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Chroniques & Brèves de Michel Kloboukoff : Une révolution dans la connaissance : la société précède l’individu, la coexistence précède l’existence de soi.

13 février 2012, 18:14, par Yonne Lautre

« L’homme moderne –occidental, précisons-le - préfère croire que, dans ses rapports avec les autres, il n’est pas question de son être mais seulement de ses avoirs, de ses intérêts (auxquels s’ajoute éventuellement un sens moral – mais un sens moral qu’il assume en se définissant lui-même, encore une fois, comme un sujet autonome). »

François Flahault Le paradoxe de Robinson (2005) livre en demi-format 175 p. prix seulement 3 euros

Chapitre 5 p60 à p75- Une révolution dans la connaissance : la société précède l’individu, la coexistence précède l’existence de soi.

EXTRAIT p73 à p75 Un fois admis que la conscience n’est pas une lumière magique qui naît d’elle-même, force était de reconnaître aussi l’existence d’une activité mentale non consciente, base sur laquelle se développe la conscience (du point de vue scientifique, la question : « Y a-t-il une activité mentale non-consciente ? » ne se pose plus : le problème est au contraire de comprendre comment une activité mentale consciente est possible).

Nous croyons être conscients de ce que nous pensons et disons. Mais, si nous sommes à peu prés conscients des informations que transmettent nos paroles, nous sommes beaucoup moins conscients de l’acte relationnel que nous faisons en adressant ces paroles à l’interlocuteur. A la différence du langage humain, celui des singes (les sons et les mimiques qu’ils produisent) n’est pas fait de mots désignant des choses. C’est pourquoi, contrairement à nous, ils n’ont pas besoin d’avoir un sujet de conversation pour communiquer. Leur langage est inséparable de leurs interactions, il est entièrement immergé dans leur vie relationnelle. Cette dimension interactive –cette tension entre, d’une part, la propension vitale à l’expansion de soi et, d’autre part, la nécessité non moins vitale de « faire avec » ses semblables – n’est pas moins présente chez nous. Seulement elle nous est en partie masquée par la dimension la plus consciente, la dimension informationnelle (ce dont nous parlons). La tradition occidentale a privilégié le versant informationnel du langage et son maniement conceptuel aux dépens de son versant interactif. Du coup, nous concevons l’être humain comme un sujet dont la grande affaire est de connaître et d’agir sur le monde comme si ce sujet était extérieur à l’environnement dans lequel il agit. Une telle idée de soi n’empêche évidemment pas que nous ayons à exister dans le même bain que les autres, avec eux ou contre eux. Mais elle permet de s’imaginer que, en tant que « sujet rationnel », nous ne sommes pas pris dans cette interdépendance, ce qui est flatteur.

Cette culture du sujet connaissant a produit des résultats brillants. Mais paradoxalement, elle s’est payée du prix d’une méconnaissance : se présentant à ses propres yeux en tant qu’individu rationnel (ou en tant qu’Homo economicus, celui-ci étant un sous-produit de celui-là), l’homme moderne a oublié que la vie en société est le lieu où il est question pour lui d’exister : il a préféré croire qu’il était doté par nature d’un sentiment d’exister suffisant, une sorte de noyau pré-social (ou supra-social). Certes, il lui faut bien reconnaître que l’être humain se trouve aux prises avec ses semblables. Mais cela ne l’empêche pas de nier que le désir d’exister y soit pour quelque chose. L’homme moderne –occidental, précisons-le - préfère croire que, dans ses rapports avec les autres, il n’est pas question de son être mais seulement de ses avoirs, de ses intérêts (auxquels s’ajoute éventuellement un sens moral – mais un sens moral qu’il assume en se définissant lui-même, encore une fois, comme un sujet autonome). La vie en société ne lui apparaît donc pas comme le milieu vital dont dépend son être même. La portée ontologique de la vie en société a beau faire partie de l’expérience quotidienne, il ne la pense pas. Précisément parce que l’idée qu’il se fait de lui-même répond moins à un effort de connaissance qu’au désir de soutenir son sentiment d’exister, il lui faut éviter que cette idée de soi soit humiliée par les faits, il lui faut se protéger de ce qu’il vit grâce à ce qu’il croit.

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