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Alexis Ducousso, les « nuisibles » et la régénération de nos forêts

Entretien réalisé par la Rédaction de Yonne Lautre le 12 septembre 2015

 Alexis Ducousso, pourriez-vous d’abord vous présenter ?

J’ai plusieurs casquettes complémentaires :
 la première est celle de scientifique. Je suis généticien à l’INRA au sein de l’UMR BIOGECO (Unité Mixte de Recherches BIOdiversité des GENes aux COmmunatés)
 la seconde est celle de gestionnaire forestier. Je gère depuis 1978 une forêt de 67 ha en Picardie
 la troisième et dernière de militant impliqué dans la conservation de la biodiversité (référant scientifique à la Commission des Ressources Génétiques Forestières, représentant français à EUFORGEN, président du groupe forêt à l’UICN, membre de la CSRPN d’Aquitaine, membre du directoire forêt à FNE et membre de la commission forêt à la SEPANSO)

 Pourquoi votre intérêt pour le loup ?

J’ai deux intérêts pour cet animal la première affective et la seconde pour ses fonctions écologiques. J’ai eu le plaisir de rencontrer dans la nature à plusieurs reprises cet animal mythique. Ce fut des moments de très forte émotion. Je reviendrai sur ses fonctions écologiques plus tard. 

 Quels liens entre le loup et la défense des forêts ?

En Europe, les forestiers ont un problème majeur pour régénérer les forêts à cause de l’augmentation des densités d’ongulés. Les grands herbivores endommagent jusqu’à compromettre les régénérations naturelles et artificielles en se nourrissant ou par leurs comportements (marquage territorial,...).
Le retour du loup qui est un prédateur au sommet de la chaîne alimentaire va fortement aider à résoudre cette crise en régulant les populations de cervidés et surtout en modifiant leurs comportements. En France, ce retour pourrait être compromis car la situation est extrêmement conflictuelle faute d’une anticipation de son retour et d’une gestion correcte de son implantation. Les plans d’abatage aveugle des loups sont inefficaces à réduire les problèmes de dégâts et en plus ils peuvent compromettre son retour car les populations de loups sont encore très fragiles démographiquement et génétiquement.

 Pouvez-vous être plus précis sur la question des cervidés et de la forêt ?

Dans la deuxième moitié du 20éme siècle, les chasseurs ont mis en place des plans de chasse sur le grand gibier. Ces plans ont été une réussite qui a dépassé les attentes les plus optimistes mais causant de gros problèmes lors de la régénération des forêts. Cette explosion démographique des cervidés ne s’est pas accompagnée d’une évolution des pratiques de la chasse et de la sylviculture entraînant des dommages très importants aux régénérations. La surdensité de grands herbivores a aussi des conséquences sur la biodiversité car la présence de ces animaux modifie la flore, peut perturber des espèces sensibles et cloisonne nos forêt du fait de l’engrillagement des régénérations. Par exemple, la hêtraie à myrtille est très fortement dégradée par l’abroutissement. La pose de clôture pour protéger les régénérations réduit les possibilités de déplacement des animaux ce qui nuit au bon fonctionnement des écosystèmes. Cette situation a créé un gros contentieux entre les forestiers et les chasseurs. Le dialogue est difficile car trop passionnel.

 Les loups sont-ils déjà assez implantés pour agir sur les cervidés et donc la protection de la forêt ?

Je ne connais pas d’étude précise en Europe et je ne suis pas un spécialiste du loup. Dans le Parc National du Yellowstone aux USA, le retour du loup s’est accompagné très rapidement par une modification importante et rapide des paysages en particulier le long des rivières. Les scientifiques ont constaté un retour de la forêt dans des zones ouvertes et une explosion démographique du peuplier tremble américain.

 Les animaux dits « nuisibles » auraient donc des fonctions écologiques, y compris pour la forêt ?

Beaucoup d’animaux considérés comme nuisibles ont un rôle très important dans le bon fonctionnement des écosystèmes forestiers en dispersant les graines (geai des chênes, corneille noire, renard, blaireau, fouine, etc...) et en régulant les petits rongeurs grand consommateur de graines et jeunes plants (renard, blaireau, fouine, martre, hermine, belette, putois,...).

 Le réchauffement (ou dérèglement) climatique imposera-t-il à la forêt de se régénérer, d’évoluer plus rapidement ?

Le réchauffement climatique va atteindre une vitesse inédite à laquelle les forêt devront s’adapter. C’est un défi pour le sylviculture qui devra aider à l’adaptation des forêts par la gestion des peuplements, la migration assistée, etc...

 Comment mettre en place une tout autre gestion de la forêt et donc des « nuisibles » ?

La gestion forestière doit adapter les forêts très rapidement aux changements globaux avec des revenus faibles. Il faut donc s’appuyer sur tous les mécanismes écologiques pour réduire les coûts. Pour cela, il faut porter un regard différent sur toute notre faune autochtone. Certes un renard est embêtant quand il prélève une poule mais il ne faut pas se limiter à cette action. Il faut aussi considérer tous ses apports positifs comme la dispersion des semences forestières et le contrôle des populations de rongeurs. Le bilan de ce « nuisible » est très positif donc apprenons à vivre avec lui.

 Pensez-vous que nous puissions réussir cette adaptation ? Est-elle déjà mise en place dans des forêts françaises ?

Il est très difficile de répondre à cette question car nous avons de grosses incertitudes sur les émissions futures de gaz à effet de serre, sur le comportement des écosystèmes et des espèces et les différents modèles prévoient des climats très différents. La réussite de l’adaptation des forêts aux changements climatiques dépendra de la violence du choc reçu et des mesures prises. Pour le moment, la communauté forestière en particulier à l’ONF a compris le problème et a engagé de nombreuses réflexions. Pour le moment, il y a peu d’actions engagées sur le terrain.


Les photos de renard, illustrant cet article, sont de Jean-Paul Leau

Par Ducousso Alexis , Rédaction de Yonne Lautre

Le mardi 13 octobre 2020

Mis à jour le 25 avril 2023