AMAPP Les Paniers Bio de l’Auxerrois Brèves projection publique du film "Sans terres et sans reproches" mardi 29 septembre à 19 heures

LETTRE A MON PAYSAN SANS TERRES ET SANS REPROCHES

L’après film d’Eric Boutarin : « Sans terres et sans reproches, un voyage chez les paysans résistants du Quercy »

Le 3 octobre 09.

Cher pépé,

Ma lettre a la lenteur dont tu as souvent fait l’éloge et dont les deux vieux paysans du Quercy ont vanté les mérites dans le film Sans terres et sans reproches, projeté mardi dernier à Auxerre.

Par le passé, on prenait le temps de se rouler un petit clopiot et on allait boire un coup chez le voisin. Les moissons, on les faisait à trente. Quelques jours chez l’un, puis chez l’autre. Maintenant, l’homme ne sort plus de sa moissonneuse batteuse. Pas le temps. Finis les conseils avisés d’un plus vieux devant le pt’it coup de gnôle du matin ! Mort du tissu social. Chacun pour soi !

Parmi un public... disons « averti »..., tout en visionnant le film, je songeais à toi et je me demandais ce que tu aurais pensé de ce qui se racontait là.

A un moment, j’ai même cru comprendre pourquoi j’avais répondu présente à l’invitation de Jean-Pierre Marry, adhérent à l’AMAPP de l’auxerrois, moi qui ne vais même pas chercher mon panier bio hebdomadaire et qui n’y connais pas grand chose à la question paysanne. Mais je me suis sentie bien tout à coup. Lorsque les deux culs terreux rondouillards du Quercy ont parlé, un soulagement, une joie, une fierté m’ont envahie.

C’est toujours la même chanson que je chante là : « Moi, mon pépé, il s’est loué dans les fermes à onze ans. Il a été métayer et il ne voulait pas de tracteur ! » Et cet air là, depuis mardi, je n’arrive pas à m’en débarrasser, depuis mardi, c’est à dire depuis la projection de ce film aux Brichères, à Auxerre, là où le consommateur responsable vient retirer son panier bio préparé par l’AMAPP.

J’ai voulu oublier cette lettre à écrire pour ne pas avoir l’air de radoter, mais son chant revient comme un refrain obstiné.

– C’est pas vrai que la voilà repartie avec son grand-père ! 

Et oui, je suis repartie avec cette histoire de tracteur dont tu ne voulais pas, préférant le cheval, le lien affectif avec l’animal, la lenteur, comme garante de l’humanité dans le travail.

Et oui, je suis repartie, car un paysan sans terres, on peut dire que je sais ce que c’est : j’en suis issue. Le métayage n’est plus depuis les années 1950. On ne verse plus 50 % de sa récolte et de tous les produits fabriqués à la ferme au propriétaire terrien et pourtant, ce principe tellement injuste qui a fait que nos ancêtres ont travaillé si dur continue de me poursuivre.

Peut-être que le métayage de mon grand-père a été un livre philosophique beaucoup plus convaincant que de celui de n’importe quel doctrinaire !

Aussi, le temps où les enfants se louaient dans les fermes a disparu en France, et pourtant, que de larmes en coin dans les yeux des anciens, lorsque j’en rencontre et que j’aborde la question.

– Moi, ma mère, on la faisait manger avec les chiens.
– Moi, avec ma soeur, on nous a placés dans une ferme. On nous a bandés les yeux pour que nous ne puissions jamais la retrouver.

Alors, parmi les personnes réunies aux Brichères, je me suis dit que peut-être, un écrivain avait quelque chose à faire avec les paysans, les sans terres, certes différents aujourd’hui, mais finalement travaillant toujours si durement pour exister dans un monde sans partages, un monde de fous qui galope au profit, convoitant toujours la terre du voisin alors que des familles entières pourraient y vivre.

Certes, des avancées ici et là, mais si lentes encore une fois.

« Ils ont la force et nous avons le temps » chantait Moustaki. Puisse le temps en effet travailler pour nous.

Barbara Moreau
Auteur de C’est moi Gadine
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