Céline Locqueville vous travaillez au Jardin de Petites ruches. Quels sont les objectifs de ce lieu ?
J’ai créé ce petit jardin-rucher écologique avec le souhait que ce lieu soit le plus vivant possible, et qu’il héberge une grande diversité de plantes, d’insectes, d’oiseaux...
Vous verrez ici des ruches écologiques, des refuges et des murs à insectes, beaucoup de plantes, sauvages et ornementales, qui plaisent aux abeilles ; mais aussi une cabane en bois cordé avec un toit végétalisé, des palissades et tipis tressés, ...
J’aimerais qu’à la suite d’une visite ou d’un stage les personnes repartent avec un regard nouveau sur la nature.
Quel a été votre cheminement jusqu’à ce jardin-rucher ?
Oh ! la route a été longue, et riche !
La première étape : il y a 25 ans, avec mon apprentissage à l’Ecole du Paysage de Versailles. Étape essentielle puisque l’un de mes professeurs était Gilles Clément, célèbre paysagiste, précurseur du jardin ’en mouvement’ : jardin libre qui accompagne les forces de la nature au lieu d’aller contre elles...
J’ai eu envie de suivre cette piste,...
La seconde étape : bifurcation provisoire vers une activité d’institutrice, dans l’Yonne, durant 6 années. Cela m’a fait aimer le contact avec les enfants, et donné le goût de la transmission des savoirs. Je faisais des ateliers de jardinage et des balades-nature, et les enfants aimaient ça !
Troisième étape : la découverte du monde fascinant des abeilles. Je me suis rendue compte que j’aimais les plantes, et encore plus les abeilles ! J’ai installé mes premières ruches écologiques (Warré) au jardin, et passé des heures à observer le va-et-vient des abeilles.
Quatrième étape : mon choix de reprendre une activité tournée vers le jardin, mais pas n’importe quel jardin : disons une forme de jardin naturel.
Durant 1 an, j’ai cherché un poste dans un bureau d’Études Paysagiste...Mais ne trouvant rien qui me corresponde, j’ai décidé de créer mon activité ’sur mesure’, et le Jardin des Petites ruches est né en 2010.
La cinquième étape : la rencontre avec Alain, mon compagnon, qui connaît bien les techniques de construction écologiques (maisons en paille et bois cordé). Il a mis tout son savoir-faire dans les jolies cabanes que nous avons imaginées ensemble.
Passionnée des abeilles, pourquoi n’avoir pas choisi de devenir simplement apicultrice ?
Si le travail d’une apicultrice est d’élever des abeilles, ...eh bien, je suis apicultrice ! A l’heure actuelle, j’ai un petit rucher d’une dizaine de ruches.
Il est vrai que je suis une apicultrice...disons, un peu ’surprenante’ puisque je ne commercialise pas de miel !
J’ai souhaité expérimenter une apiculture atypique, où le merveilleux rôle de pollinisation des abeilles est mis en lumière ; et où la production de miel est secondaire.
Pollinisateurs infatigables, les abeilles comme les bourdons sont indispensables à notre survie. On oublie parfois que c’est grâce à eux que se fabriquent nos fruits, nos légumes, mais aussi les graines de presque toutes les plantes sauvages, aromatiques, médicinales.
Face au déclin actuel des abeilles, face aux questions que cela pose, j’ai souhaité accueillir des colonies d’abeilles et les laisser vivre le plus naturellement possible : qu’elles mangent uniquement leur propre miel (pas de sucre), qu’elles construisent leurs cires (pas de cire gaufrée), et qu’elles ne soient jamais dérangées (pas de visite des ruches, qui ne comportent pas de cadres).
Je récolte un peu de miel lorsque l’année a été bonne, mais seulement en petites quantités.
Après avoir expérimenté cette apiculture douce (ruches Warré), j’accompagne à présent de nombreux stagiaires sur cette piste ; ces personnes souhaitent une ruche pour polliniser leur jardin, et préserver les abeilles.
Céline, pouvez-vous revenir plus en détail sur la notion de « jardin en mouvement » ?
"Des fleurs venant à germer dans un passage mettent le jardinier devant le choix de savoir s’il veut conserver le passage ou conserver les fleurs. Le Jardin en Mouvement préconise de conserver les espèces ayant décidé du choix de leur emplacement.
Cet état d’esprit conduit le jardinier à observer plus et jardiner moins. A mieux connaître les espèces et leurs comportements pour mieux exploiter leurs capacités naturelles sans dépense excessive d’ « énergie contraire » et de temps : limiter les intrants, les dépenses d’eau, le passage des machines …"
Ces quelques phrases sont de Gilles Clément
Un tel jardin nécessite peu de travail, mais beaucoup d’observation.
A titre d’exemples, le bouillon blanc, l’onagre, et le fenouil sont de très grandes plantes vagabondes que j’affectionne particulièrement. Chaque année elles se ressèment en des endroits inattendus. Je les limite si besoin, les déplace si elles gênent, en distribue aux visiteurs. La première a des vertus médicinales, la seconde nourrit les chardonnerets de ses graines, la troisième est la plante-hôte du machaon, magnifique papillon.
Céline, comment parvenez-vous à vivre de votre jardin des Petites ruches ? Quelles sont vos différentes activités au long de l’année ?
Je me dis souvent que j’ai beaucoup de chance d’avoir une activité comme la mienne, où la vie et le travail sont complètement liés. Je suis entourée de nature et je rencontre une quantité de gens extraordinaires qui viennent suivre les formations (les stages d’apiculture écologique toute l’année, et les stages de vannerie sauvage en automne-hiver).
J’ai également la chance que l’on me confie la création de jardins pour des collectivités (école, IME, maison de quartier...) : jardins vivants, un peu ébouriffés !
J’interviens aussi régulièrement dans des écoles ou des entreprises pour des animations liées au jardin, à la découverte des insectes, à la vannerie sauvage.
Mon activité principale est celle d’accompagnement à l’apiculture écologique. Depuis 1 an, deux menuisiers professionnels d’Auxerre se sont lancés dans la fabrication de ruches écologiques Warré de très belle qualité. Cela permet aux stagiaires de concrétiser leur rêve plus facilement qu’auparavant où la plupart construisaient leur propres ruches.
L’engouement pour ce type d’apiculture est de plus en plus grand, et cela me réjouit.
Pourriez-vous nous présenter vos stages d’apiculture écologiques et de vannerie sauvage ?
Les stages d’apiculture écologique que je propose s’adressent à toute personne, homme ou femme, même complètement novice, qui souhaiterait avoir une ruche dans son jardin pour le plaisir, la pollinisation, et la préservation des abeilles. C’est une apiculture ultra simple et peu coûteuse, avec très peu d’interventions et un matériel très limité. On peut la qualifier en outre d’apiculture ’pédagogique’, puisque l’on peut suivre le développement des colonies à travers une petite vitre à chaque étage de la ruche, sans jamais déranger les abeilles.
Les abeilles élevées ainsi ne sont pas agressives, car elles vivent sans stress (on n’ouvre jamais les ruches !).
A l’issue de deux jours de formation les stagiaires découvrent l’organisation fabuleuse d’une colonie, apprennent tout ce qui est nécessaire pour récolter un essaim, s’occuper d’une ruche, extraire un peu de miel, dans le plus grand respect de l’abeille.
Les stages de vannerie sauvage ont lieu en automne-hiver, lorsque la sève est redescendue dans les racines des plantes. Au cours d’une promenade nous repérons les végétaux que nous offre la nature, tels que la viorne, la clématite, le houblon, la bourdaine, ...etc. Ce sont des trésors inimaginables, disponibles partout.
De retour à l’atelier, nous fabriquons divers objets, tels que des paniers, corbeilles ou nichoirs pour les oiseaux.
Je souhaite surtout faire découvrir la richesse qui est dans notre environnement proche, les haies, les buissons et les friches.
Céline, dans nos jardins interviennent bien d’autres pollinisateurs, comme les bourdons, les abeilles sauvages, les papillons... Proposez-vous là aussi des aides à leur reproduction, à leur bien-vivre ?
Oui, bien sûr ! Chez moi le jardin est un refuge pour tout ce petit monde. Je leur fabrique des abris de toutes sortes, qui sont tous très largement occupés. Cette collection fait la joie des visiteurs.
Tous ces pollinisateurs, mal connus, sont très importants pour la biodiversité. Pour leur permettre de pondre, on peut leur proposer des tiges creuses ou tout simplement amasser quelques fagots de branchages séchés. Un nettoyage trop parfait du jardin n’est pas favorable à leur installation !
J’insiste souvent sur le fait qu’il ne faut pas trop tondre les pelouses, et laisser de grandes taches d’herbes hautes, que l’on ne tondra qu’une ou deux fois par an : c’est le meilleur moyen de rendre service aux insectes.
Pour les papillons c’est encore une autre histoire : eux, ont besoin de plantes sauvages pour y déposer leurs oeufs. Chaque papillon a sa plante préférée : pour beaucoup ce sont les orties, pour d’autres le plantain, la berce, l’achillée, la centaurée...etc. Accepter quelques herbes folles, c’est offrir aux chenilles un véritable garde-manger.
J’organise des ateliers de découverte et de construction d’abris pour les insectes, pour les scolaires et les adultes.
Pourriez-vous nous présenter un des projets que vous avez mené avec des enfants dans une école ?
Oui, par exemple, je peux vous parler du projet que j’ai conduit dans le patio de l’école Victor Hugo de Monéteau. C’était un endroit déshérité et triste, avec un grand mur en béton. J’ai transformé ce lieu avec l’aide des enfants et des enseignants, et le soutien de l’équipe municipale. Nous avons planté des massifs de fleurs mellifères (lavandes, orpins, asters...), laissé pousser la pelouse, et métamorphosé le grand mur en béton qui est devenu le support de nombreux refuges pour les abeilles maçonnes, et de plantes grimpantes.
Durant un an j’ai animé ces ateliers avec les 5 classes de l’école primaire.
Je garde le souvenir de plusieurs enfants qui n’avaient jamais jardiné auparavant, et qui ont pris grand plaisir à mettre les mains dans la terre !
A la vue de votre jardin, ne peut-on pas penser qu’à défendre la biodiversité, vous redoublez de créativité ? Vous voilà devenue artiste.
J’aime depuis toujours créer, inventer des sculptures, des tressages, des palissades, des tipis, des cabanes, qui créent la surprise au détour d’une allée. J’aime que le jardin soit coloré et ludique, qu’il invite à la poésie.
Ce n’est peut-être pas tout à fait par hasard que je me suis installée dans le beau village d’artistes de St Aubin Châteauneuf, où les sculptures sont à chaque coin de rue. Je me sens bien chez moi ici !
Et si quelque grincheux vous disait qu’il est vain de protéger la biodiversité dans nos seuls petits jardins, que lui répondriez-vous ?
Je n’ai pas encore rencontré le grincheux dont vous parlez... cela viendra peut-être...?!
Je lui répondrais que l’avantage de nos petits jardins, si petits soient-ils, c’est qu’ils sont partout. Et que de plus en plus de personnes se sentent concernées par ces questions, pour peu qu’on les informe bien.
Les petits ruisseaux faisant les grandes rivières, je m’efforce de garder un regard confiant et optimiste.
Depuis que j’ai créé le jardin, j’ai transmis ma passion des abeilles et de l’apiculture écologique à de très nombreuses personnes, dans toute la France. Je garde le contact avec la plupart d’entre elles. Ainsi, des petites ruches fleurissent un peu partout, des cabanes à insectes aussi, entourées de jardins fleuris. Ces résultats positifs m’encouragent à continuer dans cette voie.
Pour vous contactez, pour en savoir plus sur tout ce que vous proposez, on ne peut qu’inciter à se rendre sur votre site. Vous avez de nouveaux projets en tête ?
Oui, car l’acquisition d’une parcelle de terrain est en cours. C’est un grand terrain boisé, en friche, qui se trouve en prolongement du jardin. La végétation y est déjà bien implantée, et j’aimerais y proposer un parcours botanique à la découverte des plantes mellifères (qui plaisent aux abeilles) et des plantes de vannerie...
Pour me contacter :
Céline Locqueville
Le jardin des Petites Ruches
89110 St Aubin Chateauneuf
06 01 15 10 82
http://petitesruches.fr/