17 août 2016 Jean-Pierre Berlan : Lettre ouverte aux auteurs du Livret OGM/Thérapies géniques

Votre texte est très bien, très clair et précis, sauf que, pour moi, il ne faut pas traiter dans le même livret des clones pesticides brevetés, alias Ogm et de l’utilisation des techniques moléculaires à des fins thérapeutiques car c’est contribuer à la confusion que les nécrotechnologues entretiennent dans l’esprit du public qui n’arrive pas à faire la différence entre les prétendus "ogm" agricoles qui occupent des millions d’ha et les ogm prétendument "thérapeutiques", le plus souvent obtenus par cultures en fermenteurs et non dans les champs.
En prolongement de point, je pense qu’il faut éviter de rentrer dans les détails techniques. Je sais qu’ils sont fascinants, que le public aimerait comprendre de quoi il retourne et il faut soi-même s’en faire une idée suffisamment précise pour ne pas en parler. Aborder les questions techniques, c’est détourner l’attention du public profane de la réalité qui lui importe.
Il y a là un problème très général. Les termes que nous utilisons n’ont pas le même sens selon la situation sociale des uns et des autres. Or nous utilisons constamment les termes techno-scientifiques, comme si c’était ce qui nous importait, à nous. La domination passe par le vocabulaire qu’on nous impose. Nous sommes alors entraînés dans la folle fuite en avant techno-scientifique qui va si vite qu’elle ne nous laisse pas le temps de nous rendre compte de ce qui se passe dans nos vies. Nous sommes alors incapables de nous y opposer.
http://www.outilsdusoin.fr/spip.php?article308


11 juin 2015 Jean-Pierre Berlan : De l’importance de s’intéresser à la réalité, à la marchandise vendue, et de la désigner par une expression adéquate

Qu’est-ce qu’un Ogm réel, c’est-à-dire la marchandise vivante végétale à qui la modification génétique confère de nouvelles propriétés et dont les semences sont vendues sur un marché organisé selon des règles précises ? Quelles sont ces propriété nouvelles ? Quelles sont ces règles ?

Tout d’abord, une semence Ogm doit, bien sûr, être conforme à la législation qui régit la production et la commercialisation des semences, en particulier aux deux critères d’homogénéité et de stabilité.

Homogénéité : les plantes doivent être identiques aux défauts inévitables de fabrication près.

Stabilité : la même plante doit être vendue année après année

Le rôle du semencier est donc de faire des copies d’une plante sélectionnée pour ses qualités, c’est-à-dire de la cloner. Toutes les semences commercialisées sont donc des clones. Il suffit de regarder un champ de blé, orge, maïs, soja etc. pour constater que pas une plante n’y diffère de sa voisine.

Les Ogm sont donc des clones

La modification génétique leur confère de nouvelles propriétés. Lesquelles ?

Elles sont de deux types :

La première est la tolérance à un herbicide total, en général maintenant associée à la production d’une toxine insecticide. Un herbicide total pénètre dans la plante où il inhibe une fonction métabolique essentielle. La plante meure. La modification génétique bloque l’action de l’herbicide et la plante génétiquement modifiée n’est pas affectée par l’herbicide tandis que les « mauvaises herbes » meurent.

La modification génétique permet donc de transformer un herbicide total en herbicide spécifique, à un coût quasi nul si on le compare à celui de la recherche-développement d’une nouvelle molécule herbicide spécifique. C’est la méthode inventée par Monsanto pour arroser la planète avec son herbicide total fétiche, le glyphosate, au moment où, justement, les coûts faramineux de R et D de nouvelles molécules chimiques menaçaient l’existence même de l’industrie des Cides.

On peut observer que les adventices devenant elles-mêmes tolérantes au glyphosate, les fabricants de pesticides ont sorti du placard le premier herbicide total développé pour les besoins militaires au cours des années 1930 et 40, le 2-4-5D utilisé pour la première fois en 1951 pour lutter contre la guérilla birmane, puis en quantités massives au Viet-Nam comme défoliant. Ils fabriquent maintenant des plantes tolérantes au 2-4-5D, et mieux encore des plantes tolérantes au glyphosate et au 2-4-5D. Ces deux molécules chimiques sont peu métabolisées par la plante et ces herbicides entrent donc dans notre alimentation.

La deuxième est la production par la plante elle-même d’une toxine insecticide. La plante est, elle-même, un insecticide. La toxine insecticide entre dans notre alimentation.

Les Ogm, par conséquent, changent le statut des pesticides : de produits toxiques qui ne doivent pas entrer dans notre alimentation, ils en deviennent des constituants. Ils poursuivent la fuite avant commencée à la fin de la deuxième guerre mondiale : utilisation d’un pesticide, puis résistance croissante des cibles, puis accroissement des quantités utilisées, puis inefficacité du pesticide, puis introduction d’un nouveau pesticide et ainsi de suite. C’est exactement ce que démontrent les Ogm actuels qui empilent les traits de tolérance au glyphosate-Roundup et de production d’une toxine insecticide au fur et à mesure que les cibles deviennent résistantes. Les plus récents peuvent être tolérants au glyphosate Roundup et au 2-4- 5D et produire plusieurs toxines insecticides.

Le Président Sarkozy avait condamné les Ogm pesticides lors de la séance de clôture du Grenelle de l’Environnement, c’est-à-dire qu’il a condamné tous les Ogm réels. A juste titre, car il faut sortir de ce système pesticide mortifère et sans espoir. Malheureusement, il n’en a pas tiré les conséquences et, beaucoup plus grave, le mouvement de lutte contre les « Ogm » ne s’est pas engouffré dans la brèche qui, pour la première fois, appelait les choses par leur nom.

Les Ogm sont donc des clones pesticides

Enfin, les Ogm sont brevetés. Ils réalisent deux objectifs inscrits dans la logique du capitalisme industriel depuis les débuts de la Révolution industrielle : en finir avec :

 la gratuité de la reproduction des êtres vivants

 la diversité qui fonde le vivant

La production industrielle exige, en effet, des marchandises uniformes, stables, homogènes, standardisées, normalisées, comme le sont les canettes de Coca Cola. Contrairement à ce que l’on pense, la logique industrielle s’est étendue d’entrée à tous les aspects de l’activité humaine et le vivant n’y a pas échappé. C’est ainsi que, dès le début du 19ème siècle, les sélectionneurs commencent à mettre en œuvre la méthode moderne de sélection consistant à remplacer des variétés paysannes cultivées (le caractère de ce qui est varié, diversité) par des clones extraits de ces variétés. Mais comme on a continué à utiliser le terme « variété » pour désigner son contraire, c’est-à-dire les clones de l’agriculture industrielle, cette transformation fondamentale est passée inaperçue.

Les Ogm réels sont des clones pesticides brevetés.

Brevetés par qui ?

Par les industriels des sciences de la vie, un cartel de fabricants de pesticides, herbicides, insecticides, fongicides, gamétocides, larvicides, ovocides, acaricides, rodenticides, etc-cides qui ont pris le contrôle des semences au cours des 30 dernières années.

Pourquoi le brevet ?

Pour inciter à l’innovation comme le clame la directive européenne 98/44 sur la « brevetabilité des inventions biotechnologique ».

Or aucune étude n’a réussi à démontrer l’effet incitateur à l’Innovation du brevet !

Nos dirigeants commettent, au nom de l’Innovation, l’infamie de conférer un privilège sur la Vie à un cartel de fabricants de Mort qui doit sa fortune aux deux guerres mondiales.

L’étiquetage est un pas en avant, certes, mais bien timide.

Pourtant, le Président Sarkozy avait ouvert la voie en dénonçant les Ogm pesticides.

L’expression permettait de sortir de la confusion du vocabulaire et de comprendre ce que sont les Ogm réels.

Il est dommage que nous ne nous soyons pas engagés dans la brèche qu’il avait ouverte.

Notre tâche est donc :

 de revoir les lois semencières qui imposent de cultiver des clones (adieu la fameuse « biodiversité » !) et limitent la liberté de chercher d’autres méthodes de sélection, de production de semences et de culture.

 en finir avec le système pesticide qui poursuit l’empoisonnement de notre milieu de vie.

 

 en finir avec l’infamie du brevet du vivant, qui confère le privilège de la reproduction au Cartel des sciences de la Mort.

Enfin, il ne faut pas exclure la possibilité d’Ogm philanthropiques et verts qui « nourriront la planète et protégeront l’environnement ». Mais il est évident que ce ne sont pas les objectifs que le cartel des Cides poursuit avec ses clones pesticides brevetés. Les Ogm philanthropiques et verts sont ceux d’une société, elle-même philanthropique et verte, qui, pour ces raisons mêmes, n’en aurait pas besoin.


19 octobre 2012 Jean-Pierre Berlan Publications & Brèves Les OGM sont des plantes pesticides : ils nous conduisent tout droit au désastre

L’étude de Gilles-Eric Séralini sur la nocivité du maïs OGM NK 603 de la firme Monsanto a créé la polémique. L’occasion pour Jean-Pierre Berlan, agronome et ancien directeur de recherche de l’Inra, de rappeler quelles sont les données scientifiques dont on dispose sur les OGM.

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/660527-les-ogm-sont-des-plantes-pesticides-ils-nous-conduisent-tout-droit-au-desastre.html


28 septembre 2012 Jean-Pierre Berlan Publications & Brèves Ne laissons pas des experts faire leur loi

Ne laissons pas des experts faire leur loi

Le Monde.fr | 28.09.2012 à 13h59

Par Jean-Pierre Berlan, ancien directeur de recherches à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA)
http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/09/28/ne-laissons-pas-des-experts-faire-leur-loi_1767200_3232.html

Au complexe génético-industriel et à ses scientifiques qui ont intérêt au succès industriel des organismes génétiquement modifiés (OGM) s’oppose une opinion publique dont le bon sens lui dit que si les scientifiques sont dans leur laboratoire, ce n’est pas parce qu’ils savent, mais bien parce qu’ils ne savent pas, et qu’il est dangereux de s’en remettre à des ignorants, même si, en bons dialecticiens (là aussi, qui s’ignorent), ils se font passer pour des "savants".

Les OGM sont-ils scientifiquement dangereux ? Plutôt que se laisser piéger par une expression qui implique que la modification génétique est le problème (ce qui conduit à le confier aux experts sous influence), il faut s’intéresser à ce que nous ingurgitons. Les lois et règlements exigent que les plantes semées soient "homogènes" – identiques ou presque – et "stables" – la même plante doit être vendue année après année. Un semencier fait donc des copies d’un modèle de plante. Personne ne niera que, pour les désigner, le terme "clone" est préférable à celui, usuel, de "variété" – le caractère de ce qui est varié, diversité !

Ces clones sont "pesticides". Lors de son discours de clôture du Grenelle de l’environnement le président Nicolas Sarkozy avait condamné les "OGM pesticides" – 99,6 % des OGM vendus. Le pourcentage est le même cinq ans plus tard.

Ces clones pesticides soit produisent une toxine insecticide, soit absorbent un herbicide sans mourir. De plus en plus, ces deux traits se retrouvent simultanément. La toxine insecticide est produite par toutes les cellules de la plante. L’herbicide, lui, pour agir doit pénétrer dans la plante. La construction génétique y neutralise son action. La plante survit et l’herbicide reste. C’est le cas du Roundup de Monsanto. Dans les deux cas, le pesticide entre dans l’alimentation. Les industriels agrotoxiques sont donc en train de changer le statut des pesticides : de produits toxiques à éliminer autant que possible de notre alimentation, ils en font des constituants de notre alimentation.

C’est sans danger. Il suffit de s’assurer "scientifiquement" que "dans l’état actuel des connaissances scientifiques", on ne peut pas "scientifiquement" démontrer une toxicité éventuelle. L’absence de preuve devient la preuve de l’absence. Or l’état de ces connaissances est balbutiant. Par exemple, on ne sait pas grand-chose du "développement" de l’œuf fécondé à l’organisme adulte avec sa complexité tissulaire, spatiale, hormonale, physiologique, physique, etc.

Tout plonger dans un bain de perturbateurs hormonaux et autres produits chimiques est d’autant imprudent que ces molécules peuvent entrer en synergie et être plus toxiques encore à des doses non mesurables. Pour résumer, l’Italie nous a offert un plat sublime de simplicité, la pasta al pesto. Le cartel agrotoxique veut nous imposer désormais la pasta al pesticida. Ce n’est pas à ces "experts" de décider de notre appétit.

Enfin, ces clones pesticides sont brevetés. L’enjeu ? Les êtres vivants se reproduisent et se multiplient gratuitement. La loi de la vie s’oppose à la loi du profit. La vie a donc tort. En 1998, Terminator, cet OGM qui permet de stériliser les plantes, a révélé le secret le mieux gardé de la génétique agricole : séparer ce que la vie confond, séparer la production de la reproduction.

Mais il est plus simple, discret et gratuit d’opérer cette séparation légalement avec la directive 98/44 du Parlement européen et du Conseil "de brevetabilité des inventions biotechnologiques", transposée en France et adoptée à l’unanimité par le Parlement (sauf le groupe communiste) à la fin 2004. Au nom de l’innovation. Mais le brevet – un monopole renforçant un cartel – est exactement opposé à la doxa économique qui, depuis Adam Smith, enseigne que la concurrence est source de l’innovation.

Une société démocratique doit-elle se laisser dicter sa loi par les experts – ces "hommes compétents qui se trompent en suivant les règles" (Paul Valéry) – pour évaluer les clones pesticides brevetés (ou tout autre problème) ? Pas besoin d’experts pour se rendre compte que nous courons au désastre. Des clones, alors que la diversité biologique cultivée est à l’agonie. Des clones pesticides qui permettent d’éviter les tests coûteux imposés aux agrotoxiques chimiques et nous enfoncent dans l’addiction à des poisons qui créent leur propre marché et l’élargissent, car les ravageurs et les pathogènes les contournent. Des clones pesticides brevetés qui confient notre avenir biologique aux fabricants de produits en "cide", aux fabricants de mort.

L’expression OGM et les débats qu’elle impose révèlent l’état de notre démocratie. Appeler les choses par leur nom ouvre un possible renouveau démocratique : démonter une législation semencière dépassée qui impose les clones et condamne des associations qui, comme l’association Kokopelli, luttent pour sauvegarder la diversité. Lutter sérieusement contre l’addiction aux pesticides. En finir, enfin et surtout, avec le brevet du vivant. Le Parti socialiste n’a-t-il pas dit qu’il en demanderait la renégociation ?

Bien entendu, les thuriféraires annoncent l’avènement d’OGM philanthropiques et verts. Les OGM vont nourrir la planète et protéger l’environnement. Mais nous n’avons toujours que des clones pesticides brevetés. Comment ces OGM philanthropiques et verts pourraient-ils être ceux d’une société où la maximisation du profit est la seule règle, où les scientifiques sous influence remplacent la démocratie, où les fabricants de mort ont toute liberté pour confisquer la vie.

Les OGM philanthropiques et verts sont ceux d’une société démocratique et libre, donc philanthropique et verte qui, pour ces raisons, n’en aura pas besoin.

Jean-Pierre Berlan, ancien directeur de recherches à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA)


22 septembre 2012 Jean-Pierre Berlan Brèves & publications Terre à tette 52 minutes L’industrialisation de l’agriculture

Terre-à-terre - France Culture - 22 septembre 2012

Jean-Pierre Berlan : l’agriculture "moderne" est mortifère

Pour écouter (absolument) :
http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4493479

YF


4 septembre 2019

Par Berlan Jean-Pierre

Le mercredi 4 septembre 2019

Mis à jour le 4 septembre 2019