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"Biomasse énergie : Réalité de la situation", par Jean-François Davaut

Note préliminaire.

Ce document ne se veut pas un document de référence, mais plutôt comme un « état des lieux » à un moment donné sur la problématique du bois énergie. Il est le résultat de recherches autour de deux questions . D’abord, la performance énergétique réelle de la biomasse bois – quand on fait des comparaisons de chiffres sur des installations de production d’énergie à partir de la biomasse bois, on ne trouve que peu de cohérence- et ses conséquences sur la ressource ( cette dernière est-elle durable ?), puis le concept « carbone neutre » de cette biomasse, qui m’a toujours paru un peu simpliste.

D’autres sujets liés à cette recherche sont bien évidemment apparus (particules fines, modification des sols, y compris dans sa composante carbone, après « récolte » du bois par coupes à blanc, cultures intensive de variétés à croissance rapide avec sa problématique de l’eau si peu évoquée, etc). Mais le plus important est l’énorme fossé qui apparaît entre les conclusions et propositions françaises (voir rapport parlementaire sur la biomasse) et celles émises par de nombreux rapports scientifiques, essentiellement anglo-saxons.

  Biomasse énergie : Réalité de la situation.

Prônée par quasiment l’ensemble des institutions politiques et écologiques, il apparaît que de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer un discours simplificateur, qui va à l’encontre des objectifs affirmés.

Des rapports scientifiques émanant d’organisations indépendantes , voire de collectifs de scientifiques, prouvent que les centrales biomasses de grande capacité vont a l’opposé des résultats recherchés, à savoir un moindre impact écologique. Ce qui amène à questionner les politiques publiques mises en place pour favoriser l’émergence des énergies renouvelables, ou plutôt de certaines catégories d’entre elles.

L’un de ces rapports a servi à la cour fédérale américaine pour annuler des lois mettant en place des subventions et des avantages fiscaux pour la production d’électricité à partir de la biomasse bois.

Et de plus en plus de projets sont contestés, y compris par des organismes d’état chargés d’éclairer les décideurs politiques. (Le Vermont Public Service Board refuse les certificats pour la centrale de North Springfield dans l’état du Vermont).

En effet l’un des effets pervers des aides apportées aux énergies renouvelables est que l’économique prend largement le pas sur tout le reste et que les grandes compagnies d’électricité lorgnent sur un profit qui est essentiellement réalisé sur le dos des contribuables. La partie « verte » des projets n’est bien souvent qu’une liste de bonne intentions qui seront « peut-être » respectées (vois le procès E-On). Nous en arrivons à importer des quantités considérables de biomasse bois transformée dans le seul but de faire passer l’installation de production pour « verte » et d’en toucher les dividendes (prix de vente de l’énergie subventionnée, aménagement de certaines taxes, certificats verts , etc). Il faut savoir que c’est d’autant plus facile que la réglementation européenne ne tient pas compte, lors de l’attribution du label « vert » à une installation, de la déforestation en dehors de l’UE.

Le pire scénario étant celui de la production d’électricité à partir de la biomasse, le rendement des installations étant en général de l’ordre de 25%.

Voici un résumé des conclusions de certains de ces rapports sur 3 thèmes critiques : la pollution, le mythe du « carbone neutre », et la disponibilité de la ressource.

 1. Pollution.

Renouvelable ne veut pas dire propre.

Brûler de la biomasse est en général plus polluant que brûler du charbon, sauf en ce qui concerne l’oxyde de soufre. Des données de centrale en activité indiquent que la biomasse émet 98% de la quantité d’oxyde d’azote qu’un volume équivalent de charbon bitumineux, 51% de plus de CO2 et un niveau global comparable de particules, sauf que la biomasse émet davantage de particules fines (PM10) et encore beaucoup plus de particules plus fines et plus dangereuses PM2.5.

(Note : PM 10, PM2.5 signifie particules de diamètre 10um et 2.5um).

Les dioxines – particules chimiques les plus toxiques – sont émises en quantité 7 fois supérieure que par combustion du charbon.

Pour compléter ce tableau, il faut noter que le pouvoir énergétique de la biomasse est environ deux fois plus faible que celui du charbon : il faut donc environ 2 tonnes de biomasse pour obtenir l’équivalent énergétique d’une tonne de charbon.

Si l’on rajoute a tout ceci le fait que , étant donné la quantité de biomasse nécessaire au fonctionnement des grosses unités de production d’énergie, ces unités sont alimentées en bois vert ayant un pouvoir énergétique entre 2 à 3 fois plus faible que la biomasse dite sèche, il est aisé de voir que cette combustion va générer beaucoup plus de pollution que la combustion du charbon. Même si la biomasse génère moins de polluants par unité de masse (ou de volume) – ce qui n’est pas tout à fait le cas- la nécessité d’un volume beaucoup plus important pour un résultat énergétique équivalent fait que le résultat final en terme de pollution est largement supérieur à celui d’une énergie fossile.

Pour référence : Une centrale biomasse de 50MW, nécessite environ 40t/heure de bois sec. Dans la réalité il faut entre 80t/h et 100t/h, sachant aussi que toutes les centrales sont équipées pour bruler périodiquement un combustible beaucoup plus énergétique afin de réduire certaines pollutions.

La centrale MacNeil de Burlington (Vermont) – 50MW- brule 76 tonnes de bois par heure, ce qui confirme que, nécessité faisant loi, il faut bruler le bois disponible sec ou pas.

Pour illustration, le tableau suivant montre les quantités de polluants émis par une centrale biomasse de 100MW (Gainesville en Floride) et celles émises par une centrale combinée gaz/fuel de 431MW (Westfield dans le Massachusetts).

Comparaison des émissions de la centrale biomasse 100MW et d’une centrale gaz/fuel de 431MW Biomasse 100MWt/anBiomassekg/MWhGaz/fuel 413MWt/anGaz/fuelkg/MWhRatio biomasse/Fuel
Oxyde d’azote 416,4 0,43 91,9 0,023 1869,57%
Monoxyde de carbone 713,6 0,74 59 0,013 5692,31%
Particules 249,8 0,26 49,1 0,013 1984,62%
Dioxyde de soufre 243,9 0,25 16,7 0,005 5644,44%
Composés organiques volatiles 77,3 0,08 23,8 0,005 1822,22%
Autres polluants 24,7 0,03 5,1 0,001 2700,00%
Dioxyde de carbone 1232225 1276 1432825 344 370,93%

Pour ce qui est des particules fines, c’est l’un des polluants qui semble le plus facile à contrôler. Sauf que , pour les centrales de grande puissance, les normes de rejet sont rarement respectées. Les filtres à manches, solution d’épuration recommandée, sont très efficaces... à condition d’être correctement entretenus. Cet entretien étant relativement onéreux, il est négligé. C’est d’ailleurs l’un des motifs de suspension, voire d’annulation , de certains projets. Voir l’exemple de la centrale de Tilbury près de Londres.

Le « Bois propre » ne l’est pas.

Il a été découvert que même le bois « propre », en provenance directe des forêts, n’est pas aussi propre qu’on le supposait. (rapport de nov 2012).

Il s’avère que les arbres absorbent les polluants de leur environnement et que ces polluants se retrouvent dans l’atmosphère lors de la combustion du bois. Par exemple, les arbres qui sont recommandés pour les centrales (saule et peuplier) absorbent plus de mercure que les autres.

Mais des polluants tels que la plomb, le cuivre, le zinc et le cadmium sont également absorbés par les arbres. Les conifères sont de très bons « accumulateurs » de plomb.

Le cuivre et le zinc étant des catalyseurs de dioxine, la combustion des bois en contenant va émettre une quantité plus importante de dioxine.

Un exemple avec la centrale (12MW) de Hopkinson (New Hampshire) qui n’a brulé que des plaquettes de bois « propre » a émis annuellement 272 kg de plomb et 3,6 kg de mercure.

 2. Bilan Carbone

Le mythe du « carbone neutre ».

Si l’on brûle de la biomasse bois, c’est que celle-ci a été détruite. Il y a donc diminution instantanée du volume de la biomasse. En effet, cette destruction, et la combustion qui s’en suit, sont à l’échelle de temps de l’heure. La re-génération de biomasse nécessaire pour re-capturer le carbone émis va prendre plusieurs dizaines années. Il y a donc mécaniquement un « pic carbone » qui va durer quelques dizaines d’années.

De plus la combustion de la biomasse émet 51% de CO2 de plus que la même quantité de charbon ce qui crée une « dette » carbone. Il a été calculé qu’il faut environ 40 ans pour annuler cette dette carbone supplémentaire par croissance de biomasse nouvelle, et qu’il faut 100 ans pour neutraliser l’émission carbone totale.

Pensez-vous que cette biomasse nouvelle sera laissée intacte pendant 100 ans afin de remplir son rôle ?

Le graphique ci-dessous montre une courbe calculée d’après des données d’exploitation d’une centrale biomasse. ((Manomet biomass report p98).

Une synthèse (BIOGENIC CARBON EMISSIONS OF FOREST BIOMASS ENERGY, août 2011,JOHN S. GUNN, DAVID J. GANZ† and WILLIAM S. KEETON ) de différentes études scientifiques américaines et européennes dénonce les positions des défenseurs de la biomasse énergie , y compris les méthodes du GIEC, en montrant les faiblesses des raisonnement « carbone neutre » ne serait-ce que du fait de la déforestation qui continue. (Comment capturer plus de carbone , émis par la combustion, alors que la déforestation continue ?).

Un projet de centrale biomasse ,North Springfield dans le Vermont, vient d’être interdit pour la seule raison d’émission de gaz a effet de serre trop importante (février 2014) par rapport aux objectifs de l’Etat. Le porteur de projet mettait en avant une « économie » de gaz à effet de serre , alors que les services publics (PSB) de l’état ont calculés une émission de 448 000 t de CO2 pour la centrale (35MW). Le porteur de projet à été incapable de contester cette évaluation. D’ou la décision négative.

De plus, il faut rappeler que le PCI (Pouvoir Calorifique Inférieur) du bois étant plus faible que celui du charbon, il faut plus de bois pour obtenir la même quantité d’énergie. D’ou, en plus d’émissions de CO2 plus importantes, un besoin, en volume, beaucoup plus grand, et se pose alors la question de la ressource.

 3. Disponibilité de la Ressource

Les projets anglais, s’ils voyaient le jour, nécessiteraient 5 fois la production annuelle de biomasse. Un autre rapport indique une ressource nécessaire représentant 9 fois la ressource disponible.

Si tous les projets de centrale biomasse de l’Ohio voient le jour, la consommation nécessaire fait que la ressource bois de l’état sera consommée en 19 ans.

Ces deux exemples pour montrer que les études de faisabilité et de gestion de la ressources pour chaque projet sont largement sous-estimées. Et rarement consolidées ne serait-ce qu’au niveau régional , voire national. De plus les plans d’approvisionnement souvent se chevauchent sans que personne ne s’inquiète des limites des disponibilités.

Les données concernant la consommation de biomasse bois sont la plupart du temps minimisée. Elles supposent en effet une combustion de bois sec (taux d’humidité < 30%) et un rendement optimum. Or ce n’est pratiquement jamais le cas. Il faut, pour les grosse installations , de telles quantités de combustible par unité de temps (40t/h pour 50MW) , qu’il est impossible de stocker suffisamment le bois pour qu’il ait le temps de perdre son humidité. On brûle donc du bois humide. Il faut donc plus de bois pour compenser la perte de rendement due à l’humidité. Certaines chaudières industrielles possèdent un élément de séchage des plaquettes en entrée de chambre de combustion, mais évidemment l’énergie de séchage diminue le rendement de l’ensemble.

En plus du rendement réel des installations, l’autre problématique est celle de l’approvisionnement.

Les grosses installations ont des besoins colossaux. Pour assurer le fonctionnement de la centrale, les industriels approvisionnent directement les troncs et les transforment en plaquettes qui approvisionnent la chaudière (La surface de stockage des bois ronds, ou des grumes, devient la partie la plus importante du site). D’ou le concept qui émerge : planter du bois exclusivement destiné à être brûlé.

A ce jour les projets biomasse retenus par la CRE représentent une puissance installée de 2375 MW.

Bien sûr tous ne seront pas réalisés. Ils nécessiteraient environ 30 millions de tonnes de bois chaque année. Sans compter tous les projets locaux de chaufferie bois qui voient le jour (voir projet 1000 chaufferies). Il faut rappeler que la ressource disponible annuelle en France est de 85 millions de tonnes.

Le problème est si crucial que les grosses sociétés de production d’énergie se préoccupent de l’approvisionnement longue distance en important massivement de la biomasse bois (Canada, Etats-Unis, Brésil, Afrique, etc). Ce « pillage » de la ressource est tel que des scientifiques américains ont écrits à la commission européenne (lettre du 30 août 2013 au commissaire européen en charge de l’énergie , Mr Günther Oettinger) pour s’inquiéter de cette situation, estimant que les états sud américains vont exporter près de 6 millions de tonnes de bois en 2015.

Ces sociétés s’implantent dans les régions forestières du monde entier. Elles achètent des forêts entières , y implantent des unités de fabrication de granulés, granulés destinés à approvisionner des centrales européennes. Autre conséquence de cette nécessaire ressource : l’émergence de la « culture « du bois. L’idée étant de planter des forêts d’essence à rotation courte – de 10 à 15 ans- , d’exploiter par coupe rase et de replanter. Avec comme conséquence la nécessité d’intrants pour favoriser la croissance rapide et de grandes quantités d’eau pour démarrer la pousse.

Voir par exemple E.On en Afrique, qui achète 8000 ha quitte a exproprier les petits paysans locaux et à leur interdire l’accès à l’eau. L’Australie, qui privilégie l’utilisation des déchets bois, a interdit l’utilisation du bois d’oeuvre en tant que bois énergie. Pour pallier à cette difficulté certaines compagnies de production d’énergie envisagent de cultiver de grandes étendues d’Eucalyptus pour fabriquer du combustible pour leur propre compte , mais aussi pour l’export à destination de … L’Europe.

Exemple de Tilbury B.(UK)

Centrale thermique devant être convertie pour la biomasse. Objectif : prolonger la durée de vie du site de 10 à 12 ans. Puissance finale 750MWh . Consommation biomasse:2,5 millions de tonnes par an dont 30% de Géorgie (US) 60% du Canada et 10% d’Europe (Espagne, Italie, Allemagne , Pologne)

Projet abandonné car, probablement suite au dépôt d’un rapport demandé par la population sur la pollution particules fines (PM2.5), le gouvernement est passé outre la décision favorable des autorités locale et a refusé le bénéfice des certificats verts. Sans ces certificats verts le projet n’est plus rentable dixit l’industriel (RWE). A noter, au vu de la réalité actuelle (taux d’humidité de la biomasse bois), que la ressource nécessaire serait plutôt aux alentours de 5 millions de tonnes de bois.

Ceci est confirmé par l’expérience : quand il est prévu environ 250 000t de bois par an pour des centrales de 50MW , la réalité de celles qui sont en fonctionnement est d’environ 450 000t. Une centrale biomasse en activité d’une puissance de 75MW consomme 113t/h de bois, soit environ 813 000t par an (chiffres d’exploitation). E-ON nous dit que pour 150MW, leur consommation sera de 900 000t/an : cherchez l’erreur !!!!

Il est juste de rappeler aussi qu’en plus de la qualité du combustible, le rendement de la centrale intervient. La plupart des études se basent en général sur un rendement de 35% (cas de la génération d’électricité) ; en fait les rendements les plus élevés constatés sont de l’ordre de 28%), ce qui bien entendu aggrave l’impact sur la ressource.

Dans la plupart des rapports issus de campagnes d’étude sur des centrales biomasse en activité , il apparaît que pour minimiser les effets négatifs de telles centrales (ressource, pollution, etc), celles-ci ne doivent pas être d’une puissance supérieure à 5 MW. (Un auteur va jusqu’à 8MW).

Produire de l’électricité à partir de la biomasse est tout simplement un non-sens pour chacun des points évoqués ci-dessus.

En conclusion (provisoire) , voici à quoi ressemble une centrale biomasse bois. Comme vous pouvez le constater, les déchets bois sensés alimenter cette centrale sont … fabriqués sur place … à partir des troncs …

… visibles en haut à gauche de l’image, mais un peu camouflés au public...

Cette centrale est considérée comme le site le plus polluant de l’état du Vermont (plus de 70 polluants émis).

(voir le site maforests.org/ )

La plupart des éléments de cette note sont issus des documents suivants :

Manomet center : Biomass sustainability and carbon policy study . Juin 2010

Partnership for Policy Integrity : Biomass energy overview . avril 2011 (pfpi.net)

EnergyJustice : Woody Biomass Incinération . Nov 2012 (Enegyjustice.net)

Biofuelwatch : Sustainable Biomass : A Modern Myth . Sep 2012.

Nobiomass (Australie) : site internet.

Jean-François Davaut, ADRET-MORVAN


Les photos, hormis la dernière, sont de Philippe Maillard (Adret Morvan).

Par Adret Morvan, Davaut Jean-François

Le lundi 2 novembre 2020

Mis à jour le 21 juillet 2023