément ce travail invisible. Il est essentiellement tourné vers « le prendre-soin »et caractérise « une forme de protection sociale de proximité ». Le rapport est un plaidoyer pour « sécuriser ces activités essentielles » et espère être un remède contre « le poison de l’éternel cliché de l’assisté ayant besoin d’être sans cesse remobilisé ». Nombre d’associations en témoignent : les personnes rencontrées sont bel et bien actives, « n’en déplaise à̀ la statistique », qui les range parmi les « inactifs ». Ce cliché sur les « assistés » va sans aucun doute abondamment alimenter les débats du projet de loi pour le plein-emploi, qui sera examiné en octobre par les députés. Le texte doit ouvrir la voie au réseau France Travail, à l’inscription automatique des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) et à de possibles heures d’activité obligatoires, en contrepartie de ce revenu. Pour le Secours catholique et Aequitaz voient là « un contexte politique inquiétant ». Ils rappellent leur ferme opposition « à toute forme de contrepartie au minimum vital qu’est le RSA ». Enfin, le rapport se veut aussi le porte-voix de « celles et ceux que l’on montre du doigt sans jamais prendre le temps de les entendre ». Les personnes qui ont participé aux travaux y relatent leur douleur d’être régulièrement stigmatisées : « « Personne ne survit émotionnellement à l’inactivité doublée de la solitude qu’elle engendre », affirme l’une d’elles. En entrant dans les histoires de vie des personnes qui ont participé à la recherche, on découvre un monde d’entraide et de solidarité. Des valeurs que les politiques publiques d’aujourd’hui sacrifient petit-à-petit sur l’autel de l’ultralibéralisme.

Le Collectif « Nos services publics », quant à lui, nous livre un diagnostic sans appel : alors que les besoins de la population ont évolué, l’Etat n’a pas su s’adapter : des services d’urgence hospitaliers dangereusement fermés certaines nuits, des enseignants qui manquent à l’appel malgré les déclarations officielles lénifiantes, des magistrats qui alertent sur leurs conditions déplorables de travail, etc. Comment expliquer que les services publics « craquent » alors que la dépense publique augmente ? Pour les rapporteurs, « débattre de l’évolution des services publics n’a de sens qu’au regard des évolutions sociales auxquelles ils répondent ». Or, ils constatent que « A l’arrivée, dans tous les domaines, on retrouve une courbe des besoins qui augmente et une courbe des dépenses qui progresse beaucoup moins vite ». Dans sa démarche le collectif a cumulé des indicateurs de nature très variables : les dynamiques démographiques (comme le vieillissement de la population ou la hausse de l’accès aux études supérieures), les progrès sociaux (dont la lutte contre les violences faites aux femmes) et les transformations des modes de vie. Ces paramètres « modifient les attentes de la population et le niveau de référence de prise en charge de ces attentes. Ils permettent de constater une attrition de la dépense publique en regard des besoins, alors même qu’elle a augmenté de manière quasi continue depuis quarante ans – elle représentait moins de 50 % du produit intérieur brut (PIB) au début des années 1980 et 58 % en 2022 – et que le nombre d’agents publics est passé de 4,8 millions à 5,4 millions en vingt ans.

Le chapitre consacré à la santé étudie l’évolution des affections longue durée (ALD), des maladies « dont la gravité et/ou le caractère chronique nécessite un traitement prolongé et coûteux ». D’après les données de l’Assurance-maladie, le nombre de patients en ALD est passé d’environ 9 millions à 12 millions entre 2010 et 2020, soit une augmentation de 34 %. Or le financement du système de soins est de moins en moins adapté à ces pathologies : l’hôpital public, sur lequel repose en grande partie la prise en charge des maladies chroniques, souffre de la « tarification à l’activité », qui ne rémunère pas les tâches de coordination entre l’hôpital et la médecine de ville. Dans le domaine scolaire les besoins ont également fortement évolué. Depuis les années 1980, le taux de bacheliers pour une génération a été multiplié par quatre, et l’école accueille depuis 2005 les enfants en situation de handicap – leur nombre a été multiplié par trois en quinze ans, soit 400 000 élèves. De fait, l’école peine à s’adapter à un public plus hétérogène. Si 80 % d’une classe d’âge parvient au baccalauréat, c’est au prix d’une stratification sociale très forte au sein des filières du lycée, les enfants d’ouvrier composant 34 % des bacheliers professionnels, contre 8 % pour les enfants de cadres supérieurs. Ainsi, du fait de l’inadaptation du système, des inégalités criantes persistent.

Ce qui nous frappe à la lecture conjointe de ces deux rapports c’est le cruel défaut de l’attention portée par les pouvoirs publics à la réalité sociale et à la nécessité de répondre vraiment aux attentes légitimes de la population. Nous le savions depuis longtemps, plus ou moins intuitivement ou par bribes, mais là nous en avons une démonstration implacable. Pourtant, une fois de plus on va sur ces questions cruciales probablement lancer « un grand débat », créer un nouveau Conseil de la « Reconstruction », demander des études complémentaires, etc. Bref, on va encore renvoyer l’urgence d’agir aux calendes grecques !

Yann Fiévet

Le Peuple Breton – Septembre 2023 Leurre de vérité

 Une rentrée rabougrie

La rentrée des classes 2023 en France est marquée du sceau d’un inquiétant rabougrissement. Plusieurs évènements attestent de ce phénomène surgissant dans un moment de grandes tensions au sein du corps social, tensions face auxquelles le pouvoir politique en place manque singulièrement de sérénité. La portée de ces évènements dépasse de très loin le cadre de l’Ecole et sont tout sauf anecdotiques. L’Ecole étant le lieu privilégié de l’accueil de la jeunesse du pays il conviendrait, paraît-t-il, de la reprendre en main. D’une main ferme évidemment accompagnée parfois d’une bonne dose de pudibonderie. Nous allons retrouver ici quelques figures du macronisme le plus pur auquel peuvent venir s’adjoindre sporadiquement, pour pouvoir exister un peu, quelques satellites issus de la sphère politique la plus réactionnaire. Nous nommons, dans l’ordre de leur entrée en scène, Gabriel Attal, Valérie Pécresse, Gérald Darmanin et… Jupiter soi-même.

En juillet dernier, après que la « communauté scolaire » nationale fut entièrement partie en congés d’été, le monarque décida de remplacer le ministre idoine. Ainsi, Gabriel Attal, jeune loup aux dents longues et pourtant déjà presque vieux en politique, succède à Pap Ndiaye qui en une année seulement ne pouvait avoir fait oublier le calamiteux quinquennat de Jean-Michel Blanquer. Contrairement à Pap Ndiaye, qui est universitaire, Gabriel Attal n’a jamais occupé la moindre fonction au sein de « l’appareil éducatif ». Passé par la prestigieuse Ecole Alsacienne de Paris il est le pur produit de la mérito-aristocratie et va ainsi pouvoir donner des gages de sincérité à tous ceux qui craignaient que l’on tente de remettre en cause un tant soit peu les privilèges de l’enseignement privé. C’est précisément là que Pap Ndiaye se mit à dos le plus d’ennemis, et pas seulement au sein de la droite extrême. Partisan de la mise en œuvre de moyens destinés à promouvoir une « mixité sociale » digne de ce nom il entendait y inclure la sphère privée de l’éducation. De fait, l’Elysée n’avait pas même besoin du tollé de la Droite pour ne pas supporter l’outrecuidance d’un ministre osant s’être levé du strapontin qui lui avait complaisamment été offert. L’Ecole doit rester à deux vitesses. On ne va tout de même pas rallumer la guerre scolaire, proclama le Président du Sénat. Il peut enfin dormir de nouveau sur ses deux oreilles : ce n’est pas Gaby le Magnifique qui songera à déterrer la hache de guerre. En revanche, on va le voir beaucoup sur le terrain en cette rentrée, histoire de poursuivre l’esbroufe macronienne entamée voilà plus de six années. Du reste il a commencé en août par la rentrée à la Réunion. Consolons-nous : à cet première occasion il a déjà trouvé le moyen de se prendre les pieds dans le tapis de… « l’immigration en provenance de Mayotte ». Assurément, il compte sur le dos de l’Ecole pour continuer de se faire les dents.

La jeunesse doit savoir se tenir. Gabriel Attal va s’atteler à cette tâche indissociable, selon les tenants de l’Ordre établi, de la « bonne marche » du système éducatif. Il pourra compter en la matière sur le soutien inconditionnel de Valérie Pécresse qui préside aux destinées de la Région Ile-de-France. En juillet dernier, elle déclara que « notre devoir est de faire aimer la France à notre jeunesse ». En même temps, elle décida de débaptiser le lycée Angela-Davis de Saint-Denis (93). En proposant, à la place, le nom de Rosa Parks. Elle se justifie en ces termes : « Personnellement, vous l’avez compris, je préfère la révolution civique de Martin Luther King à la lutte armée violente des Black Panthers ». Elle alimente ainsi l’artificielle opposition entre les activistes noirs : d’un côté, les sages, les modérés, bref, les respectables. De l’autre, les violents, les radicaux, les extrémistes. La réalité est pourtant bien différente : Rosa Parks n’était pas seulement « une petite dame gentille assise dans le bus avec son petit sac ; elle était aussi une militante proche des mouvements communistes. D’autre part, considérer qu’Angela Davis était violente est totalement faux – par conséquent raciste - et consiste à effacer purement et simplement – c’est probablement le but ultime de cette entreprise idéologique de démolition – le fait que les nombreux ouvrages de la sociologue américaine sont lus et analysés dans le monde entier. Valérie Pécresse affiche là la suffisance éhontée des insuffisants. Il conviendrait au contraire d’étudier dans les lycées la pensée d’Angela Davis qui, toute sa vie, a forgé des outils de réflexion contre toutes les formes d’injustices. Alors, la France deviendrait vraiment pleinement aimable aux yeux des jeunes, en particulier dans « les quartiers » si malmenés en maints endroits du pays. Les lycéens de Seine-Saint-Denis – et leurs professeurs – seront-ils muets à la rentrée face à l’insulte qui vient d’être commise, en leur nom, à l’encontre de la figure incontestable de l’antiracisme qu’est Angela Davis ? Un autre livre ne figure évidemment pas au chevet de Valérie Pécresse : celui, remarqué, que l’historien Pap Ndiaye a consacré à « la condition noire ». La boucle est ainsi bouclée !

Il est donc grand temps que notre jeunesse soit édifiée par les bonnes valeurs morales qui lui permettront d’évoluer docilement demain dans une société enfin apaisée. C’est là que Gérald Darmanin intervient. Il abandonne à l’occasion son costume de père fouettard en chef pour endosser celui de nouveau « père la pudeur », costume que porta fièrement autrefois l’un de ses ascendants idéologiques. Il est des filiations qui ne se renient pas. Les débordements de la jeunesse ne se déroulent pas uniquement sur la voie publique. Ils peuvent aussi avoir lieu dans la sphère privée, dans l’intimité des relations interpersonnelles, en principe à l’abri des regards. Il ne faut pourtant pas s’interdire d’agir là-dessus aussi. Le 18 juillet dernier, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur au pouvoir très étendu, a fait interdire la vente aux mineurs d’un roman jeunesse dont certaines scènes ont été jugées pornographiques. Voilà un grand moment de puritanisme imbécile et pour le moins opportuniste. La sexualité de l’adolescence dérange encore et toujours certains esprits qui soit ont raté ce moment initiatique, soit l’ont étonnamment oublié. C’est le moment de la découverte de son propre corps, « la construction de sa capacité à désirer le désirable, etc. Thierry Magnier, éditeur du livre censuré, voulait « montrer comment la littérature, à un âge donné, accompagne cette découverte-là ». Et tant pis si, parfois, les récits abandonnent la littérature en route, pour ne plus raconter que l’été et les corps. » Mais, cela est intolérable aux yeux de ce qui pourrait devenir une nouvelle police des mœurs.

On en conviendra : il se cache derrière ces divers évènements, tous intervenus en juillet quand le citoyen a la tête ailleurs, un manque caractérisé de sérénité. Pour faire bonne mesure, il fallait bien que Jupiter apporte sa pierre à cette fébrilité estivale. Il le fit depuis son lieu de vacances aoutien. Un œil sur le lointain Niger, l’autre sur les banlieues toutes aussi lointaines pour lui, il a prévenu qu’aucun débordement dans les quartiers populaires ne sera toléré à la rentrée. Les mauvaises langues dont nous ne sommes pas diront que le monarque verse là de l’huile sur le feu ! En fait, il sait pertinemment que les motifs d’un possible embrasement sont de plus en plus criants. Il y répondra, le cas échéant, avec ses plus fidèles lieutenants, par de nouvelles manifestations du rabougrissement en marche.

Yann Fiévet

Le Peuple Breton – Juillet-août 2023 Leurre de vérité

 Jupiter, blanchisseur des consciences

Maintenant qu’il pense être sorti vainqueur de la longue séquence dans laquelle il a su brillamment imposer sa réforme des retraites à son peuple décidément trop ingrat, maintenant qu’il est en passe de mettre en place tous les outils disponibles de l’arsenal répressif destiné à tuer dans l’œuf toute contestation intransigeante sur le champ de l’écologie, le monarque absolu peut reprendre avec ardeur l’une de ses marottes favorites : recevoir en son Palais les dirigeants les plus sales de la planète. A ce titre, nous n’avons pas oublié que lors de son premier quinquennat il avait reçu en grandes pompes le Président égyptien Al-Sissi et qu’il lui avait fait remettre, en relatif catimini mais pas vraiment incognito, rien moins que la Grand-Croix de la Légion d’honneur. L’homme qui dirige l’une des dictatures les plus répressives du Proche-Orient, où ses prisons grouillent de tous ses opposants, était ainsi officiellement adoubé par son homologue d’un pays où l’on sait, en principe, ce que signifie l’expression Droits de l’Homme ! La concurrence est tellement âpre sur le marché des dictatures florissantes qu’il nous est permis de craindre une bousculade au portillon. Le premier à s’y présenter en cette fin de printemps fut MBS.

La grandiose offensive diplomatique du prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane (MBS), devait sans doute inévitablement passer par une longue visite de huit jours en France, visite qui se termina par le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial. Etonnamment longue, cette visite de MBS illustre à merveille son stupéfiant retour en grâce. Mis au ban de la communauté internationale après l’ignoble assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi en 2018 à Istanbul – dont il était le commanditaire -, le prince héritier avait été remis en selle l’été dernier par Joe Biden et Emmanuel Macron. "Nous savons bien que le recevoir n’est pas très populaire, dit-on au Quai d’Orsay. L’affaire Khashoggi est une horreur mais il est aujourd’hui très difficile de ne pas parler à MBS." Le langage diplomatique est une langue de bois, une langue lourdement chargée d’hypocrisie. Il ne s’agirait donc que de passer l’éponge sur un crime horrible ? Un mauvais moment à passer sans doute ! Chez les Saoud on exécute à tour de bras, les femmes n’ont toujours pas droit de cité, les homosexuels sont jetés en prison, etc. Fermons les yeux ! Ne les ouvrons pas davantage sur la guerre que l’Arabie saoudite livre au Yemen, notamment avec des armes vendues par la France. Il est vrai que nos médias sont plutôt discrets sur la chose. Oublions donc ces broutilles ! Puisqu’il est question de broutilles, mentionnons-en une dernière pour faire bonne mesure : les salariés français travaillant au sein de l’ambassade d’Arabie saoudite à Paris ne peuvent pas prendre leur retraite. Le pays des Saoud a oublié de payer les cotisations à l’URSAF les concernant. L’Arabie saoudite a également une grosse ardoise à l’AP-HP pour ses ressortissants venus ces dernières années se faire soigner dans les hôpitaux parisiens. Le pays de MBS est éminemment solvable mais est un très mauvais payeur. Gageons que de tout cela il ne fut pas question une seconde dans les salons feutrés de l’Elysée. On ne doit jamais fâcher un hôte de marque !

L’absence de la distance nécessaire – on pourrait dire décente – vis-à-vis des régimes les plus sombres de la planète ne se limite pas à la réception officielle de leurs dirigeants dans les haut-lieux du pouvoir régalien. Elle est également remarquable dans l’insuffisante sympathie envers les opposants déclarés de ces régimes barbares. Il en va ainsi de la décision d’interdire la manifestation que le Conseil National de la Résistance iranienne souhaitait organiser le 1er juillet à Paris. Interdire cette manifestation des Iraniens est un marchandage – déguisé en crainte pour l’ordre public en France - contre la démocratie, la liberté d’expression et la liberté de réunion. Elle revient à céder au chantage exercé par le fascisme religieux au pouvoir en Iran, un régime qui se maintient, après le soulèvement des neuf derniers mois, en s’appuyant essentiellement sur une large vague d’exécutions qui a fait plus de deux cents victimes depuis le début du mois de mai. Il convient de ne pas froisser le régime des mollahs. Dans le même ordre d’idées, on veille à ne pas froisser non plus le régime turc. Dans l’affaire du triple assassinat de représentants de la communauté Kurde près du Centre culturel Ahmet-Kaya, siège du Centre démocratique kurde de France (CDKF), à Paris en décembre dernier, La Turquie a protesté contre ce qu’elle perçoit comme une « propagande anti-Turquie » en France. Si l’auteur des faits a bien été interpellé, il est à craindre que la Justice évitera de faire du zèle pour rechercher les commanditaires de cette action criminelle. Rappelons qu’un autre triple assassinat de Kurdes commis à Paris, en 2013, n’a toujours pas été élucidé.

Après MBS, quel sera le prochain visiteur à venir se faire blanchir sous les lambris de l’Elysée ? Les paris sont ouverts. Jupiter n’a que l’embarras du choix. Nous savons que l’un des candidats potentiels à commencer de redorer son blason, redevient doucement fréquentable. Un homme là aussi avec lequel il faut, paraît-il, de nouveau parler. Il s’agit de Bachar El-Assad soi-même ! En mai 2023 —il a fait son grand retour sur la scène internationale. Le dictateur syrien était en effet présent au dernier sommet de la Ligue Arabe. Un début sans doute prometteur dans le paysage cynique mondial. Pour le moment, il reste encore un peu trop sulfureux pour la France. D’autres prétendants vont forcément lui passer sous le nez avant que son tour ne vienne. Dans l’attente, il conserve le droit d’espérer que l’oubli estompe progressivement la mémoire de ses innombrables crimes.

Yann Fiévet

Le Peuple Breton – Juin 2023 Leurre de vérité

 Total irrespect

A la veille d’un nouvel été difficile la stupeur nous saisit. Le macronisme vient de battre piteusement en retraite sur le front du combat écologique. Les esprits grincheux diront qu’il n’avait jamais vraiment entamé ce combat pourtant impératif. On peut difficilement leur donner tort. Le mois de mai était depuis des lustres le mois du renouveau, celui qui annonçait des jours meilleurs, ceux de l’éclosion générale, des jours attendus avec entrain partout et par tous, petits et grands, pauvres ou riches. Tout cela est bien fini. Le mois de mai est désormais en France le mois de la fin définitive des illusions face à la crise climatique aux ravages indiscutablement grandissants. En cette matière qui ne devrait souffrir aucune défaillance, Jupiter, en dieu impuissant, et son ministre chargé de la « transition écologique » ont, à quelques jours d’intervalle, sonné le glas de nos maigres espérances. Deux hommes passifs pour deux évènements calamiteux. L’irrespect affiché pour la planète est alors à son comble. Et, le pétrolier en chef de s’en délecter en coulisses.

Le premier de ces évènements fut la déclaration péremptoire du Président de la République française à une heure de grande écoute télévisuelle, déclaration par laquelle il exprimait sans ambages son souhait qu’une pause soit prononcée dans la règlementation environnementale européenne. A quelques jours de la réception annuelle des « plus grands patrons du monde entier » au château de Versailles, Emmanuel Macron s’attaquait à rien moins que le green new deal, certes diversement appréhendé par les partenaires de la France, qu’il conviendrait de muscler eu égard au péril climatique et non de l’affaiblir. Du reste, le monarque qui se veut absolu déclencha la stupéfaction européenne en la circonstance. Bien sûr il n’en a cure : son urgence à lui est de rassurer les magnats de la finance et de l’industrie planétaire afin que dans la bonne marche des affaires la France reste pleinement une terre d’accueil ! On se souvient ici de la déclaration énervée de Nicolas Sarkozy en 2011, au Salon de l’agriculture, trois petites années après le « Grenelle de l’environnement » qu’il avait pourtant abondamment promotionné : « l’environnement, ça commence à bien faire ». Mais, douze années plus tard… Ces hommes sont très forts dans l’esbroufe communicationnelle et éminemment discrets dans la mises en œuvre tangible de leurs annonces tonitruantes. C’est que le réalisme économico-financier du capitalisme omnipotent revient toujours à la charge porté par de vigilants gardiens du temple.

On doit le second évènement de ce printemps à Christophe Béchu qui porte fièrement la casquette ministérielle de la transition écologique. Il a officiellement lancé le 22 mai dernier le processus de « l’adaptation » au réchauffement climatique. Jusqu’à la fin de l’été les Français sont consultés afin qu’ils disent les efforts qu’ils sont prêts à consentir pour adapter leurs comportements de consommation dans l’optique d’un réchauffement de 4° à la fin de ce siècle. Rappelons que la COP 21 tenue à Paris en décembre 2015 déclarait qu’il ne faudrait surtout pas dépasser 1,5° pour éviter « l’emballement ». On entérine donc en haut-lieu que l’objjectif est irréaliste et qu’il faut donc se préparer au pire. Les Français pourraient en retour demander ce que les vrais décideurs sont prêts à consentir comme efforts d’adaptation pour changer de manière tangible la prégnance mortifère du capitalisme sur la nature et nos vies. Va-t-on annuler les nombreux projets autoroutiers lancés dans l’hexagone ? Va-t-on enfin décider de transformer radicalement « notre modèle agricole ? Va-t-on un jour prochain contraindre Total à changer profondément sa stratégie de production d’énergie ? Non, rien de tout cela ne reçoit le début du commencement d’une inflexion. Non, c’est aux Français de faire des efforts individuels. Le tandem Macron-Béchu en est resté à ce que Aurélien Bernier avait appelé voilà quinze ans l’écologie du brossage de dents. Désespérant !

Pire, on continue d’envoyer de mauvais signaux à de notoires responsables de la crise écologique. Ainsi, le ministre français de l’agriculture a demandé récemment aux préfets de ne pas verbaliser les agriculteurs contrevenant à l’interdiction de plusieurs pesticides décidée au niveau européen. À l’initiative des sénateurs Les Républicains, une proposition de loi, autorisant le recours à des drones pour l’épandage de pesticides, a été adoptée en première lecture le 23 mai au Sénat.

Cette mesure est présentée comme un « choc de compétitivité pour la ferme "France" ». L’article 8 de cette proposition de loi envisage d’expérimenter durant 5 ans le recours à des drones dans le cadre d’une « agriculture de précision » sur des surfaces présentées comme « restreintes » sans pour autant que soient fixées des limites. L’Europe pers déjà vingt millions d’oiseaux chaque année. Alors, la biodiversité peut bien attendre encore son hypothétique renouveau ! La vraie raison de l’immobilisme ou de la fuite en avant est que l’on se refuse à financer sérieusement l’énorme facture de la transition écologique. Pour cela il faudrait faire payer les plus riches de nos congénères. On pourrait, par exemple, taxer de 5% à cet effet les 10% des contribuables les plus fortunés. Bruno Lemaire, ministre de l’économie gardien scrupuleux de l’orthodoxie fiscale, se refuse farouchement à augmenter les impôts tout en récitant la fable éternelle selon laquelle « la France a déjà la fiscalité la plus élevée d’Europe ». Répondons-lui que les revenus des 37 contribuables français les plus riches sont taxés à… 0,26%. Un record du monde, probablement ! Total irrespect disions-nous.

Yann Fiévet

Le Peuple Breton – Mai 2023 Leurre de vérité

 La haine des braves

L’un des pires penchants qui guette aujourd’hui notre société déstructurée par l’action – ou l’inaction ? – d’un pouvoir politique décidément aveugle et sourd tient en ceci : s’habituer aux violences policières, qu’elles fassent désormais partie de notre quotidien, qu’elles finissent par nous apparaître comme quasi naturelles face aux débordements inévitables du corps social mis sous une pression dangereusement aggravée. Le pouvoir politique nie l’existence de ces violences en usant d’un artifice de la pensée selon lequel l’Etat serait toujours légitime lorsqu’il réprime la mauvaise humeur d’une société en ébullition. Ainsi, la Présidente de l’Assemblée Nationale (PAN), Yaël Braun-Pivet a commis récemment sur l’antenne de France Inter un lapsus terriblement éclairant : « Je réprime le terme de violences policières ». Nous lui répondrons que nier les violences policières, c’est nier ceux qui en ont été les victimes, c’est donc déjà une des formes de la violence d’Etat, C’est effacer avec des mots les conséquences de ses propres actes, C’est quitter sa propre humanité en ignorant celle d’autrui. Nous vivons désormais en France l’expression terrifiante d’un pouvoir que nous pouvons qualifier de pathologique. Toutes les outrances lui paraissent potentiellement permises, toutes les armes disponibles sur le marché du répressif obligé s’offrent à son gargantuesque appétit d’ordre face aux « barbares » de l’intérieur. Le père fouettard en chef est d’ores-et-déjà prêt à couvrir presque tous les abus.

Allons, ils sont tout de même bien braves tous ces policiers et gendarmes. Ils risquent quotidiennement leur peau pour que nous puissions vivre paisiblement malgré les nombreuses incertitudes de nos existences. Ils sont ainsi garants du bon ordre qu’ils ne définissent évidemment pas eux-mêmes mais qu’ils sont persuadés de servir dignement en toutes circonstances. Rassurez-vous bonnes gens, ils connaissent leur métier et incarnent « la profession la plus contrôlée de notre pays ». Et pourtant… Le récit officiel – pour ne pas dire la fable – est de plus en plus souvent écorné. Il convient au passage de préciser que si grâce à quelques témoins malencontreux ou vidéos indiscrètes nous ne sommes plus dupes la part immergée de cette violence d’Etat – physique, morale ou psychologique - reste le plus souvent cachée dans l’intimité des paniers à salades, la discrétion des sombres commissariats, la confusion des nasses savamment organisées lors des manifestations se déroulant sur la voie publique. A ce dernier titre, rapportons quelques avatars récents on ne peut plus édifiants. À Nantes, le 14 mars dernier, un petit cortège étudiant s’en retournait pacifiquement dans son université après avoir participé à un barrage filtrant organisé contre la réforme des retraites par la CGT quand les gardiens de l’ordre ont encerclés le groupe et ont palpé quatre jeunes femmes, palpations ostensibles à l’intérieur des sous-vêtements accompagnées de propos grossiers, insultants et humiliants . Il s’agit là d’agressions sexuelles caractérisées pour lesquelles une plainte a été dûment déposée. Interrogé à l’Assemblée Nationale sur cette affaire, le 21 mars, le ministre de l’Intérieur n’a prononcé aucun mot à l’intention des 4 jeunes femmes ainsi agressées. Pour lui, il s’agit probablement d’une broutille qu’elles oublieront bien vite.

Parlons un peu des BRAV-M, ces brigades motorisées de répression de l’action violente, réminiscence assumée des sinistres « voltigeurs de Charlie », pas l’hebdo, la bavure, dont Gérald Darmanin est sans conteste le digne héritier, le pittoresque accent chantant en moins. Le 6 avril dernier, à Paris, une caméra surprit certains membres aguerris de l’une de ces brigades de choc en pleine action. Ils traînaient un homme au sol, évidemment sans ménagement, lors d’une autre manifestation contre la réforme des retraites. Dans la soirée du 20 mars, également à Paris, des membres d’une autres de ces dangereuses brigades avaient été enregistrés à leur insu au moment où ils insultaient et humiliaient copieusement plusieurs jeunes qu’ils soupçonnaient d’avoir mis le feu à des poubelles. Ils ont ensuite plaidé « La fatigue physique et morale ». Ils ont notamment précisé sans craindre le ridicule que leurs « besoins fondamentaux et vitaux n’ont pas été respectés. S’hydrater et se restaurer étaient très compliqué ». Comment ne pas plaindre ces braves serviteurs de l’Etat pris ici la main dans le sac à injures ? L’enregistrement ayant été authentifié la hiérarchie va être obligée de sévir. Très durement, on l’imagine ! Cependant, nous ne devrions pas être surpris par ces exactions commises lors des grands rassemblements citoyens. Les « jeunes de banlieues » vivent cela au centuple depuis des années à l’abri le plus souvent des regards ou dans l’indifférence des médias de masse. Est-il exagéré de dire que certaines de nos banlieues servent de terrain d’entraînement aux cosaques motorisés de la police française d’aujourd’hui ?

Il n’est plus possible, depuis longtemps déjà, de parler de bavures, de faits isolés inévitables dans le difficile exercice du maintien de « l’ordre républicain ». Il existe dans notre police un état d’esprit délétère que tous ses membres évidemment ne partagent pas mais qui est nettement plus étendu que l’indulgence commune n’est prête à le reconnaître. Osons le dire : il y a une culture policière de la haine faite d’une somme d’acrimonies contre de multiples victimes expiatoires potentielles, acrimonies qui ne demandent qu’à s’exprimer pour peu que l’autorité supérieure oublie , de façon plus ou moins sournoise ou calculée, de maintenir les garde-fous nécessaires à l’existence d’une « bonne police ». Il s’agit là d’une culture très masculine, en partie alimentée par les évolutions sociales des dernières décennies probablement mal acceptées en ces lieux du virilisme traditionnel. Les objets de l’acrimonie ambiante sont fort disparates et forment un curieux patchwork : acrimonie envers les femmes, les homos, les migrants, les écolos, les jeunes des cités, etc. Si cette culture particulière faisant système n’existe pas comment comprendre que l’on écrabouille sauvagement le campement précaire de migrants, qu’un coup de volant à droite fasse volontairement chuter un scooter et ses jeunes occupants, que des mains assermentées se glissent brutalement dans la culotte de jeunes manifestantes, que l’on retarde dramatiquement les secours dépêchés vers les nombreux blessés par le déluge de grenades de Sainte-Soline ? Alors, nous ne pouvons confondre la haine avérée d’une partie non négligeable des forces de l’ordre et « la rage de ceux que l’on piétine » pour reprendre l’expression du philosophe Etienne Balibar. La haine est un sentiment installé a priori sur des préjugés tenaces tandis que la rage est une réaction s’exprimant a posteriori consécutivement aux souffrances physiques ou morales infligées à diverses catégories du corps social. Il est plus que temps de mettre fin aux calamiteuses confusions, de faire entendre un autre récit que celui des fachos en herbe. Pourquoi pas par la multiplication des concerts de casseroles rageuses ?

Yann Fiévet

Le Peuple Breton – Avril 2023 Leurre de vérité

  Le forcené de l’Elysée

Le printemps promettait d’êpre chaud. Il est carrément torride. Disons-le tout net : la responsabilité de la surchauffe sociale incombe exclusivement désormais à Jupiter. Son acharnement à poursuivre coûte que coûte le processus d’adoption de la réforme des retraites, processus qu’il persiste à considérer comme « pleinement démocratique », est sans équivoque caractéristique de l’attitude d’un homme irresponsable, d’un homme incapable de saisir ne serait-ce que d’une once les pulsations profondes du corps social dont il a, au nom d’institutions tournant largement dans le vide maintenant, la charge en principe pour quatre années encore.

Nous avions perçu cette incapacité avant même le début du premier quinquennat du souverain se voulant contre vents et marées omnipotent et omniscient. Il a réussi assez longtemps à faire illusion grâce à une cour béatement agenouillée aux pieds de ce génial transformateur de « la société restée trop longtemps sclérosée » comme le pensent si souvent ces bien-pensants sortis justement pour la plupart de la cuisse de Jupiter. Pourtant, un cap a été franchi en ce mois de mars avec le magistral coup de force voulu par ce seul homme. L’incapacité du monarque absolu à saisir la réalité du pays confine aujourd’hui au paroxysme. Sa cour jusqu’ici servile commence elle-même à se fracturer. Elle bruisse, pour le moment dans les coulisses. Elle ne tardera plus à se répandre au grand jour en déclarations plus ou moins incendiaires contre le forcené de l’Elysée claquemuré dans ses ravageuses certitudes.

L’acharnement jupitérien est pathologique. A preuve le contenu ahurissant de son intervention sur deux chaînes de télévision en milieu de journée la veille d’une nouvelle grande mobilisation, la première après le rejet – à neuf voix près – de la motion de censure consécutive à l’adoption au Palais Bourbon de la réforme honnie par le mauvais peuple, adoption obtenue par l’isage du 49-3. « Cela ne me fait pas plaisir de faire cette réforme. Je préfèrerais ne pas avoir à la faire. » Cette façon totalement assumée de nous parler à la première personne du singulier peut à elle seule révéler l’ampleur du gouffre abyssal qui sépare le souverain de son peuple. Il sait ce qui est bon pour le peuple qu’il ne voit d’ailleurs plus que comme une foule, qui se fait mal pour lui alors qu’il est cependant si ingrat. Oui, tous ces gens qui vocifèrent sont très ingrats à ne pas vouloir se contenter d’obtempérer et de rentrer sagement dans leurs foyers pour qu’enfin l’on puisse réformer sérieusement le travail. Au passage le monarque semble croire que nous avons déjà oublié qu’il a été avant son règne calamiteux le principal instigateur de la « loi travail » de 2016. Je détruis et ensuite je colle ici ou là quelques rustines. Hélas, cela ne prend plus ! Et, c’est définitif. Mais, ce jour-là à la télé il ne s’est pas contenté de nous surplomber du haut de sa superbe arrogance. Il nous a également copieusement insultés. Il n’a pas craint d’esquisser une comparaison irraisonnée entre le mouvement social actuel en France et les hordes complotistes pro-Trump qui un jour envahirent le Capitole à Washington ou les troupes d’extrême-droite, largement composées d’évangélistes, qui étaient prêtes à renverser le Président Lula nouvellement élu à la tête du Brésil. Si Jupiter a encore toute sa raison, il manque singulièrement de sérénité !

La grogne – le mot est faible – ne va pas cesser. Elle revêt tantôt des formes traditionnelles tantôt des visages pleins d’inventivité. Elle s’est répandue en des lieux où jamais on ne la rencontre d’ordinaire, dans de modestes localités d’habitude toujours paisibles, au fin fond des campagnes, dans de modestes bourgades très éloignées du Centre étroit où tout se décide depuis trop longtemps, loin donc du « dé à coudre parisien » pour reprendre la pertinente expression de Frédéric Lordon. Et la jeunesse qui enfin s’en mêle… A sa façon, même dans les beaux quartiers ! La Bretagne est particulièrement remontée. Cela a toujours effrayé Paris. La police du monarque le renseigne scrupuleusement sur tout cela. Dans son entêtement suicidaire il n’entrevoit probablement plus qu’une seule porte de sortie possible après que le déversement de la « pédagogie » maladroite abondamment relayée par les médias dominants a échoué ; : la répression massive et aveugle du mouvement social légitime. Comme le dit l’avocat Arié Alimi, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme : « Il y a une recherche du drame de la part de l’exécutif pour sortir de la crise ». Et cela y compris sur d’autres fronts que celui des retraites. Le front de l’écologie s’agite grandement désormais. A juste titre là aussi. On craint la dangereuse jonction qui doucement s’installe.

Après le drame qu’il veut salvateur, Jupiter espère sûrement qu’il pourra construire quelque chose. On ne voit pas bien quoi, ni avec qui, tellement le paysage politique est aujourd’hui disloqué. La confiance, partout, n’est plus que de façade envers celui qui a dilapidé tout son crédit mais ne veut surtout pas en convenir. Il va bricoler, tenter des arrangements « type Quatrième République » qui évidemment ne tiendront pas et se succéderont au rythme accéléré du désintérêt des citoyens pour la chose politique. Le souverain escompte certainement se refaire une santé grâce aux JO l’an prochain. Il a du reste déjà donné le ton en pleine tourmente contre la réforme des retraites. A 500 jours de l’ouverture des Jeux de Paris une cérémonie officielle s’est tenue devant tout le gratin d’organisation du grandiose barnum. Devant cet autre microcosme hors-sol Jupiter s’est fait joliment mousser. Métamorphosé en César, il tint en cette circonstance surannée un discours particulièrement enjoué contrastant avec la gravité des moments difficiles que vivent nos congénères. Il sait que la formule a souvent fonctionné. Que demande le peuple ? Du pain et des jeux ! César, lyrique, se laissa aller. Il promit ainsi que l’an prochain l’on pourra se baigner de nouveau dans la Seine et dans la Marne. Une promesse de plus impossible à tenir, un caprice de roi surréaliste. Surréaliste, le caprice et le roi tout à la fois. Cette mayonnaise ne prendra pas. L’an prochain, le peuple aura encore la tête ailleurs. Et, il commencera sérieusement à s’inquiéter pour l’avenir de son pays. Là, il ne s’agit pas d’une affaire de médailles. Une petite musique se fait déjà entendre du côté du fascisme rampant : « maintenant que Macron a éteint la lumière, le RN devient la lueur d’espoir. » Dans les stades, on peut vibrer. On peut aussi y frémir.

Yann Fiévet

« Pour la vie »
Contre le capitalisme mortifère, à Dieulefit comme ailleurs

« Pour la vie » est le cri d’espérance lancé en janvier 2021 par la communauté zapatiste du Chiapas. Elle décidait alors de venir en Europe à la rencontre des collectifs qui luttent comme elle contre les dégâts sociaux et écologiques engendrés par le capitalisme débridé. Cinq siècles après la conquête de l’Amérique latine par les Européens les zapatistes entendaient inverser symboliquement l’Histoire, non pas de façon revancharde mais pacifique. Immédiatement, Sandra Blondel et Pascal Hennequin ont senti qu’il leur fallait suivre la venue vers nous de cette communauté très engagée, venue devant s’étaler d’avril à octobre 2021. Leur film éponyme restitue les joies intenses mais aussi les vraies difficultés du généreux voyage des zapatistes.

Les zapatistes ont réussi à se libérer très sensiblement du capitalisme et à transformer radicalement et durablement leur organisation sociale. Ils ont ainsi probablement plusieurs décennies d’avance sur nous en terme d’auto-organisation économique, sociale et politique qu’ils pratiquent à une échelle bien plus étendue que celle de nos collectifs et lieux autogérés européens. L’histoire qu’ils sont venus nous faire partager, telle une « bibliothèque vivante est riche de 28 ans d’expérimentation de gouvernement autonome, d’éducation, de justice, de santé communautaires. Il est évidemment illusoire d’espérer pouvoir mettre en place une organisation semblable chez nous. Néanmoins, nous avons beaucoup à apprendre de leurs échecs et de leurs réussites, réussites d’autant plus admirables au regard du contexte d’extrême répression qu’ils subissent continuellement de la part des autorités mexicaines.

La lutte zapatiste incarne sans conteste le changement radical que l’humanité doit globalement opérer face aux risques systémiques globaux du capitalocène. Elle montre superbement qu’il nous est possible de reprendre en main notre destin commun, que nous ne devons pas renoncer ni nous résigner et être patient, qu’il n’existe pas de plan tout tracé hormis celui d’apprendre en faisant, de construire en avançant vers l’objectif du changement radical. Pendant 10 ans, les zapatistes ont construit la lutte en ralliant les gens un à un, famille par famille, village par village. Il s’agit d’un travail de conscientisation de longue haleine. Ici, au cœur de la société dite de consommation, nous en sommes évidemment loin. Pourtant, pouvons-nous nous payer le luxe d’attendre encore ?

« Pour la vie » est donc un appel à l’humanité entière qui doit se mettre en marche vers sa survie. Nous le savons tous désormais, celle-ci est mortellement menacée par l’emballement climatique, la destruction de la biodiversité, la raréfaction des ressources naturelles , l’accroissement des inégalités socio-économiques et les guerres que tous ces périls vont engendrer. La menace globale est démesurée, paraît alors insurmontable à chacun de nous. Si nous devons forcément penser globalement le monde que nous désirons voir changer c’est localement qu’il nous faut agir pour aller vers l’objectif vital. Il faut sur tous les territoires créer des collectifs de citoyens déterminés et renforcer les collectifs déjà existants. Le pays de Dieulefit doit y prendre sa part. Une chance : ici, nous ne partons pas de rien. De nombreux germes sont déjà là, cultivons-les sans plus attendre !

Mars 2023

 « 64 ans ? Borne out ! »

« Ce n’est pas la rue qui gouverne ! »proclament régulièrement nos gouvernants. En cela ils se trompent lourdement : la rue n’entend nullement gouverner. En revanche, elle désire se faire vivement entendre en de graves circonstances face aux gouvernants dont elle n’est plus très sûre qu’ils gouvernent vraiment ou dont elle est désormais certaine qu’ils gouvernent par procuration des « milieux d’affaires ». Ainsi elle s’exprime souvent avec un humour provocateur comme en atteste certaines banderoles fièrement déployées lors des actuelles manifestations contre la réforme des retraites. La rue a de l’intelligence. Elle a fort bien compris la réalité profonde du projet de réforme qui se cache derrière la présentation trompeuse qui en est faite. Et, elle est étonnamment calme, contrairement au Palais Bourbon. Pour le coup, ne serait-ce pas l’Assemblée Nationale qui est à la rue ces temps-ci ?

La rue est un terme global bien méprisant à l’égard des centaines de milliers de nos concitoyens qui défilent sur le pavé des rues des villes petites et grandes depuis le début de l’année et à l’égard des millions de Français opposés à la réforme voulue avec acharnement par Emmanuel Macron. Tous ces gens savent que l’objectif de la réforme des retraites est purement financier : maintenir les dépenses de retraites à leur niveau
actuel, en dessous de 14% du PIB. Ce qui entraînera, en raison du vieillissement de la population, une baisse du niveau moyen des pensions par rapport à l’ensemble des revenus du travail. Ainsi, comme le souligne le Conseil d’orientation des retraites (COR), le niveau de vie des retraités diminuera par rapport à celui de l’ensemble de la population. Le crédo du macronisme et de la Commission européenne est que les retraites pèsent d’un poids excessif et contribuent aux déficits publics qu’il convient de réduire à n’importe quel prix.

Quand on analyse en détail l’évolution des comptes publics, on découvre que les causes principales
des déficits sont ailleurs. Leur augmentation, ces dernières années, provient d’abord de l’érosion des
recettes publiques, dont le poids en pourcentage du PIB n’a cessé de diminuer. De 2007 à 2021, les recettes fiscales de l’État sont passées de 14,2 % à 12,2 % du PIB. Cette érosion est due aux baisses d’impôts et de cotisations sociales, principalement en faveur des entreprises et des ménages les plus aisés. Cette politique anti-impôts s’est accélérée durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, notamment par la suppression de l’ISF et des impôts de production versés par les entreprises. Cependant, il convient de pousser plus avant l’analyse des comptes publics. Contrairement au discours officiel, largement repris par la plupart des médias, les retraites sont loin d’être le poste de dépenses publiques dont la progression est la plus forte. Le record est détenu par les aides publiques aux entreprises (APE), dont la croissance a été de 5 % par an en termes réels (hors inflation) entre 2007 et 2021, soit 2,5 fois plus que les dépenses consacrées aux retraite.

Les APE – subventions publiques, crédits d’impôt et baisses de cotisations sociales patronales – posent pourtant un double problème. D’une part, il est reconnu qu’elles sont peu efficaces. Ainsi en est-il des baisses de cotisations sociales permises par le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qu’Emmanuel Macron a pérennisé. D’autre part, les APE contribuent à déséquilibrer les comptes de l’État et de la protection sociale, dont font partie les retraites. Dans sa volonté farouche d’imposer l’austérité à l’assurance-vieillesse ainsi qu’aux services publics, le gouvernement s’oppose à tout débat sur la pertinence des APE, dont le
poids est devenu exorbitant, estimé à 160 milliards d’euros par an, soit 6,4% du PIB, bénéficiant surtout aux grandes entreprises. Il y a donc bien deux poids, deux mesures : on protège le capital et on sacrifie le travail. Dans le capitalisme néolibéral la production de profit dépend intrinsèquement de la déconstruction des protections sociales. En l’absence de gains de productivité suffisants, le travail doit être toujours plus pressuré. Voilà bien le sens de la succession des différentes réformes adoptées à marche forcée, en particulier celle des retraites, qui n’est que la poursuite des réformes du marché du travail ou de l’assurance-chômage.

Les atermoiements d’Elisabeth Borne tentant désespérément d’expliquer l’inexplicable cache le fait que nous sommes donc bel et bien confrontés à un choix de société. Elle a choisi d’endosser la responsabilité de la réforme des retraites devant le Parlement afin de boucher un trou de dix milliards d’euros tandis que le Président de la République annonce une enveloppe de quatre-cents milliards en sept ans pour « nos armées » ! Un autre signe confirme cette orientation : le budget de l’Etat adopté cet automne prévoit la création de 4500 emplois de militaires ou policiers et seulement 2500 emplois d’enseignants en 2023. Pour reprendre une image chère à Pierre Bourdieu on durcit la main droite de l’Etat tandis que l’on affaiblit sa main gauche. De fait ce constat renvoie à l’évolution du régime de la Ve République, où les élites dirigeantes ont fait le choix de transformer le modèle social français dans un sens néolibéral. Depuis les années 1980, cela consiste à épouser les intérêts et respecter les prérogatives des milieux d’affaires, en démantelant pas-à-pas l’État social bâti au cours du siècle dernier. Ce faisant, les droits et les capacités d’agir des citoyens ont été remises en cause de manière de plus en plus visible et profonde. Ceux-ci ont exprimé à de nombreuses reprises leur résistance à cette évolution. Mais comme l’Etat estime ne plus avoir les moyens de leur accorder des concessions, en raison de l’affaiblissement de l’économie capitaliste, il retourne contre les citoyens ordinaires toutes les armes que lui donne la Constitution. Ainsi, le pouvoir exécutif dispose des moyens de se retrancher dans les institutions et d’y produire des décisions, sans aucun égard pour les légitimités s’exprimant en dehors des échéances électorales.

Il ne suffit donc pas de proclamer que « la réforme est nécessaire » après avoir prétendu qu’elle était juste. Encore faut-il montrer ce qui, au fil des quarante dernières années, l’a rendu nécessaire et dire surtout qu’elle peut être financée autrement qu’en faisant travailler deux ans de plus les salariés les plus modestes. Il ne suffira pas qu’Elisabeth Borne s’en aille après avoir éventuellement échoué à faire adopter la réforme du Président. Ce n’est pas le fusible Borne qui doit sauter. C’est le projet de réforme qui doit passer à la trappe. Emmanuel Macron est-il en mesure de comprendre que l’opposition à sa réforme est profondément ancrée dans la société ? Lui et ses lieutenants brandissent facilement le mot légitimité. Eh bien, désormais la légitimité est dans la rue. Elle gronde pour la défense des conquêtes sociales d’hier et pour l’avenir de la dignité de tous ceux qui luttent vraiment pour faire triompher la justice sociale. Le printemps approche à grands pas. Il promet d’être chaud !

Yann Fiévet

Le Peuple Breton – Mars 2023

 Jupiter est-il vraiment sain d’esprit ?

Une mise en garde s’impose d’emblée : nous allons ici être quelque peu irrévérencieux à l’encontre du Président de la République française. Cela nous est sans doute déjà arrivé, du reste comme envers ces illustres prédécesseurs avec un soin très attentif pour Nicolas Sarkozy au temps glorieux de son firmament. Il va être question cette fois de santé mentale, évidemment dans le cadre particulier d’une éminente fonction, celle du chef d’un Etat démocratique qui laisse à son dirigeant suprême des coudées excessivement franches. Ces dernières semaines nous ont apporté leur lot de faits on ne peut plus troublants quant à l’exercice de la fonction présidentielle dans notre pays. Cela ne devrait pas manquer de nous inquiéter.

Si Emmanuel Macron était un homme ordinaire la question que nous allons soulever ici ne se poserait tout simplement pas . En effet, dans l’absolu Emmanuel Macron n’est pas fou, son état mental ne relève, pour ce que nous pouvons en connaître, d’aucune des pathologies psychiatriques répertoriées et traitées par le corps médical. Ainsi, on pourrait appliquer à Emmanuel Macron, un homme parmi d’autres, les expressions « un esprit sain dans un corps sain » ou « sain de corps et d’esprit ». Alors, où est donc le problème ? Et bien voici : Emmanuel Macron n’est pas actuellement un citoyen ordinaire. Il est Président de la République ! La question qui nous occupe doit donc être de ce fait posée de façon non pas absolue mais relative. Elle doit ainsi être envisagée relativement aux lourdes charges qu’implique l’exerciice de la fonction extraordinaire dont il a à s’acquitter au quotidien. La Constitution de la Vème République donne à l’hôte de l’Elysée des pouvoirs très étendus dont aucun de ses homologues européens peut s’enorgueillir. De surcroît, par un exercice solitaire assumé de la fonction présidentielle Emmanuel Macron a encore accentué le caractère exorbitant de son pouvoir. Il est donc légitime, dans ces conditions exceptionnelles, d’interroger la capacité du Président de remplir avec sérénité, discernement et distance critique ce fardeau inhabituel.

Voici donc ce qui nous trouble dans le comportement déconcertant de Jupiter ces derniers mois sans que cela n’occulte les multiples incongruités intervenues au cours de son premier quinquennat. Emmanuel Macron nous a habitués à changer souvent d’avis au point même de surprendre le cercle de ses fidèles lieutenants. L’inconstance n’est certes pas une pathologie mais s’agissant d’un Président de la République la chose peut confiner à l’indécision maladive et au manque de clairvoyance. En décembre dernier, Emmanuel Macron s’est rendu à deux reprises à Doha, capitale du Qatar, pour assister, à quelques jours d’intervalle, à des… matches de football. Certes il s’agissait de la Coupe du Monde et l’ équipe de France était à chaque fois l’une des deux équipes sur le terrain. Signalons, pour commencer, qu’aucun autres chef d’Etat ou de Gouvernement des huit pays en lice à partir des quarts de finale de la si grandiose compétition n’a fait le déplacement, pas même le Président de l’Argentine où le football est pourtant une quasi religion. Rappelons ensuite que notre Président avait déclaré face aux vives critiques entourant les désastreuses conditions de préparation de cette compétition « planétaire » qu’il convenait de ne pas politiser le sport. Au soir de la demie finale France-Maroc la politique était en effet ailleurs : un sommet européen se tenait sur notre continent. Qu‘importe ! Le sport dépolitisé avant tout : Emmanuel Macron demanda au chancelier allemand de le représenter lors dudit sommet ! Enfin, avant même la fin de la compétition, Jupiter emboîta le pas du président de la FIFA, éminente organisation mafieuse, en déclarant solennellement que le Qatar organisait une belle Coupe du Monde. Il espérait alors que la France allait conquérir sa « troisième étoile », tout comme les vingt millions de fans rivés à leur écran le soir de la finale. Il misait sans doute sur le fait que cette troisième étoile rendrait surtout plus facile la rude « bataille des retraites » qui l’attendait à la rentrée. Pas de politique ! Est-il besoin de commenter plus avant cette calamiteuse séquence ?

Le 1er Janvier, le Président de la République eut une chance de se racheter une conduite politique digne de ce nom. Encore aurait-il fallu qu’il décide d’aller à Brasilia pour la cérémonie officielle d’investiture du Président Lula. Alors que dix-sept de ses homologues se sont rendus au Brésil pour la circonstance notre Président préféra y déléguer un sous-fifre. Après les quatre années de la quasi dictature de Bolsonaro la présence d’Emmanuel Macron pour saluer le retour du Brésil vers la démocratie eut été plus qu’un symbole. Cela aurait eu assurément plus d’allure que la remise de la légion d’honneur au Maréchal Sissi responsable de la sanglante répression qui sévit en Egypte depuis des années. On a quand même bien le droit de choisir ses interlocuteurs ! Emmanuel Macron conclut l’année de sa triomphale réélection par les traditionnels vœux aux Français. Il y lança une affirmation proprement hallucinante : personne ne pouvait prévoir la crise climatique. Il précipita ainsi brutalement et pêle-mêle dans les oubliettes de l’Histoire le Sommet de la Terre tenu à Rio en… 1992, le protocole de Kyoto de 1997, la célèbre phrase de Jacques Chirac (la maison brûle et nous regardons ailleurs) prononcée en 2002 à Johannesbourg, la Cop 21 tenue à Paris en décembre 2015 et toutes celles qui la précédèrent ou la suivirent, tous les rapports du GIEC dont chaque nouvelle édition est plus alarmante que la précédente, la Convention citoyenne sur le climat organisée en France en 2020-21 et qu’il avait lui-même voulue, etc. Un homme dont le cerveau tourne rond peut-il au tournant de l’année 2023 proférer une pareille idiotie ? Lors du réveillon qui suivit Jupiter s’est peut-être fait sévèrement morigéner par Madame au point de ne pas oser s’envoler pour le Brésil le lendemain matin. Là-bas, l’Amazonie n’a pas fini de souffrir des innombrables incendies allumés par Bolsonaro qu’Emmanuel Macron avait pourtant un jour dénoncé dans un moment de franche lucidité.

On se souvient que lors de son ascension vers sa première « élection Emmanuel Macron se réclamait de la pensée du grand philosophe Paul Ricoeur qu’il avait du reste rencontrer. Nombre d’intélectuels et d’éditorialistes avaient à l’époque salué ce signe évident de culture qui laissait augurer des lendemains prometteurs pour notre pays. Pourtant, on cherche en vain depuis près de six ans dans la politique pratiquée par le prétendu disciple la moindre trace de la pensée du maître. L’élève a probablement lu en diagonale les ouvrages majeurs de Ricoeur. La diagonale du fou ironiseront les esprits les plus chagrins. Soyons plus sobres tout en restant dans la métaphore : le second quinquennat de ce Président tellement imprévisible va être long et pourrait le mettre « échec et mat » avant son terme. Les paris sont ouverts… Pour l’heure, nous sommes sûrs d’une chose : Jupiter va encore nous surprendre.

Yann Fiévet

Le Peuple Breton - Février 2023

 Automne silencieux

L’automne va bientôt prendre fin. Il s’annonçait tumultueux. Il fut plutôt calme. On pourrait s’en réjouir. On aurait tort. Les raisons qui laissaient augurer un automne agité en France ne se sont pas effacées comme par magie. Leurs débouchés possiblement bruyants continuent de couver sous de trompeuses apparences. Sous un calme apparent se cachent en effet des velléités de troubles – qui s’expriment sporadiquement ici ou là - qu’il convient d’étudier attentivement. Parmi les quelques réjouissances à bon compte nous pouvons pointer un automne printanier, le plus doux de tous les temps. Comme il fut agréable de vivre dehors si tard dans la saison ! Et comme nous allons le payer cher demain, plus cher encore que ce que nous payons déjà à la crise climatique. L’immobilisme politique dont nous pouvions espérer sortir après la victoire à la Pyrrhus de Jupiter lors des dernières élections nationales devrait inciter à un sursaut déterminé du corps social. Le pouvoir en place semble cependant Prêt à y résister durement. En mots et en actes.

L’automne s’est déroulé comme s’était déroulé le printemps : le Président Macron et son Gouvernement restent sourds à la nécessité de transformer les règles du jeu de l’action publique. Les promesses d’un « monde d’après » plus doux avec les faibles et moins indulgent avec les forts, plus attentif aux multiples dégâts infligés aux divers écosystèmes par une économie prédatrice sans limites tangibles sont désormais loin derrière nous. Une autre promesse du monarque, celle de moins gouverner perso et avec moins de mépris, s’est elle aussi bien vite envolée. Elle n’a duré que l’espace d’un été torride où comme à l’accoutumée il ne s’est pas passé grand-chose hormis une « intense réflexion » sur les attributions floues d’un Conseil National de la R. qui a vite fait flop à la rentrée. Au Palais Bourbon, où le Président de la République ne dispose que d’une majorité relative, la Première Ministre détient l’arme redoutable du 49-3. Elle le dégaine plus vite que son ombre ! Cela tue le débat démocratique mais permet d’avancer tout droit, sans sourciller.

Ainsi, pour l’adoption de la partie recette du budget de la Sécurité Sociale ou celle de la réforme de l’assurance-chômage. Par ailleurs, l’Elysée et Matignon sont parfaitement à l’unisson pour refuser d’envisager la taxation des superprofits des groupes industriels et commerciaux engrangés ces dernières années. Allons, les profiteurs ne sont pas les actionnaires de ces groupes mais les chômeurs qui refusent de « traverser la rue » pour se faire gracieusement embaucher. Les entreprises vont bien finir par créer les centaines de milliers d’emplois attendus depuis si longtemps. Un peu de patience ! Et, restons calmes ! Rien de nouveau donc sous le soleil de l’automne ou sous les lambris du pouvoir.

Faute de pouvoir donner un grand coup de pied dans la fourmilière pseudo démocratique les citoyens encore politisés – contrairement à ce que l’on prétend trop souvent – s’expriment ailleurs et cherchent à inventer de nouvelles formes de lutte. À ce titre, l’automne n’a pas été vraiment silencieux. Encore faut-il orienter ses oreilles - et son regard - dans la bonne direction. Sur le terrain social l’imagination n’est certes pas vraiment de mise : blocages de raffineries sans entraves majeures, grèves de transports assez peu suivies, manifestations de rues plutôt clairsemées, etc. L’embrasement que certains espéraient n’est pas venu. Nous n’en déduirons pas que les « gens du bas de l’échelle » sont satisfaits de leur sort. Pour la plupart, ils ne croient plus aux formes traditionnelles de lutte aux maigres résultats depuis trop longtemps. Ils craignent aussi sans doute d’être dangereusement maltraités par une police surarmée. C’est en revanche sur le terrain des luttes écologiques que poussent de salutaires radicalités. Elles sont non violentes, ne recherchent aucunement l’affrontement avec les « forces de l’ordre » établi, évitent de répondre aux provocations de ces dernières. Elles privilégient la réalisation d’opérations symboliques représentatives des dangers gravissimes qui pèsent sur notre société et la nature qui la porte. Il s’agit ainsi de frapper l’opinion publique jugée par trop léthargique. À l’occasion, ces actions symboliques s’accomplissent lors de rassemblements festifs. Ce fut le cas le mois dernier à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres où le « scandale des méga-bassines » a mobilisé des milliers de gens inquiets de l’appropriation privée – par et pour l’agriculture intensive - de la ressource en eau. Une lutte pour la vie !

C’est à propos de l’évènement susnommé, au cours duquel fut démontée une canalisation devant alimenter une méga-bassine vaste comme plusieurs terrains de football, que Gérald Darmanin, Ministre de l’Intérieur, nous a asséné le terme « éco-terrorisme ». Il range probablement sous le même vocable les actions du collectif Ultime Génération qui cible – sans les dégrader – des peintures ancestrales célébrant la nature dans de prestigieux musées ou le collectif Dernière Rénovation qui bloque des routes pour réclamer un plan enfin sérieux d’isolation thermique des bâtiments.

C’est déjà lui qui parlait en 2020 de « l’ensauvagement de la société ». Où est la vraie sauvagerie, où se situe la véritable terreur, si ce n’est dans les multiples dégâts mortifères engendrés par nos modes de production et de consommation ? On a encore franchi un cran dans la tentative de provoquer l’effroi de nos concitoyens lorsque plusieurs « élus ou anciens élus de la République ont risqué dans une tribune de la presse écrite le terrible « éco-totalitarisme ». Parmi ces acharnés défenseurs du modèle économique dominant destructeur du « bien commun » on compte Christophe Castaner. Assurément, un fin connaisseur puisqu’il précéda Gérald Darmanin à l’Intérieur. On prépare là à l’évidence la criminalisation des divers mouvements hostiles à la poursuite incontrôlée du capitalisme débridé. Nos dirigeants qui de fait ne dirigent pratiquement plus que par procuration des lobbies envisagent de légiférer afin que désormais les auteurs des actes de ce « nouveau terrorisme » soient lourdement sanctionnés. L’Italie peut du reste leur fournir un excellent exemple : Giorgia Meloni, dès son arrivée aux affaires, a instauré une loi par laquelle ces actes insupportables au regard de l’ordre public sont maintenant punissables de six années de prison. Si l’éco-totalitarisme est une vue de l’esprit – sauf à considérer que le préfixe éco signifie économie et non écologie – le fascisme, lui, frappe bel et bien à nos portes. Alors, il va nous falloir être moins silencieux. Nous devrons même faire beaucoup de bruit.

Yann Fiévet

 Sobriété ?

Nous le savons depuis son début : le macronisme est un illusionnisme. Le discours du mage répond en écho, par le choix de mots-valises lancés comme des slogans, aux soubresauts de la météo sociale ou au chaos climatique. C’est ainsi que Macron 2.0 s’est tapageusement ouvert avec le mot sobriété. Comme son devancier mis sur orbite lors de Macron 1.0, le déjà oublié « souveraineté » forgé dans la sidération de la pandémie de Covid, il est lancé comme une évidence et allègrement gonflé par la caisse de résonnance des médias de masse toujours soucieux de se renouveler. Il faut cependant étudier de près les dessous de ce dernier – mais non ultime – truisme jupitérien. D’autant qu’il est ânonner au cordeau comme à l’accoutumée par tous les ministres et sous-ministres dans un chorus impeccable . Il est bien sûr justifié par quelques sentences affirmées péremptoirement, à commencer par « la fin de l’abondance ».

Comme il y a loin de la coupe aux lèvres il y a loin du discours emphatiques aux actes tangibles. Justement, souvenons-nous du discours vigoureux de Jupiter au printemps 2020. Nous étions selon lui « en guerre » contre ce nouveau virus venu d’ailleurs. Nous devions « nous réinventer ». La réinvention ainsi promise devait passer par la conquête de « notre souveraineté » lorsque nous sommes trop dépendants de l’extérieur pour nos approvisionnements essentiels voire vitaux. En l’occurrence, on cibla illico les masques et les médicaments basiques. Nous manquons cruellement de masques ? Chiche, M. le Président, relevons le défi ! Une coopérative bretonne s’attela rapidement à cette tâche de salubrité publique. Deux ans et demi plus tard elle jette l’éponge faute du soutien de l’Etat. Revenons sur cette affaire où Emmanuel Macron est bel et bien tris la main dans le sac à… mensonges. L’aventure avait débuté au mois de mars 2020 dès le début de la pandémie de covid 19. A ce moment-là tout le monde prenait conscience de l’impossibilité de fournir à la population des masques de protection sanitaire faute d’avoir, notamment, empêché la disparition de la production en France, en particulier la délocalisation de l’usine de masques de Plaintel dans les Côtes-d’Armor . Les fondateurs de la « Coop des Masques » étaient donc animés par la volonté de bâtir un outil industriel coopératif permettant de retrouver une réelle souveraineté de production d’équipements sanitaires. Le choix du modèle économique retenu permettait de se mettre à l’abris de décisions de délocalisation ultérieures. Dès le mois de juillet 2020 la coopérative fut fondée et pouvait commencer à produire au début de l’année 2021, une fois la mise en route des machines achetées en France. Rapidement, elle a pourtant dû faire face à un handicap qui va lui être fatals. Les importations françaises de masques chinois sont toujours restées à un niveau très élevé (95% en 2022). L’Etat en est le premier fautif : ses achats se font principalement en Chine. Ainsi la Coop des Masques a perdu le marché de la Préfecture de Paris (septembre 2022). Et celui de l’armée en mai 2022. La liquidation judiciaire de la Coop des Masques prononcé par le tribunal de commerce de Saint-Brieuc vient de sonner la fin d’une aventure humaine et solidaire digne du « monde d’après ». L’Etat tenait là une excellente occasion de « se réinventer ». Il préfère cependant continuer à importer des masques à bas prix, qui plus est sans se donner les moyens d’en vérifier vraiment la qualité. Le monde d’hier est terriblement tenace !

Pour la souveraineté on repassera donc. Ce fut un beau slogan, l’espace d’un printemps. Il a fait son temps. C’est généralement le lot des slogans. Place à la sobriété ! Le mage ne quitte jamais la scène. Il se doit d’entretenir le feu de son discours à l’intention d’un auditoire pourtant de plus en plus restreint. Pour devenir pleinement sérieux le discours devrait considérer de façon inflexible que la souveraineté et la sobriété sont intimement liées : elles ne peuvent advenir sans remise en cause radicale des règles de fonctionnement du monde d’hier. Tout en proclamant la sobriété on s’acharne à vouloir construire l’autoroute de contournement de la ville de Rouen que toutes les instances politiques locales dénoncent en raison de son coût exorbitant, de l’impact sur l’environnement qu’elle impliquerait, de l’attachement calamiteux à la « civilisation du tout bagnole » que l’on s’acharne ainsi à entériner alors même que cet attachement a opportunément commencé de reculer. Tout en proclamant la sobriété on s’apprête à implanter au Havre un terminal méthanier permettant de prolonger l’exploitation d’une énergie d’origine fossile, projet voulu par Edouard Philippe, maire de la ville, qui a en vue bien d’autres horizons que ladite sobriété. Tout en proclamant la sobriété on laisse le géant Total développer le mégaprojet pétrolier EACOP en Tanzanie, projet aux coûts humains, climatiques et environnementaux Désastreux comme un récent rapport indépendant l’a de nouveau révélé. Il semble là que l’on se moque de la solidarité des populations africaines comme d’une guigne. Que voulez-vous, Total est tout de même l’un de nos meilleurs fleurons, pourrait sobrement renchérir Bruno Lemaire !

La sobriété, pas plus que la souveraineté, ne se décrète. Elle s’exprimera, le cas échéant, par des actes de grande ampleur. Nous serions alors bien loin de « l’écologie du brossage de dents » que l’on a moqué il y a déjà près de quinze années. La sobriété sauce Macron va nous exposer à deux grands risques aux conséquences certes différentes : l’austérité dramatique pour les plus modestes de nos congénères que l’on cherche plus ou moins sournoisement à culpabiliser ; l’hébriété débridée des plus nantis qui jamais ne se sentent coupables de quoi que ce soit. Il s’agit là d’une curieuse vision de la société. Et, cela aussi nous le savons depuis le début de la funeste entreprise macronienne.

Yann Fiévet
Octobre 2022

 Mieux vaut Qatar que jamais !

Disons-le tout net : il y a quelque chose de pourri au royaume du football. Et pourtant ce jeu – le terme est devenu on ne peut plus cocasse à cet endroit – continue d’année en année de gagner en audience planétaire. Sa prochaine coupe du Monde organisée au Qatar dans quelques semaines ne fera malheureusement pas exception à l’intengible règle. Il y aurait pourtant de quoi mettre un frein au stupéfiant emballement. On le sait d’ores-et-déjà, l’épreuve est un scandale à de nombreux titres. Mais, les quelques menaces de boycott vont faire flop. Les décideurs politiques et commerciaux des quatre coins du globe vont mettre le paquet pour servir copieusement une fois encore l’opium du peuple. Les foules décérébrées par l’étonnante passion du foot médiatiquement entretenue seront prêtes, nombreuses et survoltées, à vibrer pour quelques moments fugaces dans des lieux adéquats propices à l’engouement contagieux ou sur d’innombrables canapés de salons domestiques. Spectateurs impuissants des multitudes domestiquées, nous sommes forcément sans aucune illusion. Nous allons cependant nous défouler ici contre ce monstre qui ne dit pas son nom quand il ne s’igniore pas tout bonnement.

Au début était le choix du Qatar. La décision d’organiser une Coupe du Monde de football en un lieu aussi incongru dépasse évidemment l’entendement. Il ne faut donc pas chercher dans le processus de désignation du Qatar la moindre once de raison. On ne peut comprendre cette incongruité crasse si l’on fait mine de prendre la FIFA pour une instance transparente et démocratique. La Fifa, nous le savons depuis longtemps, n’est ni transparente ni démocratique. Nous pouvons du reste en dire autant du CIO en matière d’organisation des Jeux Olympiques. Lorsque le Qatar fut choisi on savait qu’il ne disposait d’aucun stade, qu’il faudrait les faire jaillir de terre en quelques années, qu’il n’est pas possible de jouer au ballon sous 50 degrés de température, que le richissime émirat n’est en rien une « nation du football » tout comme la vaste région qui l’environne. Les décideurs savaient tout cela et sont passés outre. Richissime émirat ? Là est la clef du choix qui de fait n’en est pas un. Le Qatar s’est acheté une Coupe du Monde ! Pour ce faire il fallait des vendeurs, les dirigeants de la FIFA, et des individus acceptant d’être achetés, les représentants d’un nombre suffisant de nations pour faire une majorité au moment du vote final. On ne saura jamais quel fut le montant, en numéraire et/ou en nature, du graissage de patte. Il est nécessairement variable puisque certains ont piteusement bradé leur vote tandis que d’autres ont été probablement très gourmands. En dehors du « monde du football » on s’étonna un peu de ce choix curieux mais pouvait-on vraiment cracher sur l’argent du Qatar qui après tout n’a pas plus d’odeur que partout ailleurs ? Les droits de l’Homme – et surtout ceux des femmes – sont bafoués au Qatar ? On en a vu d’autres : on a bien organisé, par exemple, la Coupe du Monde 1978 en pleine dictature argentine où les opposants au régime de Videla étaiient torturés parfois à quelques centaines de mètres des stades. Bref, inutile de revenir en arrière, de demander l’annulation du vote saugrenu. Du reste, personne ne pouvait exprimer une telle demande : la FIFA est une organisation supranationale. Mafieuse mais souveraine. En avant toute !

Rapidement les chantiers quasi pharaonique démarrèrent bon train. On importa des quatre coins de l’Asie la main d’œuvre corvéable à souhait dont la pétromonarchie ne dispose évidemment pas, des dizaines de milliers d’ouvriers sans grande qualification, mal payés ou pas payés du tout, sévèrement encadrés, exposés à des conditions de travail très dangereuses, logés et alimentés de façon fort précaire, etc. En l’absence presque totale de législation sur le travail ce traitement particulier d’une main d’œuvre que Marx aurait probablement intégré à sa catégorie du lumpenprolétariat promettait un désastre que les dirigeants de la FIFA et leurs nombreux complices préférant regarder ailleurs pouvaient aisément imaginer. Très vite les chiffres de la mortalité et les accidents du travail invalidants se multiplièrent. On dépasse désormais les dix mille morts sur ces épouvantables chantiers. Dans bien des cas, leur famille qui vit loin de ce nouveau paradis sur terre ne savent même pas ce qu’ils sont devenus. Le moment venu – dont nous sommes désormais très proches – les stades de la honte seront rutilants ! Rutilants et climatisés. L’argent que le Qatar s’est dispensé de consacrer à un traitement digne de la main d’œuvre venue de loin a été dépensé sans compter en installations destinées à abaisser drastiquement la température des enceintes sportives. Les virtuoses du ballon rond vont ainsi pouvoir évoluer librement – et sans doute la conscience tranquille – dans une douce atmosphère comme s’ils n’avaient jamais quitté leur région tempérée d’appartenance. Tout comme les heureux privilégiés qui auront chèrement gagné le droit d’assister aux divers matches de la surréaliste compétition. Le climat n’aura plus qu’à bien se tenir !

Il y aurait bien d’autres choses à dire à propos de cet énorme scandale. Tout ou presque a été plus ou moins raconté ces derniers mois – une fois qu’il était trop tard – dans divers médias, y compris au sein de rédactions habituellement peu critiques en ce qui concerne les sujets qui fâchent vraiment. On est bien sûr un peu fâché que cela se passe ainsi mais comme cela se passe très loin de chez nous la fâcherie passera au bon moment. Le bon moment où, oubliant toutes les querelles, il conviendra de laisser toute la place à « la glorieuse incertitude du sport » comme disait l’autre. Un récent sondage affirmait qu’un Français sur deux avait l’intention de ne regarder aucun match du tout prochain Mondial. Cela signifie qu’une personne sur deux regardera au moins un match. Combien de ceux qui expriment aujourd‘hui une intention de boycott céderont quand même à la tentation à l’instant décisif ? Parions que les ventes de grands écrans va une fois encore exploser. Et l’inflation n’y pourra rien non plus. Le quidam moyen se rassure : tous comptes faits, mieux vaut une Coupe du Monde au Qatar que pas de Coupe du Monde du tout !

Yann Fiévet
Septembre 2022

 Le cœur n’y est plus ?

Le travail est toujours en crise. Une nouvelle poussée de celle-ci est en cours depuis beau temps. Ce ne sera évidemment pas la dernière. A la veille d’une rentrée sociale qui promet d’être cette année particulièrement houleuse il convient de regarder les choses bien au-delà des apparences trompeuses. La Droite au pouvoir s’indigne que « les Français ne veulent plus travailler » alors que tant d’emplois s’offrent à eux et, par conséquent, restent dramatiquement vacants. En revenant une nouvelle fois sur cette vielle marotte qui décidément lui colle à la peau la Droite est aveugle à un fait de plus en plus patent : le rapport des citoyens au travail est bel et bien en train de changer. Et, contrairement à ce qu’affirment certains observateurs pressés la pandémie du coronavirus n’en est pas la cause mais le simple révélateur. Elle a mis en lumière – et probablement accéléré – un phénomène qui couvait bien avant le confinement de mars 2020. Ul va bien falloir qu’elle déchante cette Droite qui n’avoue pas son nom, qui se parent des artifices grossiers – pour ne pas dire grotesques – d’une Renaissance frelatée ou d’un pâle Horizon. Elle déchantera comme elle l’a souvent fait, au gré d’un nouveau soubresaut de l’Histoire sociale.

La mauvaise volonté prétendue des Français à l’égard du travail touche désormais de très nombreux secteurs si ce n’est toute l’économie. Elle n’épargne pas le secteur public. On ne trouve plus de profs, d’instits, d’infirmières, d’aide soignantes, de greffiers, de gardiens de prison, etc. Il ne manquerait plus que l’on ne trouve plus de policiers pourrait bientôt cauchemarder Gérald Darmanin, notre meilleur père fouettard. Dans la sphère marchande, de nombreux emplois ne trouvent pas preneur malgré les encouragements verbaux appuyés et les tentatives de culpabilisation du nouveau Gouvernement promptement relayés par les médias qui savent ce que travailler veut dire. Ces emplois non pourvus sont le plus souvent ceux que Jupiter soi-même nommait, au plus fort de la pandémie, « de la deuxième ligne » parce qu’ils passent quand même après « nos dévoués soignants. Nous, nous préférons considérer que les heureux titulaires de ces emplois sont les soutiers de l’économie de plus en plus gagnés par l’ubérisation. Ils sont les premiers de corvée ! Ce qui devrait un peu embêter ceux qui croient sérieusement à la thèse du manque d’envie de travailler c’est que le phénomène n’est pas propre à la France. Il touche d’autres pays européens et pourrait encore s’étendre dans un avenir proche. Las, on nous serine régulièrement, par l’entremise des mêmes médias, que le gouvernement Borne s’est mis ardemment au travail, qu’il nous prépare pour la rentrée du Parlement en octobre toute une série de dispositifs réglementaires destinés à remettre tout le monde au boulot après la récréation de la pandémie. Objectif final : le plein emploi en 2027 ! Gardons-nous de rire, ils espèrent bien y parvenir, coûte que coûte ! La meilleure définition du Capitalisme n’a-t-elle pas toujours été celle-ci : comment faire travailler les pauvres malgré tout ?

Devenons enfin sérieux. Les Français, dans leur très grande majorité, n’ont pas décidé de ne plus jamais travailler. Certains d’entre eux, de plus en plus nombreux, ne sont tout bonnement plus prêts à travailler à n’importe quel prix. Ils veulent bien travailler mais ne veulent plus être honteusement surexploiter. S’il y a une leçon à tirer de la pandémie du point de vue du travail c’est qu’elle a amplifié les inégalités. Alors le sentiment s’est répandu que ce sont toujours les mêmes qui s’en tirent et toujours les mêmes qui trinquent. On savait bien sûr cela auparavant quand on était du mauvais côté du manche mais on avait encore du cœur à l’oubrage. Désormais, on va de plus en plus souvent rechigner. Il va falloir nous encourager autrement que par des paroles sentencieusement prononcées. Evidemment, le « monde du travail » s’est disloqué longtemps avant la pandémie. L’ultralibéralisme a fait son œuvre. Il a progressivement appauvri les métiers de la santé, de l’éducation ou de l’action sociale et livré sans grand ménagement les salariés de l’économie marchande à l’impitoyable concurrence des pays à bas coûts de production. Depuis quarante ans, l’Etat et les assemblées démocratiquement élues qui se sont succédées, au gré des humeurs politiques, ont patiemment détricoté le canevas de l’intervention publique conçu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ce fut la revanche du grand patronat qui avait été contraint au compromis salarial pendant plus de trente ans. Peut-être arrivons-nous aujourd’hui de nouveau à la fin d’un cycle : à force de subordonner tous les rouages de la société à la loi d’airain du Marché l’on buterait sur l’impossibilité d’aller plus loin sauf à mettre en place un système hyper-répressif d’organisation socio-économique. Sur ce dernier point on peut faire confiance à la Droite pour tenter le coup ! Le patronat qui a besoin de trouver de la main d’œuvre pour occuper ses emplois ne va pas forcément attendre un tel durcissement. Il a du reste commencé à desserrer l’étau de la contrainte salariale afin de faire revenir vers lui les salariés devenus rétifs. C’est timide pour le moment mais cela fait doucement tache d’huile.

La réalité qui nous attend sera la combinaison d’un réalisme patronal de circonstance et de la rectitude du pouvoir politique en place sourd aux légitimes demandes du corps social. S’agissant des salariés qui dépendent directement de lui l’Etat pourrait donner l’exemple d’une vraie volonté de redressement des dommages qui leur ont été infligés depuis si longtemps. En cette rentrée, de nouvelles promesses ont été adressées aux professions en souffrance à l’Ecole et à l’hôpital. Si elles se concrétisent, il est fort probable que le compte n’y sera pas. On est descendu tellement bas dans la décrépitude de ces métiers essentiels à la nation que la pente va être difficile à remonter. De nombreux secteurs de l’activité marchande ont vu fleurir ces derniers mois des mouvements de grève revendicative – dont les médias de masse nous parlent fort peu – qui pourraient grossir à la mesure du dépit que la surdité du gouvernement va probablement susciter. Le cœur n’y sera donc toujours pas.

Yann Fiévet
Août 2022

 Drôle de chambre

Le ronron parlementaire du macronisme est terminé ! La vie politique en France va probablement en être bouleversée. A la lumière des résultats du scrutin du second tour des élections législatives du 19 juin dernier Jupiter semble découvrir ces faits avec stupeur. Il était peut-être le seul à croire que les traits officiels de son éminente personnalité – obsessionnellement montés en épingle jusqu’à l’overdose par ses fidèles lieutenants récitant partout où l’on voulait encore les écouter les mêmes éléments de langage – suffiraient pour qu’une majorité absolue miraculeuse sorte des urnes. Dans l’affolement général de son camp il tente de sauver ce qu’il lui reste de meubles, et cela d’étonnante manière, pour ne pas dire délirante. Cependant, il est le premier responsable de la situation dans laquelle le pays est plongé. Enfin, disons-le tout net, cet homme n’est pas réformable. Sa pratique de la démocratie le prouve tous les jours, y compris même entre les deux tours des Législatives.

La Chambre des députés sortie des urnes le 19 juin est presque baroque. Alors que la Proportionnelle n’existe toujours pas en France la composition de la nouvelle Assemblée nationale nous inciterait à croire le contraire. Deux alliances de circonstance se sont nettement détachées à l’issue du scrutin : Ensemble d’abord à qui il manque 45 sièges pour atteindre la majorité absolue dont rêvait Emmanuel Macron, la NUPES ensuite, mais très loin des espoirs que les résultats du premier tour avaient laissé entrevoir. Ces deux alliances résisteront-elles au feu des débats qui ne manquera pas de s’intensifier au fil des prochains mois dans l’hémicycle ? Deux formations semblent a priori plus homogènes : le Rassemblement National et Les Républicains. Cette dernière formation est en fait divisée quant à l’attitude à adopter face à la politique que proposera le chef de l’Etat : opposition véritable ou accommodement relatif. Avec ses 90 députés tous bien rangés derrière elle Marine Le Pen est sans doute la grande gagnante de ce scrutin. Le drame pourrait commencer là ! Au sein d’une Assemblée aussi fragmentée le chahut semble d’ores-et-déjà garanti. Nombre de commentateurs vont plus loin encore en annonçant carrément le chaos parlementaire qui se profile. Pourtant, une remise en perspective historique montre que les institutions de la Ve République ont été conçues pour permettre de suppléer à l’absence - pensée à l’origine comme quasiment structurelle - d’une véritable majorité de gouvernement. Les Législatives de 2022 ne signent donc probablement ni la fin de la Ve République ni l’avènement d’une nouvelle République. Le « camp présidentiel » va cependant devoir sacrément changer de posture générale. On touche alors à la faiblesse congénitale du macronisme : l’incapacité à faire vraiment de la politique.

Le monarque est déboussolé, pour ne pas dire qu’il perd la boule. Quarante-huit heures après la débandade dans laquelle il perdit ses plus fidèles lieutenants, recouvrant ses esprits, il décide de recevoir en audience séparée les chefs de toutes les organisations politiques. Il leur soumet alors l’idée totalement surréaliste de constituer un Gouvernement d’union nationale. Tous refusèrent évidemment ce scénario inattendu. Nous avons affaire ici à une improvisation des plus pathétiques. Il ne s’agit en aucune façon d’évoquer avec les adversaires le contenu de la politique à mener pour commencer de régler les problèmes urgents du pays mais d’imaginer comment les associer à la crise politique qu’il a lui-même provoquée par une pratique autocratique du pouvoir durant cinq ans. On peut ajouter la cocasserie au pathétique : entre les deux tours des Législatives Emmanuel Macron avait dramatiquement agité le chiffon rouge tentant ainsi d’effrayer les électeurs qui pourraient très imprudemment voter pour les partis extrémistes « non républicains ». Quelques jours plus tard il entendait pourtant les embarquer dans une aventure commune. Cette tentative saugrenue ayant échoué il somma tous ses adversaires dès le lendemain lors d’une intervention télévisée de dire ce qu’ils proposaient pour le pays, jusqu’où ils étaient prêts à aller. En quelque sorte, faîtes-moi un programme, j’y prendrai ce que bon me semblera. Probablement, comme avec les Cahiers de doléances du « grand débat » consécutifs de la crise des Gilets Jaunes ou du rapport foisonnant issu de la Conférence citoyenne sur le climat. C’est-à-dire rien ou presque rien. Personne n’adhère non plus à cette nouvelle tentative de se soustraire à sa responsabilité. Le souverain en fut sûrement étonné. Bref, on ne se refait pas ! Du moins pas en si peu de temps.

A l’évidence, le Président de la République, réélu largement… par défaut en avril dernier, n’a pas de plan B. Son pan A, élaboré au cours de la campagne de l’élection présidentielle, resté pour le moins flou, évoluant au gré des sondages, n’est pas présentable devant la nouvelle Assemblée où ses mesures phares seraient illico recalées. Auparavant, il faudra qu’Emmanuel Macron ait nommé le premier ou la première ministre – Borne 2 ou Tartempion 1 – qui devra réussir à former un nouveau Gouvernement. Une vraie gageure en ces temps de disette politique ! La gageure vaincue, le nouvel hôte de Matignon ira devant « la représentation nationale » pour prononcer son discours de politique générale. On entend déjà gronder le Palais Bourbon. Les éditorialistes patentés et tous ceux qui les suivent sans barguigner craignent un chahut obstructif. Ils oublient superbement que l’histoire du Parlement nous enseigne que souvent des débats houleux ne compromettaient en rien le travail constructif des assemblées. Ils auraient dû remarqué, au contraire, que sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron les députés ont produit très peu de textes législatifs – beaucoup moins, par exemple, que sous François Hollande – alors même qu’un calme presque olympien régnait la plupart du temps dans l’hémicycle. C’est que les députés macronistes ont peu travaillé, que la quasi-totalité des textes votés par l’assemblée émanait de l’exécutif. Doit-on se plaindre que le pouvoir législatif des députés puisse jouer désormais un plus grand rôle ? Nous avons là une preuve de plus que sous Macron 1 le présidentialisme a atteint des sommets vertigineux. Et, cet homme, un temps perçu comme providentiel, ne sait sûrement pas faire autrement. D’où la panique actuelle à bord du navire jupitérien qui va devoir, de surcroît, affronter un nouvel écueil : trouver en ses rangs un Président de l’Assemblée à la hauteur des enjeux difficiles annoncés.

Concluons en relatant une anecdote tellement significative de la « méthode Macron ». Entre les deux tours des Législatives il a recyclé Jean-Michel Blanquer, fidèle parmi les fidèles, largement battu à Montargis au premier tour, en faisant créer pour lui, de toute pièce et sur mesure, un poste de professeur de Droit au sein de l’université Assas. Et, cela au mépris de toutes les règles en vigueur en matière de nomination des enseignants de l’enseignement supérieur. Qui a dit que la Nation manquait d’argent pour l’Education ? Décidément, Jupiter est indécrottable !

Yann Fiévet
Juin 2022

 L’imagination bornée

Il est une évidence devenue un lieu commun : la crise écologique fait rage et s’aggrave en tous points de la planète. Les manifestations du dérèglement climatique se multiplient partout, la « météo » ne cesse d’afficher de nouveaux records, la biodiversité est en péril, la mortalité humaine et les migrations de populations dues à la forte dégradation des écosystèmes croissent d’année en année, etc. Une autre vérité, plus difficile à entendre, fait doucement son chemin : le modèle industriel dominant dans lequel nous vivons doit être transformé de fond en comble puisqu’il est la cause exclusive de la catastrophe écologique. Un tel chantier va évidemment demander beaucoup d’imagination. Mais, de surcroît, il va falloir que l’imagination, déjà à l’oeuevre dans maints endroits du bas de la société, s’empare en la matière du sommet du pouvoir politique de chaque nation. La France y jouera-t-elle son rôle ?

Dans le domaine crucial qui doit désormais nous occuper inlassablement l’imagination doit être illimitée. Ici, parler d’imagination bornée signifie donc entêtement à ne rien céder aux acteurs qui ne veulent surtout rien changer à leurs anciennes pratiques mortifères tout en prétendant le contraire grâce à des lobbies très influents et mensongers. Chaque gouvernement devra être composé afin de pouvoir orienter son action en faveur du nouveau paradigme écologique. Ainsi, de ce point de vue, tous les ministères devront se voir adresser une feuille de route conforme à cette aune-là afin que soit pleinement assurer la cohérence d’ensemble de l’action publique au service de la résolution de la crise écologique. Les ministres devront être choisis pour leurs convictions fortes en faveur de l’indispensable changement de politique à l’égard de l’environnement et non en raison de compétences éprouvées – et souvent montées en épingle – dans les arcanes souvent troubles de « l’ancien monde ». Les grands « projets structurants » d’aménagement du territoire tout comme ceux du développement industriel ou agricole devront faire l’objet de sérieuses études d’impact sur l’environnement confiées à des experts indépendants dont les conclusions devront être suivis d’effets tangibles afin, notamment, de mettre fin à la mascarade des « compensations » si mal nommées. Les médias les plus « en vue » devront s’adapter à la nouvelle doxa en cessant de donner systématiquement la parole aux représentants des intérêts dominants de l’économie prédatrice. La caricature en la matière se situe probablement du côté de la défense éhontée du « modèle agricole » productiviste à bout de souffle par la Présidente de la FNSEA qui a reçu ces derniers mois le renfort assez surprenant de l’universitaire Sylvie Brunel devenue ainsi l’implicite VRP de cette organisation droitière fièrement arc-boutée sur ces vieilles pratiques. Bref, il est temps de démasquer tous les tartufes qui ont depuis trop longtemps leur rond de serviette dans certaines stations de radios ou sur les plateaux de chaînes de télévision à large audience. Pour l’écologie, le temps de la Communication qui noie le poisson serait alors révolu pour laisser pleinement la place à la narration sincère des actions concrètes au périmètre sans cesse élargi.

Voilà ce qu’il conviendrait de faire. Et voilà ce qu’en France on ne fera pas. Car, l’imagination connaît une autre voie : celle bornée par des limites. Des limites imposées par les acteurs dominants du modèle industriel dont la grande habileté consiste toujours à faire quelques concessions mineures pour que surtout rien ne change jamais vraiment. Jupiter n’orchestrera pas le « mandat écologique » imprudemment promis lors d’une très brève envolée lyrique de soirée d’élection victorieuse. La baguette du chef n’est pas verte, son second mandat sera dans la lignée du premier. Il a flanqué sa Première Ministre, chargée de mettre en musique la « planification écologique et énergétique », de deux autres femmes au pedigree édifiant. Des profils qui font sans doute encore rêver dans le vieux monde mais sera un cauchemar dans le nouveau monde à construire. Amélie de Montchalin, nommée ministre de la transition écologique et de la Cohésion des territoires,, est diplômée de HEC et de Harvard, a travaillé au sein de BNP Paribas et d’Axa. Agnès Pannier-Runacher, désormais Ministre de la transition énergétique, est diplômée de HEC et de l’ENA. Elle a été inspectrice des finances, puis a travaillé au sein de la Caisse des dépôts et dirigé la Compagnie des Alpes, entre autres. Elle était ministre de l’industrie dans le précédent gouvernement. Sa famille a fait fortune dans l’exploitation des puits de pétrole en fin de vie, dans des pays corrompus comme la RDC, Son mari est haut cadre d’Engie, et son père fut durant une trentaine d’années directeur général du groupe pétrolier Perenco, avant de devenir banquier d’affaires à Genève.
comme le soulignait un article du journal Le Monde d’octobre 2019 : "C’est une société pétrolière particulièrement opaque qui préfère ne pas dévoiler son chiffre d’affaires ni sa structure de gouvernance. Le groupe familial franco-britannique Perenco n’apprécie guère de devoir s’expliquer sur les préjudices environnementaux présumés causés par son activité en République démocratique du Congo (RDC) ". Voilà de quoi être tenue en respect !

Bref, ces deux ministres ont un profil on ne peut plus technocratique et une fibre écologique douteuse. Rappelons au passage que Les nouveaux « ministres de l’écologie » et de l’agriculture ont voté contre l’interdiction du glyphosate en son temps, faisant confiance aux promesses, régulièrement repoussées, d’alternatives du lobby agricole. Constatons également que le ministère de l’agriculture n’est toujours pas rattaché à une définition large de l’écologie et qu’il a été confié à… un chasseur ! Enfin, pour confirmer qu’Emmanuel Macron va continuer de gouverner en maître absolu les Directeurs de Cabinet de tous ces ministères ont été nommés avant les ministres. Ainsi, le désastre est d’ores-et-déjà annoncé.

Yann Fiévet
Mai 2022

 Encore cinq ans à tirer ?

Il est communément admis que la réélection d’Emmanuel Macron est un moindre mal pour la France. Certes, il ne fallait pas confondre, au moment du choix que beaucoup de citoyens ont refusé de faire, le capitalisme autoritaire incarné par le Président sortant et le proto-fascisme dont la chef de file de l’extrême-droite est la figure opportunément adoucie pour la circonstance. Cependant, il convient d’emblée de ne pas être dupes : ce moindre mal est bel et bien un mal certain. Comment s’empêcher de penser qu’il ne s’agit là que d’un répit illusoire dans la lente destruction de notre « modèle démocratique » ? Comment ne pas être tenté de regarder vraiment en face tous les avatars du premier mandat de Jupiter afin de dresser par avance le paysage alarmant de son second mandat ? Son propre adoucissement surgi brusquement entre les deux tours de l’élection présidentielle peut très difficilement être pris au sérieux.

Proto-fascisme ? Le ripolinage de façade du lepénisme ne devrait pas pouvoir faire illusion. Le fait qu’il fonctionne néanmoins auprès d’une part croissante du corps électoral ne change rien au fond de l’affaire. Historiquement, les fascismes ont toujours su avancer masqués tant qu’ils n’avaient pas conquis le pouvoir convoité (sauf à avoir la capacité de le prendre par la force). Ensuite, c’est une autre partition qui est jouée. Toute l’habileté consiste donc à se faire d’abord passer pour ce que l’on n’est pas, à faire oublier ce que l’on est vraiment. Ce que l’on a pris trop facilement l’habitude de nommer « dédiabolisation » du FN-RN a atteint son objectif et explique ainsi, en partie seulement sans doute, l’ascension de cette organisation politique particulière. Précisons qu’elle ne doit pas la réussite de cette tromperie uniquement par l’activation de ses propres forces. Elle a été bien aidée depuis son extérieur. La sociologue Nonna Mayer qui étudie depuis quarante ans l’évolution du Front National puis du Rassemblement National montre précisément que La dédiabolisation de Marine Le Pen a été médiatisée avant même sa mise en œuvre. Nombre de médias n’ont eu de cesse, depuis que la fille a succédé au père, de prendre le FN-RN pour un parti comme les autres. Cela a été particulièrement efficace en direction de la part féminine de l’électorat : du temps du père les femmes votaient nettement moins pour ce parti que les hommes. Le père préférait les gros chiens quand sa fille s’entoure de nombreux chats ! Les reportages « people » ont permis d’éviter de regarder objectivement la réalité d’un parti resté fondamentalement hyper-centralisé autour de la figure de son chef et, pour l’essentiel, sur l’es traits caractéristiques de sa fondation en 1972. A-t-on suffisamment – et sans complaisance – interrogé Marine Le Pen sur sa conception de la vie en société ? Certes, non ! Cela nous aurait grandement édifié. Cependant, le désastre est une nouvelle fois écarté. Mais, pour combien de temps encore ?

Le capitalisme autoritaire fortement exacerbé par Emmanuel Macron est en large partie responsable de la progression de l’audience de l’extrême-droite à l’élection présidentielle. Au premier tour de celle-ci, les trois candidats que nous pouvons ranger sous cette bannière ont rassemblés 33% des suffrages exprimés. Au second tour, Marine Le Pen atteint 42% (contre 34% en 2017). Si en 2017 « le jeune Macron » n’avait pas vraiment été menacé il a cette fois certainement senti le vent du boulet entre les deux tours. Malgré tout, le risque n’est pas mince que cette « nouvelle victoire » renforce sa détermination à maintenir le cap de ses réformes ultra-libérales chargées d’aggravation des inégalités. Pourtant, à y regarder de près la victoire est plutôt maigre : 28% des électeurs inscrits se sont abstenus, le nombre des bulletins blancs et nuls atteint également un record, Emmanuel Macron a perdu trois millions de voix par rapport à la Présidentielle de 2017 tandis que Marine Le Pen en a gagné deux millions sept-cent-mille. 58% paraît un chiffre confortable mais il est loin d’exprimer un vote de pleine adhésion pour la personne du vainqueur quand on constate, par exemple, que 42% des électeurs de Jean-Luc Mélanchon au premier tour ont accepté de voter Macron le 24 avril. Néanmoins, le soir même du scrutin décisif tous les fidèles lieutenants du macronisme se répandaient partout où on voulait les entendre afin de saluer la confortable victoire et que l’on allait vraiment répondre désormais aux inquiétudes qui s’expriment dans le pays. Ils annoncent tous l’ouverture sans tarder d’un nouveau « grand débat avec tous les Français ». Mais, attention, cette fois le débat sera… permanent. Faire plus flou est une gageure !

Pour le moment, rien ne permet de croire sérieusement à un changement de trajectoire du second mandat de Jupiter. Du reste, par avance, cela a bien mal commencé. Sur divers campus universitaires les étudiants ont souhaité, entre les deux tours de l’élection présidentielle, organiser des débats autour du « faux choix » que proposait le duel final. Lesdites universités ont alors été fermées sous le prétexte qu’il y aurait eu là un trouble à l’ordre public. Il y a donc débat et débat : le débat citoyen librement organisé mais mal venu et le débat savamment institutionnalisé et encadré pour éviter tout débordement. Rappelons que le premier mandat d’Emmanuel Macron a été le plus répressif de la cinquième République. Il ne faisait alors pas bon manifester sur la voie publique, les nombreux blessés et mutilés peuvent en parler. On peut ajouter à ce sinistre tableau les nombreuses « bavures » perpétrées par les « forces de l’ordre » lors de descentes de police inopinées, au cours de « contrôles routiers qui tournent mal » ou dans la quiétude des commissariats. Le soir-même du second tour, un groupe de policiers a ouvert le feu sur une automobile roulant à contre-sens sur le Pont-neuf à Paris. Bilan : deux morts parmi les occupants du véhicule. Une enquête est diligentée comme il se doit ! Il semble que pour certaines fractions de la police la chasse est de nouveau ouverte. En fait, elle n’a jamais été fermée ! Voici quelques mois le Ministère de l’Intérieur a commandé, à des fins de « maintien de l’ordre », 90 blindés pour étoffer l’arsenal de la Gendarmerie. On s’attend en haut-lieu, sans doute avec raison, à une recrudescence de la contestation, surtout si Emmanuel Macron n’obtient pas en juin prochain une majorité en sa faveur au Palais Bourbon. Alors, ces cinq nouvelles années à tirer vont-elles être cinq années à tirer… sur les contestataires ?

Yann Fiévet
Avril 2022

Documents joints

« Moi, Yann Fiévet, qui ne peut plus enseigner sans assistante », par Christian Jacquiau

Par Fiévet Yann

Le mercredi 17 avril 2024

Mis à jour le 17 avril 2024