Pouvez-vous vous présenter et notamment nous expliquer votre cheminement jusqu’aux actions contre les OGM ?
Je suis Fabien Houyez faucheur volontaire depuis 2006, je viens d’une famille ouvrière de la région Parisienne où j’ai grandi jusqu’à mes 26 ans.
J’avais plutôt bien réussi ma vie telle que la société définit le mot réussite, je gagnais très bien ma vie, j’avais un bel appartement à Boulogne Billancourt, ancienne cité ouvrière devenue ville bien bourgeoise.
Malgré cette soit disante réussite je n’arrivais pas à être heureux. Premièrement parce que je commençais à m’informer par moi-même sur le conflit Israélo-palestinien, sur les raisons de la faim dans le monde et sur les problèmes sociaux dans le monde occidental.
Je me sentais impuissant et je me suis rendu compte que chaque problème n’était pas dû au hasard ni à des pouvoirs magiques mais bien créé, construit et bien souvent, que ce soit des problèmes sociaux ou environnementaux ils servent les intérêts de quelqu’un ou quelque chose, chaque personne mourant de faim est une personne assassinée en toute conscience, principalement parce que pour mettre les paysan-nes des pays soit disant pauvres sous dépendance nous les avons poussés dans les systèmes de crédit et la monoculture ce qui entraîna en toute logique la perte de leur souveraineté alimentaire, les ogm donc le brevetage des plantes et/ou des animaux enfoncent le clou dans cette perte de souveraineté.
Je ne voulais plus cautionner ce système mortifère et je prenais conscience que nous avions toutes et tous le choix, contrairement à ce que l’on voulait bien nous faire croire.
C’est à cette période que je me suis rapproché des luttes anti ogm et des faucheurs volontaires. Pour moi cette lutte englobe les problèmes sociaux liés au brevetage du vivant et les problèmes environnementaux liés à la dissémination du pollen de ces PGM avec certes aucune preuve de risque, mais est-ce-que l’absence de preuve de risque et la preuve d’absence de risque ? En revanche c’est la technique idéale pour faire perdre toute souveraineté alimentaire aux populations et donc les contrôler plus aisément.
Je suis arrivé aux luttes environnementales par le côté humain, je ne défends pas l’environnement, car la nature reprendra toujours ses droits, je défends l’environnement humain, aucune lutte sociale n’a de sens si nous ne protégeons pas notre environnement.
Deuxième cause donc de ce manque de bonheur était que j’étais coupé de mes racines, la terre. Je me suis dit mais comment, même si je gagne bien ma vie, je ferais dans 15 ou 20 ans pour me nourrir étant donner que 1kg de carottes est dépendant à 100% d’une énergie fossile en raréfaction et que je ne savais pas comment faire pousser des légumes. J’ai donc quitté mon emploi et Paris pour arriver dans l’Yonne et remettre les mains dans la terre, pour apprendre à me nourrir sans tracteur donc sans dépendance.
Je n’imaginais pas qu’en mettant les mains dans la terre on pouvait avoir autant les pieds sur terre.
Fabien, pouvez-vous nous expliquer l’action qui est à l’origine de ce procès du 9 avril 2014 ?
Ce procès fait suite à ce qui fut la première neutralisation de cultures de tournesol BASF-Clearfield et PIONEER-Expressun, plantes tolérant des herbicides : le pulsar40 pour la technique BASF-clearfield et l’express-sx pour la technique expressun de pionner, des OGM issus de mutagénése dirigée.
Le 24 juillet 2010 à Saint-Branchs et Sorigny en Tourraine, environ 150 faucheuses et faucheurs volontaires neutralisaient deux parcelles de tournesols mutés tolérant un herbicide.
Nous avons agi pour dénoncer cette technique OGM qui, par décret, se trouve hors du champ d’application de la directive européenne 2001-18, directive réglementant l’introduction et la mise en culture des OGM sur le territoire de l’Union Européenne. Défini comme un ogm par cette loi mais sortant du champ d’application, ces plantes à pesticide tolérant des herbicides ne sont donc soumises à aucune contrainte juridique, ni évaluation de son impact sur la santé et l’environnement, ni traçabilité spécifique. Ceci est particulièrement inquiétant puisque ces tournesols, clônes pesticides brevetés, se retrouvent dans la chaîne alimentaire humaine (huile de tournesol, chips et tout produit transformé et contenant de l’huile de tournesol) sans que les conséquences de l’herbicide présent en grande quantité dans les tissus de la plante ne soient mesurées, donc encore une fois il n’y a pas de preuve de risque quand à la consommation humaine de ce désherbant à large spectre, ceci est donc la preuve que ce n’est pas dangereux pour nous ?
Par ailleurs, comme toutes les plantes tolérant un herbicide, leur culture suppose un épandage systématique des dits produits.
Plus grave aujourd’hui, autorisées et inscrites au catalogue des semences depuis l’année dernière, ces techniques sont appliquées sur des colzas pour tolérer les mêmes herbicides et quand on sait que la famille des Brassicacées (anciennement crucifère) comprend 3200 espèces réparties en 350 genres ( les choux, la moutarde, les navets, les radis ...etc) vivant pour la plupart dans nos régions, ça fait peur, puisque ce qui est prouvé scientifiquement aujourd’hui ce sont les transferts de gènes, on peut donc imaginer, toutes ces plantes même sauvages, (toutes les cardamines, bourse à pasteur etc...) obtenir la particularité d’être tolérante aux désherbants.
On en déduit facilement que ces nouvelles techniques sont une impasse, puisqu’il faudra utiliser des désherbants de plus en plus puissants et que le colza et le tournesol deviendront eux-mêmes des adventices.
Qui plus est, le gène de tolérance étant breveté et le transfère de gène indiscutable, on imagine bien que les paysans pensant changer les choses dans leurs seul petit coin, devront un jour ou l’autre payer les royalties aux détenteurs des brevets, ce qui les obligera à augmenter leurs rendements ou leurs prix déjà étouffants pour les consommateurs des couches sociales les plus basses, qui sont de plus en plus nombreux.
Fabien, qui est accusé et de quoi lors de ce procès du 9 avril à Orléans ?
Alors c’est un peu technique mais je vais essayer d’être clair.
Depuis 2008 la loi Française sur les ogm, basés sur la directive Européenne 2001-18, il est introduit un nouveau délit : le délit de fauchage de plantes génétiquement modifiées.
Le seul problème est que la technique ogm de mutagenèse dirigée étant exclue
du champ d’application de la loi Européenne par décret, le procureur de Tours ne nous a pas accusés de ce délit, les charges retenues contre nous sont « destruction de bien d’autrui en réunion ».
C’est là que réside toute l’ambiguïté de cette loi qui définit ce qu’est un ogm, donc clairement la mutagénèse est défini comme tel, suffit de lire cette directive pour vérifier mes dires, mais un décret d’application sort cet ogm des contraintes liées à ces techniques culturales. C’est d’ailleurs à priori une loi illégale puisque un décret d’application ne peut venir contredire le texte de sa propre loi.
Le tribunal de Tours nous a donc condamné à 5000 euro de dommage et intérêt ainsi qu’une peine de prison de 3 mois avec sursis. Nous avons fait appel au civil et au pénal, c’est-à-dire que pour être cohérents, nous rejetons les peines de dommages et intérêts ainsi que la prison, et c’est pour cette raison que nous nous retrouvons en cour d’appel à Orléans le 9 avril.
Qu’est-ce qui est prévu pour soutenir les accusés ? Comment peut-on montrer sa solidarité ?
En France différentes associations ou collectifs de soutien se sont créés depuis l’existence du mouvement des faucheurs et faucheuses volontaires, pour récolter des fonds et ainsi nous aider dans notre démarche de désobéissance .
Je suis conscient que beaucoup de peurs peuvent être liées à la répression subie par ce type d’action mais chaque personne peut, d’une manière ou d’une autre, nous soutenir et montrer sa solidarité. Cela de différentes manières, les plus importantes pour moi sont d’être présent sans implication mais juste présent, lors des occupations de site industriels, être devant les tribunaux pendant nos procès, faire de l’information auprès des consommateurs et consommatrices et tout ceci ne prend parfois pas plus de temps que de faire ses courses, cela se fait souvent avec de jolies rencontres humaines, dans la bonne humeur et le partage, nous dansons sur les ruines de la dictature de la pensée unique et construisons un mieux vivre ensemble pour nos enfants et leurs enfants.
Selon vous, quels sont les enjeux présents et à venir de la lutte contre les OGM et la mutagénèse ?
On a du boulot !
Malheureusement comme les résistants au nazisme pendant l’occupation de la 2éme guerre mondiale, nous sommes trop peu nombreux sur le terrain Et quelque part c’est presque logique puisque les dirigeant-e-s jouent avec la peur des gens et que la plupart tombe dans le panneau, mais croyez-moi, ils ne possèdent aucun pouvoir magique ou surhumain.
Pendant ce temps, les lobbyistes des industries agroalimentaires et de la semence avancent chaque fois à pas de géant et ont toujours une longueur d’avance sur nous.
Chaque année, rejetés par le conseil Européen, nous sommes contraints de surveiller la bonne tenue des clauses de sauvegarde sur le maïs mon810.
N’est-ce pas d’ailleurs une manière pour ces industriels de nous occuper pendant que eux jouent avec la loi, l’arrangent à leur sauce avec la complicité de celles et ceux que certains appel encore élu-e-s.
Les demandes d’autorisation ne faiblissent pas pas pour la transgenèse, il n’y a même plus besoin d’autorisation avec les nouvelles techniques puisqu’elles sortent du champs d’application de la loi, il suffit juste que le produit utilisé sur la plante soit autorisé ce qui est souvent fait, encore une fois, il n’y a pas de preuve de risque, en même temps comment trouver le danger si nous le cherchons pas.
Alors des compromis sont-ils possibles avec leurs visions du monde de demain ? Non je ne crois pas, il faudrait interdire tout simplement les ogm et faire rentrer la mutagenèse et toutes les autres techniques ogm dans le champs d’application de ces lois. Après celui ou celle qui tient absolument à payer des royalties aux semenciers, qui tient chaque année à épandre un peu plus de pesticides à cause des phénomènes de résistance, en clair être totalement asservi ; lui permettre de faire cela se discute.
Peut être autorisons-les, dans une bulle ou encore sur Mars mais pas sur notre terre nourricière.
Que ce soit ce qu’il vient de se passer à Bruxelles à propos de l’autorisation d’un nouveau maïs OGM ou plus largement, qu’en est-il, selon vous, de la démocratie et des OGM ?
Pourtant 19 pays étaient opposés à cette autorisation. Mais ils ne sont pas parvenus à réunir une majorité pour la bloquer. Les 19 pays ne totalisaient que 210 voix lorsque la majorité qualifiée pour bloquer était de 260 voix. Cinq pays, Espagne, Royaume-Uni, Suède, Finlande et Estonie, ont voté pour. Et quatre, la République Tchèque, la Belgique, l’Allemagne et le Portugal, se sont abstenus.
Le choix revient donc à la commission Européenne qui je crois ne compte aucun-ne-s élu-e-s. Or la règle veut que si le Conseil (des Etats) ne prend pas de décision, la Commission européenne doit approuver la culture.
Le commissaire chargé de la Santé et de la protection des Consommateurs, Tonio Borg, a précisé que "la Commission n’a pas d’autre choix que d’approuver l’autorisation de culture".
Donc vous parlez de Démocratie ?
La démocratie du grec ancien dēmokratía, « souveraineté du peuple », dêmos, « peuple » et krátos, pouvoir, souveraineté. Donc la démocratie est le régime politique dans lequel le peuple est souverain (le peuple renvoyant cependant à la notion plus restrictive de citoyens, la citoyenneté n’étant pas forcément donnée à toute la population).
Jean-Jacques Rousseau, considérait que la démocratie ne peut être que directe, mais de façon générale un gouvernement est dit démocratique par opposition aux systèmes monarchiques d’une part, où le pouvoir est détenu par un seul et d’autre part aux systèmes oligarchiques où le pouvoir est détenu par un groupe restreint d’individus, tiens ne sommes-nous pas dans une oligarchie ?
On peut aussi définir la démocratie par opposition à la dictature ou tyrannie, mettant ainsi l’accent sur les possibilités pour le peuple de contrôler ses dirigeants et de les évincer sans devoir recourir à une révolution, pouvons-nous dire à Hollande ou un-e autre : « Non bah t’es gentil, on va en choisir un-e autre, là tu sers pas nos intérêts » ? Et ben non on peut pas.
Nous sommes aujourd’hui dans une démocratie représentative, ce qui est tout simplement un oxymore, le peuple ne peut être représenté par un groupe restreint d’individus sinon nous sommes dans une oligarchie.
La révolution Française a été profitable à qui réellement ?
Qui a monté le peuple qui avait faim contre le roi, parce que ce roi voulait renflouer les caisses de l’état à cause de la mégalomanie de son prédécesseur qui avait ruiné la France. Pour ce faire, Louis XVI voulait taxer les bourgeois, donc les possédants ? Celles et ceux qui parlaient de bien commun et non de propriété privée sont tous morts de mort subite et violente,(Marat, Babeuf, Saint just ect...) étonnant non ?
Donc désolé, je ne peux parler de démocratie, je ne l’ai jamais connue.
Il est sans doute beaucoup de manières de s’engager, de résister contre les OGM et pour la vie. Quel point de vue avez-vous sur les divers engagements des citoyens (leur consommation, le jardinage, etc) ?
Oui il y a beaucoup de manières de s’y opposer, je dirais que la première est de ne pas en consommer. Le seul problème est que les nouvelles techniques ogm sortant du champs d’application de la loi ne permettent pas l’étiquetage des produits ou sous-produits issus de ces ogm, pratique pour les bénéficiaires de ces modes culturaux.
Reste aussi pour celles et ceux qui en ont la possibilité de faire leurs potagers, mais là encore combien de temps nous reste-t-il avant les transfert de gènes horizontaux, car encore une fois les semenciers n’ont pas castré ces plantes, c’était sans doute plus pratique pour demander des royalties à des personnes qui ne voulaient pas forcément de ces pgm.
Je ne vais pas me faire que des ami-e-s mais j’aimerais croire que les soit disant alternatives du type AMAPP, agriculture bio ou biodynamique soient une solution, je l’ai même cru à une époque, mais je pense que si c’était de vraies alternatives au mode économique dominant, celui-ci prendrait les mesures nécessaires à l’éradication de ce qui pourrait le mettre à mal.
Mais tout ça on en reparlera une fois que les accords de libre-échange transatlantique seront adoptés.
Et je ne suis pourtant pas pessimiste, je pense juste que nous devons ré-humaniser nos rapports, se réunir en assemblée populaire, prendre les décisions nous concernant, concernant l’avenir des générations futures et que ces décisions ne soient pas dépendantes de l’économie spéculative ou dieu est argent mais plutôt où la seule valeur serait le bien vivre des générations futures.
Sortir de nos intérêts égoïstes où la propriété privée nous a automatiquement amené. Je n’ai pas inventé ce mode de pensée il existe depuis fort longtemps, seulement il desservait les intérêts de quelques un-es qui ont toujours détenu le pouvoir pour défendre les intérêts uniques des possédants et de leurs biens privés, bien-sûr ils ont aujourd’hui tout intérêt à nous faire croire que ce n’est pas possible.
Nous avons tous et toutes le pouvoir de dire non, tout est possible, suffit juste de faire exister ce possible, nous devons nous réapproprier nos vies et c’est juste là, caché derrière le fatalisme.
Propos recueillis le 24 février 2014