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Jacques Berthelot : Le marché de dupes des producteurs de bananes d’Afrique de l’Ouest ayant exigé la signature de l’APE avec l’UE

24 juillet 2014, 17:59, par Yonne Lautre

On sait que la principale raison de l’acceptation des Chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest de signer l’APE régional avec l’UE le 10 juillet 2014 à Accra vient des pressions exercées par la Côte d’Ivoire, et accessoirement par le Ghana, qui risquaient de perdre l’accès au marché européen sans droits de douane principalement pour leurs exportations de bananes, de respectivement 252 639 tonnes et 42 840 tonnes en 2013.

Mais l’encre de la signature avait à peine séché que l’UE a signé le 17 juillet un accord de libre-échange avec l’Equateur, premier exportateur mondial de bananes, avec 5,8 millions de tonnes en 2011. Cet accord va réduire les droits de douane sur ses exportations dans l’UE de 132 € par tonne actuellement à 117 €, niveau obtenu par les pays d’Amérique latine ayant conclu début 2012 un accord de libre-échange avec l’UE : Colombie, Pérou, Costa Rica, El Salvador, Honduras, Guatemala, Nicaragua et Panama. Malgré ce surcoût à l’exportation sur le marché de l’UE, l’Equateur y est resté le premier exportateur, avec 1,361 million de tonnes en 2013, devant la Colombie avec 1,199 million de tonnes. L’Equateur va en outre bénéficier de la réduction progressive des droits douane de ces ’bananes-dollar’, à 75 € la tonne d’ici 2020.

C’est pourquoi Eduardo Ledesma, le président de l’association des producteurs de bananes d’Equateur (AEBE), se félicite de cet accord ’merveilleux’ et ’terriblement positif’ compte tenu de l’alignement des droits de douane sur ceux de la Colombie et autres pays non ACP [1].

Selon un article du CTA [2] de mai 2014 ’La préoccupation est que, avec la réduction tarifaire qui s’étend progressivement dans le cadre des accords existants de libre-échange de l’UE, la zone dollar, désormais très compétitive, deviendra un centre d’investissement de plus en plus attractif. Cela pose de véritables défis même pour les exportateurs de bananes les plus compétitifs des pays ACP, qui devront faire face à une concurrence accrue s’agissant de l’investissement dans le secteur de la banane, dans le contexte d’une concentration de plus en plus forte du marché et du dépouillement d’une partie de la valeur dans certaines des chaînes d’approvisionnement européennes de la banane, résultant de la politique des prix pratiquée par des supermarchés de l’UE’ [3], ’vu la tendance de certains supermarchés européens à utiliser ce fruit comme produit d’appel pour attirer la clientèle’ [4].

Or, si des compensations ont été accordées aux pays ACP et aux producteurs de bananes de l’UE pour faire face à la concurrence accrue de ces ’bananes-dollars’, elles sont insuffisantes car elles n’ont pas été revalorisées après les Accord de libre-échange conclus en 2012.

Qui plus est, l’érosion des préférences des bananes ACP est menacée par de nouveaux concurrents potentiels liés à la poursuite des négociations d’autres accords de libre-échange, notamment avec le Mercosur (Brésil), l’Inde et bientôt les Philippines. Le Brésil souhaite disposer d’un quota tarifaire à droits de douane réduits de 200 000 tonnes tandis que l’Inde, le plus gros producteur de bananes au monde avec 30 millions de tonnes, commence à s’organiser pour développer ses exportations tandis que des négociations pour un accord de libre-échange sont envisagées avec les Philippines, second exportateur mondial avec 2,6 millions de tonnes en 2012, mais qui n’a exporté que 700 tonnes vers l’UE en 2013.

Or il est utile de comparer la compétitivité des bananes ACP d’Afrique subsaharienne – essentiellement Côte d’Ivoire, Cameroun et Ghana – sur le marché de l’UE de 2006 à 2013, telle que reflétée dans les tonnages exportés et les prix CAF, à la fois en euros et en dollars, en les comparant aux principales sources des bananes importées dans l’UE28 : pays ACP des Caraïbes, bananes françaises, ’bananes dollar’ d’Amérique latine et toutes origines extra-UE.

(...)

Sans entrer dans une analyse approfondie, il s’agit de souligner que, malgré des exportations sans droits de douane dans l’UE et des aides significatives allouées par l’UE aux producteurs des pays ACP – notamment pour compenser la baisse de compétitivité liée à la réduction des droits de douane sur les pays d’Amérique latine jusqu’en 2012 –, aussi bien d’Afrique subsaharienne que des Caraïbes, leurs exportations vers l’UE n’ont augmenté que de 3,4% de 2010 à 2013 contre de 6,4% pour les ’bananes-dollar’ d’Amérique latine. La raison essentielle tient aux prix CAF des bananes-dollar inférieurs à ceux des bananes ACP, exprimés en euros ou en dollars. Sans doute des questions de qualité interviennent-elles, notamment pour les bananes de la République dominicaine compte tenu de l’importance des bananes biologiques. Mais le plus important à souligner est le prix très nettement inférieur des bananes de l’Equateur qui, avec la réduction des droits de douane dont il va bénéficier, va booster ses parts de marché dans l’UE, au détriment de la Côte d’Ivoire, du Cameroun et du Ghana.

La morale de l’histoire est que l’aveuglement de la Côte d’Ivoire et du Ghana va coûter très cher aux 341 millions de citoyens de l’Afrique de l’Ouest en 2014 – et bientôt 516 millions en 2030 – sans bénéfice réel pour la Côte d’Ivoire et le Ghana qui vont perdre des parts de marché à moyen et long terme dans l’UE pour leurs exportations de bananes et sans doute aussi d’ananas, voire de café et cacao transformés.

[1] http://www.freshfruitportal.com/2014/07/17/ecuador-eu-trade-agreement-is-marvelous-says-banana-industry-leader/?country=france

[2] Le Centre Technique de Coopération Agricole et Rurale est une institution des Etats ACP et de l’UE dans le cadre de l’Accord de Cotonou. Le CTA est financé par l’UE.

[3] http://agritrade.cta.int/fr/Agriculture/Produits-de-base/Banane/Les-exportations-de-bananes-de-l-Amerique-centrale-et-du-Sud-vers-l-UE-boostees-par-les-accords-de-libre-echange-malgre-une-performance-variable

[4] http://agritrade.cta.int/fr/Agriculture/Produits-de-base/Banane/Du-Suriname-aux-leaders-mondiaux-fusions-et-acquisitions-dans-le-secteur-de-la-banane

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