Quelles forêts pour demain ? Interview des gérants du groupement forestier écologique "Avenir Forêt"

, par  Avenir Forêt, Rédaction de Yonne Lautre , popularité : 1%

Entretien réalisé par la Rédaction de Yonne Lautre le 11 mars 2015

 Susanne Braun, Pierre Demougeot, vous faites la promotion d’Avenir Forêt. De quoi s’agit-il ?

Avenir Forêt est un groupe de particuliers qui ont mis de l’argent en commun afin d’acheter des forêts et de les gérer de manière écologique. Ce groupe s’est construit sous l’impulsion de Pierre DEMOUGEOT et Susanne BRAUN, couple franco-allemand d’ingénieurs forestiers. Ainsi Avenir Forêt pratique une sylviculture qui évite de passer par un stade de « coupe rase » ou « coupe à blanc » et met en œuvre un cahier des charges techniques afin de préserver les sols, la diversité et les écosystèmes [1]

Concrètement Avenir Forêt réalise la gestion des forêts comprenant les inventaires (réalisation des plans de gestion), les martelages (marquages des arbres à couper), l’organisation des chantiers (coupes, pistes, etc) et la vente des bois aux scieries.
Crée fin 2013, Avenir Forêt connaît un succès certain avec aujourd’hui plus d’une trentaine d’associés, 500 000 euros de capital social et 70 hectares de forêts réparties entre le Limousin et l’Auvergne. Avenir Forêt est juridiquement constitué en tant que « groupement forestier » soit une société civile immobilière à but non commercial. Ceci comprend des parts sociales, des assemblées générales et la gérance assurée par les fondateurs. Nous sommes actuellement à la recherche d’une quatrième forêt à acheter.
Les associés partagent tous une vision éthique de leur investissement dans une richesse réelle qu’ils maîtrisent et qui est bonne pour l’environnement. Au-delà, des défiscalisations, des objectifs de transmission et de diversification de leurs patrimoines dans un placement « refuge » peuvent s’ajouter et fondent la plupart des motivations des associés pour faire partie du groupement.

D’un point de vue social, Avenir Forêt constitue une alternative citoyenne à l’industrialisation systématique de la filière forêt-bois qui poussent certains propriétaires à se désintéresser de leurs forêts par défaut ou par dépit suite à de mauvaises expériences avec des acteurs de la filière (coopératives, exploitants, etc). Ce mode d’achat et de gestion collectif de forêts est reproductible par d’autres. Avenir Forêt participe activement au réseau pour les alternatives forestières [2](RAF) qui fédèrent au niveau national les acteurs alternatifs du secteur forestier.

Sur un plan plus large, Avenir Forêt a aussi été crée dans un esprit de démocratisation et de réappropriation conviviale de l’accès à la propriété forestière pour des personnes qui ne pourrait pas le faire seules techniquement ou financièrement. Le groupement met donc l’accent sur des rencontres annuelles en forêt et sur le site Internet (www.aveniforet.com) qui sont le support à une transparence et à une vulgarisation de la sylviculture écologique envers les associés.

  Plus précisément encore, quelle gestion de vos forêts pratiquez-vous ?

Nous pratiquons une sylviculture dite "irrégulière" où les parcelles présentent en permanence des arbres de tous les âges et où nous prélevons progressivement mais régulièrement des arbres parmi l’ensemble des ces classes d’âge.
Voyons dans le détail en quoi consiste notre sylviculture (culture des arbres) écologique. Nous précisons tout de suite que nous sommes très pragmatiques, absolument pas dogmatiques et tout à fait intéressés par le rendement de la forêt afin d’en vivre (rendement toujours faible dans l’absolu en comparaison avec d’autres secteurs : TRI [3]2 et 4%). Il n’est pas ici question de « naturalité » de la forêt, l’immense majorité des forêts d’Europe est fortement marquée par la main de l’homme et depuis plusieurs siècles. Notre mode de gestion l’assume complètement.
 

Ainsi nous appliquons dans la mesure du possible une sylviculture qui tient compte du fait que le vrai capital productif de la forêt est l’écosystème et le sol. Nous récoltons donc progressivement les arbres en ayant en permanence un couvert forestier présent. Pour ce faire il faut donc à termes disposer d’arbres de toutes les tailles simultanément : arbres de quelques années appelés « semis » qui forment « la régénération naturelle », de jeunes arbres de quelques dizaines de cm de diamètre, d’arbres moyens de 30 à 50 cm de diamètre et ainsi de suite jusqu’à 80 cm de diamètre. Cette taille est la limite acceptée par la plupart des installations des scieries françaises. Ces arbres peuvent êtres répartis selon une mosaïque de surfaces de 0,5 hectares par exemple (carré de 70 mètres de côté) ou encore complètement mélangés (« pied à pied »). L’ensemble de ces modes de gestion sont appelés « futaie irrégulière », la futaie désignant l’ensemble des arbres et irrégulière précisant qu’ils sont d’âges différents. Ceci s’oppose à la « futaie régulière » où tous les arbres ont le même âge puisque tous plantés en même temps et donc une fois "mûrs" tous coupés à la fin du cycle lors d’une coupe rase. La gestion en futaie irrégulière permet de toujours garder un couvert forestier et un écosystème fonctionnel avec une intégrité et une résilience forte. A cela il est possible de rajouter quelques ficelles du métier et quelques bonus : canaliser le passage des machines (porteurs et débardeurs qui viennent ramasser les troncs abattus pour les amener en bord de route) sur des tracés balisés et fixes (chemins d’exploitation ou cloisonnement) afin de tasser les sols sur des surfaces les plus réduites possibles ; intervenir en temps secs pour réduire ces tassements ; garder des arbres morts au sol et sur pied qui servent de réserves d’eau et de biodiversité. Il est clair que ces modes de gestion sont techniquement plus complexes et nécessitent des personnels formés. Pour autant toutes les nouvelles générations de techniciens forestiers français sont capables de le faire.
 
Même sur le court terme les rendements de ce mode irrégulier de gestion sont au moins aussi productifs voir plus que la méthode dite « productiviste » [4]. Cela se comprend intuitivement par le fait que la croissance des arbres est dépendante de l’énergie lumineuse qu’elle reçoit (photosynthèse). La surface de réception de la canopée d’une futaie régulière est plate et est donc moins importante que celle d’une futaie irrégulière présentant des creux et des bosses. De plus les risques sont moindres car la monoculture est structurellement fragile face aux tempêtes comme en 1999 (risque climatique) et biologiquement risquée car elle attire les ravageurs (risque sanitaire). La sylviculture « écologique » réduit fortement les investissements au départ, ce qui lui permet largement de rivaliser en rentabilité finale. Au-delà de tous ces arguments techniques et économiques, une forêt est d’abord et surtout un bel endroit où l’on aime se promener et où l’on se sent bien, un écosystème vivant auquel on s’attache.

 

 

 Les tenants d’une sylviculture bien plus mécanisée et plus industrialisée dénoncent une sous-utilisation de la forêt française, une balance commerciale négative en ce qui concerne le bois sciage, une possibilité de création d’emplois dont on se priverait. Que leur répondez-vous ?

D’abord ces personnes représentent clairement l’aval de la filière c’est-à-dire la transformation du bois (scieurs, papetiers, coopératives qui sont liées à eux, etc). Ils agissent à des échelles de temps beaucoup plus restreintes (le marché du bois varie sur quelques années) que l’amont de la filière (gestionnaires forestiers) qui travaille sur 50-150 ans. De ce fait ils réclament plus de bois pour alimenter leurs outils de production qui devraient selon eux être toujours plus imposants afin d’être plus efficaces et plus compétitifs. Cela est vrai pour les scieries, les unités de bois énergie ou encore les papetiers. Pour autant ce sont des affirmations d’administrateurs qui oublient à dessin que 25% des forêts françaises sont des très petites parcelles (moins de 4 ha) [5] qui sont de facto des réserves intégrales du point de vue des bois car non gérées par leur propriétaires. Le coût de transaction pour chercher et motiver ces propriétaires pour couper leurs bois est énorme et personnes ne veut ni ne peut actuellement le payer. Du coup ces discours sont des éternelles lamentations des gros transformateurs, mendiant des subventions et se répétant de loi forestière en loi forestière tous les dix-quinze ans. La très mauvaise réputation des acteurs de la filière qui « détruisent les chemins font des ornières de 50 cm et arnaquent les particuliers qui n’y connaissent rien » participe également à cet état de fait.

 Quelles doivent être selon vous les principales raisons de renoncer aux mauvaises pratiques de sylviculture actuelles ?


 
Les raisons principales sont la préservation des sols forestiers donc des écosystèmes forestiers qui sont le vrai capital productif dont nous disposons et qui assurent la bonne qualité des eaux souterraines. Je vais développer cet aspect dans le paragraphe ci-dessous. D’autres raisons plus court termistes sont également importantes : une meilleure résistance aux aléas climatiques et sanitaires. Il suffit de constater les dégâts beaucoup plus importants qui sont constatés dans les monocultures lors des tempêtes (Klaus, 1999) ou lors d’attaques d’insectes xylophages comme les scolytes. Ce sont des principes évidents du point de vue de la science écologique que les humains n’ont pas encore intégrés dans leurs pratiques principalement guidées par l’efficacité technique à court terme. Mais la forêt est un domaine qui se réfléchit à 50-100 ans et nous devrions faire preuve de plus de bio-mimétisme dans nos pratiques.
 

« Imiter la nature, hâter son œuvre. » Louis Parade (1802-1865), Directeur de l’école nationale des eaux et forêts de Nancy.

 
Une forêt est un écosystème très riche du fait du grand potentiel d’habitats qu’il possède. En effet, les arbres qui le structurent permettent à cet écosystème de se développer en hauteur sur plusieurs dizaines de mètres. Donc le volume et la diversité des habitats disponibles pour les différents organismes vivants (végétaux, animaux, champignons, bactéries, etc) sont d’autant plus grands. Comme la plupart des écosystèmes terrestres, son véritable capital est son sol (« terre » présente entre la roche et la surface) qui fait figure de réserve de matière organique et lui fourni une résistance aux éventuels accidents qui peuvent survenir (incendie, tempête, sècheresse). Ce sol qui peut parfois mettre des milliers d’années à s’accumuler, a besoin pour se maintenir en bon état de la végétation qui le recouvre. Ainsi les racines tiennent le sol, les végétaux et les feuilles le protègent du ruissellement et de l’érosion, la forêt maintien un microclimat sous la canopée des arbres. En effet, en forêt il ne fait jamais vraiment sec et il n’y a jamais vraiment de vent.

 
Après cette introduction très simplifiée de ce qu’est un écosystème forestier, vous comprenez facilement l’importance cruciale de garder constamment des arbres sur pied sur une parcelle forestière et de ne jamais « mettre à nu » le sol forestier. C’est-à-dire de ne jamais avoir de période où tous les arbres sont coupés (« coupe rase » ou « coupe à blanc »). Cette pratique est extrêmement nuisible bien que transitoire. Vous imaginez bien qu’entre « avant » et « après » cette coupe, l’écosystème est radicalement détruit et souvent complètement remplacé par un écosystème différent et pas forcément adapté. Par exemple cela peut-être une plantation pure de résineux sur une grande surface (uniquement des arbres de la même espèce de pin). Certes d’autres espèces d’êtres vivants s’y trouveront fort aise mais la diversité et le sol s’en trouveront très affaiblis.
 
Ce modèle productiviste consiste dans le pire des cas à couper tous les arbres sur une grande surface, à détruire les souches, à broyer le sol sur 20 cm, à planter en ligne des plants (petits arbres) élevés en pépinière puis à entretenir (broyer) régulièrement entre les lignes de la plantations, etc. Ce modèle est donc évidemment très créateur d’emploi (à chaque étape) et est logiquement très largement promu. Il est à noter tout de même que ce modèle à été banni dans les forêts publiques allemandes depuis plus de 20 ans…

 Votre résistance, votre alternative, n’est-elle pas vaine ? Ou au contraire, pensez-vous que nous pouvons espérer faire front et sauver nos forêts, si peu que nous nous mobilisions ?

 
Avenir Forêt est une expérience reproductible et n’importe quel groupe de particuliers peut travailler avec un professionnel ayant une sensibilité écologique pour gérer la forêt qu’ils auraient acheté. Nous-mêmes et d’autres acteurs disponibles dans le réseau des alternatives forestières (RAF) sont prêts à les conseiller et les aiguiller vers des personnes ressources compétentes et sensibles à l’écologie. De manière encore plus simple, tous les propriétaires de forêts actuels pourraient très bien demander à leur gestionnaire d’éviter les coupes rases et de suivre un cahier des charges comme il en existe avec les certifications « Forest Stewardship Council » (FSC) par exemple. Depuis près de 10-20 ans tous les ingénieurs et techniciens forestiers formés en France sont parfaitement capables de mettre en œuvre une gestion dite « écologique » de la forêt. Souvent c’est bien le manque d’intérêt qui laisse le champ libre à des acteurs peu scrupuleux et une fois les arbres coupés il est trop tard pour s’en soucier… Les propriétaires sont souverains et peuvent tout à fait changer les choses à condition de s’y intéresser.

En ce qui concerne les forêts françaises :

  • 30% sont sous gestion publique (forêts domaniales de l’état ou communales) et même si la pression financière est terrible sur les agents de l’Office nationale des forêts (ONF), il faut reconnaître que cette partie de la forêt est globalement bien gérée et que les principes écologiques diffusent progressivement dans l’ensemble de l’administration et deviennent la norme.
  • 25% sont des forêts de moins de 4 ha qui sont pour la plupart à l’abandon car trop petites pour être rentables à exploiter, ce qui crée de facto une mosaïque de parcelles assimilables à de la réserve intégrale du point de vue des coupes. Ceci produit une inertie et un maillage sur tout le territoire qui est à mon sens très positif pour les écosystèmes, les habitats et la biodiversité en général.
  • 45% restants sont effectivement gérés de manière discutable sur le plan écologique. Pour autant ce sont aussi ces parcelles regroupant une certaine surface qui sont les plus susceptibles de voir leur gestion changer avec l’arrivée d’une génération de propriétaires « héritiers » plus intéressés et sensibilisés par l’écologie. Les centres régionaux de la propriété forestière (CRPF) ont des techniciens sur tout le territoire qui peuvent aussi les aiguiller vers des démarches respectueuses des écosystèmes. Il est à noter que des phénomènes contre intuitifs se produisent actuellement avec par exemple un fort lobby de certains papetiers pour convertir les propriétaires à la certification FSC du fait de la forte demande des marchés d’Europe du nord.
  • À cela on peut rajouter de grandes surfaces de « pseudo-forêts » comme les Landes ou le plateau de millevaches qui sont des espaces originellement non forestiers et où le « combat » pour la biodiversité est somme toute assez relatif. C’est un grand débat que je ne vais pas aborder en profondeur ici sur la « naturalité » de ces espaces.
     
    Voilà pourquoi de mon point de vue il y a beaucoup de raisons de voir le futur de la forêt française de manière positive. Il y a certes beaucoup de choses à améliorer mais certainement pas une « forêt française à sauver ».

 La forêt pourra-t-elle « tenir » face aux changements climatiques et quelles seraient les meilleures façons de l’y aider ?

Le mieux pour faire face à d’éventuels changements climatiques à la hausse ou à la baisse est de disposer d’écosystèmes résistants ou résilients. Pour ce faire il faut que les essences forestières soient adaptées à leur terrain (au sol/ au climat) pour faire face à la sécheresse par exemple, les inondations fréquentes, des gelures, la neige etc. Cela nécessite une connaissance des terroirs (géologie, pédologie, climatologie, végétation, hydrologie, etc.) pour favoriser les bonnes essences, les plus proches d’un écosystème naturel (sans impact de l’être humain). Le but est d’obtenir des écosystèmes fonctionnels et relativement diversifiés au niveau des essences d’arbres et des habitats. En effet une grande biodiversité composant des peuplements d’arbres mélangés permet d’avoir un volant de possibilités plus large en terme de sylviculture pour réagir face à des changements climatiques et à leurs éventuelles conséquences sanitaires sur la prolifération de maladies ou de ravageurs. Les individus d’espèces autochtones issus de régénération naturelle sont des patrimoines génétiques précieux qui ont interagit avec leur environnement durant leur histoire génétique et durant leur croissance.

 Peut-on encore rejoindre Avenir Forêt et comment ? Aidez-vous à la formation des personnes motivées d’autres régions et comment ?

Avenir Forêt est ouvert aux particuliers qui adhèrent aux principes et à l’état d’esprit du groupement. Pour entrer au capital il suffit de visiter le site Internet (www.avenirforet.com) et d’y prendre contact avec nous. Nous serions enchanter de pouvoir conseiller d’autres personnes ou structures similaires. Le cadrage juridique par exemple peut être subtil à rédiger selon les situations (nos statuts sont en libre accès sur le site). De même le monde de la forêt en tant qu’écosystème ou en tant que filière professionnelle nécessite quelques bases pour se lancer en évitant des écueils classiques. Pour l’instant nous témoignons de notre expérience en espérant stimuler des envies. Cela peut prendre place dans le cadre familial, associatif ou encore au sein d’un groupe d’amis. Nous nous occupons également des forêts pour d’autres propriétaires forestiers qui souhaitent que leur forêt soit gérée de manière écologique. A termes nous avons le projet sur demande de réaliser des formations forestières multiapproches d’un week-end à destination de particuliers ou de personnes souhaitant se lancer dans un projet forestier.

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